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vendredi 30 décembre 2011

Post-doctorats (PhD ) : vers l’esclavage ?



Post-doctorats (PhD ) : vers l’esclavage ?

Les invisibles de la recherche

Marco Zito est un physicien des particules, travaillant au CEA, et responsable d’un programme de recherche sur les neutrinos. Dans sa chronique du Mond - supplément sciences - du 24 décembre, il pourrait nous parler de l’expérience très médiatisée semblant montrer une vitesse de déplacement supérieure à la lumière ; mais c’est un autre sujet qu’il a choisi : le sort des jeunes chercheurs après leur doctorat.
Merci à lui, il fait preuve d’un courage et d’un souci bien peu mandarinal que beaucoup à de ses collègues pourraient lui envier.
Ces post-doc, qu’il appelle les invisibles de la de la recherche, ont dans les trente ans, un niveau d’étude au moins bac plus huit, souvent des charges de familles - ou aimeraient en avoir-. Ils vont de postes en postes, souvent  précaires, en attendant d’obtenir un poste stable, en général dans un grand organisme de recherche, qui, peut-être n’arrivera pas. Lorsque le séjour à l’étranger se prolonge, leur expérience s’accroît mais leur situation ne s’arrange pas : loin des commissions, loin des postes…
 « Pendant la durée de leur contrat, écrit M. Zito, ils sont soumis à une énorme pression, au point que leur devise est publish or perish. Ils doivent assurer des tâches techniques, remplaçant parfois des techniciens, avancer vite et bien dans leurs travaux, obtenir des résultats, prendre des responsabilités. Cela pousse parfois à une compétition très forte.Certains quittent la recherche, d’autres au contraire enchaînent les contrats en passant d’ »un laboratoire et d’un pays à l’autre ».

La science est devenue dépendante du travail bon marché

M. Zito cite aussi un responsable scientifique du NIH ( National Institute of Health) américain : «  la science est devenue dépendante du travail bon marché. Les chercheurs seniors aiment avoir des personnes qui vont se décarcasser pour eux, quatorze heures par jour, sept jours par semaine. Les post docs sont essentiels pour le système scientifique, ils sont au courant de toutes les nouvelles technologies, ils connaissent les « classiques scientifiques », ils peuvent écrire les articles et enseigner. Qui n’en voudrait pas ? C’est bien utile aux chercheurs seniors d’avoir tous ces esclaves qui travaillent pour eux. »

M. Zito rappellent aussi que ces jeunes post doc sont soumis à l’arbitraire du directeur du laboratoire  - sa recommandation sera souvent nécessaire pour obtenir un nouveau contrat ou un poste stable. Aux Etats-Unis, sa signature sera indispensable au renouvellement du visa. En 2006, dans la revue science, une jeune femme a témoigné comment son boss l’avait menacé de renvoi si elle décidait d’avoir un enfant : « c’était comme de l’esclavage ».

Cette situation des jeunes chercheurs s’est dégradée au fil des ans. Il a d’abord fallu avoir une thèse pour être recruté, puis un post-doc, puis plusieurs, puis accepter des postes ou financements temporaires. Elle s’est extraordinairement dégradée encore récemment lorsque l’ANR (Agence nationale de la Recherche ? Association des négriers ?) et les Institutions Européennes se sont entiché du modèle américain reposant sur l’exploitation des post doc, en en prenant les inconvénients sans les avantages  et les conditions (la vie sur l es campus américains, les rémunérations.. .et l’exploitation des étudiants du monde entier- au fait, combien de jeunes américains dans les laboratoires de recherche des Universités US ?

