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samedi 19 août 2017

Taine _ La Révolution- Le Gouvernement révolutionnaire_86_ Le Comité de Salut Public

La fin de la Gironde, l’épuration finale de la Convention, cent quarante députés éliminés sur 180 Girondins. Mort de Pétion, Barbaroux, Condorcet, M. et Mme Roland, Clavière. Le centralisme démocratique défini par Sait-Just et Couthon : théorie du gouvernement extraordinaire : c’est de la centralité que doivent partir toutes les impulsions. Les trois pôles du gouvernement montagnard : Comité de Salut Public, Comité de Sûreté générale, Tribunal révolutionnaire.

N.B. : les bons livres sur la Révolution, tels les Contes et Récit de mon enfance faisaient pleurer sur le sort de Pétion, Buzot, Barbaroux, le couple Roland..En a-t-on encore envie après avoir lu Taine  ?( relire les épisodes précédents !)

La fin de la Gironde : cent quarante députés éliminés sur 180

Ce n’est pas pour épargner à Paris les chefs de l’insurrection ou du parti, députés, généraux ou ministres ; au contraire, il importe d’achever l’assujettissement de la Convention, d’étouffer les murmures du côté droit, d’imposer silence à Ducos, à Boyer-Fonfrède, à Vernier, à Couhey, qui parlent et protestent encore  . C’est pourquoi, chaque semaine, des décrets d’arrestation ou de mort lancés du haut de la Montagne, frappent dans la majorité, comme des coups de fusil tirés sur une foule. Décrets d’arrestation, le 15 juin, contre Duchâtel, le 17 contre Barbaroux, le 23 contre Brissot, le 8 juillet contre Devérité et Condorcet, le 14 contre Lauze-Deperret et Fauchet, le 30 contre Duprat jeune, Vallée et Mainvielle, le 2 août contre Rouyer, Brunel et Carra ; Carra, Lauze-Deperret et Fauchet, présents aux séances, sont empoignés sur place ; c’est un avertissement sensible et physique : il n’en est point de plus efficace pour mater les insoumis. – Décrets d’accusation, le 18 juillet, contre Coustard, le 28 juillet contre Gensonné, La Source, Vergniaud, Mollevaut, Gardien, Grangeneuve, Fauchet, Boilleau, Valazé, Cussy, Meillan ; et chacun sait que le tribunal devant lequel ils doivent comparaître est la salle d’attente de la guillotine. – Décrets de condamnation, le 12 juillet, contre Birotteau, le 28 juillet contre Buzot, Barbaroux, Gorsas, Lanjuinais, Salle, Louvet, Bergoeing, Pétion, Guadet, Chasset, Chambon, Lidon, Valady, Defermon, Kervelegan, Larivière, Rabaut-Saint-Étienne et Lesage ; déclarés traîtres et mis hors la loi, on les mènera sans jugement à l’échafaud.
Enfin, le 3 octobre, un grand coup de filet saisit sur leurs bancs, dans l’Assemblée même, tous ceux qui paraissent encore capables de quelque indépendance : au préalable, le rapporteur du Comité de sûreté générale, Amar, a fait fermer les portes de la salle   ; puis, après un factum déclamatoire et calomnieux qui dure deux heures, il lit deux listes de proscription : quarante-cinq députés plus ou moins marquants de la Gironde seront traduits sur-le-champ au Tribunal révolutionnaire ; soixante-treize autres, qui ont signé des protestations secrètes contre le 31 mai et le 2 juin, seront enfermés dans des maisons d’arrêt. Nulle discussion ; la majorité n’ose pas même opiner. Quelques-uns des proscrits essayent de se disculper ; mais on refuse de les entendre. Seuls les Montagnards ont la parole, et ils ne s’en servent que pour ajouter aux listes, chacun selon ses inimitiés personnelles : Levasseur y fait adjoindre Viger ; Du Roy y fait adjoindre Richou. Sur l’appel de leurs noms, tous les malheureux présents viennent docilement « se parquer dans l’enceinte de la barre, comme des agneaux destinés à la boucherie » ; et là, on les divise en deux troupes, d’un côté les soixante-treize, de l’autre côté les dix ou douze qui, avec les Girondins déjà gardés sous les verrous, fourniront le nombre sacramentel et populaire, les vingt-deux traîtres   dont le supplice est un besoin pour l’imagination jacobine ; à gauche, la fournée de la prison ; à droite, la fournée de l’échafaud.
Pour quiconque serait tenté de les imiter ou de les défendre, la façon dont on les traite est une leçon suffisante…

