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jeudi 9 juillet 2015

L’ Ecole Polytechnique détruite ? Le rapport Attali


Alors qu’un projet aberrant vise à bouleverser de fond en comble  la prestigieuse Ecole Polytechnique (voir notamment pour le détail des mesures absurdes Rapport Attali: ou comment tuer l'École polytechnique, Thierry Berthier, http://www.huffingtonpost.fr/thierry-berthier/rapport-attali-ou-comment_b_7559320.html); j’ai pensé intéressant de rappeler les circonstances de la création de l‘Ecole.

On peut se demander quelle rage, folie, saisit une partie de nos élites, des fonctionnaires de l’Education Nationale, apparemment écoutés par ce gouvernement, de détruire ce qui fonctionne encore bien dans notre enseignement  au lieu de s’attaquer à ce qui ne fonctionne pas ; désir de terre brûlée, égalitarisme néo montagnard, simple bêtise, le classement de Shangai qui rend fou ? Que l’on compare en tous cas avec le prestige et la considération  accordés, dans leurs pays respectifs,  à ces vieilles institutions, Oxford, Cambridge, Harvard, Princeton, le MIT, l’institut Lomonossov…Qui aurait l’idée d’un rapport Attali pour Harvard ?
 

L’Ecole Polytechnique : “Pour la Patrie, la Science et la Gloire” (Extrait de l’Empire des Sciences, Napoléon et ses savants, Poche Ellipses, 2015)
 Un complot des savants

En mars 1794 certains membres du Comité de Salut Public s’inquiétèrent. Comment former les officiers dont les armées révolutionnaires avaient besoin ? Les prestigieuses et efficaces écoles militaires de l’Ancien Régime avaient été fermées. L’enseignement révolutionnaire de l’Ecole de Mars, puis de l’Ecole Normale, ils n’y croyaient pas beaucoup. Il fallait autre chose. Par exemple, recréer Mézières, l’Ecole militaire d’élite par excellence. La future Ecole Polytechnique aura trois parrains politiques qui, tour à tour, la protègeront et veilleront avec constance et persévérance à sa survie et à son développement. Ils s’appellent Carnot, Prieur de la Côte d’Or et Fourcroy. Tous trois furent membres du Comité de Salut Public ; deux d’entre eux,  Carnot et Prieur, avaient étudié à l’Ecole du génie de Mézières. Auprès d’eux agissait “ un congrès de savants”, écrivit A. Fourcy, le premier historien de l'Ecole ; on dirait aujourd’hui un lobby. Y figuraient , au premier plan, Monge, ancien enseignant à Mézières et ancien examinateur de la Marine, et Laplace ; et aussi les chimistes Guyton de Morveau, Berthollet, Vauquelin, le physicien Hassenfratz, l’ingénieur Lamblardie, patron des Ponts et Chaussées. Les chimistes étaient particulièrement influents. Grâce aux procédés mis au point par le pauvre Lavoisier et par Berthollet, les armées françaises ne manquaient pas de poudre, malgré l’arrêt de l’importation des salpêtres indiens- alors que,  naguère, le manque de poudre avait mis fin à la guerre de Sept Ans.

Mieux que Mézières
Donc recréer Mézières, et même mieux.  Le projet pédagogique des fondateurs est ambitieux : il s’agît de fonder une Ecole d’un type nouveau, une école généraliste où l’on apprendrait les bases scientifiques fondamentales communes à tous les métiers techniques. “Ils virent que la science d’un bon ingénieur se compose de notions générales, communes à tous les genres de services, et de détails pratiques propres à chacun d’entre eux. Parmi les premières et au premier rang sont les mathématiques élevées qui donnent de la tenue et de la sagacité à l’esprit. Viennent ensuite les grandes théories de la chimie et de la physique. Celles-ci, fondées sur des définitions moins rigoureuses, mais procédant comme les mathématiques, développent cette sorte de talent qui sert à interroger la nature et montre les ressources qu’elle peut fournir. Enfin, on doit y comprendre les principes généraux de toutes les espèces de construction, dont la connaissance est nécessaire pour rendre l’ingénieur indépendant des circonstances et des localités. On eut donc dans la nouvelle école des cours de mathématiques pures et appliquées, des leçons de géométrie descriptive, de fortification, de dessin et d’architecture civile, navale et militaire. Quant aux détails pratiques, on les renvoya aux anciennes écoles, qu’on laissa subsister en élevant toutefois leur enseignement.” (Biot)