Une urgence absolue ; remédier à la situation scandaleuse des jeunes chercheurs

Cette situation scandaleuse – quasi esclavagiste  - faite aux jeunes chercheurs met en péril la recherche et l’économie européenne. Comment s’étonner que les élèves des Ecoles d’Ingénieurs, que les meilleurs étudiants ne soient plus attirés par la recherche ?  Comment accepter des situations temporaires, précaires, exigeantes,  mal payées, un quasi-esclavage au service de mandarins – et ceci jusqu’à 30-35 ans ?
La muraille de Chine a pu se construire sur le travail des esclaves, ce ne sera plus possible pour l’Europe de la recherche. Il y a d’ailleurs une indécence totale à proclamer cet objectif et à laisser s’installer et perdurer l’exploitation des jeunes chercheurs.
Pendant ce temps, l’Inde et la Chine font revenir massivement leurs post-doc en leur offrant des postes permanents, des laboratoires bien équipés, des rémunérations conséquentes. On parie sur l’avenir ?
Dans le domaine de la recherche, l’urgence absolue consiste en l’amélioration de la carrière et de la situation des jeunes chercheurs – sans quoi il n’y aura bientôt plus de recherche. Il faut en particulier que le recrutement dans les organismes de recherche ait lieu pendant ou juste après la thèse – éventuellement sous condition d’effectuer un Phd souvent formateur, mais dans des conditions acceptables en terme d’indépendance et de sécurité.





mercredi 28 décembre 2011

Défendre la liberté de pensée et les libertés universitaires

Défendre la liberté de pensée et les libertés universitaires

Même si ce blog est plutôt consacré aux sciences exactes et à leurs enjeux, il ne peut se désintéresser des sciences humaines et d’enjeux aussi grave que les libertés intellectuelles et universitaires.
 J‘ai donc cru nécessaire de rappeler l’action de l’association Liberté pour l’Histoire et ses principes fondateurs :

« L’’histoire ne doit pas être l’esclave de l’actualité, ni s’écrire sous la pression de mémoires concurrentes. Dans un Etat libre, il n’appartient à aucune autorité politique de définir la vérité historique et de restreindre la vérité de l’historien sous la menace de sanctions pénales… En démocratie, la liberté de l’histoire est la liberté de tous ».

Voir aussi la remarquable tribune de Pierre Nora dans le Monde du 28 décembre 2011 dans laquelle Pierre Nora qualifie de « funeste » la loi « pénalisant la contestation des génocides établis par la loi », votée par l’Assemblée nationale en décembre 2011 principalement pour réprimer la contestation du « génocide arménien ».
Il rappelle que le mot génocide a une aura magique, mais que les historiens sérieux sont réticent à l’utiliser, lui préférant, selon les cas  « anéantissement », « extermination », « crime de masse ». Et aussi que ces lois mémorielles, « sport législatif purement français », sont à extension indéfinie : génocide vendéen, ukrainien (1932-33) et plus généralement soviétique,
Les français d’origine arménienne peuvent-ils être vraiment satisfait d’une loi liberticide, votée par moins de cinquante députés pour des motifs démagogiques ? N’est-ce pas au fond leur faire injure ?

Il faut donc dénoncer une loi d’essence totalitaire s’attaquant à la liberté de pensée et aux libertés universitaires. A gauche (Jean Glavany, Hubert Védrine…) comme à droite (Alain Juppé) , des hommes politiques s’y sont courageusement opposé.

 S’il est bon de rappeler la compassion qu’on peut avoir pour le peuple arménien et toutes les victimes de l’histoire, il ne faut pas transiger avec les principes de liberté sans laquelle la République n’est plus

lundi 26 décembre 2011

OGM : faut-il en avoir peur ?

