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vendredi 25 novembre 2011

Année internationale de la chimie : une occasion manquée



Recherche et innovation _la chimie

Année internationale de la chimie : une occasion manquée

2011 a été déclarée année internationale de la chimie, et l’historique de cette déclaration devrait réjouir le cœur des chercheurs, ingénieurs, techniciens, praticiens d’une science parfois si vilipendée : ce n’est pas l’Allemagne ou la Suisse, qui, selon les procédures de l’ONU a proposé cette année internationale…c’est l’Ethiopie, pour honorer et faire connaître le rôle de la chimie dans le développement durable de l’Afrique, notamment dans la purification de l’eau.
De fait le rôle de la chimie est souvent ignoré, en tant que science, et en tant qu’industrie, parce qu’elle fournit essentiellement des produits ou matériaux intermédiaires, qui ne parviennent pas directement à l’utilisateur final. Pourtant, que serait l’alimentation des humains sans engrais ? Que seraient nos habits sans tissus et colorants synthétiques? Nos intérieurs sans plastiques ? notre santé sans médicaments chimiques ?
En France l’année internationale de la chimie a été une occasion manquée.

La chimie en tant que science

L’Actualité Chimique, Journal de la Société Française de Chimie, a consacré un no spécial (sept 2011) au thème Chimie et Société. Parmi les principaux contributeurs, deux maîtres français de la discipline, professeurs au Collège de France, Jacques Livage et Marc Fontecave expliquent les buts et les enjeux de la chimie :
- Comprendre le comportement de la matière, comment, elle se forme et se transforme. La science chimique permet de décrire la composition de la matière inerte et vivante et contribue à en expliquer le fonctionnement, de l’apparition de la vie sur terre aux organismes les plus évolués
- Créer de nouvelles molécules ou de nouveaux matériaux qui n’existaient pas jusque –là, et qui présentent des propriétés inattendues. La chimie est science de la création, parfois comparable à la démarche artistique, à mi-chemin entre le rationnel et l’intuitif
- La chimie est aussi un langage universel, pratiqué et compris à travers la planète par tous les scientifiques
- La chimie élargit presque sans limites le monde matériel dans lequel nous vivions. Elle le façonne et répond aux besoins de la société en élaborant des produits qui permettent d’améliorer notre santé, de lutter contre la pollution, de développer de nouvelles sources d’énergie.
- Pour le chimiste, la nature n’est pas un adversaire mais un partenaire dont il découvre, étend, modifie, valorise les productions. Les organismes biologiques sont d’abord des systèmes chimiques et la nature de la cellule est un problème entièrement moléculaire ( Whitesides). Nous sommes loin de l’opposition entre naturel et chimique que promeut une certaine vulgate pour qui le chimique est dangereux et artificiel, le naturel sain. (c’est parmi les molécules naturelles que l’on trouve les poisons les plus puissants, parfois source d’inspiration pour des médicaments


La chimie en tant qu’industrie

Selon le chimiste français Jean-Marie Lehn, prix Nobel de chimie en 1987 : « un monde privé de chimie serait un monde sans matériaux synthétiques, donc sans téléphone, sans ordinateur, sans cinéma, sans tissus synthétiques ». Plus largement, ce serait un monde sans savon, sans dentifrice, sans parfums, sans cosmétiques, sans carburants, sans encres, sans livres ni journaux. Tous ces produits font en effet appel à l’industrie chimique.
L’industrie chimique française est méconnue. Elle regroupe plus de 800 entreprises et  180.00 salariés (6.4% de l’emploi industriel), occupe le 5ème rang mondial, le deuxième en Europe derrière l’Allemagne ; elle représente 22% des exportations françaises (53% du CA est exporté ) et génère une valeur ajoutée  de 18 milliards d’euros pour un chiffre d’affaire de 85 milliards. Les dépenses de recherche représentent  3.1 milliards d’euros, soit  entre 2.2 et 2.6% du CA.
La chimie dangereuse et polluante ?  C’est largement du passé : l’industrie chimique est l’une des plus réglementée du point de vue environnemental et l’accidentologie y est parmi les plus faibles de toutes les branches industrielles ;
Pourtant l’industrie chimique reste en France mal considérée. En Allemagne, la chimie a une image positive chez deux tiers des sondés ; en France, chez un tiers. Les deux tiers des personnes interrogées estiment que la majorité des produits chimiques d’origine naturelle sont moins dangereux que les substances chimiques… ce qui est évidemment, parce qu l’homme  connaît, évalue, contrôle la toxicité des composés qu’il fabrique.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Au XVIII et XIXème siècle, la chimie est largement une science française, avec Lavoisier, Berthollet, Gay-Lussac, Fourcroy, Chaptal, Berthelot, Dumas, Laurent, Gehrardt…et est extrêmement populaire. A l’Ecole Polytechnique, lors de sa fondation, elle est aussi importante que les mathématiques.  Et la France est assez bien représentée parmi les Prix Nobel de chimie : Henri Moissan, Marie Curie, : Frédéric Joliot, Irène Joliot-Curie, Victor Grignard, Paul Sabatier, Jean-Marie Lehn, Yves Chauvin.

La chimie et les défis de l’avenir.

