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vendredi 25 novembre 2011

Année internationale de la chimie : une occasion manquée



Recherche et innovation _la chimie

Année internationale de la chimie : une occasion manquée

2011 a été déclarée année internationale de la chimie, et l’historique de cette déclaration devrait réjouir le cœur des chercheurs, ingénieurs, techniciens, praticiens d’une science parfois si vilipendée : ce n’est pas l’Allemagne ou la Suisse, qui, selon les procédures de l’ONU a proposé cette année internationale…c’est l’Ethiopie, pour honorer et faire connaître le rôle de la chimie dans le développement durable de l’Afrique, notamment dans la purification de l’eau.
De fait le rôle de la chimie est souvent ignoré, en tant que science, et en tant qu’industrie, parce qu’elle fournit essentiellement des produits ou matériaux intermédiaires, qui ne parviennent pas directement à l’utilisateur final. Pourtant, que serait l’alimentation des humains sans engrais ? Que seraient nos habits sans tissus et colorants synthétiques? Nos intérieurs sans plastiques ? notre santé sans médicaments chimiques ?
En France l’année internationale de la chimie a été une occasion manquée.

La chimie en tant que science

L’Actualité Chimique, Journal de la Société Française de Chimie, a consacré un no spécial (sept 2011) au thème Chimie et Société. Parmi les principaux contributeurs, deux maîtres français de la discipline, professeurs au Collège de France, Jacques Livage et Marc Fontecave expliquent les buts et les enjeux de la chimie :
- Comprendre le comportement de la matière, comment, elle se forme et se transforme. La science chimique permet de décrire la composition de la matière inerte et vivante et contribue à en expliquer le fonctionnement, de l’apparition de la vie sur terre aux organismes les plus évolués
- Créer de nouvelles molécules ou de nouveaux matériaux qui n’existaient pas jusque –là, et qui présentent des propriétés inattendues. La chimie est science de la création, parfois comparable à la démarche artistique, à mi-chemin entre le rationnel et l’intuitif
- La chimie est aussi un langage universel, pratiqué et compris à travers la planète par tous les scientifiques
- La chimie élargit presque sans limites le monde matériel dans lequel nous vivions. Elle le façonne et répond aux besoins de la société en élaborant des produits qui permettent d’améliorer notre santé, de lutter contre la pollution, de développer de nouvelles sources d’énergie.
- Pour le chimiste, la nature n’est pas un adversaire mais un partenaire dont il découvre, étend, modifie, valorise les productions. Les organismes biologiques sont d’abord des systèmes chimiques et la nature de la cellule est un problème entièrement moléculaire ( Whitesides). Nous sommes loin de l’opposition entre naturel et chimique que promeut une certaine vulgate pour qui le chimique est dangereux et artificiel, le naturel sain. (c’est parmi les molécules naturelles que l’on trouve les poisons les plus puissants, parfois source d’inspiration pour des médicaments


La chimie en tant qu’industrie

Selon le chimiste français Jean-Marie Lehn, prix Nobel de chimie en 1987 : « un monde privé de chimie serait un monde sans matériaux synthétiques, donc sans téléphone, sans ordinateur, sans cinéma, sans tissus synthétiques ». Plus largement, ce serait un monde sans savon, sans dentifrice, sans parfums, sans cosmétiques, sans carburants, sans encres, sans livres ni journaux. Tous ces produits font en effet appel à l’industrie chimique.
L’industrie chimique française est méconnue. Elle regroupe plus de 800 entreprises et  180.00 salariés (6.4% de l’emploi industriel), occupe le 5ème rang mondial, le deuxième en Europe derrière l’Allemagne ; elle représente 22% des exportations françaises (53% du CA est exporté ) et génère une valeur ajoutée  de 18 milliards d’euros pour un chiffre d’affaire de 85 milliards. Les dépenses de recherche représentent  3.1 milliards d’euros, soit  entre 2.2 et 2.6% du CA.
La chimie dangereuse et polluante ?  C’est largement du passé : l’industrie chimique est l’une des plus réglementée du point de vue environnemental et l’accidentologie y est parmi les plus faibles de toutes les branches industrielles ;
Pourtant l’industrie chimique reste en France mal considérée. En Allemagne, la chimie a une image positive chez deux tiers des sondés ; en France, chez un tiers. Les deux tiers des personnes interrogées estiment que la majorité des produits chimiques d’origine naturelle sont moins dangereux que les substances chimiques… ce qui est évidemment, parce qu l’homme  connaît, évalue, contrôle la toxicité des composés qu’il fabrique.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Au XVIII et XIXème siècle, la chimie est largement une science française, avec Lavoisier, Berthollet, Gay-Lussac, Fourcroy, Chaptal, Berthelot, Dumas, Laurent, Gehrardt…et est extrêmement populaire. A l’Ecole Polytechnique, lors de sa fondation, elle est aussi importante que les mathématiques.  Et la France est assez bien représentée parmi les Prix Nobel de chimie : Henri Moissan, Marie Curie, : Frédéric Joliot, Irène Joliot-Curie, Victor Grignard, Paul Sabatier, Jean-Marie Lehn, Yves Chauvin.

