La France et le Mexique étant réconciliés, l’Orangerie accueille Diego Rivera et Frieda Kahlo pour une exposition émouvante et très courue, tant ce couple d’artiste bénéficie d’une faveur et même d’une ferveur d’un large public, et ce dans tous les pays.
Les
commentaires de l’exposition nous apprennent que Frieda Kahlo a rencontré Diego
Rivera lorsqu’il peignait la première de ces grandes peintures murales qui ont
fait sa célébrité, et ceci dans l’amphithéâtre de l’Ecole Nationale Préparatoire, où Frieda étudiait.
Mais
on ne nous dit rien sur cette Ecole
Nationale Préparatoire, institution qui joua un grand rôle dans le Mexique
moderne. Fondée en 1868 par Gabilo Barreda, ami et conseiller de Benito Juarez
dans les bâtiments du couvent San Ildefonso, elle avait pour vocation de former
l’élite administrative et politique de la nouvelle république selon les
principes du Positivisme. Le mot d’ordre positiviste «Amour, Ordre et
Progrès » figurait au fronton de
l’Ecole, ainsi que la devise
« Savoir pour prévoir afin de pourvoir », et l’enseignement y suivait
le programme pédagogique comtien, avec une importance notable accordée aux
sciences ; mathématiques, physique, histoire naturelle, géographie,
histoire, latin, grec et français y constituaient
les matières principales.
Gabino
Barreda était un positiviste convaincu qui avait suivi les cours de Comte lors
de ses études de médecine en France. A l’effondrement de l’Empire au Mexique,
il joua un rôle primordial dans l’établissement de la République, notamment par
son Oracion Civica qui définit les grandes orientations du programme de Juarez.
Durant le Porfiriat (1870-1910), la République mexicaine se voulut comme une
république soeur de la France. L’élite Positiviste formée par Barreda – les
Cientificos-, y jouaient un rôle primordial, avec des personnalités comme
l’inamovible ministre des finances, José Yves Limantour, un descendant de
Lorientais qui réussit l’exploit de redresser
les finances mexicaines, Justo Sierra, Président de la Cour Suprême et Ministre
de l’Education et des Beaux-Arts, Pablo Macedo, maire de Mexico, et son frère
Miguel, qui réforma le code civil…etc. Lors de l’inauguration de la statue
d’Auguste Comte en 1902 sur la pace de la Sorbonne à Paris, les Mexicains, loin
devant les Brésiliens, furent parmi les principaux contributeurs étrangers.
Diego
Rivera, inaugurant son art mural par la peinture du grand amphithéâtre de
l’Ecole Nationale Préparatoire, a-t-il pu échapper à cette atmosphère
intensément positiviste ?
Art et Positivisme
Le
Positivisme donne pour mission à l’Art d’illustrer et de faire aimer les grands
êtres collectifs, la Famille, la Patrie et surtout l’Humanité ;
d’illustrer en quelque sorte le lien social, le système d’opinion partagée, les
valeurs spirituelles qui définissent une société donnée.
« Il
n’ y a d’esthétiques que les émotions profondément senties et spontanément
partagées. Quand la société manque de tout caractère intellectuel et moral,
l’art destiné à la retracer n’en aurait avoir non plus, et il se réduit à la
vague culture de facultés trop naturelles pour devoir rester inactives, même
lorsqu’elles n’ont aucun grand but. (Système
de Politique Positive, Tome 1, p.300 , Paris, 1853). « Les beaux-arts,
destinés surtout aux masses, doivent en
effet, par leur nature, éprouver l’indispensable besoin de s’appuyer sur un
système convenable d’opinions familières et communes… C’est le défaut d’une
telle condition, trop rarement accomplie dans l’art moderne, qui permet d’y
expliquer le peu d’effets réels de tant de chefs d’œuvres conçus sans foi et
appréciés sans convictions » (Cours
de Philosophie Positive, 53ème leçon)
Pour
le Positivisme, l’histoire est une science sacrée et « les vivants sont de
plus en dominés par les morts » ; l’Art doit montrer, en sachant
susciter l’émotion, cette solidarité des vivants entre eux, il doit aussi
montrer ce lien avec le passé, et aussi l’avenir comme un destin partagé ;
selon le mot de Renan : « avoir fait de grandes choses ensemble,
vouloir en faire encore ».
La
présence du passé et des morts, et celle aussi du présent et de l’ avenir,
le défilement des générations d’un peuple, un art qui rend hommage aux grands
hommes, et aussi au labeur et à l’héroïsme des masses, un art populaire et
raffiné, qui fait appel à l’intelligence et à la culture et suscite l’émotion,
immédiatement compréhensible et cependant au symbolisme profond et sophistiqué, qui sait parler de classes sociales et de
nations sans les opposer à l’Humanité, qui parle à tous, émeut tout le monde ; c’est bien l’art de Diego Rivera,
un art conforme aux conceptions positivistes.
Vasconcelos,
le ministre des beaux arts du nouveau régime issu de la Révolution qui mit fin
au Porfiriat, et qui lança le mouvement muraliste dont Diego Ribera fut le
représentant le plus éminent, voulait créer une nouvelle culture et une nouvelle
identité mexicaine, donna aux artistes
comme mot d’ordre : « Par ma race parlera l'esprit ».
Certes
la Révolution se voulait bien l’adversaire du Porfiriat, Vasconselos pouvait
bien moquer ces positivistes, ces cientificos dépourvus de lyrisme, Diego Rivera
pouvait bien se revendiquer du communisme et non du positivisme- mais où
y-a-t-il jamais eu un art communiste équivalent ? ; cet art de Diego
Ribera est tout de même profondément marqué par les conceptions
positivistes ; et consciemment ou non, il constitue l’exemple le plus
convaincant d’un art positiviste.
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