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samedi 28 janvier 2023

Commission Schellenberger : témoignage de Jean-Marc Jancovici

Commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France- Commission Schellenberger

Témoignage de Jean-Marc Jancovici : extraits

Pétrole et fossile : « Je ne crois pas à la possibilité de faire une civilisation telle que celle que nous connaissons actuellement sans combustible fossile. »

Economie et physique :  "Presque tous les scénarios énergétiques partagent une faiblesse, à savoir de placer l’économie comme une donnée d’entrée. Or, de mon point de vue, l’économie est une donnée de sortie., c’est parce que nous avons des ressources que nous sommes capables d’avoir un système économique. S’il n’y avait pas d’atomes de fer sur Terre, il n’y aurait pas d’immeubles tels que nous les construisons aujourd’hui avec des armatures en fer. La disponibilité des ressources est donc un facteur limitant de la production économique."

Renouvelables : le problème du cuivre

« Au vu des quantités de cuivre impliquées dans le développement de tout ce qui est électrique, il est évident qu’en France, nous ne pouvons pas déployer quoi que ce soit de significatif comme mode renouvelable — ou même non renouvelable — et comme usage aval électrique sans importer du cuivre. Je ne sais pas si ce sera facile ou difficile.

Concernant le cuivre, une information a récemment été publiée par l’agence internationale de l’énergie (AIE), disant que les mines de cuivre en fonctionnement et en cours de développement dans le monde passeraient leur pic entre maintenant et dans deux ans. Or, pour que de nouveaux projets de mines voient le jour, il faut compter entre dix et quinze ans.

« Concernant le cuivre, il me semble que l’ordre de grandeur est supérieur à dix entre le solaire et le nucléaire pour la quantité de cuivre par kilowattheure produit. Ainsi, si nous voulons produire des énergies décarbonées, nous sommes moins dépendants si nous faisons du nucléaire que si nous faisons un système solaire. En outre, d’une manière générale, les énergies renouvelables exploitant des sources diffuses (donc le vent et le soleil) ont besoin de davantage de collecteurs pour avoir la même quantité d’énergie à l’arrivée, sans parler du fait que nous avons besoin de sources concentrées — pour maintenir un système pas trop éloigné du système actuel —  et, éventuellement, de stocker, ce qui demande également des moyens supplémentaires, notamment des métaux. Développer la filière nucléaire ne permet donc pas d’être indépendants mais d’être moins dépendants que d’autres options concernant les métaux »



Sur l’éolien ; des limites physiques contrairement au nucléaire

« le vent n’est pas toujours régulier en permanence alors que la puissance d’une éolienne dépend du cube du vent. Si la vitesse du vent est divisée par deux, la puissance électrique fournie est divisée par huit. À l’échelle de l’Europe, même avec l’interconnexion de toutes les éoliennes européennes, l’ensemble du parc éolien peut descendre à moins de 5 % de la puissance installée. Nous ne pouvons donc pas avoir un système purement éolien. En outre, même en ajoutant du solaire — qui est un peu contracyclique par rapport à l’éolien —, l’ensemble des deux ne permet toujours pas de garantir l’approvisionnement.

Ces énergies ont une limite en termes d’emplacements et de matériaux, car elles sont beaucoup plus intensives en métal que les modes centralisés que nous avons l’habitude d’utiliser jusqu’à maintenant. Ces limites sont plutôt physiques, a contrario des limites du nucléaire, qui sont plutôt liées aux compétences et au consensus »

Le nucléaire durable Passer à la quatrième génération sans tarder

« La quatrième génération semble être le grand déterminant de la possibilité de disposer d’un nucléaire « durable » à l’avenir. Le nucléaire que nous exploitons aujourd’hui utilise un isotope très minoritaire de l’uranium, à savoir l’uranium 235, présent à environ 0,7 % dans l’uranium naturel. En raison des quantités récupérables d’uranium sur terre, en ordre de grandeur, si nous voulions remplacer une fraction significative des centrales à charbon mondiales par du nucléaire, il n’y aurait pas assez d’uranium 235 pour que cela fonctionne pendant des siècles. Pour que le nucléaire soit durable, il faut absolument passer à la quatrième génération, capable d’exploiter soit l’uranium 238 soit du thorium, sans trop tarder car, pour démarrer ces réacteurs de quatrième génération, nous avons quand même besoin du seul matériau fissile trouvable sur terre, à savoir l’uranium 235. En passant à la quatrième génération, nous serions capables d’exploiter les stocks d’uranium 238 « 