La chimie et les défis de l’avenir.

La chimie science du recyclable : la chimie n’a pas attendu le XXIème siécle, et pas même le XXème, pour se préoccuper de développement durable : les boules de billards en plastique furent inventées aux USA en 1870 afin de sauvegarder les éléphants dont les défenses étaient auparavant utilisées pour fabriquer ces boules.
Avec l’épuisement des ressources naturelles et matières premières, nos sociétés  ne peuvent plus gaspiller  comme par le passé. Leur survie passe par un développement extraordinaire des procédés de recyclage. La valorisation de matières premières rares ou à forte valeur passe par le développement de procédés chimiques spécifiques. En particulier, il faut développer rapidement des procédés de séparation et purification des métaux rares et des ressources stratégiques.
La chimie pour l’énergie : la chimie est indispensable dans la résolution de la question énergétique. En particulier, il n’y aura pas de solaire et  il n’y aura pas de véhicules électriques sans le développement de nouveaux matériaux pour le stockage de l’énergie intermittente (batteries notamment) ou pour son transport (matériaux à faible résistance) L’invention de nouveaux matériaux plus performant pour capter l’énergie solaire est indispensable au développement du photovoltaïque ;
Surtout la chimie doit se préparer à remplacer le pétrole par une ressource durable. La chimie du végétal va connaître un développement extraordinaire et nécessiter un effort de recherche considérable. En effet, pour sécuriser l’accès aux matières premières et en particulier au carbone, l’utilisation de matières premières renouvelables, issues de la biomasse, terrestre ou marine (algues) est indispensable. Il faudra notamment promouvoir l’utilisation de matières premières renouvelables et soutenir les collaborations entre les agro-industriels et les chimistes ; développer des filières et des installation industrielles nouvelles (« bioraffineries ») ; développer une forte synergie entre les sciences de la vie et la chimie notamment pour développer les  biotechnologies, inventer de nouveaux  procédés de catalyse chimique.
Chimie, santé, alimentation : la chimie restera essentielle dans l’invention de nouveaux médicaments, dans leur vectorisation, dans leur production, dans l’invention de nouveaux engrais, pesticides, insecticides plus efficaces et dépourvus d’effets secondaires. Elle devra continuer à mieux connaître, évaluer, prévoir la toxicité pour l’homme et l’environnement de ses produits, le processus commencé avec la démarche Reach doit être poursuivi. Il faudra favoriser l’émergence de plate-formes de compétences, incluant les compétences toxicologiques et éco-toxicologiques,
 La chimie devra continuer à inventer de nouveaux matériaux – parmi lesquels les nanomatériaux auront des applications étonnantes dans tous les domaines.

