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dimanche 28 janvier 2018

Louis Ferdinand Céline – Merde aux censeurs

Rééditer les pamphlets

La veuve de Louis Ferdinand Céline a longtemps refusé de faire reparaitre trois pamphlets de Céline (« Bagatelles pour un massacre » (1937), « L’École des cadavres » (1938) et « Les Beaux draps » (1941) (les « pamphlets antisémites ») - rappelons que la réédition de ces pamphlets ne fait pas et ne peut faire l’objet d’une interdiction dans la législation actuelle. Au Québec, où les droits d’auteurs sont de 50 ans, l’ensemble des pamphlets de Céline ont été édités aux Éditions 8 sous le titre Ecrits Polémiques, rassemblés et commentés par un professeur de littérature française à l’Université de Nantes, Régis Tettamanzi. L’avocat de Céline, Mtre François Gibault a convaincu Lucette Destouches de ne plus s’opposer  à la réédition en France et Gallimard a annoncé son projet de reprendre  l‘édition québécoise, complétée par une préface de Pierre Assouline – d’autres textes antisémites ont été réédités sans susciter trop d’opposition, et les pamphlets sont disponibles sous le manteau à partir d’éditions illégales.

Eh bien raté ! après un mois d’intenses polémiques, après un concours assez pitoyable sur le thème oui, les pamphlets de Céline  doivent pouvoir reparaître, mais pas sans ma préface à moi, le grand littérateur, à moi, le grand historien, à moi, le grand et seul vrai spécialiste de l’antisémitisme, Gallimard a jeté l’éponge. Il n’est pas possible de se procurer légalement en France ces ouvrages importants de Céline. Et, amis céliniens, pas la peine de vous précipiter au Québec : tout est épuisé.

Yann Moix et Sollers

Je n’attendais pas Yann Moix de ce côté du terrain, mais j’ai apprécié sa tribune libre dans Le Monde du 12 janvier 2018…où il demande la réédition des pamphlets dans la Pléîade.  Citations :

« La moindre des choses, concernant les pamphlets de Céline, eût été de ne jamais tenir compte du refus de l’auteur de les voir republier. Retrancher à l’œuvre une part importante de l’œuvre, c’est en modifier l’ADN, c’est en truquer la vérité, c’est en modifier la portée. « Tout » Céline « moins » les écrits antisémites, c’est inventer un Céline qui n’existe pas, n’a jamais existé, est une chimère, une licorne. Il fallait, dès après sa mort, en 1961, publier l’intégrale de l’œuvre dans « La Pléiade » et dans l’ordre chronologique ; le classement thématique (d’un côté les romans acceptables et géniaux, de l’autre les pamphlets inadmissibles et nauséeux) produit une idée fausse de l’homme qu’il fut.
Céline se déploie dans le temps, il n’y a que dans le temps, époque par époque, dans le déroulement des événements, que tenter de le « suivre » (je n’ai pas dit de le « comprendre ») est possible….Quant au fameux appareil critique des pamphlets, je prétends pour ma part qu’il ne devrait pas être plus épais, plus scrupuleux que l’appareil critique des romans… Bagatelles pour un massacre existe en même temps que Nord, Les Beaux Draps ont le même statut (je n’ai pas dit la même valeur artistique que Mort à Crédit. Soulignons aussi que sans le Céline du pire, aucun des livres de sa grandiose trilogie allemande n’aurait le moindre sens »

Pour éclairer le débat, Philippe Sollers  (extraits de Céline -éditions L’Archipel/ECRITURE, 16 octobre 2009)

« il faut souhaiter que les pamphlets soient édités de façon correcte, de sorte qu’ils soient trouvables, que ce ne soit pas ce chuchotement interminable dont circulent quelques extraits… »

« Il y a là un homme qui passe, qui est très beau qui a un col de fourrure, qui s’appelle Bousquet, qui est propre, qui parle d’égal à égal avec les nazis. On est entre fonctionnaires. L’antisémitisme est devenu à ce moment-là une procédure d’élimination technique. Ça n’a rien à voir avec Céline ! »

« La question qui devrait nous occuper, c’est pourquoi le nihilisme de Céline, sous sa forme de passionnalité vociférante antisémite, donne lieu à des chefs-d’œuvre. Parce que même les pamphlets, dans leur genre, sont des chefs­ d’œuvre. C’est bien ça qu’il faut voir. Il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas que l’antisémitisme virulent, passionnel. Dans les pamphlets, il y a aussi tout ce qui concerne l’URSS, etc. Je crois qu’il faut être à la mesure de cela et que la littérature, si elle existe aujourd’hui, sera ou non à cette mesure. Ou bien on deviendra bien-pensant à bon compte ou bien on fera des chefs-d’œuvre littéraires ou même de pensée, qui seront à la mesure de cette passion »

A propos de l’édition des Ecrits Polémiques : Pour savoir ce qui s’est produit, il faut passer par ces documents. Par ordre d’entrée en scène, de 1936 à 1941 : Mea Culpa, Bagatelles pour un massacre, L’École des cadavres et Les Beaux Draps (on trouve également dans ce volume de plus de 1000 pages, trois autres textes de Céline : Hommage à Zola, A l’agité du bocal  , Vive l’amnistie, monsieur !).
Après avoir passé dix-huit mois en prison au Danemark, il trouvera ensuite la force d’écrire D’un château l’autre, Nord, Rigodon et Entretiens avec le Professeur Y. Ce sont des livres que l’on peut d’autant moins négliger qu’ils sont d’une force et d’un comique souvent prodigieux.