Mort de Roland, Mme Roland, Barbaroux, Pétion, Condorcet, Clavière, Rébecqui…

« Braves b... qui composez le tribunal, écrit Hébert, ne vous amusez donc pas à la moutarde. Faut-il donc tant de cérémonies pour raccourcir des scélérats que le peuple a déjà jugés ? » Surtout, on se garde bien de leur donner la parole ; la logique de Guadet, l’éloquence de Vergniaud pourraient tout déranger au dernier moment ; c’est pourquoi un décret subit permet au tribunal de clore les débats, quand les jurés se trouveront suffisamment éclairés. Ceux-ci le sont dès la septième audience, et l’arrêt de mort tombe à l’improviste sur les accusés, qui n’ont pu se défendre. L’un d’eux, Valazé, se poignarde, séance tenante, et le lendemain, en trente-huit minutes, le couperet national abat les vingt têtes qui restent. – Plus expéditive encore est la procédure contre les accusés qui se sont dérobés au jugement : Gorsas, saisi à Paris le 8 octobre, y est guillotiné le même jour ; Birotteau, saisi à Bordeaux le 24 octobre, monte à l’échafaud dans les vingt-quatre heures. Les autres, traqués comme des loups, errent en nomades, sous des déguisements, de cachette en cachette, et la plupart, arrêtés tour à tour, n’ont que le choix entre divers genres de mort. Chambon est tué en se défendant ; Lidon, après s’être défendu, se fait sauter la cervelle ; Condorcet s’empoisonne dans le corps de garde de Bourg-la-Reine ; Roland se perce de son épée sur une grande route ; Clavière se poignarde dans sa prison ; on trouve Rébecqui noyé dans le port de Marseille, Pétion et Buzot demi-mangés par les loups dans une lande de Saint-Émilion ; Valady est exécuté à Périgueux, Dechézeau à Rochefort, Grangeneuve, Guadet, Salle et Barbaroux à Bordeaux, Coustard, Cussy, Rabaut-Saint-Étienne, Bernard, Masuyer et Lebrun à Paris. Ceux-là mêmes qui ont donné leur démission depuis le mois de janvier 1793, Kersaint et Manuel, payent de leur vie le crime d’avoir siégé au côté droit, et, bien entendu, Mme Roland, qui passe pour le chef du parti, est guillotinée l’une des premières  .
– Des cent quatre-vingts Girondins qui conduisaient la Convention, cent quarante ont péri, ou sont en prison, ou ont fui sous un arrêt de mort. Après un tel retranchement et un pareil exemple, le demeurant des députés ne peut manquer d’être docile   ; ni dans les pouvoirs locaux, ni dans le pouvoir central, la Montagne ne rencontrera de résistance ; son despotisme est établi dans la pratique : il ne lui reste plus qu’à le proclamer dans la loi…

Le centralisme démocratique : c’est de la centralité que doivent partir toutes les impulsions

Cela s’entend, et de reste  . Le régime dont Saint-Just apporte le projet est celui par lequel une oligarchie d’envahisseurs s’installe et se maintient dans une nation subjuguée. Par ce régime, en Grèce, 10 000 Spartiates, après l’invasion dorienne, ont maîtrisé 300 000 Ilotes et Périœques. Par ce régime, en Angleterre, 60 000 Normands, après la bataille d’Hastings, ont maîtrisé deux millions de Saxons. Par ce régime, en Irlande, après la bataille de la Boyne, 200 000 Anglais protestants ont maîtrisé un million d’Irlandais catholiques. Par ce régime, les 300 000 Jacobins de France pourront maîtriser les six ou sept millions de Girondins, Feuillants, royalistes ou indifférents…
Il est très simple, et consiste à maintenir la population sujette dans l’extrême faiblesse et dans l’extrême terreur. À cet effet, on la désarme , on la tient en surveillance, on lui interdit toute action commune, on lui montre la hache toujours levée et la prison toujours ouverte, on la ruine et on la décime. — Depuis six mois, toutes ces rigueurs sont décrétées et pratiquées, désarmement des suspects, taxes sur les riches, maximum contre les commerçants, réquisitions sur les propriétaires, arrestations en masse, jugements expéditifs, arrêts de mort arbitraires, supplices étalés et multipliés.
Depuis six mois, tous les instruments d’exécution sont fabriqués et opèrent, Comité de Salut public, Comité de Sûreté générale, proconsuls ambulants munis de pouvoirs illimités, comités locaux autorisés à taxer et emprisonner qui bon leur semble, armée révolutionnaire, tribunal révolutionnaire. Mais, faute d’accord interne et d’impulsion centrale, la machine ne fonctionne qu’à demi, et son action n’est ni assez directe, ni assez universelle, ni assez forte. — « Vous êtes trop loin de tous les attentats, dit Saint-Just   ; il faut que le glaive de la loi se promène partout avec rapidité, et que votre bras soit partout présent pour arrêter le crime... Les ministres avouent qu’ils ne trouvent qu’inertie et insouciance au delà de leurs premiers et de leurs seconds subordonnés. » — « Chez tous les agents du gouvernement, ajoute Billaud-Varennes  , l’apathie est égale... « Dans le gouvernement ordinaire, dit enfin Couthon  , au peuple appartient le droit d’élire ; vous ne pouvez l’en priver. Dans le gouvernement extraordinaire, c’est de la centralité que doivent partir toutes les impulsions, c’est de la Convention que doivent venir les élections... Vous nuiriez au peuple en lui confiant le droit d’élire les fonctionnaires publics, parce que vous l’exposeriez à nommer des hommes qui le trahiraient. » — En conséquence, les maximes constitutionnelles de 1789 font place aux maximes contraires ; au lieu de soumettre le gouvernement au peuple, on soumet le peuple au gouvernement. Sous des noms révolutionnaires, la hiérarchie de l’ancien régime est rétablie, et désormais les pouvoirs, bien plus redoutables que ceux de l’ancien régime, cessent d’être délégués de bas en haut, pour être délégués de haut en bas.