Mythes, peurs et histoire

Rien de nouveau ? En un sens les Organismes Génétiquement Modifiés n’ont rien de nouveau. Depuis longtemps l’homme a amélioré les  espèces végétales et animales par croisement, des plus grandes aux plus petites. Que serait notre alimentation si les agriculteurs, pendant des millénaires, n’avaient pas fait évoluer leurs plantes, si l’on en était resté aux formes primitives du blé (l’égilope ?), du maïs (la téosinte) , du riz, de la pomme de terre ? Et l’excellent Charolais n’a rien d’une espèce sauvage. Les levures produisant la bière ou le pain, ces premiers exemples de biotechnologie,  ont fait l’objet de sélections millénaires.
Ce qui est nouveau c’est que le progrès des biotechnologies a rendu moins aléatoires, plus rationnelles et extraordinairement plus efficaces les techniques traditionnelles de croisement d’espèces, permettant plus sûrement d’obtenir des variétés possédant un caractère désiré.
En même temps, ces techniques de génie génétique rendent plus sûres les OGM, car l’on connaît précisément les modifications qu’ils ont subies. Comme pour toutes variétés nouvelles, ils doivent passer par le filtre des tests toxicologiques et écotoxicologiques réglementaires mais l’on risque moins de surprises. Ainsi, on peut plus facilement étudier l’effet direct de la présence accrue de certaines protéines à partir de ces protéines purifiées, ce qui procure une marge de sécurité supplémentaire. Le risque allergène a souvent été mis en avant ; là encore, il est moindre que pour n’importe quelle nouvelle espèce créée par une méthode traditionnelle, d’ autant qu’il existe des banques de données de plus en plus précises de séquences protéiques allergisantes.
Rien de nouveau ? L’homme n’a pas attendu les OGM pour provoquer des catastrophes. Ainsi, dans les années 30, des sélectionneurs américains ont l’idée d’améliorer les grandes plaines américaines pour la nutrition du bétail  en y introduisant une variante spéciale de la fétuque élevée, Kentucky 131. Il s’avéra rapidement que cette variété empoisonnait le bétail , provoquant avortement, réduction de croissance, chute des queues et des sabots… Mais Kentucky 131 s’est si bien adaptée qu’elle occupe plus de 140.000 km2 aux USA et est devenue invasive dans les prairies naturelles (La Recherche, nov2011). L’introduction volontaire de la myxomatose, notamment en France, pour contrôler la pullulation des lapins… a entraîné entre 1952 et 1955 la mort de plus de 90% des lapins sauvages, et la décimation des clapiers familiauxx et industriels, et l’effondrement de la production de peaux….
Donc oui, l’introduction des OGM doit être étudiée et contrôlée, comme toute introduction de nouvelles espèces. Là encore, les techniques utilisées rendent, doivent aussi rendre plus facile le contrôle en cas de dissémination ou autre problème.

Des OGM à l’origine d’immenses progrès

En 1978, un gène humain codant l’insuline est introduit dans la bactérie Escherichia coli, pour lui faire produire de l’insuline humaine. En 1982, la mise sur le marché d’insuline recombinante est la première application commerciale du génie génétique et révolutionne le traitement du diabète. Le drame des enfants atteints par la maladie de Creutzfeld Jacob lors du traitement par une hormone de croissance contaminée extraite d’hypophyses de cadavres ne pourrait plus se produire ; désormais, l’hormone de croissance est aussi produite par des OGM. Les techniques de génie génétique sont aussi mises à profit pour le traitement de maladies, jusqu’ici incurables, par thérapie génique (mucoviscidose, hémophilie, déficit immunitaires graves…). Les patients ainsi traités seront, au moins partiellement, des humains génétiquement modifiés…
L’utilisation d’animaux de laboratoires génétiquement modifié (généralement rats ou souris) pour reproduire au mieux des pathologies humaines et inventer de nouveau traitements est d’usage maintenant courant. Des entreprises françaises telles GenOway, sont en passe de devenir  des leaders du marché du rongeur génétiquement modifié. Là encore, il ne s’agît que de réaliser plus efficacement et rationnellement une démarche traditionnelle qui avait, par exemple, permis d’obtenir des races de rat génétiquement hypertendus ; cependant, devant l’extension de ces méthodes, sans doute faudrait-il que le Conseil Consultatif National d’Ethique précise davantage les pratiques acceptables…et celles qui ne le seraient pas.
Dans un domaine mêlant santé et environnement, les  OGM connaissent également des succès qui iront en s’amplifiant . On peut ainsi prédire un bel avenir aux MGM, moustiques génétiquement modifiés. Des premiers lâchers de mâles portant un gêne létal pour leur descendance ont eu lieu en 2009 en Malaisie, en 2011 aux îles Caïmans pour lutter contre la dengue. Des anophèles génétiquement modifiés incapables de transmettre le virus du paludisme ont été fabriqués ; ils constitueront une méthode de choix pour lutter contre le paludisme, le plus grand tueur d’enfants. D’autres aideront à éviter l’installation du chikungunya en France…

