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lundi 14 août 2017

Taine _ La Révolution- La conquête jacobine_58_ l’action des Jacobins en province (la Provence)

Une des forces de Taine, c’est le nombre et l’intérêt  des témoignages et des illustrations concrètes dont il illustre son texte. L’établissement de la dictature jacobine à Marseille. Comment les Jacobins prennent le contrôle de Marseille en expulsant la municipalité modéré élue ( Lieutaud). Rôle de Barbaroux. Comment ils prennent le contrôle d’Aix et du département. Comment Arles tente de résister.

Comment les Jacobins prennent en toute illégalité le pouvoir à Marseille – le maire élu, Lieutaud, expulsé

Dans une telle ville, (Marseille) le règne de la populace s’est établi plus tôt qu’ailleurs. — Après mainte explosion, il s’est fondé, le 17 août 1790, par la destitution de M. Lieutaud, sorte de La Fayette bourgeois et modéré, qui commandait la garde nationale. Autour de lui se ralliait la majorité de la population, tous les hommes « honnêtes ou non qui avaient quelque chose à perdre »  . Lui chassé, puis proscrit, puis emprisonné, ils s’abandonnent, et Marseille appartient à la plèbe, quarante mille indigents et aventuriers que conduit le club.
Pour mieux leur assurer l’empire, un mois après l’expulsion de M. Lieutaud, la municipalité a déclaré actif tout citoyen ayant une profession ou un métier  . En conséquence, au mépris de la loi constitutionnelle, les va-nu-pieds viennent aux assemblées de section. Par contre-coup les propriétaires ou négociants s’en retirent, et ils font sagement ; car le mécanisme ordinaire de la démagogie n’a pas tardé à opérer. « L’assemblée de chaque section est composée d’une douzaine de factieux, membres du club, qui chassent les honnêtes gens en leur présentant des bâtons et des baïonnettes. Les délibérations se préparent au club de concert avec la municipalité, et malheur à qui ne les accepterait pas dans ces assemblées ! On a été jusqu’à menacer quelques citoyens, qui voulaient faire des observations, de les enterrer sur-le-champ dans les caveaux des églises  . » L’argument s’est trouvé irrésistible : « à présent, la classe la plus honnête et la plus nombreuse est si effrayée, si timide », que pas un des opprimés n’osera paraître aux assemblées, si elles ne sont protégées par une force publique. « Plus de quatre-vingt mille habitants ne dorment pas tranquilles », et tous les droits politiques sont pour « cinq ou six cents individus » à qui la loi les a refusés. Derrière eux marche la « canaille armée », la horde de brigands sans patrie  , toujours prête à piller, à égorger et à pendre. Devant eux marchent les autorités locales, qui, élues par leur influence, administrent sous leur direction. Patrons et clients, membres et satellites du club, ils forment une ligue qui se conduit à la façon d’un Etat souverain, et reconnaît à peine en paroles l’autorité du gouvernement central  .
 Elle dénonce comme « plébéicide » le décret par lequel l’Assemblée nationale a donné pleins pouvoirs aux commissaires pour rétablir l’ordre ; elle qualifie de « dictateurs » ces modérateurs si consciencieux et si réservés ; elle les dénonce par lettres circulaires à toutes les municipalités du département et à toutes les sociétés jacobines du royaume  . On agite au club la motion de venir à Aix couper leurs têtes, qui seront mises dans une malle et expédiées à Paris au président de l’Assemblée nationale, avec menace du même châtiment pour lui et pour tous les députés, s’ils ne révoquent pas leur récent décret. Quelques jours après, quatre sections dressent acte, par-devant notaire, de la délibération qu’elles ont prise à l’effet d’envoyer à Aix une armée de six mille Marseillais pour se défaire des trois intrus. Impossible aux commissaires d’entrer à Marseille : on leur y a « préparé des potences, et leurs têtes y sont mises à prix ». C’est tout au plus s’ils peuvent arracher des mains de la faction M. Lieutaud et ses amis qui, accusés de lèse-nation, détenus sans l’ombre d’une preuve  , traités comme des chiens enragés, enchaînés, enfermés dans des latrines, réduits, faute d’eau, à boire leur urine, poussés par le désespoir jusqu’au bord du suicide, ont failli vingt fois être égorgés au tribunal et dans leur prison  . Devant le décret de l’Assemblée nationale qui ordonne leur élargissement, la municipalité réclame, atermoie, résiste, et, à la fin, ameute ses suppôts ordinaires. Au moment où les prisonniers vont sortir, une multitude de gens armés, « sans uniforme et sans chef », incessamment « grossie d’hommes sans aveu et d’étrangers », s’attroupe sur les hauteurs qui dominent le Palais et apprête ses fusils pour tirer sur M. Lieutaud. Sommée de proclamer la loi martiale, la municipalité s’y refuse : elle déclare que « la haine publique est trop manifestée contre les accusés »..