l’année internationale de la chimie a été une occasion manquée

L’année internationale de la chimie aurait été une excellente occasion de faire connaître l’importance, l’intérêt et les défis de la chimie comme science et comme industrie. Les sociétés savantes ont organisé quelques expositions ( dont une au palais de la Découverte, mais rien à La Cité des Sciences) et colloques, une firme chimique (BASF ) a mené une campagne dans les journaux et la télévision fort bien faite, illustrant l’ensemble des utilisations de la chimie…c’est ainsi que la chimie allemande est grande, dommage que la chimie française, pourtant importante, n’en ait pas fait autant. Le gouvernement français, les ministres de la recherche, de l’industrie, de l’enseignement ont été quasiment muets et inactifs ; c’est ainsi que la chimie française reste plus faible qu’elle ne pourrait l’être. En France, l’année internationale de la chimie a été une occasion manquée.
Pourtant, il y a beaucoup à faire pour améliorer la compréhension et la perception de la chimie par le public français. La chimie est le parent pauvre de l’enseignement scientifique, moins considérée que les mathématiques, la physique et les sciences naturelles. Historiquement, cela n’a pas été toujours le cas, notamment  au début du XIXème siécle, lorsque la France dominait la chimie mondiale.
La question de l’enseignement est cruciale. La place de la chimie dans l’enseignement doit être renforcée, les programmes doivent être modifiés de façon à mieux mettre en évidence ses grands résultats, toutes ses applications et implications ; les manuels revus. Il faut sans doute se reposer la question de professeurs de chimie spécialisés, plutôt qu’un professeur de physique traitant la chimie quand il lui reste du temps.
La chimie souffre d’être une science transversale, son unité doit être mieux comprise. Partout, des professeurs passionnés inventent des travaux pratiques ludiques et formateurs, l’année internationale de la chimie aurait pu être une occasion de les faire connaître et de les répandre dans l’enseignement. La chimie souffre d’être une industrie intermédiaire, l’année internationale de la chimie aurait été une excellente occasion de mettre l’étude internationale de l’industrie chimique au programme du bac de géographie. La place de la chimie organique et structurale dans les sciences du vivant, de la chimie analytique dans l’art, dans la médecine légale, l’histoire de la chimie sont autant d’angles d’attaques multidisciplinaires qui pourraient et devraient être développés dans la cadre de travaux personnels d’élèves. L’enseignement pourrait se fixer comme objectif que chaque élève ait eu à traiter un  projet impliquant la chimie au cours de sa scolarité.
De son côté, l’industrie chimique française doit renforcer ses liens avec l’Université et la Recherche. L’industrie chimique française, contrairement à l’Allemagne, l’Angleterre, les USA emploie encore trop peu de cadres formés à la recherche par un doctorat, et, d’autre part, les docteurs en chimie ont les plus grandes difficultés d’insertion : c’est un gâchis. Il faut aussi ouvrir les sites industriels sur l’extérieur, développer avec les riverains des rapports fondés sur la connaissance réciproque et la confiance. La région Rhône-Alpes semble particulièrement dynamique, avec une ouverture sur l’éducation et notamment des visites des centres de recherche, d’ingénierie, de production qui  sont appréciées (cf Gérard Guilpain, Actualités chimiques, sept 2011)

lundi 21 novembre 2011

La fin des laboratoires Fournier

La fin des laboratoires Fournier

Le géant pharmaceutique américain Abbott a annoncé jeudi son désengagement de toutes les activités des Laboratoires Fournier. Suite à cette annonce, ce sont 300 salariés qui vont perdre leur poste ;

La recherche des laboratoires Fournier, autrefois fleuron de l’industrie pharmaceutique française, va disparaître.  Fournier, groupe familial, notamment été l’inventeur du Lipanthyl ( fénofibrate), l’un des médicaments contre le cholestérol le plus prescrit au monde, et qui représente plus d’un milliard de dollar de chiffre d’affaire. Les Laboratoires Fournier ont aussi inventé et développé les produits  Urgo
Fournier, fondé en 1880, vendu à Solvay en 2005 par l’un des derniers héritiers de la famille fondatrice suit avec un retard d’un an le sort de Solvay racheté et détruit par Abbott en 2010.
Est-il besoin de dire qu’ Abbot, avec un chiffre d’affaire supérieur à 35 milliards de dollars et un bénéfice estimé à 3.7 milliards, n’est nullement dans la nécessité d’arrêter la recherche de Fournier ?
Pourtant Abbot va fermer le centre de recherches de Dijon, où travaillent actuellement plus de  trois cent personnes. Ce sont des emplois hautement qualifiés qui vont disparaître, et c’est une tragédie pour la région et les personnes touchées. Une société formée par trois cadres de Fournier, Inventiva, tentera de sauver une centaine d’emplois en recherche, avec un financement (et probablement, compte-tenu des expériences antérieures, une durée de vie) garantie sur  trois ans.
Là comme pour UPSA racheté par BMS, Lafont par Cephalon, Jouveinal par Pfizer, Novexel par  Astra Zeneca, des prédateurs américains rachètent les pépites d’une recherche fructueuse menée en France et ferment les centres de recherche français.
La recherche pharmaceutique française  et l’industrie pharmaceutique française sont en train de disparaître, avec une conséquence prévisible : les médicaments de demain seront inventés ailleurs, et il faudra les payer très cher ou y renoncer.
Il est temps de mettre fin à ce véritable pillage de la recherche thérapeutique française ; ce n'est pas en renonçant à agir, en se réfugiant derrière les faux principes d'un libéralisme que nous sommes  les seuls à pratiquer naïvement qu'on favorisera le redressement industriel de la France . Temps aussi de mener une véritable politique du médicament dont le rapport Marmot avait jeté les bases.