Les OGM et l’agriculture

En fait l’essentiel du débat sur les OGM et les plus fortes résistances sont concentrées dans le domaine agricole, et cela s’explique principalement pour quatre raisons : les tabous et peurs liées à l’alimentation ; le fait que les améliorations proposées jusqu’à présent n’apportent aucun bénéfice direct au consommateur, mais des gains de productivité aux agriculteurs ; les possibilités de dissémination des gênes ; le modèle économique qui rend les agriculteurs plus dépendant des semenciers et géants agro-industriels.
En ce qui concerne la sécurité sanitaire des OGM, les problématiques et techniques d’évaluation sont bien connues et validées, et n’ont d’ailleurs rien de particulier aux OGM, pour lesquelles elles devraient en fait être plus faciles et plus sûres
La quasi-totalité des OGM actuellement existant sont  soit rendus résistant à un insecte ( MaïsBt- contre la Pyrale-,CotonBt), soit  rendus tolérant à un herbicide (généralement Round-up résistant). De fait, ils n’apportent rien directement aux consommateurs et ne profitent – éventuellement- qu’aux agriculteurs.  Mais est-il donc si indifférent d’utiliser éventuellement moins d’herbicides ou de pesticides ? Avons-nous à ce point rompu nos attaches avec la terre et le monde paysan que nous sommes indifférents à l’empoisonnement des sols, pire, à celui des paysans qui ont payé un lourd tribu trop ignoré aux produits phytosanitaires ? Et, dans nombre de pays, une différence de rendement agricole même faible fait la différence entre une survie difficile et une exploitation permettant de vivre dignement. Les paysans africains et indiens qui adoptent massivement les OGM ne s’y trompent pas.
La dissémination des gênes est un risque réel, dont le principal inconvénient est de faire perdre leur intérêt aux OGM qui les portent, et éventuellement de rendre inefficaces certains herbicides et insecticides. Ils doivent pouvoir être évalués, comme l’exige le principe de précaution, par des essais en champs ouvert.
Or ces expériences en champs ouverts sont en France, assez systématiquement visés par certains écologistes. Ainsi ont été détruits des champs d’essai de l’INRA où étaient cultivés des plans de maïs transgénique visant à réduire les apports en engrais azotés, ou de plans de  vigne permettant de bloquer une maladie que l’on ne sait actuellement pas contrer, le court-noué- et ceci avec un soutien total de viticulteurs voisins parfaitement informés et consultés.
Ces saccages injustifiables concernant un organisme de recherche public doivent être réprimés de manière suffisamment dissuasive ; mais peut-être faut-il d’abord, que la communauté scientifique se mobilise pour les dénoncer, pour manifester son soutien aux chercheurs qui voient ainsi s’envoler des années de recherche et pour expliquer l’intérêt des recherches menées. Or, cette élémentaire solidarité s’est assez peu manifestée.
Concernant la dissémination, une expertise extensive a été menée par des chercheurs de l’INRA et du CNRS. Le Monde, 18 nov 2021). Elle a mis en évidence qu’en effet, dans de nombreux pays où les OGM résistant aux herbicides ont été utilisés, il est apparu  très rapidement des formes adventices, c’est-à-dire des mauvaises herbes résistantes aux herbicides. Du coup, les bénéfices escomptés (moindre quantité de traitements) sont réels à court terme, mais disparaissent au bout de quelques années. C’est ce qui peut être observé après près de dix ans d’utilisation intensive, essentiellement aux USA et au Canada, où des variétés comme Ambrosia trifodis, très allergisante, sont devenues difficiles à contrôler car devenues résistantes au Round up.
Or, ce que les experts montrent, c’est que ces phénomènes de résistance seraient peu importants ou inexistants si l’on ménageait suffisamment de surfaces non OGM entre les cultures OGM. En quelque sorte, les OGM aux USA et au Canada ont été victimes de leur succès, et les agriculteurs qui les ont employés se retrouvent avec un problème de résistance pire qu’auparavant. En France, la structure agricole, la taille des exploitations devraient limiter ces risques.
L’utilisation d’OGM peut être autorisée, mais elle doit être réglementée et obéir à des bonnes pratiques telles que mentionnées dans le rapport INRA –CNRS.
La France et l’Europe sont confrontées à une nouvelle demande du groupe BASF pour Fortuna, une variété de pomme de terre transgénique destinée à  l’alimentation humaine et végétale. Fortuna  dérive d'une variété de pomme de terre cultivée, Agria très productive et particulièrement adaptée à la fabrication des frites. Deux gènes de résistance au mildiou, provenant d'une espèce de pomme de terre sauvage d'Amérique du Sud, Solanum bulbocastanum ont été introduit pour créer Fortuna. L’enjeu n’est pas médiocre, mais un c’est un enjeu public de sécurité alimentaire : rappelons que le mildiou de la pomme de terre a été la cause de la grande famine en Irlande au milieu du XIXe siècle ( un million de victimes, deux millions d’émigrés). L'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et les autorités françaises vont devoir se prononcer ; il est difficile de voir sous quel prétexte elles pourraient refuser leur agrément.
Les pommes de terre et les frites transgéniques sont devant nous, avec la fin d’une peste agricole meurtrière.
Nous vivons déjà dans un monde d’OGM, et ce n’est pas fini : d’immenses progrès et possibilités sont devant nous, qui permettront à toute l’humanité une alimentation suffisante et de qualité. Reste que l’acceptabilité des OGM, particulièrement dans le domaine agroalimentaire, est conditionné au respect du principe de précaution et aux études qu’il exige, à des contraintes réglementaires scientifiquement fondées, à une information claire et loyale, en particulier sur l’intérêt de ces OGM ( pour quoi faire ?, qui en profite ?). La culture des OGM devra s’accompagner d’une culture du débat entre parties concernées.