Pour Fourcroy, il faut donc prévoir une formation générale de trois ans au moins qui permette ensuite de suivre facilement les cours des écoles spécialisées : génie, artillerie, marine, topographie, Ponts et Chaussées… Pas question d’adopter le mode de recrutement de l’Ecole Normale : recrutement proportionnel à la population (un candidat pour 20.000 habitants), sélection des candidats par un jury populaire sur des critères moraux . Non, une solution sûre, éprouvée : le concours, comme celui que pratiquaient les examinateurs royaux Monge et Laplace, comme celui qu’ont brillamment réussi Carnot et Prieur. Devant la Convention, Fourcroy annonce carrément : “On veut appeler ceux qui sont déjà les mieux préparés pour que la République puisse jouir plus tôt de l’exercice de leurs talents… La seule manière de les reconnaître est de les faire passer à travers un examen qui donne la mesure précise de l’intelligence et des dispositions de chacun d’eux.” Alors qu’aux tribunes de la Convention, on glorifie le culte de l’égalité et on rejette avec violence tout ce qui ressemble à la reconstitution de castes privilégiées, ce discours témoigne d’une réelle conviction et d’un vrai courage politique.
Une naissance difficile

En juillet 1794, la Convention se révolte contre Robespierre, brutalement décrété d’arrestation puis exécuté. L’Ecole Centrale des Travaux Publics, projet défendu par le jacobin Fourcroy, va-t-elle être emportée par la haine du dictateur et le soulagement de ceux qui l’avaient acclamé à proportion qu’ils le craignaient ? Fourcroy monte à la tribune et se livre à un beau numéro d’opportunisme. Robespierre, Couthon et Saint-Just, explique-t-il, étaient hostiles à la science, ils s’opposaient à son projet. Ils menaient “une véritable conjuration contre les progrès de la raison humaine, voulaient anéantir les sciences et les arts pour marcher à la domination”. Une première fois, l’Ecole est sauvée.
En octobre 1794 se déroule le premier concours. Certains examinateurs n’ont pas bien compris les vues de Fourcroy, n’ont pas saisi le cours nouveau des choses. A Paris, l’examinateur “au moral”, montagnard fanatique, insiste pour qu’aucun élève ne soit autorisé à subir les épreuves scientifiques s’il n’a pas été auparavant admis par lui. Aucun repêchage ne doit être possible et l’examinateur entend s’opposer à la “compensation sacrilège des vertus par les talents”. Il recale derechef les quarante premiers élèves qu’il examine : “La manifestation de leur patriotisme a été nulle » On décida rapidement d’éliminer l’examinateur...