Le régiment suisse, qui a contraint les magistrats à ne pas violer la loi, portera la peine de son insolence, et, comme on n’a pu le débaucher, on se décide à l’expulser. Pendant quatre mois, la municipalité multiplie contre lui les vexations de toute espèce et, le 16 octobre 1791, les Jacobins engagent, au théâtre, une rixe contre ses officiers. Dans la même nuit, hors du théâtre, quatre d’entre eux sont assaillis par des bandes armées ; le poste où ils se réfugient manque d’être pris d’assaut ; on les mène en prison pour leur sûreté : au bout de cinq jours, ils y sont encore détenus, « quoique leur innocence soit reconnue ». Cependant, pour assurer « la tranquillité publique », la municipalité a requis le commandant du port de remplacer à l’instant les Suisses par des gardes nationaux dans tous les postes ; celui-ci cède à la force, et le régiment, inutile, insulté, menacé, n’a plus qu’à déguerpir  . — Cela fait, la nouvelle municipalité, encore plus jacobine que la précédente  , détache Marseille de la France, érige la cité en république militaire et pillarde, fait des expéditions, lève des contributions, conclut des alliances et entreprend à main armée la conquête du département.

Comment les jacobins marseillais prennent le contrôle d’Aix et du département par de véritables expéditions militaires

Le 4 février 1792, la municipalité envoie Barbaroux, son secrétaire, à Paris, pour y pallier les attentats qu’elle prépare. Dans la nuit du 25 au 26, la générale bat, et trois ou quatre mille Marseillais, avec six pièces de canon, marchent sur Aix. Par précaution, ils feignent de n’avoir point de chefs, ni commandant, ni capitaines, ni lieutenants, ni même caporaux ; à les entendre, tous sont égaux, volontaires, requis par eux-mêmes : de cette façon, tous étant responsables, aucun ne l’est  . À onze heures du matin ils arrivent devant Aix, trouvent une porte ouverte par leurs affiliés de la populace et du faubourg, somment la municipalité de leur livrer tous les corps de garde. En même temps leurs émissaires ont annoncé dans les communes voisines que la ville est menacée par le régiment suisse : en conséquence quatre cents hommes d’Aubagne arrivent en toute hâte ; d’heure en heure, on voit affluer les gardes nationales des villages environnants ; les rues s’emplissent de gens armés, des vociférations s’élèvent, le tumulte croît, et, dans la panique universelle, la municipalité perd la tête. Elle s’effraye d’un combat nocturne « entre la troupe de ligne, les citoyens, les gardes nationales et les étrangers armés, où personne ne pourra se reconnaître ni savoir qui est son ennemi ». Elle renvoie un corps de trois cent cinquante Suisses que le directoire faisait marcher pour la secourir ; elle consigne le régiment dans ses quartiers. – Là-dessus, le directoire s’enfuit ; tous les corps de garde militaires sont désarmés, et les Marseillais, poussant leurs avantages, viennent, à deux heures du matin, avertir la municipalité que, « soit qu’elle le permette, soit qu’elle ne le permette pas », ils vont sur-le-champ attaquer les casernes…
Dès lors il n’y a plus d’autorité au chef-lieu, ou plutôt l’autorité y a changé de mains. À la place du directoire fugitif, on en installe un autre, plus maniable. Des trente-six administrateurs qui formaient le conseil, douze seulement se sont présentés pour faire l’élection. Des neuf élus, six seulement consentent à siéger ; souvent même, aux séances, il ne s’en trouve que trois, et ces trois, pour se recruter des collègues, sont obligés de les payer  . – Aussi bien, quoique leur place soit la première du département, ils sont plus maltraités et plus malheureux que leurs garçons de salle. Assis à leurs côtés, des délégués du club, des officiers municipaux de Marseille les font taire, parlent, et leur dictent leurs délibérations  . « Nous avons les bras liés, écrit l’un deux, nous sommes entièrement asservis sous le joug de ces intrus. » - « Nous avons vu deux fois consécutives plus de trois cents hommes, dont plusieurs ayant des fusils avec des baïonnettes, s’introduire dans la salle et nous menacer de la mort si nous leur refusions ce qu’ils nous demandaient….

