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mardi 17 octobre 2017

Droit américain : impérialisme et far west (3)

Le racket : 20 milliards transmis à la justice américaine de la part des sociétés françaises.

Dans le blog précédent, je rappelais les circonstances assez étonnantes- voire révoltantes- dans lesquelles la branche énergie d’Alstom a été acquise par General Electric sous pression de la justice  et du gouvernement américains, privant la France d’un atout industriel et stratégique de la plus grande importance, dans l’inconscience totale de nos dirigeants, Macron, le premier. Une Commission parlementaire dont le rapport est signé de Pierre Lellouche et Karine Berger s’est penché sur la stratégie juridique américaine, en particulier sur l’extraterritorialité qui permet à la justice américaine d’infliger des amendes gigantesques à n’importe qui a effectué des transactions en dollars déplaisant au gouvernement des USA.

Ainsi, 20 milliards ont été extorqués par la justice américaine à des sociétés françaises. Depuis 2009, les banques européennes ont versé environ 16 milliards de dollars de pénalités diverses aux administrations américaines.   (BNP Paribas 8 974 Mill ; HSB 1 931 ; Commerzbank, 1 452, Crédit agricole, 787 ; Standard Chartered, 667 ; ING, 619 ; Crédit suisse, 536  etc. L’ amende dont est menacé la Deutsche Bank met en périle le système fnancier européen

Un imperium juridique : fiscalité et contrats étrangers

L’ imperium juridique américain se décline dans trois domaines…

Premièrement, la fiscalité. La lutte contre la fraude fiscale va permettre à l’administration américaine d’utiliser le Trésor français comme une sorte d’annexe et d’avoir instantanément toutes les informations sur les citoyens américains non-résidents et notamment en France sans réciprocité. Les banques françaises sont, en effet, obligées de donner tous les comptes de tous les résidents américains au Trésor qui les transmet ensuite à l’administration américaine. En revanche, si nous avons besoin d’une information sur un résident français, nous devons faire une demande au cas par cas…

Le troisième domaine d’action de ce rouleau compresseur concerne les embargos et les sanctions. Il existe deux types de sanctions : d’une part, celles où il existe un accord comme les sanctions contre la Russie. La France, l’Union européenne, les Etats-Unis ont, en effet, décidé ensemble de punir la Russie suite à l’annexion de la Crimée, d’autre part, il y a des cas où nous ne partageons pas les mêmes sanctions comme par exemple en ce qui concerne Cuba ou le Soudan. Ces sanctions ont donné lieu à une punition extrêmement lourde pour la BNP, près de 10 milliards de dollars. Cette punition portait sur des financements de contrats avec des pays sous embargo américain mais pas sous embargo français. Les Etats-Unis reprochaient à la BNP de violer la loi américaine de façon systématique et ce même après avoir été prévenue. La sanction a donc été d’autant plus lourde. Dans le cas de l’Iran, nous avons une situation complexe où la communauté internationale décide de lever les sanctions donc théoriquement le commerce devrait reprendre avec ce pays. Néanmoins, ce pays reste soumis à de nombreuses sanctions bilatérales que les Américains appellent sanctions primaires. Ces dernières rendent, de facto, impossible à toutes personnes américaines d’opérer des activités économiques mais également toutes opérations économiques en dollars. Résultat concret, pour vendre quoi que ce soit, il faut une autorisation expresse. Dans le cas d’Airbus, il fallait que Boeing puisse vendre au préalable des avions.

Un membre de la commission des Finances, qui est encore membre du conseil de surveillance d’une entreprise liée à l’entreprise américaine Xerox, m’a montré ce matin un courrier reçu le 30 septembre de Xerox et demandant à toute personne avec laquelle cette dernière entretient des liens économiques et financiers de ne pas faire d’affaires avec l’Iran. Ainsi, une entreprise américaine s’arroge le droit de demander à ses partenaires français de ne pas faire d’affaires en Iran, sans quoi les liens seront coupés. On nous a également fait état de lettres de menaces de lobbyistes américains demandant à des entreprises françaises de ne pas se rendre en Iran.

Des sanctions illégales au regard du droit international

Le professeur Régis Bismuth relève que, dans le cas des mesures restrictives unilatérales des États-Unis et de leur prétention à pénaliser des banques européennes sur la base de compensation d’opérations en dollars, « à l’inverse de la convention OCDE en matière de corruption, le droit international conventionnel n’offre aucun support sérieux à l’existence d’une règle permissive permettant de justifier une extension de la compétence de l’État émetteur de la devise ».
Il observe a contrario que ces dispositifs de sanctions américains, au moins dans leur prétention à bloquer tout ou l’essentiel des transactions en dollars avec les pays et entités visées, contreviennent probablement à plusieurs engagements américains pris dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et des accords qui l’ont précédé, comme le GATT.