Cela dit, il faut se demander ce qui a contribué à radicaliser Céline. De retour d’URSS, il écrit Mea Culpa (1936). Il n’y a alors pas de trace de délire antisémite. En revanche, il est effaré par ce qu’il a vu et l’écrit. Hurlements de la presse communiste qui le traite en même temps que Gide de renégat. Jusqu’alors, il n’a jamais adhéré à rien. Il est anarchiste. »

Petit rappel utile : Céline doit la vie au fait que le Danemark ne l’a pas extradé.

Merde à  la censure et aux censeurs

Pour ce que j’ai pu en lire trop rapidement sur des éditions originales que l’on m’a prêté quelques jours, sur quelques extraits (je n’ai jusqu’à présent pas voulu me procurer des éditions illégales), oui les pamphlets de Céline sont dans leur style des chefs d’œuvres, des chefs d’oeuvres uniques, distincts du reste de l’oeuvre et pourtant bien reconnaissables – il est impossible de ne pas reconnaître l’auteur ou de leur en donner un autre. Ces pamphlets sont d’abord  des pamphlets pacifistes, le cri de colère, de sidération d’un homme, d’un artiste,  qui a vu et décrit comme personne d’autre avant lui et après lui une des boucheries caractéristiques du début de XXème siècle, et qui voit cette boucherie se reproduire – comment cette sidération conduit à la désignation d’un bouc émissaire juif, comment toute sidération aboutit à de gravissimes erreurs est certainement intéressant à comprendre. Pour Céline, tout belliciste est juif, et pour cette raison, Hitler est juif ! Qu’on le lise, personne de bonne foi ne pourra prétendre prendre au sérieux l’antisémitisme de Céline- et les antisémites, les vrais, les sérieux, les « scientifiques », les fonctionnaires zélés, les frustrés le détesteront- aucune réunion, aucune action antisémite ne put avoir lieu avec Céline, qui tournait tout cela en bouffonneries. Et à toutes fins utiles, Céline ne connaissait évidemment pas l’extermination nazie des juifs (qui l’a vraiment su avant 1945) et les pamphlets ont été écrits bien avant toute mise en oeuvre de la « solution finale ».

Serge Klarsfeld, s’est au rebours de la loi française, opposé à la réédition des pamphlets . « On est dans un moment charnière en France. Des juifs se font attaquer, voire tuer, parce que juifs (…) Je compte faire tout ce qui est en mon possible pour empêcher [cette réédition]. Nous avons des lois qui nous permettent de réprimer les propos antisémites. Je les utiliserai ». Croit-il vraiment que les décérébrés français partisans de Daech ont besoin de Céline,  qu’il les ait inspiré, ou même qu’ils puissent le lire ? Cette censure serait même contreproductive pour la cause légitime qu’il veut défendre par des moyens qui ne le sont pas. 
Quelques folliculaires habituels, tels le très obscur et tortueux « Raide d’équerre » dans le Figaro ont prétendu que les pamphlets de Céline ne sont pas de la littérature…contrairement aux ouvrages de Sade. « Si - passant outre le nihilisme égalisateur qui a la faveur des esprits aujourd'hui - la question de l'identité littéraire des écrits antisémites de Céline avait été posée sérieusement et publiquement, l'opinion éclairée n'en serait pas à se poser celle de la légitimité de leur publication » ; Rappelons que ce n’est pas l’avis de Sollers dont l’avis , en matière de littérature, pèse tout de même plus que celui de Redeker, malgré le « nihilisme égalisateur ». ..

De deux choses l’une : ou Redeker et tous ces censeurs n’ont pas lu les pamphlets, alors quelle est leur légitimé pour en parler ? Ou bien il les ont lu – illégalement-, et au nom de quoi prétendent-ils m’interdire le faire- légalement ? 

Merde aux censeurs !


Nous vivons maintenant, en toute bienveillance, dans une société libérale où il devient possible et même convenable, bien considéré d’effacer des oeuvres et des artistes, des écrivains immenses de nos photos de familles patrimoniales. Naguère, des livres de Rebatet ont pu être réédités, Charensol et Jean-Louis Bory parlaient à la radio nationale de l’Histoire du cinéma de Brasillach. Nous progressons drôlement. Quelle liberté aurons-nous demain à défendre ?

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