« Si nous nous mettons en « économie de guerre », je pense que nous sommes à quinze ans de pouvoir disposer de modèles déployables. À ce moment, nous faisons la jonction avec des EPR, le temps de pouvoir commencer à déployer de la quatrième génération. Toutefois, nous n’en faisons pas plus que cela. Cette option n’est pas sur la table actuellement. Dans l’intervalle, il est évident qu’aujourd’hui, si nous voulons davantage d’électricité, la seule option qui reste est de rajouter des moyens renouvelables dans les dix à quinze ans à venir. »

Sur les dangers du nucléaire

"En cas d’accident sur un réacteur à eau pressurisée, le plus probable est que, comme à Three Mile Island, vous perdiez le réacteur à l’intérieur de l’enceinte de confinement. En cas de conflit, la vraie question est de savoir si l’accident ajoutera massivement des dommages. Un accident dans la centrale de Zaporijjia ne changera malheureusement pas significativement le bilan de la guerre en Ukraine. Lorsqu’une installation est endommagée à cause de la guerre, le vrai problème est la guerre.

En outre, il existe de nombreuses manières de causer des morts avec des dommages aux installations de production électrique. La convention stipule qu’en cas de guerre, les belligérants ne doivent pas porter atteinte aux centrales nucléaires ni aux barrages. Or, si vous voulez faire beaucoup de dégâts très rapidement, il vaut mieux détruire les barrages que les centrales nucléaires. En France, faire sauter le barrage de Vouglans engendrerait six mètres d’eau place Bellecour à Lyon."

Sur les déchets nucléaires

"La question des déchets nucléaires est très importante dans le débat public. Le fait que ces déchets fassent partie des éléments générant le plus de peur ne me semble pas du tout en adéquation avec la hiérarchie des nuisances lorsque nous regardons tout ce qui est déversé dans l’environnement (CO2, phytosanitaires ou encore particules fines). Les déchets nucléaires sont de deuxième ordre car, même si leur nature n’est certainement pas anodine, ils sont tout petits, peu nombreux et confinés.

De très loin, l’option préférentielle est de les mettre dans un trou et de les oublier, ce que les Suédois ont décidé de faire. Je considère que le retraitement est une bonne idée puisqu’il permet de concentrer de façon très importante le volume à stocker et de récupérer un certain nombre d’éléments qui sont récupérables dans les assemblages usés.

La réversibilité du stockage ne me semble pas cruciale. Un stockage non réversible s’est produit de façon très naturelle il y a deux milliards d’années dans une mine d’uranium à Oklo au Gabon, où des réacteurs sont apparus spontanément. Les produits de fission avaient très peu migré par rapport à l’endroit où ils s’étaient formés. Nous sommes capables de mettre du pétrole et du gaz sous pression dans une couche géologique profonde, dans laquelle ils resteront pendant des millions d’années. Nous pouvons donc très bien placer des éléments solides comme des colis vitrifiés dans une couche géologique appropriée et ne pas être très inquiets à l’idée qu’ils réapparaissent cinquante ans plus tard.

Il faut savoir qu’au bout de quelques siècles, les produits de fission sont revenus au niveau de radioactivité de l’uranium initial. C’est moins que la cathédrale Notre-Dame, qui est à l’air libre et donc beaucoup plus agressée. Le chiffre de 100 000 ans est souvent mis en avant mais la partie la plus radiotoxique est beaucoup plus courte."

Sur le financement du nucléaire

"La question du coût du nucléaire est essentiellement une question de cadre de marché. Par exemple, le coût du mégawattheure de la centrale d’Hinkley Point s’élèvera à plus de 100 livres sterling. Or, si le financement de cette centrale avait eu lieu avec de l’argent disponible à 2 % par an — et non pas avec de l’argent disponible à 10 % par an —, la même centrale aurait produit des mégawattheures aux alentours de 50 euros. Le vrai sujet du coût du nucléaire est la structure de financement, qui dépend essentiellement du cadre public ou non. Le nucléaire n’a rien à faire dans un cadre privé car il s’agit, par essence, d’une activité régalienne qui relève de l’État et qui doit accéder à des financements qui sont ceux de l’État."

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