vendredi 2 décembre 2011

Les Français et la recherche scientifique



Les Français et la recherche scientifique

Les Français croient encore au progrès

« Comment les Français regardent la science « , c’est le titre d’un remarquable article publié par La Recherche  de septembre 2011 suite à une enquête originale commandée par La Recherche et le Monde. De façon impressionnante, 70% des personnes interrogées se déclarent intéressées par la science, bien plus que par la politique (56%) , l’économie (50%) ou le sport (45%). Même s’il s’agît de réponses de convenances plus que de véritable intérêt, c’est bon à prendre. Et 75% des personnes interrogées croient que la science apportera des solutions aux problèmes que nous rencontrons aujourd’hui, contre 23% persuadés du contraire ; et pour 56% pensent que grâce à la science et à la technologie, les générations futures vivront mieux.
Avant de trop céder aux marchands de peur, aux contempteurs du progrès et aux adeptes de la décroissance, la gauche ne devrait donc pas avoir peur de se définir comme progressiste !

...mais méconnaissent la science

Point plus embarrassant, l’article montre que les Français, s’ils lui font encore confiance, méconnaissent la science. Ainsi 92% des Français pensent que la science permettra de guérir le Sida, 91% le cancer, 88% la maladie d’Alzheimer. Les scientifiques de profession seraient sans doute beaucoup moins optimistes, à court et moyen terme. Cet optimiste est sans doute dû aux progrès formidables enregistrés dans le traitement –  pas vraiment la guérison- des malades du sida ; et en ce qui concerne le cancer, il n’y aura pas de « balle magique », mais des progrès partiels pour certains types de cancer ; pour l’Alzheimer, nous manquons des connaissances fondamentales nécessaires, et l’industrie pharmaceutique, qui assurait auparavant une bonne partie de la recherche fondamentale s’en détourne en raison de l’augmentation des coûts de la recherche.
69% des Français pensent possible la découverte de nouvelles formes de vie dans l’Univers, de prévoir les catastrophes naturelles comme les tremblements de terre, et d’envoyer des humains vers d’autres galaxie ; le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est pas gagné, voire impossible.
Gardons-en l’aspect positif qui est que l’aventure scientifique et technique continue à faire rêver ; et un aspect plus négatif, qui est que, quand même, l’enseignement des sciences devrait être repensé…
En revanche, 43% des Français pense que la science ne permettra pas de créer un homme bionique  - lequel existe déja, à travers les différents implants, les membres articulés, bientôt les organes artificiels comme le cœur et le pancréas,  les électrodes implantées dans le cerveau pour contrôler certaines maladies neurodégénératives.
Enfin  69% estiment que la science permettra de cloner un être humain, sans que cela semble soulever une réprobation particulière…

Confiance ou méfiance ?

