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vendredi 12 avril 2013

Arrêt de Quaero_ fin des grands projets d’innovation ?

La dure naissance de Quaero

Quaero fut l’un des premiers exemples de la politique d’innovation proposée par le rapport Beffa  et impulsée par feu l’Agence pour l’Innovation industrielle : le financement  d’innovation de ruptures par de grands projets dits PMII, (programmes mobilisateurs d’innovation industrielle), impulsés par l’Etat avec des structures collaboratives entre PME, grand groupe, équipes publiques)
Le but de Quaero était de d’inventer et de développer de nouveaux  « outils intégrés de gestion des contenus multimédias ». Il a été présenté de façon un peu trop facile et mal adaptée comme devant être le nouveau google européen, alors qu’il s’agissait de faire en sorte que la France (et l’Europe) soient présent dans les moteurs de recherche de l’avenir, en développant des techniques de recherche par le contenu non seulement du texte, mais aussi des images, du son et de la vidéo. Quaero devait aussi favoriser la numérisation, l'enrichissement et la diffusion du patrimoine audiovisuel et des bibliothèques numériques.
Quaero a réussi d’abord à survivre à l’hostilité de la  Commission Européenne à ce type de projet, qui a retardé de deux ans sa mise en route avant d’autoriser sans enthousiasme son financement public, à la mauvaise volonté de Deustche Telekom qui devait faire partie du consortium de départ, à la colère des anglo-saxons dénonçant « un cas flagrant de nationalisme malencontreux et inutile ».

Un pôle de compétitivité national qui aurait réussi

Quaero a démarré en 2008 avec un financement public de 100 millions d’euros et un financement privé à même hauteur, pour une durée de cinq ans. Le consortium regroupait des grands groupes comme  Technicolor et France Telecom, des PME comme Jouve et Bertin Technologies, des start-up comme  Exalead et et LTU Technologies, des laboratoires publics comme le LIMSI-CNRS, l'Inria, l’Ircam… etc.
A la fin des cinq ans, des produits ont été créés comme l'outil d'indexation de contenu audio d'Exalead, Voxalead News, la traduction de sites Web, SystranLinks, ou la transcription de discours, Vocapia. Trente et un brevets et sept cents articles scientifiques ont été publiés. Des programmes et des organismes ont accompli des progrès importants, à un rythme inédit : A2iA, en reconnaissance d'écriture manuscrite française ; l'Inria, pour la recherche dans les images, l'Ircam, pour l'analyse de musique Surtout Quaero a consolidé des filiéres et favorisé des collaborations, et  a rempli son objectif de permettre aux industriels français de ne pas être évincés de ce secteur stratégique  et de préparer l’avenir : « il a permis de rester au contact de la concurrence. Tout seuls, les partenaires auraient eu du mal", confie Pieter van der Linden, responsable du centre de recherche et d'innovation de Technicolor à Paris et coordinateur de Quaero.
Au fond, Quaero a agi  comme un pôle de compétitivité national qui aurait réussi.

Quaero et les programmes mobilisateurs, stop ou encore ?

Alors Quareo et les autres programmes mobilisateurs, stop ou encore ? Encore évidemment,mais on ne sait pas comment Quaero va continuer à fonctionner, et comment cette aventure va pouvoir continuer pour délivrer toutes ses promesses. 
Et surtout, il faut souligner que la naissance de Quaero n’a été possible que grâce à l’Agence pour l’Innovation Industrielle (AII) avec une stratégie très interventionniste qui a permis de placer l’innovation sous le contrôles d’innovateurs et non des banquiers et des comptables, et de rompre radicalement avec les stratégies prétendument prudentes et peu efficaces de saupoudrage d’Oseo. Or, par la volonté de Sarkozy, l’AII, création chiraquienne a été dissoute et intégrée…à Oseo, un Oséo certes un peu rénové, mais qui n’a pas repris à son compte les ambitions de l exAII et du rapport Beffa.
Une leçon utile pour le ministère du redressement productif et la Banque pour l’innovation ?

jeudi 11 avril 2013

L’innovation : recettes de succès et situation française vues par l’OCDE

(Résumé de la conférence de Dominique Guellec  (OCDE)- AJEF, 20 février 2013)

