Inquiétés par les projets de loi éolien en Bretagne Sud, qui transforment les plus beaux paysages bretons en zones industrielles pour une bénéficle climatique illusoire, les Gardiens du Large ont écrit aux députés et sénateurs pour protester contre le projet de loi accélération des énergies renouvelables
voir aussi https://www.gardiensdularge.org/
Madame la Députée, Monsieur le Député,
Vous allez avoir à examiner un projet de loi portant sur des mesures d’urgences pour accélérer les projets d’énergie renouvelable.
Notre association, les Gardiens du Large, particulièrement implantée sur Quiberon, Belle-Île, Groix et la côte du Morbihan souhaite vous informer et vous alerter spécifiquement sur les dangers de ce texte en matière d‘éolien off-shore.
Ces mesures « temporaires », qui dureraient quatre ans, instaurent un véritable état d’exception au profit des promoteurs éoliens. Elles permettraient notamment, en soutenant que ces projets ENR répondent à un « intérêt public majeur », de déroger aux mesures de protection d’espèces protégées. Elles supprimeraient tout débat sur la disposition de chaque usine éolienne en instaurant un seul et unique débat public pour toute une façade maritime, le public ne pouvant alors s’exprimer que sur de grandes zones à vocation “éolien en mer” ! Elles limiteraient considérablement les possibilités pour les citoyens concernés et les associations de contester l’utilité d’un projet ou simplement de tenter d’en limiter les effets, et notamment les recours devant les tribunaux.
En bref, il ne resterait pas grand-chose de nos plus beaux rivages transformés en zones industrielles éoliennes, et plus rien de cinquante ans d’efforts de la protection des paysages et de la biodiversité du littoral. (Cf. lien avec un tract que nous avons massivement diffusé)
Pour mieux saisir les enjeux en termes de paysages, de biodiversité, d’activités économiques, notamment la pêche, et tout simplement de la vie de tous ceux qui aiment la mer, il faut entrer davantage dans les ordres de grandeurs et les pratiques.
Dans un exceptionnel avis conjoint de février 2022 (Quelle place pour les éoliennes dans le mix énergétique français ?), les trois Académies des sciences, des beaux-arts et des sciences morales et politiques ont dressé le constat suivant :
« Pour obtenir le permis de construire, les entreprises responsables de l'implantation des éoliennes terrestres et littorales sur une commune sont pourtant tenues de présenter une étude paysagère. Cette dernière n'est qu'un simulacre d'intégration plastique. Par conséquent, il n'est pas étonnant que se développe, chez les populations concernées, le sentiment de vivre dans un territoire sacrifié par une politique autoritaire dont le ressort leur apparaît avant tout idéologique.
Qui plus est, en parfaite contradiction avec la loi de protection de la Nature de 1976 et celle de la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages de 2016, les études d’impact des éoliennes sur la biodiversité ont, dans le passé, démarré le plus souvent une fois l’implantation des projets décidée, négligeant la phase « évitement » de la séquence « éviter-réduire-compenser » telle que décrite dans la loi.»
Simulacre de concertation
et tromperie sur les paysages
Un « parc » éolien est en vérité une
gigantesque zone industrielle. En face des côtes du Morbihan, le parc dit de Saint-Nazaire (mais en fait plus proche
de la péninsule de Guérande) comprendra 80 éoliennes hautes de 180 m, entre 12
et 20 km des côtes du Morbihan - les deux tiers sont déjà en place.
Le parc de Bretagne-Sud
comprendra d’abord 20 éoliennes sur 50 km² à 15 km de Belle-Île, 20 km de
Groix, puis 40 sur 100 km2 plus au large. Soit 60 éoliennes de 260 m de haut
(Tour Montparnasse 210 m).
Chacun de ces parcs occupera une superficie au moins équivalente à celle de
Belle-Île (dont le point culminant s’élève à 70m !).
Enfin, en co-visibilité avec Saint-Nazaire, une troisième zone industrielle
de 62 éoliennes de 210 mètres de haut est en cours d’aménagement à 11.7 km des
côtes de l’Île d’Yeu et 17 km de celles de Noirmoutier !