De façon globale, les chercheurs, le CNRS, les médecins, l’Académie des sciences bénéficient d’un taux de confiance extrêmement élevé (supérieur à 80%) en ce qui concerne les enjeux de la recherche scientifique et les « débats qu’ils peuvent susciter » ; cela mettra du baume au cœur des chercheurs des grands organismes de recherche, qui ont souffert de quelques remarques gouvernementales désobligeantes et se sentent souvent mis en cause. Les enseignants bénéficient étonnamment d’une  confiance moindre (65%- équivalente à celle des journalistes scientifiques)- là encore, cela suggère que l’enseignement des sciences pourrait être amélioré.
Par contre le discrédit des députés spécialisés dans les questions scientifiques  (26% de confiance) et du gouvernement ( 18%) est quasi-total. Ce n’est pas vraiment pas une bonne nouvelle, car la recherche scientifique dépend fortement de la puissance publique.
Et c’est immérité, car, par exemple, l’Office parlementaire des choix  scientifiques et technologiques fait un travail souvent utile et intéressant, sans doute trop peu connu et diffusé ;
La confiance accordée aux chercheurs reste cependant très relative ; sur des sujets très polémiques comme le nucléaire, les OGM, les Français ne sont que moins de 35% à faire confiance aux chercheurs pour dire la vérité sur leurs recherches (44% pour les nanotechnologies, 47% les neurosciences, 49% les cellules souches…

Solutions pour un bilan mitigé

Les Français continuent à croire au progrès, au caractère bénéfique de la science, et celle-ci continuent à faire rêver ; par contre, ils n’accordent plus qu’une confiance limitée aux chercheurs, surtout lorsque ceux-ci travaillent dans des domaines sujets à polémique ; et lorsque la politique s’en même, la confiance disparaît quasi-totalement. Si la France veut continuer la grande aventure scientifique qui a été la sienne, si elle veut qu’apparaissent des successeurs à Descartes, Laplace, Pasteur, Ampère, Claude Bernard, on ne peut pas se contenter de ce bilan assez mitigé.
L’enseignement à un rôle important à jouer, qu’il ne remplit pas de manière satisfaisante, et doit donner à tous cette connaissance générale des méthodes et principaux résultats des sciences que préconisait Auguste Comte. L’introduction de modules d’histoire des sciences serait de nature à faire mieux connaître la démarche scientifique.
A cela, il faut ajouter, pour les chercheurs, l’ardente obligation de la vulgarisation scientifique ; le public qui finance a le droit qu’on lui explique, en termes compréhensibles, les buts généraux des recherches poursuivies, ces buts n’étant pas nécessairement utilitaires : les grands astronomes ont toujours su fasciner le public pour des recherches sans applications pratiques.
Enfin, il n’est plus possible de continuer comme avant, et la science n’échappera pas à l’obligation de la démocratie participative, à l’instauration d’un trialogue entre experts- qui apportent une opinion informée, « disent ce qu’il faut », le public, qui définit ce qu’il veut, et les décideurs.
Nous ne pouvons plus nous contenter d’un dialogue entre scientifiques et pouvoirs. L’Office parlementaire des choix  scientifiques et technologiques effectue, je l’ai dit, un travail utile et intéressant, mais qui doit s’élargir à la concertation, au débat avec des parties prenantes ou citoyens intéressés, selon les principes de la démocratie participative
A cette condition , pourra être restauré un lien de confiance entre la science et les Français, basé sur un dialogue informé, utile, efficace.






vendredi 25 novembre 2011

Année internationale de la chimie : une occasion manquée



Recherche et innovation _la chimie

Année internationale de la chimie : une occasion manquée

2011 a été déclarée année internationale de la chimie, et l’historique de cette déclaration devrait réjouir le cœur des chercheurs, ingénieurs, techniciens, praticiens d’une science parfois si vilipendée : ce n’est pas l’Allemagne ou la Suisse, qui, selon les procédures de l’ONU a proposé cette année internationale…c’est l’Ethiopie, pour honorer et faire connaître le rôle de la chimie dans le développement durable de l’Afrique, notamment dans la purification de l’eau.
De fait le rôle de la chimie est souvent ignoré, en tant que science, et en tant qu’industrie, parce qu’elle fournit essentiellement des produits ou matériaux intermédiaires, qui ne parviennent pas directement à l’utilisateur final. Pourtant, que serait l’alimentation des humains sans engrais ? Que seraient nos habits sans tissus et colorants synthétiques? Nos intérieurs sans plastiques ? notre santé sans médicaments chimiques ?
En France l’année internationale de la chimie a été une occasion manquée.