mercredi 2 novembre 2011

Recherche et politique énergétique

Recherche et politique énergétique

Energie : droit dans le mur !

Le conseil mondial de l’énergie a estimé que, pour une population estimée à 10 milliards d'habitants en 2050, la demande mondiale d'énergie primaire passerait de 9,2 milliards de tep en 1990 à un niveau compris entre 11,4 et 15,4 milliards de tep en 2020 puis à un niveau compris entre 14,2 milliards de tep et 24,8 milliards de tep en 2050. En tout état de cause,la consommation mondiale d'énergie s'accroîtra de 49% d'ici 2035 par rapport à 2007. Les principaux besoins en énergie seront exprimés par la Chine et l'Inde : leur part dans la consommation d’énergie était de 20% en 2007, elle atteindra 33% en 2035. En revanche, la part des Etats-Unis baissera de 21% à 16% durant cette même période.
La part du combustible fossile est actuellement de 85%, elle devrait baisser à 75%.
Pour donner une idée des défis à résoudre, si la Chine et l'Inde devaient rejoindre du jour au lendemain le niveau sud-coréen en matière d'équipement automobile, ces deux pays auraient des besoins en pétrole représentant l'équivalent de deux fois ce que consomme aujourd'hui... l'ensemble du monde !
Or, dans son rapport 2010 l'Agence Internationale de l'Énergie considère que nous avons déjà dépassé le pic pétrolier : « La production de pétrole brut se stabilise plus ou moins autour de 68-69 Mb/j (millions de barils par jour) à l'horizon 2020, mais ne retrouve jamais le niveau record de 70 Mb/j qu'elle a atteint en 2006 »
Nous allons donc droit et rapidement vers une pénurie pétrolière ; l’augmentation de la consommation de gaz, la ré exploitation du charbon permettront d’y suppléer transitoirement, à un coût écologique important – du point de vue écologique, l’arrêt du nucléaire en Allemagne et sa substitution en grande partie par du charbon est une très mauvaise nouvelle pour le changement climatique.
Le Conseil mondial de l'Énergie a lancé dans un style très ONUesque et politiquement correct ce qui doit être considéré comme un vrai cri d’alerte : « Le vrai défi est de communiquer la réalité selon laquelle le passage à d'autres sources d'approvisionnement prendra de nombreuses décennies et que, dans ces conditions, il faut commencer dès aujourd'hui la concrétisation de cette nécessité et engager les actions appropriées »
Un certain « Il y a qua » écologique nous emmène au pays des bisounours énergétique plein de forêts d’éoliennes, de champs de biodiesel et de cellules solaires ; curieux pays tout de même : sous un climat favorable, une maison au toit entièrement couvert de cellules photovoltaïques peut être autonome, mais pour un supermarché, il faudrait un champ photovoltaïque d’environ dix fois la taille de son toit, et de 1000 fois la taille du toit pour un gratte-ciel ! Pour satisfaire la consommation des USA en carburants, il faudrait cultiver en biocarburants plus du double des terres actuellement cultivées… (cf. notamment les articles et livres de Vaclav Smil).
Pour autant, les techniques permettant une meilleure exploitation de l’énergie solaire, et aussi et surtout de son stockage, et de nouveaux biocarburants constitueront un apport important dans un futur mix énergétique… mais il faudra encore beaucoup de temps et d’effort pour remplacer une énergie aussi concentrée et facile d’utilisation que le gaz et le pétrole ; les difficultés seront considérables.

