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dimanche 20 août 2017

Taine _ La Révolution- Le Gouvernement révolutionnaire_97_ La convention sous la Terreur

La Convention sous la Terreur ; une sorte de vivier où la nasse révolutionnaire plonge. La lacheté du Maris. Les épurations : quoi de plus sublime qu’une assemblée qui se purge elle-même ?. Tout le monde est coupable  dans la Convention

La Convention sous la Terreur

Aux Tuileries, dans la grande salle de théâtre convertie en salle de séances, trône la Convention omnipotente : tous les jours en superbe appareil, elle délibère ; ses décrets, accueillis par une obéissance aveugle épouvantent la France et bouleversent l’Europe. De loin, sa majesté est formidable, plus auguste que celle du Sénat républicain à Rome. De près, c’est autre chose : ces souverains incontestés sont des serfs qui vivent dans les transes, et à juste titre : car nulle part, même en prison, on n’est plus contraint et moins en sûreté que sur leurs bancs. – A partir de juin 1793, leur enceinte inviolable, le grand réservoir officiel d’où découle toute autorité légale, est devenue une sorte de vivier où la nasse révolutionnaire plonge à coup sûr et coup sur coup, pour ramasser des poissons de choix, un à un ou par douzaines, quelquefois en gros tas, d’abord les soixante-sept députés girondins exécutés ou proscrits, puis les soixante-treize membres du côté droit raflés en un jour et déposés à la Force, ensuite des Jacobins marquants, Osselin arrêté le 19 brumaire, Basire, Chabot et Delaunay décrétés d’accusation le 24 brumaire, Fabre d’Églantine arrêté le 24 nivôse, Bernard guillotiné le 3 pluviôse, Anacharsis Clootz guillotiné le 4 germinal, Hérault de Séchelles, Lacroix, Philippeaux, Camille Desmoulins, Danton guillotinés, avec quatre autres, le 10 germinal ; Simond guillotiné le 24 germinal, Osselin guillotiné le 28 messidor. – Naturellement les demeurants sont avertis et prennent garde. À l’ouverture de la séance on les voit entrer dans la salle, l’air inquiet, « pleins de défiance   », comme des animaux qu’on pousse clans un enclos et qui soupçonnent un piège. « Chacun d’eux, écrit un témoin, observait ses démarches et ses paroles, de crainte qu’on ne lui en fit un crime : en effet, rien n’était indifférent, la place où l’on s’asseyait, un regard, un geste, un murmure, un sourire. » C’est pourquoi, et d’instinct, le troupeau se porte du côté qui semble le mieux abrité, vers la gauche. « Tout refluait vers le sommet de la Montagne ; le côté droit était désert.... Plusieurs ne prenaient pied nulle part, et pendant la séance changeaient souvent de place, croyant ainsi tromper l’espion et, en se donnant une couleur mixte, ne se mettre mal avec personne. Les plus prudents ne s’asseyaient jamais ; ils restaient hors des bancs, au pied de la tribune, et dans les occasions éclatantes ils se glissaient furtivement hors de la salle. »..
La plupart se réfugient dans leurs comités ; chacun tâche de se faire oublier, d’être obscur, nul, absent  . Pendant les quatre mois qui suivent le 2 juin, la salle de la Convention est à moitié ou aux trois quarts vide ; l’élection du président ne réunit pas deux cent cinquante votants   ; il ne se trouve que deux cents voix, cent voix, cinquante voix pour nommer le Comité de Salut public et le Comité de Sûreté générale ; il n’y a qu’une cinquantaine de voix pour nommer les juges du Tribunal révolutionnaire ; il y a moins de dix voix pour nommer leurs suppléants   ; il n’y a point de voix du tout pour adopter le décret d’accusation contre le député Dulaure   : « Aucun membre ne se lève ni pour ni contre ; il n’y a pas de vote » : néanmoins le président prononce que le décret est rendu, et « le Marais laisse faire ». – « Crapauds du Marais », on les appelait ainsi avant le 2 juin, lorsque, dans les bas-fonds du centre, ils « coassaient » contre la Montagne ; maintenant ils sont encore quatre cent cinquante, trois fois plus nombreux que les Montagnards ; mais, de parti pris, ils se taisent ; leur ancien nom « les rend, pour ainsi dire, moites ; leurs oreilles retentissent de menaces éternelles, leurs cœurs sont maigris de terreur   », et leurs langues, paralysées par l’habitude du silence, restent collées à leurs palais. Ils ont beau s’effacer, consentir à tout, ne demander pour eux que la vie sauve, livrer le reste, leur vote, leur volonté, leur conscience : ils sentent que cette vie ne tient qu’à un fil. Le plus muet d’entre eux, Siéyès, dénoncé aux Jacobins, échappe tout juste, et par la protection de son cordonnier qui se lève et dit : « Ce Siéyès, je le connais, il ne s’occupe pas du tout de politique, il est toujours dans ses livres ; c’est moi qui le chausse et j’en réponds…

David : Resterons-nous vingt de la Montagne ?

