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jeudi 1 décembre 2016

Les margoulins des cellules souches

Les cellules souches : des promesses tenues, beaucoup encore à venir

Dans un blog récent, j’expliquais comment les autorités américaines avaient été amenées à approuver un médicament inefficace, le Sarepta, dans la myopathie de Duchenne sous la pression de malades désespérés bien manipulés par des margoulins. Un schéma analogue, mais d’une autre ampleur, concerne les cellules souches, marigot où s’agitent pas mal de crocodiles intéressés.

Des cellules souches sont des cellules peu différenciées capables de se transformer en certains (cellules souches pluripotentes) ou  en tous (cellules souches totipotentes) types de tissus. C’est le cas de cellules embryonnaires, mais il existe dans de nombreux tissus des cellules souches adultes – les plus anciennement connues sont les  cellules souches hématopoïétiques, issues de la moelle osseuse, capables de se différencier dans toutes les cellules du sang. Ainsi, la greffe de moelle pour soigner les leucémies est-elle la première thérapie cellulaire utilisant les cellules souches, pratiquée depuis les années 1970. De même, les cellules souches cutanées sont utilisées depuis les années 80 pour reconstituer les différentes couches de l’épiderme et greffer les grands brûlés. En ce sens, la thérapie cellulaire par cellule souche est une technique bien validée.

L’utilisation de cellules embryonnaires, et surtout les nombreuses découvertes de cellules souches adultes qui se sont succédé, et bien plus encore la découverte qu’il est possible de prendre de nombreuses cellules adultes ( par exemple de l’épiderme) pour les transformer en cellules souches par une manipulation génétique assez simple et universelle (cellules IPS, ou pluripotentes induites) découverte qui a valu le Prix Nobel de médecine 2012 à  Shinya Yamanaka, ont provoqué une explosion des espoirs en cette technique. Ainsi, des publications suggèrent qu’il est possible de régénérer des cellules cardiaques après un infarctus, des neurones après un AVC,  de guérir la dégénérescence maculaire par des cellules souches embryonnaires humaines  différenciées en cellules de cornées, entre autres. Des espoirs se font également jour dans nombre de maladies neurodégénératives.

Espoirs oui, mais le chemin risque d’être long. Ainsi, souvent, il ne suffit d’injecter des cellules pour qu’elles s’implantent, il semble parfois qu’il faille d’abord les organiser en micro-tissus. Les résultats sont parfois difficiles à reproduire. L’utilisation de cellules souches n’est pas dénuée de dangers potentiels : problèmes de rejet si elles proviennent d’un donneur, problème de croissance tumorale si elles sont induites, etc… L’interprétation des résultats est souvent délicate ; ainsi, dans le cas du traitement des séquelles d’AVC,  la greffe ne semble pas agir directement (les cellules injectées disparaissent), mais par la sécrétion de diverses substances.

Alors je crois qu’il faut appeler les chercheurs à l’autodiscipline et à la modération, à la précaution, à la responsabilité ; même si c’est difficile, à l’understatement de leurs résultats plutôt qu’à la proclamation ronflante ; car ils doivent savoir que nombreux sont les margoulins et escrocs des cellules souches qui n’hésiteront pas utiliser leurs publications aux dépends de patients désespérés.

Le marigot et les crocodiles des cellules souches

Le Monde (14/11/2016) a consacré un article à ce sujet (Cellules souches, gare aux faux traitements). Ainsi les patients atteints de sclérose latérale amyotrophique (SLA), maladie résultant de la dégénérescence des neurones ­moteurs, qui évolue vers la mort en quelques années, face à une médecine qui reste impuissante, sont sollicités par des cliniques privées ou des médecins leur proposant des « traitements miracles » à base de cellules souches. « Les patients sont prêts à rentrer dans n’importe quel protocole ou dans n’importe quelle étude clinique, plutôt que de rester dans la passivité, quitte à outrepasser les ­règles de la recherche clinique », témoigne Jean-Paul Janssens (Genève), qui s’efforce de les alerter sur le ­caractère ­illégal des traitements à base de cellules souches, dont ni l’efficacité ni l’innocuité n’ont été testées chez l’homme ». Jean-Paul Janssens se souvient de l’un d’eux qui, il y a quelques années, a cédé à l’offre d’une clinique basée à Tel-Aviv, en Israël. Le traitement lui a coûté 35 000 francs suisses (32 460 euros). Il était prévu que ses cellules soient prélevées dans une clinique en Suisse romande avant d’être envoyées en Israël pour y être isolées, traitées et réinjectées, sans succès.

