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mercredi 19 mai 2021

Un système 100% ENR et la fin de l’électricité nucléaire bon marché, vraiment ?

 Le Monde du 7 janvier 2021 a publié une tribune libre intitulée de MM. Quentin Perrier, Philippe Quirion et Behrang Shirizadeh intitulée « La fin de l’électricité nucléaire bon marché »

(https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/01/04/energie-un-mix-electrique-majoritairement-nucleaire-n-est-pas-la-meilleure-option-economique_6065113_3232.html).

Cette publication est critiquable sur la forme comme sur le fond, et de nature à égarer les lecteurs du Monde. Elle n’aurait jamais dû être acceptée telle que, du moins en l’absence de tout point de vue contradictoire.

 1) Sur la forme, une absence de transparence dommageable

 Les auteurs  sont  des spécialistes de l’énergie et présentés  Philippe Quirion, comme Directeur de recherche au CNRS, M. Quentin Perrier comme chercheur en économie de la transition bas carbone et Behrang Shirizadeh comme chercheur en économie de l’énergie au Cired. A aucun moment n’est mentionné que  l’auteur principal M. Quirion est Président du très antinucléaire  Réseau action climat et membre de NegaWatt ; que Behrang Shirizadeh travaille pour Total.

Du coup, les lecteurs du Monde ne comprendront pas que leur argumentation et leur conclusion  (« il semble difficile d’affirmer qu’un mix électrique majoritairement nucléaire est aujourd’hui la meilleure option du point de vue économique »)  sont loin de faire consensus chez  les chercheurs et ingénieur en ce domaine. Et pour tout lecteur un peu habitué du sujet, il est très clair que les choix idéologiques et les préjugés antinucléaires des auteurs colorent fortement leurs hypothèses de travail et mènent tout droit à la conclusion qu’ils veulent imposer

 Sur la forme, tout cela est très très limite, et il serait souhaitable que Le Monde publie un correctif  du type :

« Le journal le Monde regrette profondément que les auteurs de la tribune Energie : « Un mix électrique majoritairement nucléaire n’est pas la meilleure option économique » (Le Monde /4 janvier 2021) n’aient pas mentionné leurs liens avec les associations antinucléaires NegaWatt et Réseau Action Climat, ainsi qu’avec Total. Ces informations auraient dû être portées à la connaissance des lecteurs. De fait, ceux-ci ont pu penser que les résultats présentés sont le résultat du modèle du CNRS ou du modèle du CIRED, alors qu’ils font l’objet de vives discussions et contradictions au sein de la communauté scientifique et de ces institutions mêmes, et  sont en désaccord complet avec nombre d’autres études »

D’autres modèles donnent des résultats radicalement différents

Quatre modèles développés par différentes équipes de chercheurs (au DIW de Berlin, à l'OCDE, au MIT et à l'Université Dauphine) arrivent à des conclusions radicalement différentes : le nouveau nucléaire ( type EPR), même à un coût de 4 000 €/kW et un prix de revient de 75-80 €/MWh, domine le mix électrique à l'horizon 2050 : de 70 à 75 % dans le modèle de Dauphine ; 60 à 65 % dans le modèle de l'OCDE et celui du MIT quand la part des ENR est de 10 %. Quant au modèle du DIW, qui étudie particulièrement les épisodes de prix négatifs, il montre qu’à partir de 30% de pénétration, la valeur de l’électricité générée par l‘éolien peut être divisée par deux.

Un résumé très pédagogique de ces études, ainsi que les liens vers les études complètes peut être trouvé dans une tribune libre de Dominique Finon et  François Lévêque (Mines- Paris Tech)  (La Tribune, 09/04/2019)

https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/pour-une-juste-estimation-du-cout-du-tout-renouvelable-813679.html

Pourquoi en est-il ainsi ? C’est que l’électricité est un  bien de flux qui doit en permanence s’ajuster à la demande et qu’il faut tenir compte de sa valeur au moment où elle délivrée sur le réseau. « Dit autrement, les ENR que sont le vent et le soleil ne parviennent pas à évincer le nouveau nucléaire, même cher, car la valeur économique de l'énergie et des services qu'elles produisent ne supporte pas la compétition avec celle de centrales pilotables qui peuvent produire à pleine puissance toute l'année… il ne faut pas confondre prix de revient et prix de marché. Le prix de revient des ENR peut être bas, et même de plus en plus bas à l'avenir, sans qu'elles soient pour autant rentables, leur déploiement massif se soldant par des prix de marché de plus en plus faibles. » expliquent D. Finon et F. Lévêque

Vous pouvez peut-être avec le soleil ou l‘éolien terrestre avoir un coût de production égal ou même légèrement inférieur au nucléaire, si l’électricité ne vaut rien, voire a un prix négatif (vous devez payer pour que vos voisins acceptent de la prendre) parce qu’elle est générée à un moment où personne n’en a besoin, cela affecte grandement la rentabilité de vos installations. A l’inverse, le nucléaire qui produit de manière égale toute l’année, permet de fournir une électricité abondante, sûre et de haute valeur par anticyclone hivernal ou canicule estivale…