Le pouvoir Montagnard : Comité de Salut Public, Comité de Sûreté générale, Tribunal révolutionnaire

Au sommet, un comité de douze membres, semblable à l’ancien Conseil du Roi, exerce la royauté collective. De nom, l’autorité est également répartie entre les douze ; de fait, elle se concentre en quelques mains. Plusieurs n’ont qu’un office subalterne, entre autres Barère, harangueur ou rédacteur toujours prêt, secrétaire ou porte-parole officiel ; d’autres, hommes spéciaux, Jeanbon-Saint-André, Lindet, surtout Prieur de la Côte-d’Or et Carnot, se cantonnent chacun dans son département spécial, marine, guerre, approvisionnements, avec un blanc-seing, en échange duquel ils livrent leur signature aux meneurs politiques. Ceux-ci, qu’on appelle « les hommes d’État », Robespierre, Couthon, Saint-Just, Billaud-Varennes, Collot d’Herbois, sont les vrais souverains et donnent la direction d’ensemble. À la vérité, leur mandat doit être renouvelé chaque mois ; mais il ne peut manquer de l’être : en l’état où est la Convention, son vote, acquis d’avance, est une formalité presque vaine. Plus soumise que le Parlement de Louis XIV, elle adopte sans discussion les décrets que le Comité de Salut public lui apporte tout faits ; elle n’est qu’une chambre d’enregistrement, moins que cela : car elle a renoncé au droit de composer elle-même ses propres comités intérieurs ; elle a chargé de ce soin le Comité de Salut public, et vote en bloc les listes de noms qu’il lui fournit  . Naturellement, il n’y a mis que ses fidèles ou ses créatures ; ainsi tout le pouvoir législatif et parlementaire lui appartient…
– Ainsi, du second pouvoir de l’État ( les ministres), le comité s’est fait une escouade de domestiques, et du premier ( la Convention), un auditoire de claqueurs.
Pour les maintenir dans le devoir, il a deux mains. – L’une, la droite, qui saisit les gens au collet et à l’improviste, est le Comité de Sûreté générale, composé des montagnards outrés, Panis, Le Bas, Geoffroy, Amar, David, Vadier, Lebon, Ruhl, La Vicomterie, tous présentés, c’est-à-dire nommés par lui, ses affidés et ses subalternes. Ils sont ses lieutenants de police, et viennent, une fois par semaine, travailler avec lui, comme jadis les Sartine, les Lenoir avec le contrôleur général. Subitement empoigné, l’homme que le conciliabule a jugé suspect, quel qu’il soit, représentant, ministre, général, se trouve, le lendemain matin, sous les verrous d’une des dix nouvelles bastilles. – Là, l’autre main le prend à la gorge : c’est le Tribunal révolutionnaire, tribunal d’exception, semblable aux commissions extraordinaires de l’ancien régime, mais bien plus terrible. Assisté de ses policiers, le Comité de Salut public a choisi lui-même les seize juges, les soixante jurés  , et il les a choisis parmi les plus servilement, ou les plus brutalement, ou les plus furieusement fanatiques   : Fouquier-Tinville, Hermann, Dumas, Payan, Coffinhal, Fleuriot-Lescot, au-dessous d’eux, des prêtres apostats, des nobles renégats, des artistes ratés, des rapins affolés, des manœuvres qui savent à peine écrire, menuisiers, cordonniers, charpentiers, tailleurs, coiffeurs, anciens laquais, un idiot comme Ganney, un sourd comme Leroy-Dix-Août : leurs noms et leurs qualités en disent assez ; ce sont des meurtriers patentés et soldés ; aux jurés eux-mêmes, on alloue dix-huit francs par jour, pour qu’ils aient plus de cœur à leur besogne. Cette besogne consiste à condamner sans preuves, sans plaidoiries, presque sans interrogatoire, à la hâte, par fournées, tout ce que le Comité de Salut public leur expédie, même les Montagnards les plus avérés : Danton, l’inventeur du tribunal, s’en apercevra tout à l’heure.
— Par ces deux engins de gouvernement, le Comité de Salut public tient chaque tête sous son couperet, et chaque tête, pour ne pas tomber, se courbe  , en province comme à Paris.
C’est que, dans la province comme à Paris, par la mutilation de la hiérarchie locale et par l’introduction d’autorités nouvelles, sa volonté omnipotente est devenue partout et à chaque instant présente

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