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samedi 14 avril 2012

Pour un ministère de la recherche et de l’industrie

Pour un ministère  de la recherche et de l’industrie


Promesse non tenue, déclin en vue

En 2000, l’Europe inquiète de sa désindustrialisation et de sa perte de compétitivité, a adopté l’Agenda de Lisbonne promettant de conscrer 3% du PIB à la recherche.  En 2007 encore, tous les candidats à l’élection présidentielle promettaient de s’y conformer. Promesse non tenue, et de beaucoup : pour la France, 2.26% du PIB en 2010. Encore (pour combien de temps ?) cinquième puissance économique, la France est quatorzième pour son effort de recherche ; alors que la recherche et l’innovation sont plus que jamais les conditions de la croissance, comment pouvons nous espérer redresser notre industrie et notre économie ?
Cette faiblesse de l’investissement en recherche et développement est essentiellement due  à l’anémie de la recherche privée. La part du public (0.76% du PIB) est dans la moyenne de l’OCDE, celle du privé est plus basse (1.3% contre 1.9 aux USA et 1.7 en Allemagne, 2.5 en Suède et au Japon par exemple).
La France manque en particulier de « jeunes pousses » ayant poussé, de  PME ayant une activité de R et D importante dans des secteurs d’avenir.

Le small business act à la Française

Il est donc indispensable de développer la recherche et l’innovation dans les PME, en particulier par la synergie avec la recherche publique et la valorisation et le transfert de ces techniques et découvertes. La situation est similaire à celle qui a conduit au Small Business act aux USA, en 1980, lorsque le gouvernement fédéral s’est aperçu qu’il était à la tête de 30.000 brevets dont seulement 5% éteint commercialement exploités. Pour créer les PME innovantes qui nous manquent, il faut s’inspirer de ces recettes, notamment transférer la propriété intellectuelle moyennant redevances en cas de succès, réserver aux PME  les marchés publics inférieurs à un certain  montant (100.000 dollars aux US) ou les marchés auxquels au moins deux PME peuvent répondre, faire en sorte que  tous les marchés inférieurs à 1 million de dollars donnent lieu à des plans de sous-traitance avec engagement d’en confier une partie aux PME, obliger les agences de recherche à externaliser une partie de leur recherche aux PME
L’Etat doit favoriser la créations de clusters d’innovation, relancer les pôles de compétitivités, augmenter de beaucoup les collaborations triparties entre laboratoires publics, PME et grandes entreprises. Le Crédit d’Impôt rechercher doit aussi être réorienté dans cette direction. Les grands groupes doivent cesser de traiter les PME comme des sous-traitants corvéables à merci et s’engager dans des politiques de collaborations ; Airbus vient de le comprendre en allongeant ses durées de commandes fermes à six mois et plus, ce qui permet plus de visibilité et un meilleur accès au financement bancaire pour les sous-traitants.

Réforme du financement : « SBIR et Chapter S »

A cela doit s’ajouter une réforme du financement des phases d’amorçage, que le capital risque ne sait pas assumer. Cela passe par la création d’un important programme public de capital amorçage sur la modèle du SBIR (Small business investment research), mais aussi par un encouragement à l’investissement privé sur le modèle du « Subchapter S », adapté aux sociétés innovantes nouvelles. Dans les Subchapter S, la responsabilité de l’actionnaire est limitée au montant de ses actions et les pertes courantes, dans la phase de création, sont transférées  aux actionnaires qui peuvent déduire ces pertes de leurs revenus. L’Etat, au lieu de subventionner directement une entreprise innovante en création, subventionne des partenaires privés qui y investissent, ce qui se révèle souvent plus efficace et moins coûteux pour les finances publiques

