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dimanche 1 avril 2018

Transition Energétique et précarité : la fin des tarifs sociaux et réglementés


Article très intéressant de MM Percebois et Solier, de l’Université de Montpellier  « Vers une logique de marché pour l’électricité en France ? Faut-il s’en réjouir ? » sur la précarité énergétique, la fin des tarifs sociaux et celle des tarifs réglementés de vente. Sauf que personnellement, je me passerais du point d’interrogation. (https://www.connaissancedesenergies.org/ )

Fin des tarifs sociaux, mise en place du chèque énergie

Au 1er janvier 2018, les tarifs sociaux du gaz et de l’électricité dits de première nécessité (TPN) ont disparu au profit d’un « chèque énergie », destiné à couvrir une partie des dépenses d’électricité des ménages en situation de précarité énergétique. Un ménage est en situation de précarité énergétique lorsqu’il consacre 10% ou plus de son revenu aux dépenses d’énergie pour les besoins de son logement, ce qui ne tient pas compte des dépenses liées au transport, en particulier des frais d’essence ou des frais de transport en commun. Près de 4 millions de ménages, soit plus de 10 millions de personnes, sont dans une telle situation en France selon les chiffres de l’Observatoire de la précarité énergétique. Jusqu’à maintenant, ces ménages précaires bénéficiaient d’une réduction forfaitaire sur leur facture d’électricité, qui pouvait représenter jusqu’à 140€ par ménage en fonction de la puissance souscrite et du nombre d’occupants.

Dans les quatre départements où le chèque énergie a été expérimenté (l’Ardèche, l’Aveyron, le Pas-de-Calais et les Côtes d’Armor), il a constitué une aide moyenne de 150 euros par ménage. Donc Kif/kif ? 
Eh bien non, car pour les ménages (rappelons-le, en état de précarité), le tarif social s’appliquait et pour le gaz, et pour l’électricité, donc déjà, pour ces ménages usant des deux énergies une perte nette. D’autre part, le chèque énergie concerne aussi les éventuels achats de charbon ou de fuel- bravo pour la décarbonation ! Il peut aussi servir à des dépenses d'isolation- mais un ménage précaire qui ne peut se chauffer, comment pourrait-t-il investir ? Seul point positif : le chèque énergie concernera potentiellement un plus grand nombre que les tarifs sociaux, puisque le seuil d’attribution a été fixé à 7 700 € de revenus par an pour une personne seule  contre 2 175 € auparavant pour les TPN. Potentiellement ? On verra bien ; car comment seront contrôlées ou validées les dépenses auxquelles il donne droit ? et le remplacement du système simple des TPN par ce système plus complexe risque au contraire de priver de leur aide un certain nombre de Français en état de précarité énergétique.

Fin des tarifs réglementés ( tarifs bleus), vive les  « offres de marché » ?

Les tarifs réglementés de vente (TRV) qui ne concernent depuis début 2016 que les ménages et les petits professionnels (appelés tarifs bleus pour l’électricité) ont désormais vocation à disparaître. Or, ces tarifs réglementés représentent encore plus de 80% des sites et 37% de la consommation d’électricité en France selon la Commission de régulation de l’énergie, soit une immense majorité des abonnés particuliers.  C’est du moins la recommandation du projet de « Clean Energy for all Europeans » dévoilé en novembre 2016 par la Commission européenne, un avis que semble partager le Conseil d’État en France, notamment en ce qui concerne la fourniture de gaz, l’électricité étant en sursis très précaire. Cela signifie que tous les consommateurs, modestes ou pas, devront à terme acheter leur électricité en « offre de marché ».

Traduction polie et politiquement correcte : « Le ménage achètera dorénavant son électricité au prix du marché et saura donc ce que cela coûte, ce qui devrait l’inciter à plus d’économies. » Traduction réelle : il n’ y  a plus de prix garantis, plus de contrat à long terme entre opérateur et client, et celui-ci paiera peu cher son électricité lorsqu’il n’en aura pas besoin…mais l’électricité sera très chère et hors de portée des ménages modestes en hiver par temps froids. (« l’offre dynamique de marché » chère aux libéraux peut multiplier le prix par 10 ou 30 en situation de tension).

« C’est un signal envoyé au consommateur qui croyait qu’il était à l’abri des augmentations tant que le tarif était fixé par la puissance publique. Ce fut vrai dans le passé, l’État ayant tendance à ne pas répercuter totalement ni rapidement l’augmentation des coûts dans le tarif ». Eh bien, ménages précaires, l’Etat ne pourra plus rien pour vous, vous serez à l’offre de marché ! Cette démission, les politiques risquent un jour de la payer très cher !

Rappelons que ces tarifs réglementés,  qui servent de référence, ont permis selon Eurostat de garantir  à tous un tarif de 25% inférieur à la moyenne de zone euro ! C'est un outil important contre lé précarité énergétique.

La fin de la péréquation géographique de l’électricité

Les auteurs ont l’immense mérite de l’aborder franchement : la fin des tarifs réglementés de vente annonce aussi la fin de la péréquation spatiale des prix de l’électricité, qui permet aux consommateurs de bénéficier d’un tarif identique indépendamment du lieu de consommation. Il y a longtemps que la péréquation temporelle des tarifs n’existe plus (les prix en heure de pointe sont plus élevés qu’en heure creuse) mais la péréquation spatiale, qui était une pratique après la Seconde Guerre mondiale est inscrite dans la loi depuis 2000 au niveau des tarifs réglementés. 

La fin des tarifs réglementés ouvre ainsi la voie à l’abandon du principe de péréquation maintenu jusqu’alors au nom de la solidarité territoriale. On objectera que les tarifs d’accès au réseau d’électricité, qui représentent environ 30% de la facture d’un client domestique, sont fixés par la CRE indépendamment de la localisation du client (logique dite du timbre-poste). Mais les débats actuels sur les coûts de raccordement des installations solaires et éoliennes localisées loin des réseaux en place peuvent laisser penser qu’une différenciation spatiale des tarifs de transport et de distribution sera possible demain.

Les offres de marché n’ont a priori aucune raison de maintenir la péréquation spatiale au niveau des coûts de commercialisation du kWh : fournir des clients isolés est coûteux. Du coup, on reviendrait à la situation d’avant 1946 où les prix de l’électricité pouvaient être différents d’une région à l’autre: il est plus coûteux d’approvisionner un consommateur rural qu’un consommateur urbain car le fournisseur peut lui aussi profiter du foisonnement des consommations, surtout s’il développe des applications numériques adossées à la vente de kWh. Cela soulève néanmoins des interrogations, notamment dans les départements ou territoires d’outre-mer qui bénéficient aujourd’hui d’un tarif identique à celui de la métropole. Les études montrent qu’en général la proportion de ménages précaires est forte en zone périurbaine et en zone rurale, en particulier en zone montagnarde.

Précaires non urbains ou campagnards, éternels sacrifiés, triplement frappés par la fin des tarifs sociaux, la fin des tarifs réglementés, la fin de la péréquation géographique.

Ces évolutions n’ont rien d’inévitables, elles sont les conséquences directes de la politique d’éradication des services publics menée par les tenants de la secte libérale au pouvoir à  Bruxelles et leurs complices nationaux, par idéologie ou incapacité à comprendre les enjeux ; de ceux qui sans cesse privilégient le marché face à la société.

Tous ceux qui le souhaitent peuvent (tenter) de participer au grand débat sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (https://www.debatpublic.fr/revision-programmation-pluriannuelle-lenergie)

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