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mercredi 27 avril 2016

Quels emplois pour demain ?

L’Association des Journalistes Economiques Français a consacré un cycle de conférences aux transformations de l’emploi. Parmi les sujets traités, « Le choc des nouvelles technologies et de la robotisation : quels emplois seront créés demain et lesquels vont disparaître? », avec Augustin Landier, Toulouse School of Economics,  et Olivier Passet, directeur des synthèses chez Xerfi et « La fin du travail salarié est-elle pour bientôt ? Autoentrepreneurs, coworking, etc. : les nouvelles formes de travail », avec Monique Dagnaud, sociologue, et Philippe Askenazy, directeur de recherche CNRS-Ecole d’Economie de Paris.

Le travail pseudo-indépendant : une vision ultra-libérale

Augustin Landier est un digne représentant de l’Ecole de Toulouse qui finirait par nous faire croire qu’il n’y a pas d’autres alternatives que l’ultra libéralisme, et que ça tombe bien parce que les plus pauvres en profiteront en priorité. Conséquent, M. Landier soutient la loi El Khomri et a travaillé pour la société Uber, passée maître en stratégie d’influence, qui lui a commandé un rapport d’où il ressort qu’Uber serait une chance pour les jeunes des banlieues minées par le chômage, et que ces chauffeurs sont bien payés (3600 euros par mois ??, chiffre contesté valable uniquement  pour ceux qui sont à leur compte),  jeunes et plus diplômés que les chauffeurs de taxis, et que, contrairement aux US, pour la majorité d’entre eux il s’agit de leur seul emploi et non d’un emploi de complément, et que par conséquent, toute règlementation augmenterait le chômage. CQFD… pour plaire au commanditaire de l’enquête. M. Landier prévoit une extension considérable de l’uberisation qui va toucher progressivement une grande partie des fonctions des entreprises, telles la comptabilité, des fonctions RH, diverses expertises pointues. Ce seront beaucoup d’emploi qualifiés, voir très qualifiés qui seront bientôt menacés par l’uberisation et M. landier prévient : cette destruction créatrice, processus shumpeterien auquel il est attaché aboutira bien à remplacer des emplois salariés bien payés par d’autres plus précaires et moins bien payés. Il a cité avec me semble-t-il quelque délectation les polytechniciens de cinquante qui peuplent les état-majors des grandes entreprises et dont celles-ci pourraient se passer grâce  l’uberisation.

Eloge du salariat

A cette description idyllique de l’uberisation, Olivier Passet objecte que les employés d’Uber renoncent non seulement à leurs droits de salariés pour une liberté bien aléatoire (Uber sélectionne ceux qui travaillent le plus, impose unilatéralement des baisses de tarifs) mais prêtent à Uber du capital (leur voiture, son entretien…). Surtout, les sociétés comme Uber profitent en « passagers clandestins », en parasites d’un certain nombre d’externalités (protection sociale, formation, infrastructures etc.) qu’elles ne financent pas ; ce système n’est pas viable, il ne s’entretient pas, il aboutit à la destruction des entreprises. Une entreprise est autre chose qu’un amoncellement de relations internes clients fournisseurs, mais un système complet de collaboration. L’uberisation aboutit à la mort des entreprises. Reprenant l’exemple des polytechniciens  de cinquante ans, M. Passet souligne à quel point l’expérience, les réseaux, les compétences, les connaissances, les habitudes acquises dans les grandes entreprises ont pu profiter à des « jeunes pousses » qui auraient bien été en peine de les acquérir dans un monde uberisé.
M. Passet s’est d’ailleurs lancé dans un éloge du salariat dans un texte très intéressante http://www.uberisation.org/fr/portfolio/les-4-formes-de-la-fuite-salariale-lub%C3%A9risation-en-t%C3%AAte dont voici un extrait : « La généralisation du salariat a fait notamment reculer tout le travail à façon ou à la tâche, permettant d’adosser des droits à des formes archaïques de relation de travail, sous rémunérées, sous organisées et sous assurées. Il a permis aussi de faire reculer le poids des emplois non rémunérés, dans les exploitations agricoles ou dans le commerce notamment, beaucoup de femmes assurant alors des tâches essentielles sans statut particulier et sans droit à la retraite. Il a enfin permis de monétiser une partie des tâches domestiques, en les externalisant. Un des principaux ressorts de la croissance d’après-guerre est précisément d’avoir fait sortir tout un pan du travail de la zone noire ou grise du gré à gré informel, de l’avoir inséré dans le circuit économique, élargissant considérablement la base des débouchés. ».