Il est difficile de nier le
gigantisme de ces installations industrielles et l’effet massif qu’elles auront
sur nos paysages maritimes. Or c’est pourtant ce qui a été fait en présentant
des photomontages minorant systématiquement l’impact des éoliennes par divers
procédés dont la vision panoramique et des éclairages soigneusement choisis sont
les plus courants.
Alors, quand malgré les
simulations concoctées à leur intention, les habitants voient très nettement
surgir dans leur horizon les éoliennes qu'ils n'étaient pas censés apercevoir,
il y a de la sidération et beaucoup de colère. Et du désarroi de la part des
maires trompés, qui ont à rendre compte- et qui au surplus toucheront une taxe
éolienne bien plus faible qu’espérée. C’est ce qui se passe en ce moment pour
le parc de Saint-Nazaire.
Michelle
Quellard, Maire du Croisic : «
Notre côte n’a plus rien de
sauvage...La vue que l’on en a, a bien changé… L’horizon face mer est
"obstrué" par un site de 78 km2, alors que Le Croisic ne représente
un territoire que de 4,5 km2.».
Cf. la lettre que nous avons
adressée à ce sujet aux élus locaux.
Il faut encore sur ce sujet
signaler une spécificité française dénoncée par le CNPN (Conseil National de
Protection de la Nature): « Par facilité technique et financière, tous
les parcs français actuellement décidés l’ont été dans la zone des 12 miles,
entre 10 à 20 km des côtes, alors que la moyenne en Europe est de 41 km ».
(Auto-saisine du CNPN sur le développement de l'énergie off-shore, juillet
2021)
Et ceci alors qu’on ne cesse de
vanter la filière de l’éolien flottant, qui permet techniquement de s’éloigner
des côtes !
Le projet de loi qui vous est présenté ne permettra tout simplement plus
aux populations concernées de se faire entendre.
Simulacre de concertation et tromperie sur la biodiversité
Les études sur la biodiversité ont lieu
après le choix des premières zones, et, pour certaines, leur résultat est
attendu après la construction de la zone éolienne ! Or, comme le constate
le CNPN, « les impacts potentiels sur la biodiversité́ représentés
par le développement de l’éolien off-shore en France peuvent être très
importants sur la biodiversité́ marine, en premier lieu sur l’avifaune
reproductrice, migratrice et hivernante provenant de l’Europe entière… L’impact
du bruit sous-marin continu généré par les turbines en fonctionnement est un
exemple de domaine (...) dont nous ne pouvons pas encore rendre compte. Les
effets à long terme sur les populations de poissons et la manière dont les
changements de comportement observés affectent la condition, le succès de la
reproduction et la survie des animaux, ne sont pas encore connus.» Il y a en effet beaucoup
de questions qui se posent, en particulier sur la migration et l’orientation
des grands dauphins et autres cétacés, très présents dans ces zones. Certains
phénomènes inhabituels commencent à se répéter un peu trop souvent (cétacés
remontant les fleuves ou s’échouant).
Nous n’avons aucune expérience de l’effet en milieu marin d’éoliennes
géantes de 14 GW et de 250 mètres de haut, et encore moins de parcs géants
d’éoliennes géantes. Des études préliminaires montrent des effets importants
sur la stratification de la colonne d’eau, la turbidité, les courants et le
régime local des vents.
Et là encore, une spécificité française également dénoncée par le
CNPN : « La transgression de ce
principe de non-installation de parcs éoliens en zones Natura 2000 (à notre
connaissance il n’y a qu’un seul parc éolien dans une ZPS en Europe, en
Allemagne) … Trois projets de parcs sont en infraction à ce principe,
Dunkerque, Port-Saint Louis du Rhône et le projet d’Oléron ».
Le projet de loi qui vous est présenté ne permettra tout simplement plus de
prendre en compte la protection de la biodiversité.