Favoriser l’innovation

L’innovation peut concerner de multiples domaines : technologique, des services, du marketing, de la finance
L’innovation peut être freinée par des lois ou réglementations inadéquates, non justifiées par un bien public mais favorisant des intérêts acquis (un cas pathologique célèbre est une loi anglaise du XIXème siècle imposant de faire précéder les automobiles (la nuit ?) par un marcheur portant une lanterne rouge). Un cas pathologique actuel à Paris est le monopole malthusien des taxis parisiens qui empêche le développement de nouveaux services au détriment des habitants. Repérer et supprimer ces freins réglementaires est un enjeu important.
L’innovation est freinée lorsqu’on entrave les processus de réallocation des ressources en maintenant artificiellement des activités déclinantes. Ainsi, l’Europe du Nord ne protège pas les entreprises ou les emplois existants, mais les employés en permettant et favorisant des formations et reconversion adéquates.
Des entreprises existantes peuvent être conduites à freiner l’innovation pour préserver leur business model. Souvent, à technologies nouvelles, entreprises nouvelles ; c’est le processus Schumpeterien de destruction créatrice.
L’innovation n’est clairement plus le monopole de l’Occident et d’un petit nombre de nations occidentalisées. Le rattrapage chinois, par son ampleur et sa vitesse, a un caractère unique dans l’histoire. Le monde est devenu multicentrique, et les migrations concernent pour la première fois de façon massive des personnes très qualifiées (chercheurs, ingénieurs, techniciens, médecins…). Ceux qui sauront le mieux organiser ces migrations (politique de retour des doctorants etc) pourront en tirer un avantage important.
Tout ce qui ne peut pas circuler par Internet et s’enracine dans un territoire et de la proximité prend une valeur plus importante et peut constituer une source précieuse d’innovations non délocalisables : ce sont les collectivités, les infrastructures, les savoir-faire, traditionnels ou spéciaux ; la construction et l’habitude des collaborations interdisciplinaires : ainsi, un chimistes en France peut facilement collaborer avec un chimiste en Inde, mais plus difficilement avec un biologiste. On délocalise moins facilement un binôme chimiste biologiste, et encore moins facilement des collaborations plus complexes, qui ne fonctionnent bien que dans la proximité géographique et culturelle. Créer ces réseaux de collaborations et de compétences représente donc un énorme avantage compétitif pour un pays.

Le contexte français

L’industrie française a énormément reculé dans les dernières dix années et la recherche selon l’OCDE se situe dans une honnête moyenne, sans plus. La recherche et développement représente 2.3 % du PIB, sans évolution sur les vingt dernières années, alors que l’agenda de Lisbonne pour l’Europe de la connaissance prévoyait 3% ; l’Allemagne est à 2.8 % et seuls les pays nordiques atteignent ces 3%.
La France se caractérise par quelques grands groupes planétaires très compétitifs et innovants (par exemple dans l’aéronautique, le nucléaire), mais a) ils sont trop peu nombreux ; b) ils ont tous plus de trente ans - la France n’a su créer aucun grands groupe, alors qu’aux USA, la plupart des grandes entreprises n’ existaient pas, ou à l’état embryonnaire il y a  quinze ans. En résumé, la France n’a ni grandes entreprises récentes comme les USA, ni un « mittlestand », réseau dense d’entreprises moyennes innovantes et exportatrices comme l’Allemagne.
La France sait créer des entreprises innovantes ; le statut fiscal des jeunes entreprises innovantes est une réussite, et la France crée autant d’entreprises que les USA et plus que l’Allemagne ; mais elle ne sait pas les faire grossir, ou même simplement réussir. La plupart n’ont pas même d’activité commerciale réelle ou vivotent, et les rares qui réussissent n’ont pas suffisamment accès à des capitaux pour se développer…et sont donc rachetées par des entreprises étrangères.
Une des raisons est un manque de culture managériale, et, plus généralement, une direction pathologique des entreprises. Le cas typique français du chercheur qui a passé plus de vingt ans à l’Université ou dans un grand organisme de recherche et  se lance dans la création d’entreprise sans vision du marché et avec une mise de fonds ridiculement insuffisante est catastrophique. Les Apple, Google, Microsoft n’ont pas été créées par des chercheurs, mais  par des managers visionnaires et charismatiques qui ont su s’entourer  de chercheurs bien plus compétents qu’eux, les écouter, les diriger… et les rétribuer.
Une autre raison est le syndrome « Tanguy » ; de fait, dans le contexte français du financement de l’innovation et des aides fiscales, les entreprises n’ont aucun intérêt à croître. Le financement et les aides à l’innovation profitent bien aux très petites entreprises et aux très grandes ; il est tragiquement inadapté à la croissance et à création de PME du type Mittelstand, en particulier le secteur du capital risque déficient.

