Autisme et vaccin ROR (rougeole, oreillon, rubéole) : histoire d’une fraude
En 1998 paraissait dans le Lancet un article établissant un lien entre l’autisme, un syndrome intestinal et le vaccin RRO (rougeole, oreillons, rubéole), signé d’un certain docteur Wakefield et de douze coauteurs. Il a fallu douze ans pour que cet article soit rétracté, au terme d’une longue enquête d’un journaliste du British Medical Journal, Brian Deer, qui a prouvé qu’il s’agissait non pas même d’une erreur scientifique, mais d’une fraude caractérisée, malveillante et intéressée (cf bibliographie) . Le récit de l’enquête qu’il a menée depuis 2004 a été publié dans une suite de numéros de British Medical Journal à partir de janvier 2011.
Brian Deer a tout d’abord souligné les défauts évidents de l’article originel du Lancet qui auraient dû alerter les scientifiques et les autorités responsables. Sur les douze cas rapportés, Wakefield affirme qu’aucun n’avait de troubles manifestes du comportement avant la vaccination, alors que pour cinq d’entre eux, des anomalies avaient été rapportées ; sur les neufs cas d’autisme régressif (c’est-à-dire apparaissant brutalement après un développement normal de l’enfant) prétendument identifiés par Wakefield, trois n’étaient pas autistes du tout et un seul pouvait être qualifié d’autiste régressif. Pour quelques enfants, des symptômes comportementaux ont été rapportés dans les jours suivant la vaccination, mais dans la publication de Wakerfield, le délai d’apparition est mentionné comme étant de plusieurs mois. Dans neuf cas, des observations histopathologiques du colon mentionnant une absence de fluctuation ou une fluctuation non significative dans le recrutement de cellules inflammatoires ont été transformées en « colites non spécifiques » dans la publication finale. Enfin, les délais d’apparition des supposés signes comportementaux ont été trafiqués afin de faire apparaître un lien temporel de 14 jours avec la vaccination. Enfin, les patients étaient recrutés parmi les opposants au vaccin RRO, et l’étude a été entreprise et financée dans le but d’obtenir des dommages et intérêts des fabricants du vaccin. Wakefield aurait ainsi touché plus de 500.000 livres de la part d’un avocat et, de plus, monté une société pour promouvoir une alternative au vaccin ROR.
Les faiblesses scientifiques de l’article de Deer étaient évidentes et soulignées dès sa parution en 1998 : faible nombre de cas, absence de cas témoins, lien établi entre deux conditions assez communes, les souvenirs et convictions des parents des enfants atteints admis comme faits d’expérience… Durant les dix années qui suivirent, aucune des nombreuses études épidémiologiques menées ne permirent de mettre en évidence le moindre lien entre l’autisme et la vaccination RRO ; mais le mal était fait, et la publication de Wakefield a été largement utilisée par des groupes d’opposants déterminés à la vaccination et a contribué à entretenir une peur irrationnelle et de plus en plus répandue.
Or, les articles de Deer prouvent clairement qu’il ne s’agissait pas seulement d’une erreur scientifique ou de recherche de mauvaise qualité. Deer montre que Wakefield a trafiqué les données des dossiers médicaux des patients pour faire croire à se découverte d’un nouveau syndrome ; que les institutions dans lesquelles il travaillait, le Royal Free Hospital et la Medical School de Londres l’ont soutenu lorsqu’il a tenté d’utiliser la peur du vaccin pour en tirer des bénéfices financiers, à travers son implication dans des procédures judicaires contre les fabricants de vaccin ; et comment des acteurs clés ont manqué à leur mission de protéger l’intégrité de la recherche et la santé publique.