Le nucléaire ou la guerre

Il existe un consensus large chez les énergéticiens pour penser que dans le siècle qui vient, la solution sera un basculement important vers l’électricité, et vers la seule production d’électricité compatible avec les exigences de la vie moderne et de l’industrie, le nucléaire ; et aussi avec le développement et la justice : en 2011, un milliard et demi d’humains n’ont pas accès à l’électricité, cela ne peut pas durer et la seule solution possible – mais pas exclusive - ,à l’échelle du siècle, est le développement du nucléaire. Le nucléaire fournit 14 % de l’électricité mondiale ; en 2050, ce sera plus de 24%. L’Agence internationale de l’énergie prévoit donc une augmentation importante du nucléaire. Tout cela amène le Prix Nobel de la paix 2005, M. El Baradei, à considérer qu’ « on ne peut se passer du nucléaire » (Le Monde, 29 sept 2011). En 2011, soixante-cinq réacteurs nucléaires sont en construction dans quinze pays ; la Chine, l’Inde, la Russie (qui a lancé une initiative internationale sur le nucléaire du futur), le Brésil, l’Afrique du Sud…augmenteront significativement leur production nucléaire. La Corée du Sud, dont la situation énergétique est assez comparable à celle de la France, en est déjà à 38% d’électricité nucléaire, avec 19 réacteurs. Et lorsque sous la pression d’émotions publiques, des pays déclarent vouloir sortir du nucléaire…ils le font très lentement. Ainsi, la Suède avait programmé sa sortie du nucléaire en 1980 ; elle avait alors douze réacteurs nucléaires ; trente ans plus tard, elle en a encore onze…
En ce qui concerne la France, le rapport 2010 de l’Agence internationale de l’énergie lui décerne plutôt un satisfecit. Il indique que la France est le deuxième consommateur d’électricité en Europe, pour une part de production nucléaire de 80 %, ce qui constitue une particularité de notre pays. Il rappelle par ailleurs que la France importe la totalité de ses besoins en pétrole, gaz et charbon. La France est aussi le deuxième pays européen pour la production d’énergies renouvelables. Il souligne également la réussite de notre politique de diversification de nos sources d’approvisionnement qui contribue à notre sécurité énergétique. Il précise enfin que les émissions de CO2 de la France sont parmi les plus basses des pays de l’AIE. Car, en effet, dans le siècle qui vient, le nucléaire est la seule source d’énergie à permettre une réduction conséquente des gaz à effets de serre et donc la lutte contre le réchauffement climatique.
Toujours en ce qui concerne l’énergie nucléaire française et les orientations politiques récentes, il faut noter un avertissement important du Commissariat Général du Plan : « Ceci pourrait conduire, si l'on n'y prend pas garde, à la disparition de pans entiers des industries électronucléaires occidentales au profit de leurs concurrentes asiatiques. Il serait dangereux, tant sur le plan de la sécurité des approvisionnements énergétiques que sur celui de la stabilité économique et sur celui de la protection de l'environnement, de ne pas maintenir un ensemble industriel cohérent dans ce domaine »
Ce développement prévisible du nucléaire a des conséquences immédiates importantes ; il implique de revenir sur la politique de libéralisation de l’énergie qui conduit immanquablement à sacrifier la sécurité à la rentabilité ; il nécessite des régulateurs forts, et est incompatible avec une production entièrement confiée à des opérateurs privés et même avec une externalisation importante de certaines tâches impliquant la sécurité ; il nécessite un effort continu d’augmentation de la sécurité, l’introduction de nouvelles technologies, et éventuellement la fermeture de centrales obsolètes qui ne pourraient être améliorées. M. El Baradei insiste aussi sur la nécessité d’un débat transparent, de l’indépendance d’un régulateur, d’audits internationaux obligatoires effectués par un corps d’inspecteurs formés et dans un cadre de normes internationales.

A l’échelle du siècle, l’absence de choix est donc claire : ou le nucléaire, ou la guerre pour le contrôle de ressources fossiles en raréfaction