Seuls les Montagnards parlent, et toujours d’après la consigne. Si Legendre, l’admirateur, le disciple, le confident intime de Danton, ose une fois intervenir à propos du décret qui envoie son ami à l’échafaud, et demander qu’au préalable Danton soit entendu, c’est pour se rétracter séance tenante ; le soir même, pour plus de sûreté, « il roule dans la boue   », déclare aux Jacobins « qu’il s’en rapporte au jugement du Tribunal révolutionnaire », et jure de dénoncer « quiconque voudrait entraver l’exécution du décret   ». Robespierre ne lui a-t-il pas fait la leçon, et de son ton le plus rogue ? Quoi de plus beau, a dit le grand moraliste, quoi de plus sublime qu’une assemblée qui se purge elle-même   ! – Ainsi, non seulement le filet qui a déjà ramené tant de proies palpitantes n’est point rompu, ou élargi, ou remisé, mais à présent il pêche à gauche aussi bien qu’à droite, et de préférence sur les plus hauts bancs de la Montagne  . Bien mieux, par la loi du 22 prairial, ses mailles sont resserrées et son envergure est accrue ; avec un engin si perfectionné, on ne peut manquer de pêcher le vivier jusqu’à épuisement. Quelque temps avant le 9 thermidor, David, un des fidèles de Robespierre, disait lui-même : « Resterons-nous vingt de la Montagne ? » Vers le même temps, Legendre, Thuriot, Léonard Bourdon, Tallien, Bourdon de l’Oise, d’autres encore, ont chacun, et toute la journée, un espion à leurs trousses : trente députés vont être proscrits, et l’on se dit leurs noms à l’oreille ; là-dessus, soixante découchent, persuadés que le lendemain matin on viendra chez eux les empoigner dans leurs lits  .A ce régime prolongé pendant tant de mois, les âmes s’affaissent et se dégradent…
Pendant quatorze mois, les députations des sociétés populaires viennent réciter à la barre leurs tirades extravagantes ou plates, et la Convention est tenue d’applaudir. Pendant neuf mois  , des rimeurs de carrefour et des polissons de café viennent en pleine séance chanter des couplets de circonstance, et la Convention est tenue de faire chorus. Pendant six semaines  , les profanateurs d’églises viennent étaler dans la salle leurs bouffonneries de bastringue, et la Convention est tenue, non seulement de les subir, mais encore d’y jouer un rôle. – Jamais dans la Rome impériale, même sous Néron et Héliogabale, un sénat n’est descendu si bas

Jamais dans la Rome impériale, même sous Néron et Héliogabale, un sénat n’est descendu si bas

Regardez une de leurs parades, celle du 20, du 22 ou du 30 brumaire ; la mascarade se répète, et plusieurs fois par semaine, uniformément, presque sans variantes. — Une procession de mégères et d’escogriffes arrive aux portes de la salle ; ils sont encore « ivres de l’eau-de-vie qu’ils ont bue dans les calices, après avoir mangé des maquereaux grillés sur des patènes » ; d’ailleurs ils se sont abreuvés en route. « Montés à califourchon sur des ânes qu’ils ont affublés d’une chasuble et qu’ils guident avec une étole », ils se sont arrêtés aux tabagies, tendant un ciboire ; le cabaretier, pinte en main, a versé dedans, et à chaque station ils ont lampé, coup sur coup, leurs trois rasades, en parodie de la messe, qu’ils disent ainsi dans la rue, à leur façon. — Cela fait, ils ont endossé les chapes, les chasubles, les dalmatiques, et sur deux longues lignes, le long des gradins de la Convention, ils défilent. Plusieurs portent, sur des brancards ou dans des corbeilles, les candélabres, les calices, les plats d’or et d’argent, les ostensoirs, les reliquaires ; d’autres tiennent les bannières, les croix et les autres dépouilles ecclésiastiques. Cependant « la musique sonne l’air de la Carmagnole, celui de Malborough s’en va-t-en guerre.... À l’instant où le dais entre, elle joue l’air Ah ! le bel oiseau ; » subitement, tous les masques jettent bas leur déguisement : mitres, étoles, chasubles sautent en l’air, et « laissent apparaître les défenseurs de la patrie couverts de l’uniforme national   ». Risées, clameurs, enthousiasme, tapage plus fort des instruments ; la bande, qui est en train, demande à danser la Carmagnole, et la Convention y consent ; il se trouve même des députés pour descendre de leurs bancs et venir battre des entrechats avec les filles en goguette. – Pour achever, la Convention décrète qu’elle assistera le soir à la fête de la Raison, et, de fait, elle s’y rend en corps. Derrière l’actrice en jupon court et en bonnet rouge qui figure la Liberté ou la Raison, les députés marchent, eux aussi en bonnet rouge, riant et chantant, jusqu’au nouveau temple ; c’est un temple de planches et de carton qu’on a bâti dans le chœur de Notre-Dame. Ils s’asseyent au premier rang, et la Déesse, une ancienne habituée des petits soupers du prince de Soubise, avec « toutes les jolies damnées de l’Opéra », déploie devant eux ses grâces d’opéra  . On entonne « l’hymne de la Liberté », et, puisque par décret, le matin même, la Convention s’est obligée à le chanter, je puis bien supposer qu’elle le chante. Ensuite on danse ; par malheur les textes manquent pour décider si la Convention a dansé..

Tout le monde est coupable  dans la Convention


« Tout le monde est coupable ici, disait Carrier dans la Convention, jusqu’à la sonnette du président. » Ils ont beau se répéter qu’ils étaient contraints d’obéir, et sous peine de mort : au plus pur d’entre eux, s’il a encore une conscience, sa conscience réplique : « Toi aussi, malgré toi, je l’admets, moins que les autres, je le veux bien, tu as été un terroriste, c’est-à-dire un brigand et un assassin

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