NB : le diagnostic me semble pas mal vu, mais l’OCDE parait ne croire qu’aux modèles américains et allemands. Or, un modèle d’innovation de ruptures par grands projets impulsés par l’Etat - les PMII, (programmes mobilisateurs d’innovation industrielle) du rapport Beffa et de l’ex AII, avec des structures collaboratives entre PME, grand groupe,équipes publiques) est sans doute plus adapté au contexte français.
En tout état de cause, si’ l’on veut réussir – et c’est critique- la politique d’innovation, il faudrait que les ministères du redressement productif et de la recherche se parlent sérieusement.

mardi 9 avril 2013

Amiante – 3000 morts par an, pas de responsables

Le scandale français des maladies professionnelles

L’importance du scandale de l’amiante, les tragédies subies par les victimes et leurs familles, l’impossibilité de se faire rendre justice, la culpabilité des entreprises, l’inaction et donc la culpabilité de l’Etat français semblent laisser indifférent l’opinion publique. Celle-ci ne s’est inquiétée que lorsqu’elle a cru que l’amiante représentait un danger environnemental omniprésent qui pouvait menacer chacun d’entre nous. Depuis qu’il est clair que les principales victimes sont quasi-exclusivement les travailleurs de l’amiante (producteurs, utilisateurs et leurs familles), l’indifférence est revenue, soigneusement encouragée par l’inaction des pouvoirs publics et les entraves à la justice. En France, les maladies professionnelles mobilisent peu – la spécialiste de l’Inserm, Mme Thébaud-Mony, a tenté d’attirer l’attention sur cette partie du scandale en refusant la Légion d’Honneur offerte par Mme Duflot, sans grand écho – rien ne semble prévu pour enrayer le démantèlement de la médecine  du travail, et d’ailleurs aussi de la médecine scolaire.

Et pourtant, le scandale de l’amiante c’est, selon les autorités sanitaires, 3000 morts par an actuellement et  100 000 décès probables d'ici à 2025 en France, et d’autres centaines de milliers de victimes qui souffrent et voient leur qualité de vie irrémédiablement atteinte. L’exposition à l’amiante entraîne des fibroses pulmonaires (asbestose) assez caractéristiques (présence de plaques pleurales), avec pour conséquence des capacités pulmonaires fortement réduites et une importante surcharge cardiaque. Le délai d’apparition est long (quinze à vingt ans en moyenne). La situation clinique  peut évoluer vers deux types de cancer : cellules du poumon, ou cellules de la plèvre (double enveloppe du poumon ou du péritoine- mésothéliomes, très caractéristiques.
La prise en charge comme maladie professionnelle du mésothéliome a été effectuée en 1975, il a fallu attendre 1985, pour celle des cancers broncho-pulmonaires, à condition que le lien avec l’amiante soit « médicalement caractérisé »
En France l’industrie de l’amiante se développe au début du XXème siècle autour de Condé-sur-Noireau (Calvados). Dès 1906, après la mort d’une cinquantaine d'employés de la région de maladie pulmonaire, un inspecteur du travail de Caen rédige un rapport sur les dangers de l'amiante. Les premières dispositions réglementaires pour protéger les salariés de l'amiante datent de 1931 en Grande-Bretagne, de 1946 aux Etats-Unis.
En France, il faut attendre l'année 1977 pour la première circulaire visant à protéger les ouvriers !
Les procès en cours concernent principalement trois sociétés Eternit (Vitry en Charolais, Thiant-Valenciennes, Caronte- Martigues, Albi, Canari, Saint-Grégoire (Ille et Vilaine),  Amisol (près de Clermont-Ferrand) et Ferrodo-Valéo à Condé sur Noireau.
Pour Amisol, les témoignages parlent d’une « entreprise baignant dans un nuage d’amiante » et des conditions de travail dénoncées par l’inspecteur du travail et même par la chambre syndicale de l’amiante (les industriels) qui ont publiquement critiqué cet « univers à la Zola ». En 1971,  des cas d’asbestoses et de cancers de la plèvre étaient discuté au comité d'hygiène. L'année suivante, l'inspection du travail mettait le PDG d'Amisol en demeure de faire cesser les infractions liées aux poussières industrielles, sans effet. Les pouvoirs publics connaissaient bien la situation : « Sur le plan du risque professionnel, cette entreprise a depuis longtemps été un objet de préoccupation », insiste le directeur régional de la sécurité sociale dans un courrier de mars 1975 adressé au ministre du travail. « Il s'agissait d'une entreprise à haut risque et dont les gestionnaires, dont on ne saurait dire qu'ils ne pouvaient en avoir conscience, n'ont jamais pris des mesures de prévention véritablement efficace ».
A Condé sur Noireau,  « On était couverts de poussière d'amiante. Parfois, je ne voyais pas mon voisin assis à un mètre de moi !...Quand venait un inspecteur du travail, on devait nettoyer à la main toutes les machines. Fallait que cela brille ! Pour être propre, c'était propre ! En apparence seulement... Car, dès qu'on levait les yeux vers le plafond, toute la pièce apparaissait comme noyée dans une brume d'amiante ». La circulaire de 1977 n'est pas appliquée, quelques masques sont distribués, limités à certains postes.  La plupart des médecins ne disent rien, voire mentent carrément. «Le médecin avait dit à mon mari qu'il n'avait pas d'amiante dans ses poumons, s'emporte la femme d'une victime. Alors pourquoi est-il mort d'un mésothéliome ?»