Un combat nécessaire pour l’intégrité scientifique
En 2004, à la suite du premier article de Deer sur l’affaire Wakefield, le GMC (General Medical Council) a enquêté sur le caractère éthique de la recherche menée par Wakefield, en raison de ses conflits d’intérêt et de sa manipulation des enfants et de leurs familles. L’étude par Deer et le GMC des données expérimentales a montré que les faits rapportés étaient eux-mêmes falsifiés. Le jury conclut que Wakefield était coupable de malhonnêteté concernant les critères d’admission dans son étude, le financement de l’étude par un organisme intéressé à poursuivre les fabricants de vaccin et ses réponses à ceux qui avaient mis en cause ses résultats. Même si seul Wakefield a écrit la publication de 1992, ses co-auteurs, qui se sont par la suite rétractés, ont été aussi mis en cause. L’enquête a montré qu’ils n’avaient aucune connaissance des cas cliniques et des données rapportés dans la publication, et, à vrai dire, aucune idée du travail réellement effectué par Wakefield et des conditions et de l’état d’esprit dans lequel il travaillait. Les co-auteurs ont clairement la responsabilité de s’assurer qu’ils ne se rendent pas complices d’une fraude scientifique, ils doivent connaître les observations ou expériences rapportées dans les articles qu’ils signent, ou préciser leur apport réel et les résultats dont ils se portent garants ; l’un d’entre eux a été sanctionné suite à l’enquête du GMC.
Wakefield a du quitter toutes ses responsabilité universitaire et hospitalières. Mais les dégâts causés à la santé publique ont été immenses et ne sont pas terminés. La méfiance envers la vaccination RRO a été encouragée, entretenue par les travaux et les déclarations de Wakefield et les réponses inadéquates de la communauté scientifique et médicale et du gouvernement, et les media aussi ont leur part de responsabilité. Dans les années 2003-2004, la couverture vaccinale au Royaume-Uni est tombée à 80%, bien au-dessous du niveau minimal de 95% nécessaire à la protection de la population selon l’OMS, et elle remonte très lentement. En 2008, pour la première fois en 14 ans, la rougeole a été déclarée épidémique en Angleterre et au Pays de Galle. Des centaines de milliers d’enfants ne sont plus protégées contre ces maladies.
Les laboratoires pharmaceutiques ne sont pas les seuls à connaître des conflits d’intérêt et à s’engager dans des pratiques contestables, et ils sont étroitement encadrés par les autorités de santé. Plus dévastateurs sont les marchands de peur appuyés par des fraudeurs et des scientifiques intéressés et malhonnêtes. La communauté scientifique doit se montrer intraitable envers eux.
Il ne semble pas que la France accorde autant d’importance à l’intégrité scientifique que les pays anglo-saxon, peut-être parce que le financement largement public de ses chercheurs les mettaient à l’abri de tentations trop importantes et que les grands instituts de recherche font somme toute assez correctement leur travail d’évaluation. Il n’est pas sûr que ce soit encore longtemps le cas vu l’importance que prend la recherche de financements dans le travail des chercheurs. La politique de la recherche et la communauté scientifique doivent veiller à ce que les institutions assurent un niveau maximal d’intégrité scientifique.
Deer Brian. Secrets of the MMR scare - How the case against the MMR vaccine was fixed, 5 janvier 2011 www.bmj.com
Deer Brian. Secrets of the MMR scare - How the vaccine crisis was meant to make money, 11 janvier 2011. www.bmj.com
Deer Brian. Secrets of the MMR scare The Lancet’s two days to bury bad news, 18 janvier 2011. www.bmj.
BMJ Editorial. Fiona Godlee, editor in chief, Jane Smith, deputy editor, Harvey Marcovitch, associate editor. Wakefield ’s article linking MMR vaccine and autism was fraudulent, 5 janvier 2011. www.bmj.com
BMJ Editorial. Assuring research integrity in the wake of Wakefield . Douglas J Opel, Douglas S Diekema, Edgar K Marcuse. BMJ, 18 janvier 2011 www.bmj.com
BMJ Editor's Choice. Institutional and editorial misconduct in the MMR scare. Fiona Godlee, editor, BMJ, 19 janvier 2011. www.bmj.com