Le 1er nivôse an II (21 décembre 1794) eut lieu le premier cours de l’Ecole Centrale des Travaux Publics. Le Représentant Fourcroy y arriva en grande tenue et donna une conférence de physique. A Fourcroy succèdèrent Monge, Chaptal, Hachette, Hassenfratz. Dans l’assistance figurait un autre Représentant, Prieur de la Côte d’Or. Malgré la qualité du corps enseignant, l’Ecole connût des débuts difficiles. En Floréal (mai) 1795, la moitié des élèves n’assistaient plus aux cours. Les uns, mal nourris, mal logés, épuisés par les privations, étaient malades ; les autres ont abandonné et sont retournés chez eux. Les soldes en assignat ne leur permettaient plus de vivre à Paris. Les logeurs désignés par l’administration de l’Ecole (les “pères de famille”) trouvaient les pensions insuffisantes et renvoyaient les élèves. Les élèves qui restaient à l’Ecole manifestaient une vive hostilité envers la Convention et sympathisaient avec les muscadins contre-révolutionnaires.
 L’Ecole menacée par les tribulations politiques
Les 1er et 2 Prairial 1795 (20 et 21 mai), les sections parisiennes favorables aux montagnards se révoltent. L’hiver a été rude et les quartiers populaires ne supportent plus les rationnements alors qu’un marché libre bien approvisionné  permet aux plus riches de vivre luxueusement. La Convention est envahie, un député assassiné. Les sections du centre de Paris, refusant le retour des tragiques journées révolutionnaires, soutenues par l’armée et les muscadins, rétablissent l’ordre. Monge, suspect de sympathies jacobines, est décrété d’arrestation, ainsi que son assistant Hachette et Hassenfratz. Même les élèves les plus favorables aux royalistes se révoltent alors contre l’arrestation de Monge. A la Convention, Carnot, Prieur et Fourcroy veillent. Ils obtiennent le maintien de l’Ecole, et, bien mieux, ils font voter un secours immédiat pour les élèves les plus pauvres et une augmentation du traitement pour tous. Lagrange entre dans le corps enseignant et donne le cours d’analyse le plus avancé du monde. Monge, bientôt libéré, reprend aussitôt son enseignement. Prieur et Carnot viennent visiter l’Ecole et s’assurent que les élèves ont bien repris les cours. Fourcroy continue à travailler la Convention et obtient un cadeau incroyable pour son école, le “privilège”. Désormais, aucun élève ne pourra être reçu dans les écoles d’ingénieurs de la marine, du génie, de l’artillerie, des Ponts, de topographie s’il n’a auparavant suivi les cours de l’Ecole. L’Ecole Centrale des Travaux Publics devient l’Ecole polytechnique….
Au printemps 1797, le régime subit l’une des plus grandes défaites électorales de l’histoire de France : 17 députés favorables au Directoire sont réélus, contre 170 royalistes et 45 indécis. Barras, à nouveau, sauve son pouvoir par un coup d’Etat, le 18 fructidor (5 septembre). Les soldats d’Augereau, envoyés par Bonaparte, occupent Paris. Les Conventionnels favorables à Barras s’indignent de l’attitude des élèves de l’Ecole Polytechnique, “clychiens et réactionnaires”. “L’aristocratie s’est réfugiée dans l’Ecole” entend-on à la tribune de la Convention. Alors paraît un Conventionnel incontestable, Prieur de la Côte d’Or. Il admet benoîtement : “On ne peut douter que quelques élèves ne soient infectés de ce vice, mais il y aurait de l’exagération à trop généraliser ce reproche”. Quelques jours plus tard, Prieur explique encore : “Les élèves une fois admis, il n’y a plus aucun moyen de les réprimer”.

Les élections ont été annulées, 198 députés sont invalidés et 53 déportés en Guyane. Le Directeur royaliste, Barthélemy, est, lui aussi, condamné à la déportation ; Carnot, Directeur favorable au respect du résultat des élections échappe au sort de Barthélemy en courant à la frontière suisse. Mais, pour Prieur, on ne peut prendre aucune sanction contre les élèves de l’Ecole…Les parrains de l'Ecole la défendent bien.
Bonaparte découvre Polytechnique : le rêve Egyptien