L’impossibilité de rendre justice ?

Cela fera 17 ans cette année que des victimes de l’amiante et leurs associations ont déposé plainte, rappelle l’ANDEVA, 17 ans d’errements judiciaires. Dans tous les dossiers, les mises en examen sont annulées  et des non-lieux demandés par le parquet, et pas seulement celui très médiatisé de Martine Aubry. En Italie, un procès de l’amiante a eu lieu, à Turin, et entraîné la condamnation de deux hauts dirigeants d’Eternit International à 16 ans de prison. En France, le dossier Eternit traine indéfiniment, et c’est l’avocat des victimes, Maître Teissonnière, qui se retrouve poursuivi par Eternit pour diffamation.
Dans l’affaire Amisol, la Cour  d’Appel affirme que « Les faits commis en 1974 ne peuvent être appréciés avec les exigences de santé publique apparues depuis », ce qui est pour le moins étonnant et en contradiction avec le dossier d’instruction. Même en 1974, on, savait qu’il ne fallait pas travailler dans un nuage d’amiante, et les conditions de travail criminelles dans cette usine étaient connues et dénoncées par l’inspection du travail, sans effet apparent.
Pour l’avocat de l’Andeva, le parquet demande l’annulation des personnes mises en examen, avec des arguments ahurissants qui, « s’ils devaient être retenus, signifieraient qu’aucun procès de responsable de catastrophe sanitaire ne peut avoir lieu : le parquet soutient en effet que du fait que les mis en examen n’avaient pas de pouvoir propre en matière réglementaire, ils ne peuvent être considérés comme pénalement responsables ! »
En effet, cela signifierait qu’on ne peut condamner les industriels mis en cause, parce que l’administration, l’Etat, n’a pas agi à temps pour leur imposer une règlementation suffisamment contraignante, et que d’autre part, l’Etat ou ses représentants ne peuvent être condamnés, parce qu’ils n’ont pas eu l’intention délibérée de nuire !

Dans ce scandale meurtrier de l’amiante (3000 morts par ans !) est pourtant évident un comportement criminel de certains industriels de la médecine de travail, et pour, le moins,une inaction coupable de l’Etat, pendant plusieurs années, et à tous les niveaux, du ministère aux inspections locales du travail. Martine Aubry avait été mise en examen, en tant que Directrice des Relations du Travail entre 1984 et 1987, pour avoir tardé à transposer une directive européenne de 1983 sur la protection contre l’amiante, la juge Bertella-Geffroy l’accuse aussi d’avoir été trop influencée par le Comité Permanent Amiante, structure de lobby mise en place par les industriels pour promouvoir l’usage contrôlé de l’amiante. Martine Aubry peut se sentir injustement mise en cause, mais il semble difficile que ce dossier avance sans mise en cause des pouvoirs publics.
 Ces décisions, ainsi que la mutation réglementaire (au bout de dix ans dans le même poste) suscité la révolte des victimes. Mme Bertella-Geffroy a fait régulièrement l’objet de critiques malveillantes, alors qu’elle a porté ce dossier complexe quasi-seule au milieu de chausse-trappes invraisemblables, et que les victimes et leur défense ont plutôt apprécié son engagement – elle aurait d’ailleurs transmis des éléments utilisés par la justice italienne dans le procès de Turin, ce qu’on lui a même reproché. Une dérogation pour  qu’elle puisse continuer à s’occuper du dossier de l’amiante a été refusée par le ministère de la Justice

A Condé sur Noireau, «Pour dire les choses sans fard, ici, on porte en terre au moins un camarade par semaine», assène François Martin, responsable de l'association locale des victimes de l'amiante. «C'est comme ça, soupire Maurice Renouf, on ne peut plus rien faire.» (Libération) .Il faudra pourtant que justice soit rendue, et qu’on tire les conclusions de ce qui s’est passé pour éviter que de tels scandales se reproduisent.