Flamanville…mais pas n’importe comment

La poursuite du programme nucléaire est indispensable, elle implique le développement des EPR et donc la nécessité de poursuivre Flamanville…mais pas n’importe comment. Il est normal que la construction d’un prototype s’avère plus compliquée que prévue, mais là, les bornes ont été dépassées : quatre ans de retard, doublement du budget - à six milliards d’euros. L’autorité de sûreté nucléaire a pointé la responsabilité de l’exploitant, pour des problèmes de construction classiques sans grand lien avec le nucléaire : « multiples écarts dans le bétonnage ou le ferraillage…, manque de rigueur de l’exploitant sur les activités de construction…dans la surveillance des prestataires, des lacunes en matière d’organisation ». En fait, on peut se demander si la direction d’EDF n’a pas saboté le programme EPR, M. Proglio favorisant contre Areva (et Anne Lauvergeon) des centrales nucléaires moins élaborées. Fukushima ayant donné entièrement raison à l’ex directrice d’Areva, il faudra en tirer les conséquences pour la direction d’EDF – le remplacement de M. Proglio par Mme Lauvergeon apparaitrait assez logique…
Ajourons que le combustible nucléaire n’est pas infini, et que le programme nucléaire implique aussi la recherche de solution de type surgénérateurs, capables de produire du combustible nucléaire. Le Japon poursuit cette voie sur le site de Monju et prévoyait encore récemment une mise en service en 2013.

La seule énergie durable : le solaire

Reste pour l’humanité future la seule solution durable : le solaire, basé sur cette réalité physique simple : l’énergie fournie par le rayonnement solaire représente plusieurs fois toute demande mondiale concevable.
Reste aussi que le développement inéluctable, nécessaire, souhaitable du solaire se heurte encore à d’importantes barrières technologiques et même fondamentales, notamment une récupération efficace et un stockage de l’énergie permettant son utilisation continue et à la demande.
Le solaire au sens large comprend la conversion directe de l’énergie solaire en électricité (photovoltaïque), ou la conversion photobiologique (biomasse…) ou photochimique ou encore le photothermique (centrales solaires)
- le Photothermique : le photothermique va du chauffe eau solaire individuel – mais qui ne donne pas d’eau chaude quand il fait froid…) à des centrales solaires impressionnantes concentrant la chaleur solaire à l’aide de miroir sur des fluides caloporteurs. Une des plus récentes Nevada solar one, en Californie, mise en service en 2009 produira à terme 64 MWT (contre 1000-1500 MWtt pour un réacteur nucléaire. La Californie et l’Espagne sont particulièrement en pointe dans cette industrie qui exige des conditions climatiques favorables et ne peut rester qu’une source d’appoint. Reste aussi le problème du stockage de l’énergie, qui ne permet au mieux que de couvrir des alternances jour-nuit. Le photothermique tend à être supplanté par le photovoltaïque.
- le Photovoltaïque, aujourd’hui considéré comme la voix royale pour le solaire. Les cellules photovoltaïques (convertissant la lumière en électricité) les moins chères et les plus pratiques, au silicium amorphe n’ont un rendement d’environ 7%, les cellules au silicium cristallin environ 16 %. Il faut aussi mentionner que, pour compenser son coût énergétique de fabrication, une cellule photoélectrique doit fonctionner pendant trois ans. Le développement du solaire implique une augmentation du rendement des cellules photoélectriques –au-delà de 25%- et une baisse du coût de fabrication. La recherche en ce domaine est très active et de nombreuses solutions sont envisagées, entre autre : amélioration des cellules en silicium amorphe, autres métaux (CGIS –cuivre, gallium indium, sélénium), matériaux organiques association de concentration de lumière et de cellules, captation des rayonnements infra-rouge), cellules à jonction…
En France le CEA est très actif en ce domaine, mais aussi d’autres structures l’IRDEP par exemple, associant EDF, CNRS et écoles de chimie. Elles doivent être encouragées à s’associer très tôt avec des industriels afin d’éviter le développement parasitaire de recherches appliquées non applicables, tout en explorant diverses voies en s’assurant le plus tôt possible de leur faisabilité industrielle. L’obtention industrielle de cellules adaptées à une production solaire intensive nécessite encore des innovations importantes, mais le défi technologique paraît raisonnable : des cellules très performantes existent déjà et sont employées dans l’industrie spatiale, à un coût pour l’instant encore prohibitif. Des progrès incessants sont en cours qui devraient aboutir à des solutions satisfaisantes dans dix ou vingt ans.