Alors que le Directoire de fructidor continue à brimer l’Ecole, rognant les crédits de fonctionnement, les pensions des élèves, retardant la construction des laboratoires de chimie et supprimant même le “privilège” durement gagné par Prieur, le futur Empereur s’y crée au contraire une clientèle d’admirateurs. Il a pour eux un grand projet.
Ce grand projet, c’était l’Expédition d’Egypte. Trois membres du corps enseignant (Monge, Berthollet et Fourier) et trente-neuf élèves issus des premières promotions y participèrent ; huit y laissèrent la vie. Napoléon eut l’occasion d’apprécier l’intelligence et l’activité des Polytechniciens et l’excellence de leur formation, leurs capacités en tous domaines. On sait le rôle politique important que tint Fourier en Egypte. La Description de l’Egypte et la représentation de ses fascinantes antiquités doit autant, sinon plus, aux cours de géométrie de Monge et aux relevés des Polytechniciens qu’au coup de crayon de Denon (“Denon n’a donné que des croquis et des vues sans lever aucun plan, ni prendre aucune mesure” expliquait Villiers).
Le mirage égyptien, héritage de l’épopée napoléonienne, hanta durablement Polytechnique. Ceux qui y participèrent planifièrent, à l’Institut d’Egypte, la mise en valeur du pays. Certains collaboreront aux ambitieux programmes de développement de Mohamed Ali. Les Saint-Simoniens des promotions des années 1810 rêvaient d’un mariage mystique entre Orient et Occident en Egypte. Prosper Enfantin y fit de longs séjours. Charles Lambert fonda et dirigea l’Ecole Polytechnique de Boulak. Ce n’est pas un hasard si le projet du canal de Suez naquit dans les milieux Saint-Simoniens du Second Empire…
Qu’enseigner à l’Ecole ?“Les sciences dans leur état le plus récent“

Entre Fourcroy, Monge, Laplace et Prieur, l’accord était total : L’Ecole devait enseigner les méthodes les plus générales, les plus théoriques, les plus récentes. Elle devait donner le dernier état de la science, amener ses élèves au niveau de la recherche scientifique. C’est pour cette raison que Fourcroy avait plaidé, lors de la création de l’Ecole, pour une scolarité en trois ans. Cela parut démesuré pour former de simples officiers de l’artillerie et du génie, et les Montagnards, opposés à toute renaissance d’une élite, les Idéologues, qui voulaient le monopole de l’enseignement de haut niveau, suspectèrent la manœuvre. “Sous couleur de préparer des officiers instruits et des ingénieurs capables, ils (Fourcroy, Carnot, Prieur, Monge) travaillent à constituer un centre de hautes études désintéressées” entendit-on à la tribune de la Convention…Devant les attaques du corps législatif, Monge avoua carrément ce que fut “le complot des savants” : “Lorsqu’on a créé l’Ecole, on voulait, à la vérité, préparer des officiers et des ingénieurs, mais on avait un but bien plus vaste et bien plus élevé, celui de stimuler tout d’un coup le génie français prêt à s’endormir, de rappeler l’attention vers les sciences, de ranimer l’amour de l’étude et de rendre à la France un éclat non moins solide que celui de nos armées…, de tirer la nation française de la dépendance où elle a été, jusqu’à présent, de l’industrie étrangère”. Ce programme, Napoléon l’accepta, et Arago put se moquer de ces généraux, “très braves canonniers mais nullement artilleurs” qui harcelaient l’Empereur de leurs doléances sur ce qu’ils appelaient les tendances trop scientifiques des officiers sortis de l’Ecole. La vocation de l’Ecole à conduire une recherche de haut niveau fut confirmée en 1808, après la découverte du potassium par l’Anglais Davy, grâce à la pile de Volta. Napoléon finança, pour la somme alors considérable de 20.000 francs, la construction d’une pile gigantesque, qui fut installée à l’Ecole et confiée au Polytechnicien Gay-Lussac.
Entre les cours de géométrie et d’algèbre de Monge, le calcul différentiel de Lacroix, la chimie de Fourcroy et de Haüy, sans compter les dessins de géométrie descriptive, d’imitation libre et les comptes-rendus d’opérations chimiques, l’enseignement était effectivement de haut niveau et ardu…

Et c’est cela que l’on veut détruire ?


 

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