Compte-tenu du fait de sa géographie, il n’y a ni foisonnement solaire, ni foisonnement éolien en Europe, et les productions des ENR dans les différents pays sont fortement corrélées. Le phénomène de perte de valeur de l’électricité générée existe déjà fortement (cf. les épisodes de prix négatifs de l‘éolien allemand) et, plus le taux de pénétration des ENR augmente, plus il est massif et destructeur. Ainsi s’explique le résultat trouvé par les  quatre modèles mentionnés ci-dessus : sans dispositifs d'appui et d'aide assurés par l'État et garantissant les revenus des investisseurs, financés par une taxe sur les consommations d'électricité, les ENR  restent confinées à une part de production modeste, de l'ordre de 10 %. En effet, à partir de ce niveau, la rémunération des ENR à apports variables retirée des marchés électriques ne permet plus de couvrir les coûts d'investissement.

Et le problème s’aggrave fortement avec le taux de pénétration des ENR, comme cela a été bien établi dans  le rapport 2020 conjoint de l’AIE et de la NEA et le  Rapport au Parlement Néerlandais sur l’avenir du nucléaire (voir ci-après). Donc, à rajouter aux coûts de production :

La classique LCOE (Levelized Cost of Energy, coût projeté de l’énergie)  est souvent utilisée à tort et à travers car elle ne tient pas compte de ces facteurs et favorise indument les ENR. (Elle a été conçue à l‘origine aussi de comparer la productivité de deux champs de pétrole et l’étendre à la comparaison de deux énergies pilotables, c’est déjà difficile, alors entre énergies pilotables et intermittentes, c’est complètement inadapté). Les auteurs en sont conscients et proposent une approche assez alambiquée. Il existe pourtant une méthodologie reconnue élaborée par l’AIE  afin de permettre une comparaison des coûts plus spécifique au système électrique, la LCOE ajustée en valeur (VALCOE).

Le rapport 2020 conjoint de l’AIE et de la NEA (The 2020 edition of the Projected Costs of Generating Electricity (https://www.oecd-nea.org/jcms/pl_51126/low-carbon-generation-is-becoming-cost-competitive-nea-and-iea-say-in-new-report) ainsi que le recent Rapport au Parlement Néerlandais sur l’avenir du nucléaire  (Possible role of nuclear in the dutch energy mix in the future /1st september 2020) utilisent cette méthodologie, et leur conclusion est complètement contraire à celle de MM. Quirion et Perrier :

«la nouvelle énergie nucléaire restera la technologie pilotable non intermittente à faibles émissions de carbone avec les coûts prévus les plus bas en 2025 La prolongation de l’exploitation des centrales nucléaires existantes, connue sous le nom d’exploitation à long terme (LTO), est la source la plus rentable d’électricité à faible teneur en carbone. »

 Et si on parlait du réseau !

Et nous ne parlons là que des coûts d’utilisation et des coûts de marché. Il faudrait y ajouter les coûts des services systèmes que n’assurent pas les ENR, telles la stabilisation de la fréquence (un effondrement du système européen a été évité de justesse le 9 janvier 2021).

Et surtout les coûts d’adaptation du réseau (ce n’est pas la même chose d’avoir une production d’énergie très concentré et pilotable et une très dispersée et fatale). Allemagne et France convergent maintenant vers 100 milliards d'euros  - il y a encore 2 ans, les petits génies de l'Energiewende annonçaient 52 milliards …).

Et c’est encore sans compter l’acceptabilité sociale  d'une telle extension du réseau. En Allemagne, sur 3600 km de réseau supplémentaire prévus pour 2015, seuls 17% étaient réalisés en 2019 et  l’Energiewende complète exigerait 11.000 km ! 

En réponse, la loi a été modifiée pour limiter les recours des riverains, comme on le fait en France pour les éoliennes.

Ça s’annoncent pas cool du tout, la société 100% ENR. D’ailleurs, il suffit de lire les scenario de Negawatt !

 Sur le fond, une modélisation ignorant les réalités physiques

 Les critiques d’Henri Prévot (Sauvons le Climat) sur le modèle Quirion- Perrier

 Henri Prévot, un des experts de l’association Sauvons Le Climat a émis les critiques suivantes : Ce scenario  ne serait possible que si 6 conditions (au moins) étaient réunies (cf. http://www.hprevot.fr/six-si.html)

1) - une très faible consommation d'électricité, donc de très grosses dépenses d'économie d'énergie

La consommation de fioul, de gaz et de carburant fossiles est aujourd’hui de 1100 TWh. L’objectif est de la ramener presque à zéro pour atteindre la « neutralité carbone ». Pour pouvoir diminuer aussi la consommation d’électricité, il faudrait des économies d’énergie qui coûteraient très, très cher. Il est admirable qu’une étude sur l’économie de l’électricité ne dise pas un mot des dépenses à faire pour économiser l’électricité – 20 à 30 milliards d’euros par an sans effet sur le CO2.