Le problème du stockage

Une fois réalisés les progrès indispensables dans la captation de l’énergie solaire, le grand problème sera celui du stockage de l’électricité produite. Le seuil de 20% d’énergies renouvelables en 2020 est intéressant car il rendra vraiment indispensable le stockage des surplus de production.
Or le seul moyen existant actuellement consiste à faire fonctionner des barrages hydroélectriques à l’envers, en pompant l’eau. C’est ainsi que l’énergie verte produite en Allemagne est stockée dans des barrages norvégiens. C’est un peu baroque, pas très efficace et surtout très limité ; le grand défi du photovoltaïque, ce n’est pas tant la production que le stockage, et là les barrières technologiques sont importantes et, à vrai dire, aucune solution n’est clairement identifiée, même si de nombreuses pistes existent.
Le stockage dans des batteries exige le développement de nouveaux matériaux et de nouveaux types de batterie de haute énergie, posant d’importants problèmes de sécurité et de capacité…on ne sait toujours pas pour l’instant produire des batteries donnant à une automobile une autonomie équivalente à celle du pétrole. On ne sait pas non plus conserver de l’énergie dans des batteries pour une longue durée. C’est pourtant un domaine de recherche dynamique, dans lequel de nouvelles technologies apparaissent, tels les batteries à métaux liquides et sels fondus. Le développement de nouvelles batteries constitue un élément important dans le développement de l’énergie photovoltaïque – mais sûrement pas la solution unique

L’économie de l’hydrogène, solution au stockage

La voie la plus prometteuse consisterait à stocker l’énergie solaire sous forme chimique, l’hydrogène constituant le candidat le plus évident : c’est la fameuse « économie de l’hydrogène » qui impliquerait une transformation complète de nos circuits énergétiques, mais qui pour le coup, permettait une souplesse d’utilisation équivalente à celles du gaz et du pétrole et un stockage long – le tout quasiment sans effet de serre. Cette filière hydrogène a été dans le passé peut être trop promue, pour de mauvaises raisons – par exemple en faveur d’un choix « tout-électrique/ tout nucléaire »; mais on prendrait probablement peu de risques à prédire un envol éclatant comme solution très pratique pour le stockage et l’utilisation de l’énergie solaire photovoltaïque. La production d’hydrogène par électrolyse de l’eau à haute température ou par cycle thermochimique (il existe un procédé Westinghouse très simple basé sur le soufre) ne pose pas de problème théorique, ne nécessite aucun progrès fondamental, mais seulement un problème de passage à la production industrielle avec amélioration du rendement et des capacités de recyclage. Reste aussi à mettre en place le stockage de l’hydrogène (de multiples solutions sont envisageables, qu’il faudra évaluer, choisir et développer industriellement : stockage sous pression, liquide - avec ses problèmes de sécurité, sous forme d’hydrures, dans des matériaux spécifiques nanotubes de carbone. A mettre en place aussi les circuits de distribution et d’utilisation de l’hydrogène liquide avec de fortes exigences de sécurité, de normalisation et de réglementations sans lesquelles l’utilisation massive de l’hydrogène ne sera pas acceptable. En Europe, l’Islande, qui est en avance sur la filière hydrogène, a ainsi créé une institution (Icelandic New Energy) dédiée à l’introduction de l’hydrogène dans l’économie ; dans une dizaine de ville, dont Amsterdam et Reykjavik circulent des bus alimentés en hydrogène, même si la propulsion automobile ne sera peut être pas l’essentiel de l’utilisation de l’hydrogène
Dans un domaine plus fondamental, on continue à explorer la production directe d’hydrogène à partir de systèmes biologiques (algues par exemples) ou de système chimiques biomimétiques. L’importance que pourraient prendre ces solutions est imprévisible.
On peut estimer que le développement de solutions technologiques complètes pour le stockage de l’énergie solaire prendra plus de cinquante ans.