Toujours dans Le Monde,  Leigh Turner, de l’Université du Minnesota constate : « Autour de 2008, on a vu apparaître des cliniques dans des pays où les régulations sont inexistantes ou peu appliquées en raison de la corruption, tels que la Chine, l’Inde, le Mexique ou les Caraïbes. Ce constat aujourd’hui n’est plus valable, les cliniques se développent aussi dans les pays industrialisés où les réglementations sont strictes, tels que l’Australie, le Japon, la Suisse, la Floride ou la Californie. ». Ainsi l’autorité suisse Swiss Medic  s’est intéressé aux activités de deux sociétés, Med Cell Europe et Swiss Medica (dont le nom cherche évidemment à provoquer la confusion avec l’agence suisse de régulation, elle- même !). Elles prétendent soigner plus de vingt maladies incluant la Sclérose amyotrophique latérale, la sclérose en plaques, le Parkinson, le diabète, l’infarctus…citant sur leurs sites des dizaines de publication à l’appui de leurs prétentions. Swiss Medic a mis fin à leurs activités … en Suisse, car Swiss Medica continue à recruter des patients en Suisse pour les envoyer dans des cliniques en Russie et en Serbie.
 En Allemagne, Villa Medica prétend soigner à l’aide de cellules fraiches prélevées sur des embryons de moutons. En Italie, pendant des années, la fondation Stamina a « soigné » des patients souffrant de maladies neurodégénératives par des injections extraites de cellules souches – un «traitement de compassion», sans fondement scientifique ; mais Stamina a su mobiliser l’opinion et les pouvoirs publics et a même reçu des fonds publics en faveur de ses affaires. ”. L‘ “inventeur” de la méthode Stamina, Davide Vannoni, est aujourd’hui accusé par la justice italienne de fraude, d’association de malfaiteurs et d’usurpation du titre de médecin.

Les margoulins à l’œuvre

Une anecdote illustre bien les méthodes de ces margoulins : le Prix Nobel de médecine 2013 Jacky Shekman a appris que les lobby pro-Stamina l’avaient cité comme un de leurs soutiens en raison d’un article critiquant la Revue Nature, ; indigné, ; il a répondu en ces termes virulents : “Mes critiques à l’encontre de Nature ont été dénaturées (…), elles ne se référaient pas à la méthode Stamina. Nous (scientifiques), nous appelons charlatans ou vendeurs d’huile de serpent ceux qui vendent des médicaments dont l’efficacité n’a pas été attestée par un laboratoire.... D’après ce que je sais, la méthode Stamina n’a reçu aucune validation scientifique, elle n’a pas été soumise à des contrôles cliniques. Ceux qui promeuvent des thérapies miraculeuses sans les tester agissent de manière criminelle en exploitant des familles vulnérables qui sont désespérément en recherche de traitement pour leurs proches. »
L’activité de ces cliniques exploitant la détresse des patines commence à prendre une telle importance qu‘elles s’organisent en lobby défendant leurs intérêts, mettant en cause les agences officielles qui les traquent. Elles s’appuient sur des discours libertariens  et démagogiques, expliquant par exemple que la réglementation de la FDA fait plus de mal que de bien, que ses règles entrainent des coûts qui entravent l’innovation, qu’elles retardent l’arrivée des innovations, que les patients devraient être libres de décider part eux-mêmes s’ils veulent essayer tels ou tels traitements, comme si, dans un  état grave, ils étaient libres, lucides et compétents pour distinguer l’escroquerie de l’étude scientifique. Et, manipulant les associations de patients désespérés, leur lobby trouve un écho inquiétant ; en Corée, au Japon, aux USA, des projets de loi visent à rompre le cadre réglementaire d’évaluation des médicaments mis en place dans tous les pays industrialisés depuis plus de  cinquante ans et à permettre la commercialisation de traitement à bases de cellules souches sur la base de données préliminaires, sans qu’elles ait fait la preuve de leur efficacité et de leur innocuité selon les bonnes pratiques en vigueur. De bons profits pour les margoulins, le retour aux marchands d’orviétans et de thériaque !


Il en va de la responsabilité et de l’honneur des scientifiques de mettre en échec les tentatives de déstabilisation et de contournement des instances règlementaires, de dénoncer les profiteurs du malheur, et les escrocs qui exploitent criminellement les espoirs des cellule souches, de veiller à ce que leurs publications et déclarations ne soient pas détournées et exploitées par les charlatans, et, le cas échéant, de le dénoncer publiquement comme l’a fait le Dr Shekman, et, au besoin, soutenus par leurs institutions, d’agir par voie judiciaire. Il leur appartient aussi d’être plus prudent dans leurs publications. Il leur appartient de soutenir les efforts des agences pour interdire ces pratiques. Faute de cela, la crédibilité dans la médecine et la recherche thérapeutique sera encore plus gravement atteinte et le progrès impossible, car plus personne ne pourra faire la différence entre une étude clinique menée selon les règles de la science et de l’éthique et la charlatanerie pure et simple.




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