Simulacre de concertation
et tromperie sur la pêche
Sur aucun des parcs projetés, il n’a été possible d’obtenir un compromis
jugé acceptable par les pêcheurs. A Saint-Brieuc, Erquy (pourtant exemples de
pêche gérée durablement), Le Tréport, Noirmoutier, les pêcheurs n’ont pas été
entendus et se mobilisent. Leur inquiétude est réelle, ils savent leur survie
en cause, car leurs collègues étrangers de la Mer du Nord les ont prévenus :
Job Shott, président d’EMK (syndicat
des pêcheurs néerlandais) : « Avec
ce qui est construit ou décidé en Mer du Nord, 25% des zones traditionnelles de
pêches sont déjà occupées…Il faut comprendre que nous sommes chassés de la mer.
Il ne nous reste presque rien au sud de la mer du Nord. Ce sont des espaces où
nous avons toujours pêché de génération en génération. Pendant combien de temps
encore pourrons-nous déguster du poisson frais dans notre assiette ? »
Là encore, il y a simulacre de concertation et mensonge lorsque les plus
hautes autorités de l’Etat laissent croire que la pêche sera possible dans les
parcs. Et quant au fameux « effet récif », le CNPN a fait valoir
qu’il n’avait été nullement démontré sur des fonds rocheux, et qu’au surplus,
il favorisait surtout le développement d’espèces invasives indésirables.
La Commission pêche du Parlement Européen a souligné que les parcs éoliens
ne devraient être construit qu’en l’absence d’incidences négatives sur la
pêche, qu’il y avait un véritable risque sur « l’approvisionnement
responsable et durable en denrées alimentaires et la sécurité
alimentaire », et appelé l’Union à légiférer davantage « si les États
membres n’intègrent pas équitablement les pêcheries dans leur planification de
l’espace maritime ».
Le projet de loi qui vous est présenté va exactement à l’inverse de ces
préconisations et ne garantit nullement la compatibilité de la pêche et de
l’éolien off-shore.
Madame, Monsieur le Député,
Dans ce courrier déjà long, nous
n’avons pu aborder que quelques aspects d’un programme éolien off-shore massif qui
représente « une menace imminente
d’une ampleur telle qu’elle hypothèque l’avenir de la vie marine côtière » (Sea
Shepherd) dans tous ses aspects.
Nous tenons aussi à rappeler
que ce programme éolien massif est inutile à court terme car ne permettant pas
de suppléer à un manque d’électricité pilotable ou de contribuer au problème
des pointes électriques de consommations ; et que de façon générale, miser sur
l’éolien pour décarboner l’électricité et sortir des fossiles est un peu
l’équivalent de se jeter à l’eau pour éviter d’être mouillé, tant il est
reconnu que dans la situation française la réponse à l’intermittence de
l’éolien ne peut se trouver qu’en recourant massivement à des sources de
production pilotables carbonées. Devant la Commission d'enquête sur l'impact
économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables
(Commission Aubert) formée par l’Assemblée précédente, l’un de nos meilleurs
experts en matière de transition énergétique, M. Jean-Marc Jancovici déclarait à
propos de l’éolien off-shore, de piètre efficacité dans la lutte contre le
dérèglement climatique : « S’il y a un truc qu’il faut arrêter tout de
suite, c’est bien ça ! ».
De par sa nature d’énergie
très peu dense, l’éolien off-shore occupe de vastes étendues marines qui se
trouvent ainsi privatisées au profit de quelques groupes très puissants et
souvent étrangers. C’est ignorer que pour reprendre l’expression d’un
Commissaire de la Commission Nationale du Débat Public, « la mer n’est pas vide
et contrairement à l’apparence, elle n’est pas libre ».
Pour l’ensemble de ces raisons, et pour que nous puissions préserver un
patrimoine naturel dont nous avons hérité et que nous devons transmettre, nous
vous appelons, Madame la Députée, Monsieur le Député, à rejeter purement et
simplement ce texte.
En vous remerciant de l’attention portée à ce courrier, nous vous prions
d’accepter l’expression de notre considération ; et peut-être aurons-nous
le plaisir de vous voir dans une Bretagne aux libres horizons !
Voir https://www.gardiensdularge.org/
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