Il faut un ministère de la recherche et de l’Industrie

Pour rattraper son retard en investissement dans l’innovation et la recherche privée, la France doit donc mener une politique volontariste d’industrialisation, de valorisation de la recherche publique, d’encouragement aux sociétés innovantes et aux collaborations entre institutions publiques, grands groupes et  PME. Le financement des  jeunes sociétés innovantes doit être revu, une politique de commandes publiques doit les favoriser. A cette condition, la France pourra maintenir son rang, ses industries, ses emplois, et voir naître des Amgen (médicaments, créé en 1980, 1400 employés aujourd’hui) , Quakcomm (téléphonie mobile, 1985, 9000 employés) ou Genzyme ( test génétiques,1981, 8000 employés)
Pour mener cette politique d’innovation, il  faut retrouver l’ambition de 1981 et créer un ministère de la Recherche et de l’Industrie.
De fait, le développement de la politique de valorisation de la recherche publique fut un des grands axes de la politique en matière de recherche des premiers gouvernements socialistes, avec notamment Jean-Pierre Chevènement,  ministre de la Recherche et de l'Industrie (1981-1983), et la loi de programmation et d’orientation de 1982, qui institua la valorisation comme une des missions de la recherche publique.


dimanche 1 avril 2012

Viv(r)e la recherche thérapeutique et le médicament !

Viv(r)e la recherche thérapeutique et le médicament !

Etrange

La France va enfin – (semble-t-il) - vendre des Rafale à l’Inde et au Brésil, et tout le monde se réjouit de ce succès de la technologie française, qui conforte l’image scientifique de notre pays et soulage nos efforts pour maintenir une défense indépendante et opérationnelle.
Fort bien, et je ne boude pas mon plaisir non plus. Mais, moi et mes collègues qui travaillons dans la recherche thérapeutique, qui nous efforçons d’inventer des médicaments pour soigner et non des armes pour tuer (même si des médicaments peuvent tuer, on a rarement vu des armes soigner), j’ai parfois le sentiment que nous sommes au mieux ignorés (en terme de financements, par exemple), au pire moralement condamnés (nous gagnons notre vie sur le malheur et la santé des gens)

Petit rappel

Alors, un petit rappel (historique, pas vaccinal !) sur, disons, cinquante ans (rappelons qu’en gros, un médicament, c’est dix ans de recherche et près d'un milliard de dollars).
En 1967 apparaissent les beta-bloquants. C’est le premier traitement efficace contre ce « tueur silencieux » qu’est l’hypertension artérielle et des dizaines d’années de vie gagnées pour beaucoup. Ils seront suivis  en 1981 par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion, puis par les antagonistes de l’angiotensine (1995), de plus en plus spécifiques et sûrs. En passant, ce succès est l’illustration de la nécessité de plusieurs médicaments ciblant les mêmes pathologies et aussi les mêmes mécanismes pour couvrir la variété des situations individuelles En 1977, ce sont les premiers antihistaminiques antiulcéreux ; l’ulcère gastroduodénal et ses douleurs insupportables, et ses dangers qui ont tant empoisonnés la vie de nos parent ou grands parents, va progressivement cesse d’être une indication chirurgicale et va pouvoir être traité rapidement et efficacement par ces antihistaminique, puis par des antibiotiques et des inhibiteurs de la pompe à protons (1989). En 1980, la thérapeutique entre dans l’ère du génie génétique avec la production du premier interféron recombinant, qui permet de traiter des maladies virales jusque-là intraitables, avec aussi la production d’insuline recombinante (1980), puis d’hormone de croissance (1985) et bien d’autres, qui permettront de traiter tous les malades sans restriction, plus facilement et en évitant les épouvantables problèmes de contamination des hormones naturelles. En 1983, c’est le premier médicament anti-rejet ; sans cette nouvelle classe thérapeutique, l’extraordinaire aventure et extension des greffes de toutes sortes aurait été simplement impossible, malgré l’ingéniosité et les prouesses techniques des chirurgiens. En 1985 sort le premier anti-viral actif  contre le virus du Sida, premier d’une longue série ; jamais aucune épidémie mortelle et menaçante pour l’humanité entière n’aura été jugulée aussi rapidement. En 1988, une nouvelle classe de médicaments, les statines permettent de traiter efficacement ce second tueur silencieux qu’est le « mauvais cholestérol ». A partir de 1994, les triptans permettent enfin de soulager les migraineux. En 1998, un anti-corps issu du génie génétique permet de remédier efficacement aux douleurs et à l’invalidité provoquées par l’arthrite rhumatoïde. En 2001 apparaît le Glivec, premier anti-cancéreux ciblé, qui agit directement sur les protéines modifiées dans certains cancers (et non en tuant les cellules de manière quasi- indifférenciée) ; c’est le premier de la classe en expansion des inhibiteurs de kinase ; il n’y aura pas de « boulets magique » contre le cancer, mais de plus en plus de médicaments adaptés à chaque type de cancer- il en sort presque chaque année. De nouveaux anti-diabétiques (une maladie encore bien mal traitée), les gliptines, sont apparus en 2006. Et le progrès continue ; par exemple, de nouveaux traitements sont à l’étude contre la terrible mucoviscidose…16 ans de vie gagnée depuis 50ans, c’est quand même pas mal.