Les biocarburants

En ce qui concerne la propulsion automobile ou aéronautique, les biocarburants joueront un rôle important. Les biocarburants actuels ne sont guère satisfaisants : Il faut dépenser 1l de carburant fossile pour produire 1.5 l de bioéthanol ou 2 l d’ester de colza et l’immensité des terres à cultiver pour une utilisation de masse rendrait impossible d’assurer l’alimentation humaine. Des solutions plus attractives (biocarburant de deuxième génération) sont en cours de développement et devraient aboutir à des productions industrielles importantes et économiquement et écologiquement satisfaisantes assez rapidement (10-20 ans) : valorisation de la biomasse totale (notamment résidus des cultures alimentaires, dégradations des pailles et des celluloses - en France un essai à Bures doit démarrer- qui incidemment, repose sur l’adjonction d’hydrogène mais bien d’autres techniques sont envisageables et doivent être étudiés et ). Surtout, et l’on parle parfois de troisième génération, des algues sont capables de produire des substituts du pétrole avec un haut rendement – il s’agira là au fond d’une autre forme d’utilisation de l’énergie solaire. La technologie devra être considérablement améliorée, probablement par l’utilisation des techniques de génie génétique, mais des installations expérimentales existent déjà, notamment au Nouveau Mexique ou dans le désert du Néguev. La société américaine Joule Unlimited prévoit de produire dès 2012 du biocarburant en utilisant une cyanobactérie modifiée.
Le développement prévisible des biocarburants rend assez incertain le futur de la voiture électrique, du moins sous forme massive ; d’autant que des progrès peuvent encore améliorer considérablement le rendement des moteurs thermiques ( La Recherche, août 2021 , p.55)
Ces solutions (deuxième ou troisième génération) ne pourront pas être économiquement rentables tant que les combustibles fossiles n’augmenteront pas significativement ; le développement de ces filières devra donc être soutenu. C’est légitime, car elles permettront à des pays comme la France une réduction de sa facture de dépendance énergétique…et ils sont indispensables à l’avenir.
Cependant, aux prix actuel des combustibles fossiles, il existe probablement un effet d’aubaine fort pour des pays qui continueront à utiliser massivement les combustibles fossiles et profiteront ensuite des recherches menées par d’autres pour les remplacer : un problème intéressant pour les économistes et les adeptes de la régulation internationale…

Pour une politique énergétique : débats et décisions

Le défi énergétique est immense et il va s’imposer à nous rapidement. Très vite, les ressources fossiles (gaz, pétrole mais aussi charbon) ne suffiront plus à la consommation énergétique et devront être réservées à des usages élaborés et recyclables ( synthèse chimique).Dans le siècle qui vient, la solution passe par le développement du nucléaire. Progressivement, le solaire et les biocarburants prendront une place importante ; à terme, la seule énergie durable est le solaire. L’impératif de stockage imposera un bouleversement complet de l’économie de l’énergie, de l’industrie, de nos sociétés, en les orientant probablement vers une économie de l’hydrogène. Ces transformations progressives exigeront probablement près d’un siècle.

Une politique énergétique est donc indispensable. Elle passe d’abord par la mobilisation de la communauté scientifique. L’Académie des Sciences pourrait être chargé d’organiser une vaste consultation sur les solutions techniques possibles, les recherches à mener, la priorité à leur accorder (et notamment la place d’Iter…), les possibilités, délais et conditions d’industrialisation des différentes filières, les effets sur l’économie et la société des choix possibles. Cette consultation devra nourrir le débat public et se confronter notamment aux choix des citoyens ; les scientifiques ne peuvent ignorer leur responsabilité de vulgarisation et d’expertise citoyenne. Elle devra également être régulièrement reprise en fonction des progrès scientifiques et techniques.
En ce qui concerne les décisions politiques proprement dites, le rapport Bataille-Biraux de mars 2009 proposait des pistes qui n’ont pas été suffisamment exploitées :1) la création d’un « Haut commissaire à l’énergie », en mesure d’orienter la recherche en énergie dans la perspective plus générale de la politique de l’énergie donc dépasser le Commissaire à l’énergie atomique » ; 2) la nomination de « coordinateurs » désignés officiellement parmi les partenaires des programmes relevant d’une priorité de recherche. Ils peuvent et doivent décider face à une difficulté tactique survenue au cours de la recherche et ont la responsabilité de rendre compte aux autorités de l’État ; 3) la mise en place d’une « Commission
nationale d’évaluation » en charge de la recherche sur les nouvelles technologies de l’énergie, sur le modèle de celle déjà à l’oeuvre depuis près de deux décennies dans le domaine de la recherche sur les déchets radioactifs.
A l’échelon européen, il serait souhaitable qu’il y ait a minima une évaluation et une coordination des programmes de recherche. Enfin les subventions pour permettre le développement industriel des pays de l’ex-Europe de l’est doivent impérativement porter en priorité sur la transition énergétique, et donc la diminution des ressources non renouvelables et à fort effet de serre ( pétrole, charbon – à titre d’exemple, plus de 90% de l’électricité polonaise vient du charbon) : développer des industries basées sur une structure énergétique pathologique en terme de durabilité ou d’effet de serre serait contreproductif. Ainsi la Pologne doit être soutenue dans son effort d’équipement en centrales nucléaires.