S’agissant par ailleurs des sanctions secondaires prenant la forme d’une exclusion des marchés publics américains pour les entreprises qui feraient des transactions avec des pays ou entités sous sanctions, l’auteur relève de même leur contrariété avec l’article VIII de l’Accord sur les marchés publics (AMP) de 1994, selon lequel « une entité contractante limitera les conditions de participation à un marché à celles qui sont indispensables pour s’assurer qu'un fournisseur a les capacités juridiques et financières et les compétences commerciales et techniques pour se charger du marché en question » (ce qui exclut des restrictions d’accès autres, telles que celles prévues par les sanctions).

Remarque de MmeValérie Rabault : Ma deuxième question concerne votre préconisation de développer les échanges en euro. Je suis toujours fascinée de voir que l’on vend les Airbus en dollars. Nous sommes bien pieds et poings liés au dollar aujourd’hui. Il suffit qu’une transaction intègre un contrat de couverture pour que le dollar intervienne. Comment se défaire de ce carcan ?

La réponse figurant dans le rapport est bien triste : l’euro s’est peu imposé comme monnaie de substitution au dollar pour ce qui est de la facturation et du paiement des flux commerciaux internationaux. Les grands marchés internationaux de matières premières, en particulier, restent libellés en dollars. Certes, d’après les statistiques de la Banque centrale européenne (63), l’euro serait la monnaie de facturation de 58 % des échanges de la zone euro (avec des pays hors zone euro) en 2015. Mais ce taux est tendanciellement en recul : il était proche de 70 % en 2011. S’agissant de la globalité des paiements internationaux, l’euro a également perdu du terrain depuis quelques années. Sa part dans les paiements globaux serait même passée depuis 2012 de 44 % à 29 % ! Sur ce plan aussi, l’euro est un échec ! Et seule une politique très volontariste de lutte contre l’impérialisme économique européen pourrait y remédier Et il nous faudra considérer pour cela que nos alliés sont les Chinois et les Russes, et les Américains nos ennemis.

Le droit américain est utilisé pour obtenir des marchés et éliminer des concurrents

 Actuellement, nous assistons à une volonté manifeste des États-Unis d’utiliser leur droit à des fins politiques, de sécurité et d’influence, mais également à des fins commerciales : c’est une volonté impérialiste. Le droit américain est utilisé pour obtenir des marchés et éliminer des concurrents. Nous devons ne pas être naïfs et prendre conscience de ce qui se passe. Les derniers gouvernements français n’ont pas réagi, mais ils ne sont pas les seuls coupables : les entreprises françaises qui étaient mises en cause dans des affaires de corruption aux États-Unis n’ont rien dit au Gouvernement. En effet, les grands groupes sont dans les mains des cabinets d’avocats américains, qui leur conseillent de ne surtout pas avertir les autorités françaises, et de régler leurs procès discrètement, grâce au mécanisme du plaider coupable ; ces cabinets facturent pour cela des honoraires substantiels. Il est important de prendre en compte l’existence de tels intérêts privés dans notre réflexion. Les États sont éliminés, sauf l’État américain qui, dans la jungle transnationale, a su utiliser son droit de manière extraterritoriale.
On en arrive à des situations d’auto-accusation et à une violation totale et directe de la souveraineté française. Il est scandaleux que des moniteurs soient placés en France, enquêtent en France et transmettent des informations aux États-Unis sans que cela passe par la justice française. Nous ne sommes pas là dans une situation théorique. Il s’agit de mesures d’exécution et je m’étonne qu’il n’y ait pas de magistrats pour réagir à la Chancellerie. Il faut qu’il y ait une prise de conscience face à ce scandale : je suis persuadé qu’elle va arriver, parce que le rapport de Karine Berger et de Pierre Lellouche est très décapant sur de nombreux points.
Il est également important de voir que si nos entreprises se voient infliger d’importantes amendes en matière de corruption, il n’en est pas de même pour la Chine ou l’Inde. Les pays qui ne sont pas membres de la convention OCDE ne sont pas attaqués : il y a deux poids, deux mesures, et c’est l’Europe qui sert de « champ de bataille ». :

Pour plus complet : Commission des affaires étrangères et  commission des finances en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 3 février 2016 sur l'extraterritorialité de la législation américaine, Président :Pierre Lellouche, Mme Karine Berger, interventions de Jacques Myard  et Valérie Rabault entre autres…

Que dire ? si le rapport analyse l’impérialisme juridico-économique américain de manière décapante et intéressante, il est assez peu fourni du point de vue des solutions. On se borne à espérer que les instances européennes trouveront un moyen de réagir, de rétorsion… ce qu’elles n’ont eu ni la volonté ni l’énergie de faire jusqu’à présent. Mme Valérie Rabault propose même d’adresser la facture de la crise bancaire des subprimes aux banques européennes  (« Je suis étonnée que depuis 2008, nous n’ayons jamais adressé la « facture » aux États-Unis »). En effet…il n’y a plus qu’à


Un dernier mot : parmi ces députés de la vieille politique que raillent les macroniens, il y avait des gens qui faisaient plutôt bien leur travail de député, qui étaient au courant des réalités de la vraie vie et qui n’avalaient pas comme ostie consacrée la vulgate libérale des zombies de LRM. Mea Culpa ; j’ai peut être trop médit de certains d’entre eux. Ils manquent ! 


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