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mardi 24 mars 2020

Le nucléaire et ses déchets (4) : l’enfouissement en couche profonde, une solution naturelle. Le cas d’Oklo


En juin 1972, à Pierrelatte où l’on enrichissait l’uranium pour les besoins de la « force nationale de dissuasion », une mesure de routine, par spectrométrie de masse, de la teneur isotopique d’un échantillon d’hexafluorure d’uranium naturel UF6 en tête d’usine a présenté une petite anomalie : il n’y avait que 0,7171 % de U235 au lieu de la valeur habituelle 0,7202 ! Une autre version implique une livraison du CEA à des clients soviétiques qui auraient protesté contre une teneur insuffisante en U235

Cet uranium naturel avait donc été appauvri, tout se passait comme si  une partie avait déjà participé à une réaction de fission nucléaire. Et c’est en fait exactement ce qui s’est passé !

Très vite, les scientifiques ont situé l’origine du problème dans les mines d’uranium d’Oklo au Gabon, et l’hypothèse incroyable a été confirmée : oui, des réacteurs nucléaires naturels ont bien fonctionné.

Et pas qu’un : seize sites ont été découverts à Oklo et un à Bangombé, à une trentaine de kilomètres avec des traces de réactions de fission datant de 1,95 milliard d'années !

Les réacteurs nucléaires naturels d’Oklo ont fonctionné il y a environ 2 milliards d'années, et la réaction la réaction s’est maintenue pendant plusieurs centaines de milliers d’années (entre 150 000 et 850 000 ans). Lorsque les réacteurs ont commencé à fonctionner, la part de l’isotope fissile 235U dans l’uranium naturel (proportion des noyaux) était de l’ordre de 3,66 %, valeur proche de celle de l’uranium enrichi utilisé dans les réacteurs nucléaires actuels ( en raison de la radioactivité naturelle, de tels taux d’enrichissements n’existent plus aujourd’hui sur la Terre). Au moins 500 tonnes d'uranium auraient participé aux réactions nucléaires qui ont dégagé une quantité d'énergie estimée à environ 100 milliards de kWh. L'intégrale du flux neutronique a dépassé en certains points 1,5 × 1021 n/cm2 et, dans certains échantillons, la teneur en U235 a chuté jusqu'à 0,29 % (contre 0,72 % dans l'uranium géologique normal)

Les réactions de fission en chaîne se sont produites au ralenti pendant près de 100 000 ans, comme un feu qui couve. Elles étaient régulées par la présence d’eau : au fur et à mesure que la réaction s’intensifiait, augmentant la température, l’eau s’évaporait et s’échappait, ce qui ralentissait la réaction (plus de neutrons rapides et moins de lents), empêchant un emballement du réacteur. Après la baisse de la température, l’eau affluait de nouveau et la réaction réaugmentait, et ainsi de suite. On pense désormais que les réacteurs de la zone nord d’Oklo ont fonctionné à une profondeur de plusieurs milliers de mètres sous leurs sédiments. A ces profondeurs, les conditions de température et de pression étaient proches de celles que l’on rencontre dans un réacteur à eau pressurisée d’aujourd’hui (350 à 450 °C, 15 à 20 Mpa), tandis que ceux du sud ont fonctionné plutôt sous 500 m de terrain, à des conditions (250 °C, 5 Mpa) voisines de celles des réacteurs à eau bouillante.


Pendant leur fonctionnement, les réacteurs naturels ont produit 5,4 tonnes de produits de fission, 1,5 tonne de plutonium et d’autres éléments transuraniens. Tous ces éléments sont restés confinés jusqu’à leur découverte, en dépit du fait que l’eau coule dedans et qu’ils ne se présentent pas sous des formes chimiquement inertes.

A Oklo, les éléments radioactifs n'ont subi  que quelques centimètres de déplacement dans la plupart des cas, quelques mètres au plus. Lors du fonctionnement du réacteur, l’eau chauffée sous pression a entrainé une dé-silicification des grès environnants, qui se sont  transformés en une gangue argileuse, qui a limité la migration des eaux et gardé l’uranium en place. Ainsi, de proche en proche, le réacteur a créé son propre environnement, la zone de réaction se déplaçant progressivement, un peu comme la zone fondue d’une bougie.

L'eau bouillante produite par le fonctionnement lessivait directement les matières radioactives, provoquant parfois des effondrements. Le moins qu’on puisse dire est que ce confinement était effectué sans grandes précautions ! Même dans le pire des scénarios, il est difficile d'imaginer de tels lessivages dans les sites de stockage envisagés. Or pourtant, les zones où ces réactions se sont produites sont restées confinées sur plusieurs centaines de mètres de profondeur dans une région qui n'a connu aucun bouleversement géologique important en deux milliards d'années.

Donc, le confinement géologique, ça fonctionne ! Il n’y a pas de raison de penser que ce qui s’est produit dix-sept fois au Gabon ne s’est pas également produit ailleurs sur Terre, notamment dans les vieux minerais riches du Canada ou d’Australie…



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