Pour que continue le progrès thérapeutique

L’industrie pharmaceutique représente 52 milliards de chiffre d’affaires, plus de cent mille emplois directs, souvent qualifiés, et quatre fois plus d’emplois induits, cinq milliards  en recherche (12,5% du chiffre d’affaire, le secteur qui investit le plus en recherche)
Si l’industrie pharmaceutique disparaît de France, il faudra soit se passer des nouveaux médicaments, soit les payer très chers à des firmes étrangères.

Quelques pistes :

Mettre fin aux ponctions arbitraires et systématiques, donner visibilité et justice : Pour des raisons bassement électoralistes, le médicament est toujours et systématiquement le premier sacrifié lors des restrictions dans le domaine de la santé, alors que la recherche coûte de plus en  plus cher ; et c’est d’autant plus injustifié que le médicament est une source extraordinaire d’économie lorsqu’il se substitue à une opération ou qu’il empêche l’aggravation d’une maladie. Les déremboursements frappent l’industrie pharmaceutique par des variations brutales, et aussi  les patients qui renoncent de plus en plus aux soins, on qualifie de médicaments de confort des médicament efficaces qu’on ne veut plus rembourser, et, dernière innovation, on taxe les mutuelles qui, par la force des choses, se substituent à l’assurance maladie.
Un bon moyen est la systématisation des accords prix volume (si la consommation d’un médicament augmente, son prix baisse) qui garantit une certaine visibilité aux firmes pharmaceutiques, supprime l’incitation à un usage étendu et peu approprié, et constitue le seul moyen d’incitation pour la recherche dans les maladies rares ou orphelines

Un environnement réglementaire de qualité : quel que soit son nom, l’agence du médicament doit veiller à la sécurité dans le domaine du médicament et de son emploi :expertises incontestables par la transparence et une publication intégrale des interventions et décisions , qui permettra de mettre enfin fin à une suspicion systématique qui révolte de nombreux experts, prise en compte des décisions des agences étrangères, utilisation des données des caisses d’assurance maladie, système d’alerte plus réactif et extensif. Les firmes pharmaceutiques doivent publier les résultats de tous les essais cliniques, même négatifs.
Enfin cette agence ne peut continuer à fonctionner en simple dialogue entre experts état et industrie, sans une implication effective, habituelle, systématique des très actives associations de malades.

Organisation et financement de la recherche : une meilleure coopération entre recherche publique et privée, notamment par la création d’un institut du médicament fédérant les recherches effectuées au CNRS, à l’Inserm, dans les facultés de pharmacie, de sciences, à l’Institut Pasteur, à Curie etc….Le rapprochement forcé par l’Etat de Sanofi et d’Aventis pour créer un champion français était indispensable, mais encore fallait-il s’assurer que cette firme joue bien ce rôle.
Le capital risque doit être amélioré, le financement des phases d’amorçage est trop souvent insuffisant et conduit à des échecs. Nous manquons en France d’un système de financement qui permette le développement des start-up et PME, sur le modèle par exemple d’Amgen. En France, dans le domaine de la santé, trop souvent les start-up soient échouent, soient réussissent et sont alors rachetées et fermées (un exemple type- Novexel) ; dans tous les cas, c’est un gâchis épouvantable économique, de compétences, d’hommes.  
Le financement de la recherche thérapeutique doit être renforcé par un small business act assurant notamment une part des marchés publics aux PME - et sans ces scandaleux retards de paiement étatiques qui ont entraîné tant de faillites. Le crédit d’impôt recherche doit être orienté davantage vers les petites entreprises, et surtout vers les collaborations entre grandes entreprises et start-up, selon le modèle, par exemple des pôles de compétitivité. Il doit être limité aux recherches effectuées en France ou dans des pays européens pratiquant le même système- contre l’avis de la Commission Européenne.