La chimie science du recyclable : la chimie n’a pas attendu le XXIème siécle, et pas même le XXème, pour se préoccuper de développement durable : les boules de billards en plastique furent inventées aux USA en 1870 afin de sauvegarder les éléphants dont les défenses étaient auparavant utilisées pour fabriquer ces boules.
Avec l’épuisement des ressources naturelles et matières premières, nos sociétés  ne peuvent plus gaspiller  comme par le passé. Leur survie passe par un développement extraordinaire des procédés de recyclage. La valorisation de matières premières rares ou à forte valeur passe par le développement de procédés chimiques spécifiques. En particulier, il faut développer rapidement des procédés de séparation et purification des métaux rares et des ressources stratégiques.
La chimie pour l’énergie : la chimie est indispensable dans la résolution de la question énergétique. En particulier, il n’y aura pas de solaire et  il n’y aura pas de véhicules électriques sans le développement de nouveaux matériaux pour le stockage de l’énergie intermittente (batteries notamment) ou pour son transport (matériaux à faible résistance) L’invention de nouveaux matériaux plus performant pour capter l’énergie solaire est indispensable au développement du photovoltaïque ;
Surtout la chimie doit se préparer à remplacer le pétrole par une ressource durable. La chimie du végétal va connaître un développement extraordinaire et nécessiter un effort de recherche considérable. En effet, pour sécuriser l’accès aux matières premières et en particulier au carbone, l’utilisation de matières premières renouvelables, issues de la biomasse, terrestre ou marine (algues) est indispensable. Il faudra notamment promouvoir l’utilisation de matières premières renouvelables et soutenir les collaborations entre les agro-industriels et les chimistes ; développer des filières et des installation industrielles nouvelles (« bioraffineries ») ; développer une forte synergie entre les sciences de la vie et la chimie notamment pour développer les  biotechnologies, inventer de nouveaux  procédés de catalyse chimique.
Chimie, santé, alimentation : la chimie restera essentielle dans l’invention de nouveaux médicaments, dans leur vectorisation, dans leur production, dans l’invention de nouveaux engrais, pesticides, insecticides plus efficaces et dépourvus d’effets secondaires. Elle devra continuer à mieux connaître, évaluer, prévoir la toxicité pour l’homme et l’environnement de ses produits, le processus commencé avec la démarche Reach doit être poursuivi. Il faudra favoriser l’émergence de plate-formes de compétences, incluant les compétences toxicologiques et éco-toxicologiques,
 La chimie devra continuer à inventer de nouveaux matériaux – parmi lesquels les nanomatériaux auront des applications étonnantes dans tous les domaines.

l’année internationale de la chimie a été une occasion manquée

L’année internationale de la chimie aurait été une excellente occasion de faire connaître l’importance, l’intérêt et les défis de la chimie comme science et comme industrie. Les sociétés savantes ont organisé quelques expositions ( dont une au palais de la Découverte, mais rien à La Cité des Sciences) et colloques, une firme chimique (BASF ) a mené une campagne dans les journaux et la télévision fort bien faite, illustrant l’ensemble des utilisations de la chimie…c’est ainsi que la chimie allemande est grande, dommage que la chimie française, pourtant importante, n’en ait pas fait autant. Le gouvernement français, les ministres de la recherche, de l’industrie, de l’enseignement ont été quasiment muets et inactifs ; c’est ainsi que la chimie française reste plus faible qu’elle ne pourrait l’être. En France, l’année internationale de la chimie a été une occasion manquée.
Pourtant, il y a beaucoup à faire pour améliorer la compréhension et la perception de la chimie par le public français. La chimie est le parent pauvre de l’enseignement scientifique, moins considérée que les mathématiques, la physique et les sciences naturelles. Historiquement, cela n’a pas été toujours le cas, notamment  au début du XIXème siécle, lorsque la France dominait la chimie mondiale.
La question de l’enseignement est cruciale. La place de la chimie dans l’enseignement doit être renforcée, les programmes doivent être modifiés de façon à mieux mettre en évidence ses grands résultats, toutes ses applications et implications ; les manuels revus. Il faut sans doute se reposer la question de professeurs de chimie spécialisés, plutôt qu’un professeur de physique traitant la chimie quand il lui reste du temps.
La chimie souffre d’être une science transversale, son unité doit être mieux comprise. Partout, des professeurs passionnés inventent des travaux pratiques ludiques et formateurs, l’année internationale de la chimie aurait pu être une occasion de les faire connaître et de les répandre dans l’enseignement. La chimie souffre d’être une industrie intermédiaire, l’année internationale de la chimie aurait été une excellente occasion de mettre l’étude internationale de l’industrie chimique au programme du bac de géographie. La place de la chimie organique et structurale dans les sciences du vivant, de la chimie analytique dans l’art, dans la médecine légale, l’histoire de la chimie sont autant d’angles d’attaques multidisciplinaires qui pourraient et devraient être développés dans la cadre de travaux personnels d’élèves. L’enseignement pourrait se fixer comme objectif que chaque élève ait eu à traiter un  projet impliquant la chimie au cours de sa scolarité.
De son côté, l’industrie chimique française doit renforcer ses liens avec l’Université et la Recherche. L’industrie chimique française, contrairement à l’Allemagne, l’Angleterre, les USA emploie encore trop peu de cadres formés à la recherche par un doctorat, et, d’autre part, les docteurs en chimie ont les plus grandes difficultés d’insertion : c’est un gâchis. Il faut aussi ouvrir les sites industriels sur l’extérieur, développer avec les riverains des rapports fondés sur la connaissance réciproque et la confiance. La région Rhône-Alpes semble particulièrement dynamique, avec une ouverture sur l’éducation et notamment des visites des centres de recherche, d’ingénierie, de production qui  sont appréciées (cf Gérard Guilpain, Actualités chimiques, sept 2011)

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