Aux observations du ministre, ils répondent avec la dernière insolence  , ils s’applaudissent de leur coup de main, ils en préparent un autre, et leur marche sur Aix n’est que la première étape de la campagne longuement méditée par laquelle ils vont s’emparer d’Arles.
NB :Letter au ministre : « Le conseil de l’administration est surpris, monsieur, des fausses impressions qu’on a pu vous donner sur la ville de Marseille : on doit la regarder comme le bouclier du patriotisme dans le département... Si, à Paris, le peuple n’a pas attendu des ordres pour détruire la Bastille et commencer la révolution, doit-on être étonné que, sous ce climat brûlant, l’impatience des bons citoyens leur fasse devancer les ordres légaux et qu’ils ne puissent s’assujettir aux formes lentes de la justice, quand il est question de leur sûreté personnelle et de sauver la patrie ?

Arles tente en vain de résister aux jacobins marseillais


En effet, il n’y a pas de cité qui leur soit plus odieuse qu’Arles. – Pendant deux ans, conduite ou poussée par M. d’Antonelle son maire, elle a marché avec eux ou a été à leur suite. À plusieurs reprises, Antonelle, ultra-révolutionnaire, est allé, de sa personne, encourager les bandits d’Avignon ; pour leur fournir des canons et des munitions, il a dégarni la tour Saint-Louis de son artillerie, au risque de livrer l’embouchure du Rhône aux corsaires barbaresques  . De concert avec ses alliés du Comtat, avec le club de Marseille, avec ses suppôts des bourgades voisines, il domine dans Arles « par la terreur », et 300 hommes du quartier de la Monnaie, artisans ou mariniers, gens aux bras forts et aux mains rudes, lui servent de satellites. Le 6 juin 1791, de leur autorité privée, ils ont chassé des prêtres insermentés qui s’étaient réfugiés dans la ville  . — Mais, là-dessus, « les propriétaires et les honnêtes gens », beaucoup plus nombreux et indignés depuis longtemps, ont relevé la tête : 1 200 d’entre eux se sont réunis dans l’église Saint-Honorat, « ont prêté serment de maintenir la Constitution et la tranquillité publique   », et se sont portés au club. Conformément aux propres statuts du club, ils s’y sont fait recevoir en masse, en qualité de gardes nationaux et de citoyens actifs. En même temps, d’accord avec la municipalité, ils ont refondu la garde nationale et recomposé les compagnies : ce qui a dissous le corps des Monnaidiers et retiré à la faction toute sa force. — Dès lors, sans aucune illégalité ni violence, la majorité au club et dans la garde nationale s’est composée de constitutionnels monarchistes, et les élections de novembre 1791 ont donné aux partisans de l’ordre presque toutes les places administratives de la commune et du district. Un homme énergique, M. Loys, médecin, a été élu maire à la place de M. d’Antonelle, et on le sait capable de marcher contre l’émeute, « tenant la loi martiale d’une main et son sabre de l’autre ». C’en est trop, et il faut maintenant que Marseille vienne subjuguer Arles, « pour réparer la honte de l’avoir fondée   ». Dans ce pays de vieilles cités, l’hostilité politique s’envenime de haines municipales, semblables à celles de Thèbes contre Platée, de Rome contre Veïes, de Florence contre Pise, et les guelfes de Marseille ne songent plus qu’à écraser les gibelins d’Arles. – Déjà, dans l’assemblée électorale de novembre 1791, M. d’Antonelle, président, a fait inviter toutes les communes du département à prendre les armes contre la cité antijacobine


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