De fait,  si l’on veut décarboner efficacement l’ensemble de la consommation énergétique, la production d’électricité décarbonée doit augmenter de manière considérable. En France, la stratégie Stratégie nationale bas-carbone (SNBC)  prévoit une montée de la part de l’électricité dans le total de l’énergie utilisée en France des 25% actuels à 50% pour 2050. Même avec beaucoup d’efficacité énergétique, cela implique une augmentation de la production d’électricité contrairement aux hypothèses posées par Quirion et al. : ainsi RTE prévoit 650TW.h contre 435 pour Quirion et al (NB consommation  2019 ; 440TW.h

2)  la stabilité du réseau sans l'apport d'inertie de masses tournantes de moyens de production

Qu’on imagine le système électronique de « contrôle et commande » d’un ensemble de centaines de milliers ou millions de points de production d’électricité répartis sur tout le territoire pour équilibrer à chaque instant production et consommation sans l’aide apportée par l’inertie de la masse des turbines et alternateurs. Les auteurs de l’étude, pour affirmer qu’il n’y aura pas de problème, se réfèrent à quelques réalisations qui sont très loin d’avoir l’ampleur de ce qui serait nécessaire à l’échelle française, balayant ainsi toute objection : une forme de détachement du réel assez sympathique car elle permet de rêver

3)- des dizaines de milliers d'éoliennes et des milliers de kilomètres carré de photovoltaïque

Sont acceptés 30 000 éoliennes (Il y en a 8000 actuellement) et 3000 kilomètres carré de photovoltaïque. Mentionnons qu’en plus les hypothèses sur de coût et de productivité  de l'éolien et du photovoltaïque sont - comment dire ? - héroïques.

4)- être indifférent à notre autonomie sur les matériaux (cuivre, acier, terres rares) et sur la technique

Pour une même production utile, l’éolien consomme dix fois plus de fer et de cuivre que le nucléaire et aussi d’autres matières critiques importées obtenues par des procédés très polluants. Dans   le dernier rapport de l’Ademe : Les réseaux électriques choix technologiques, enjeux matières et opportunités industrielles, Ademe 2020, pointe des vulnérabilités très fortes sur le cuivre et l’aluminium :

« Le cuivre et l ‘aluminium sont fortement mobilisés par la transition bas carbone dans son ensemble… le risque existe que l’offre correspondant à des standards environnementaux et sociaux élevés ne soit pas suffisantes. Pour l’aluminium, le rapport constate que les vulnérabilités en terme d’approvisionnement sont très fortes.

Voici l’évolution de la demande de cuivre ; ça ne parait pas effectivement pas très durable !

5)- ne pas se préoccuper d'une faiblesse du vent et du soleil plusieurs jours durant

Le scenario suppose que pour le vent et le soleil,  il n’y aura jamais de situations pires qu’entre 2010 et 2017. Là encore, c’est un peu héroïque !  En hiver, la production journalière par le soleil peut être vingt fois moindre qu’en été (comme en janvier 2013). Et le vent peut ne produire que quelques pourcents de sa capacité nominale plusieurs jours de suite. Si la consommation d’électricité est très basse (voir le premier « si »), les capacités de stockage de l’étude du CIRED sont suffisantes à condition qu’il n’existe pas de situations plus défavorables que sur la période de 2000 à 2017. Sinon les besoins de stockage seront tels que les batteries de véhicules électriques ne suffiraient pas. Il faudra produire de l’électricité avec un gaz de synthèse….Vive le CO2

 6)- ne pas s'inquiéter de l'insécurité d'une gestion tributaire du numérique.

Tout système de communication numérique, électronique ou informatique est vulnérable à des agressions y compris venant de pouvoirs étatiques, voire de phénomènes naturels (éruptions solaires)

Et septième si, du point de vue économique : coûts éoliens et photovoltaïques

L’éolien flottant, aujourd’hui 350 €/MWh, sera à 40 €/MWh, le solaire à 27 €/MWh Il faudra d’énormes capacités de production (en gigawatts) et il faudra aussi dépenser davantage pour transporter et distribuer cette électricité produite un peu partout et fluctuante. Qu’à cela ne tienne ! Il suffit de faire des hypothèses de coût de production éolien et photovoltaïque assez basses pour que « sans nucléaire » coûte moins qu’avec du nucléaire…

 En reprenant des hypothèses de consommation à la hausse pour l'électrification d'une partie des usages (celles de RTE, 650TWh contre 435 pour Quirion et al, pour 440 TWH en 2019) le calcul donne un système 70%Nuc/30%ENR 21milliards  d'€ par an moins cher que le 100%ENR.(à supposer que celui-ci soit techniquement possible)

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