Chercheurs et lobbys
Le
toujours intéressant Stéphane Foucart, l’un des plus pertinents journalistes à
traiter d’écologie et de science a été
récemment réduit à la portion congrue d’une tribune toutes les deux semaines,
une sorte de demi-tribune qui ne devrait pas le conduire à écrire des demi-
vérités. Or, dans le Monde du 15 septembre
2015, sous le titre « Dis moi qui te paie », et sous-titrés :
« Des mails divulgués dans la presse révèlent les liens incestueux entre
chercheurs et firmes chimiques », il rapporte une enquête du New-York
Times du 5 Septembre où l’on voit effectivement « des biologistes
intervenant comme scientifiques indépendant dans le débat public, écoutés comme
tels par les responsables politiques et les médias, agir en lobbyistes et en
conseillers en relations publiques au service des industriels, devisant avec
eux sur les meilleures stratégies de communication à adopter pour défendre
leurs intérêts ».
L’enquête
a été menée par une organisation civique (US right to know) qui a demandé
à 43 universités publiques, selon une procédure permise par la loi américaine, la
publication de tous documents, mels compris , contenant les termes Monsanto,
cultures OGM, Ketchum etc. Un cas emblématique est Kelvin Folta biologiste de
l’Université de Floride ; l’enquête le montre très mobilisé à lutter
contre la volonté de certains états de promouvoir une législation visant à
imposer l’étiquetage des OGM. Recevant de Monsanto 25.000 dollars pour son
travail de lobbyiste, il remercie en promettant « un solide retour sur
investissement ». M. Folta a répondu
en affirmant que sa défense des biotechnologies végétales est antérieure
à tout contact avec l’industrie, et qu’il « n’a jamais rien dit ou écrit
qui ne soit fondé sur des preuves scientifiques ».
Bon,
un chercheur croit en l’utilité des OGM, même ceux de Monsanto, et fait partager
sa conviction. OK, le fait qu’il ait
reçu de l’argent de Monsanto devait être mentionné ! Mais qu’on me
permette de dire que ce que je trouve le plus scandaleux est .. la faiblesse de
ce qu’il a reçu. A côté de ce que demande une agence de communication !
M.
Chassy, professeur de nutrition à l’Université d’Illinois disposait d’une
subvention de Monsanto pour promouvoir
les biotechnologies végétales. Il réagit ainsi dans Le Monde du 9 septembre, dans un excellent article consacré à
l‘affaire… par le même Stéphane Foucart : « ils explorent nos
relations avec les industriels, car ils ne peuvent pas contester la vériét de
nos arguments » Estimant que ce type d’enquête est un dévoiement de la
procédure américaine, il dit dans le cas
présent, c’est le soutien de l’industrie
à mon université qui m’a permis d’exprimer ma vérité académique ».
Et
il a sans doute raison…et beaucoup d’autres chercheurs, dans beaucoup d’autres
domaines pourraient dire la même chose.
Lobbies biotechno contre lobbies bio
Et
ce que révèle Stéphane Foucart dans son article
du 9 septembre, mais qu’il ne reprend pas dans sa chronique bimensuelle, c’est que US right to know est un
lobby financé par l’industrie de l’agriculture biologique ! Alors
évidemment, l’association dénonciatrice ne s’est pas intéressée aux potentiels
conflits d’intérêts entre chercheurs et lobbys agrobiologiques. Qu’à cela ne tienne,
le New-York times, qui donne une belle leçon de journalisme, l’a fait dans le
même article où il publiait l’enquête de US right to know, et il est aussi tombé
sur quelques cas intéressants, par exemple un agronome de l’Université de l’Etat
de Washington, M. Benbrook, qui a plaidé auprès des décideurs et du public pour
l’étiquetage des OGM et pour l’interdiction de cultures transgéniques
résistantes à des herbicides sans mentionner ses liens avec les industriels de
l’agriculture biologiques. Même si leurs dépenses de lobbying ne représentent
qu’une faible partie de celles des firmes de biotechnologies, le problème
existe aussi.
Et M.
Foucart aurait du y être d’autant plus sensible que nous avons connu en France l‘emblématique
affaire Séralini et ses photos en gros plans de rats rendus difformes par de
gigantesques tumeurs, prétendument provoquées par le maïs transgénique
résistant au round-up – glyphosate – en réalité un vieillissement habituel
chez cette souche. 3 millions d’euros dépensés en vain dans une étude mal
conçue dès le départ et qui n’a apporté, et ne pouvait apporter aucun résultat
scientifiquement fondé. Mais il fallait que Carrefour, Auchan, Biocoop,
Naturalia et le CRIIGEN de Corinne Lepage en aient pour leur argent et l’aveu
final de Séralini (Marianne, 9
février 2013): « Aucune équipe de biologistes ne peut dépenser autant
que nous… Nous devions absolument publier, sous peine de devoir rembourser les
crédits alloués par nos partenaires »
Veut-on
que les firmes se privent de l’expertise des universitaires et chercheurs
publics ? Que ceux-ci se maintiennent à l’écart des problèmes rencontrés
dans leurs domaines ? Que les experts ne connaissent rien aux applications
de leurs sciences ? Qu’ils n’aient pas droit de faire part au public et
aux décideurs de leurs savoirs et de leurs convictions ?
Curieusement,
Stéphane Foucart rappelle le problème de la démocratie et de l’expertise n’est
pas nouveau, et que la démocratie athénienne du III ème siècle avait son corps
d’experts, qui étaient des esclaves au service de la cité. Merci pour les
chercheurs ! On peut penser que leur intervention dans les problèmes
industriels et dans le débat public est utile et légitime, à condition que la
liberté d’expression, de discussion, d’appréciation soit totale. Mais la
crédibilité des chercheurs et de la science sera de plus en plus atteinte en
absence de transparence sur leurs intérêts et collaborations ; les lois,
règlements et pratiques existantes sont sans doute insuffisantes. Pour le dire autrement, pour un positiviste,
les chercheurs et experts exercent une forme de pouvoir spirituel et doivent
donc se plier à l’injonction d’Auguste Comte : « Vivre au grand jour »-
au moins professionnellement.