L’horizon ultra-libéral – l’ égalité dans la précarité

En écoutant M. Landier, on se dit que ces économistes qui n’ont jamais travaillé dans une entreprise  ignorent comment elle fonctionne, et que le seul avenir qu’ils proposent c’est plus d’égalité, oui, mais une égalité dans la précarité et  la déqualification, bref l’inverse de ce qu’il faut faire, une société de la connaissance et une industrie de haut de gamme. II a cependant rappelé une donnée intéressante : le chômage parmi les jeunes est réparti très inégalitairement et frappe peu les diplômés et très massivement les non-diplômés ; et ceux-là ne sont pas non plus employés, ni employables par des sociétés comme Uber. L’Uberisation n’est pas une solution au chômage ; celui-ci provient bien davantage de l’échec du système éducatif  français et de l’apprentissage. En passant, les chiffres du chômage des jeunes font l’objet de manipulations récurrentes pour culpabiliser les salariés et les amener à consentir aux sacrifices qu’on veut leur imposer, « pour les jeunes » ; en effet, il ne tient compte que des jeunes qui ne poursuivent pas d’études, donc des non-diplômés.
Autre remarque : nouvelles technologies, informatique, robotisation… Il y a vingt ans, la première réaction aurait été : « super, on va pouvoir réduire le temps de travail ». Aujourd’hui, c’est « au secours, mon emploi est menacé ». Comme dirait Houellebecq, quelque chose a mal tourné ! On aimerait savoir quoi, et cela n’a pas été discuté : explosion des inégalités, confiscation des gains de productivité par une petite minorité, financiarisation de l’économie au détriment des entreprises ?

Réalités et mythes des emplois pseudo-indépendants

Philippe Askenazy a contesté l’augmentation des emplois non salariés type Uber, en notant qu’on n’observait pas une telle montée aux USA, où l’économie est repartie et le chômage quasiment réduit à un niveau minimum. Pour lui, le développement de ce type d’emploi prétendument indépendants est lié à la crise et au chômage important dans certains pays européens, dont la France, et non à une véritable mutation ou appétence. Il souligne également que les contrats de travail et la manière dont ils sont qualifiés dépendent de la législation de chaque pays et particulièrement de la notion de subordination, liée au contrat de travail ; dans certains pays, la subordination réelle (un seul donneur d’ordre, pas de possibilité réelle de s’organiser et de refuser des contrats…) des contrats type Uber fait qu’il sont considérés comme des emplois salariés, dans d’autres non. Le nombre de contrats type Uber dépend donc d’un biais législatif important. Il rappelle également que ces emplois pseudo indépendants répondent aussi à une demande d’un certain patronat, à une certaine idéologie qui verrait bien l’abolition du patronat ; en l’absence de patrons, pas de responsabilités patronales (seulement des redevances) et en l’absence de salariés, pas de revendications salariales. L’évaporation du patronat, un vrai rêve ultra –libéral ? ?
Par ailleurs, l’attrition de la base salariale réduit la capacité correctrice de la fiscalité et de la protection sociale, les plaçant dans une impasse financière. Les emplois uber ne contribuent pas à la sécurité sociale, ils la tuent ; ils ne contribuent pas justement à la fiscalité et profitent pourtant des infrastructures et de l’organisation même de la société.  Ces formes de travail pseudo-indépendantes ou collaboratives créent d’importantes fuites dans le circuit économique, et une grande opacité dans le repérage de la création de valeur (Olivier Passet). La pérennité de notre système d’assurances sociales, maladies, chômage etc. se trouvent fortement menacée, et souligne, Philippe Askenazy, il ne faut pas s’étonner que le lobby des assurances privées pousse très fortement au développement de ces emplois faussement indépendants et défend un cadre législatif et fiscal qui leur est mutuellement favorables.
Monique Dagnaud, sociologue et Membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel de 1991 à 1999, spécialiste de la teuf, a  mené une enquête d’où ressortait l’immense bonheur de ces jeunes souvent très diplômés de créer leur propre emploi non salariés, patron de leur propres start-ups (éventuellement plusieurs) et multi-consultants dans diverses structures. C’est à se demander si elle n’a pas abusé de certaines substances trop répandues dans les teufs et si elle n’a pas confondu discours d’autojustification ou de réassurance avec la réalité  ;  car enfin il me semble que pour beaucoup il s’agit d’un pis aller et qu’ils auraient préféré un recrutement dans les services de recherche d’une grande entreprise, qui leur aurait permis de s’épanouir dans leur activité au lieu de rechercher éperdument des financements, et qui aurait également mieux profité au développement d’une société de la connaissance, dont on parle beaucoup, et qui s’éloigne de plus en plus.

Qu’est-ce qu’une entreprise ?


Il est aussi assez étrange qu’une sociologue ne se pose pas davantage la question de la caractérisation d’une entreprise. Remontant au fondateur de la discipline, Auguste Comte, on pourrait s’étonner de ces sociologues qui « exagèrent beaucoup l’importance de l’individu et traitent avec moquerie les êtres collectifs comme représentant rien de réel ». D’un point de vue positiviste, on pourrait caractériser une entreprise comme un être collectif dont le but est de réaliser la meilleure, la plus efficace conciliation possible entre deux tendances toujours croissantes et complémentaires du travail, la spécialisation des fonctions et la coordination des efforts ; de favoriser une coopération étendue des individus. Alors se pose la question : le travail pseudo-indépendant à la uber peut-il accomplir ces fonctions mieux que l’entreprise et le salariat ? Je ne crois pas.


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