La chimie en tant que science

L’Actualité Chimique, Journal de la Société Française de Chimie, a consacré un no spécial (sept 2011) au thème Chimie et Société. Parmi les principaux contributeurs, deux maîtres français de la discipline, professeurs au Collège de France, Jacques Livage et Marc Fontecave expliquent les buts et les enjeux de la chimie :
- Comprendre le comportement de la matière, comment, elle se forme et se transforme. La science chimique permet de décrire la composition de la matière inerte et vivante et contribue à en expliquer le fonctionnement, de l’apparition de la vie sur terre aux organismes les plus évolués
- Créer de nouvelles molécules ou de nouveaux matériaux qui n’existaient pas jusque –là, et qui présentent des propriétés inattendues. La chimie est science de la création, parfois comparable à la démarche artistique, à mi-chemin entre le rationnel et l’intuitif
- La chimie est aussi un langage universel, pratiqué et compris à travers la planète par tous les scientifiques
- La chimie élargit presque sans limites le monde matériel dans lequel nous vivions. Elle le façonne et répond aux besoins de la société en élaborant des produits qui permettent d’améliorer notre santé, de lutter contre la pollution, de développer de nouvelles sources d’énergie.
- Pour le chimiste, la nature n’est pas un adversaire mais un partenaire dont il découvre, étend, modifie, valorise les productions. Les organismes biologiques sont d’abord des systèmes chimiques et la nature de la cellule est un problème entièrement moléculaire ( Whitesides). Nous sommes loin de l’opposition entre naturel et chimique que promeut une certaine vulgate pour qui le chimique est dangereux et artificiel, le naturel sain. (c’est parmi les molécules naturelles que l’on trouve les poisons les plus puissants, parfois source d’inspiration pour des médicaments


La chimie en tant qu’industrie

Selon le chimiste français Jean-Marie Lehn, prix Nobel de chimie en 1987 : « un monde privé de chimie serait un monde sans matériaux synthétiques, donc sans téléphone, sans ordinateur, sans cinéma, sans tissus synthétiques ». Plus largement, ce serait un monde sans savon, sans dentifrice, sans parfums, sans cosmétiques, sans carburants, sans encres, sans livres ni journaux. Tous ces produits font en effet appel à l’industrie chimique.
L’industrie chimique française est méconnue. Elle regroupe plus de 800 entreprises et  180.00 salariés (6.4% de l’emploi industriel), occupe le 5ème rang mondial, le deuxième en Europe derrière l’Allemagne ; elle représente 22% des exportations françaises (53% du CA est exporté ) et génère une valeur ajoutée  de 18 milliards d’euros pour un chiffre d’affaire de 85 milliards. Les dépenses de recherche représentent  3.1 milliards d’euros, soit  entre 2.2 et 2.6% du CA.
La chimie dangereuse et polluante ?  C’est largement du passé : l’industrie chimique est l’une des plus réglementée du point de vue environnemental et l’accidentologie y est parmi les plus faibles de toutes les branches industrielles ;
Pourtant l’industrie chimique reste en France mal considérée. En Allemagne, la chimie a une image positive chez deux tiers des sondés ; en France, chez un tiers. Les deux tiers des personnes interrogées estiment que la majorité des produits chimiques d’origine naturelle sont moins dangereux que les substances chimiques… ce qui est évidemment, parce qu l’homme  connaît, évalue, contrôle la toxicité des composés qu’il fabrique.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Au XVIII et XIXème siècle, la chimie est largement une science française, avec Lavoisier, Berthollet, Gay-Lussac, Fourcroy, Chaptal, Berthelot, Dumas, Laurent, Gehrardt…et est extrêmement populaire. A l’Ecole Polytechnique, lors de sa fondation, elle est aussi importante que les mathématiques.  Et la France est assez bien représentée parmi les Prix Nobel de chimie : Henri Moissan, Marie Curie, : Frédéric Joliot, Irène Joliot-Curie, Victor Grignard, Paul Sabatier, Jean-Marie Lehn, Yves Chauvin.

La chimie et les défis de l’avenir.

La chimie science du recyclable : la chimie n’a pas attendu le XXIème siécle, et pas même le XXème, pour se préoccuper de développement durable : les boules de billards en plastique furent inventées aux USA en 1870 afin de sauvegarder les éléphants dont les défenses étaient auparavant utilisées pour fabriquer ces boules.
Avec l’épuisement des ressources naturelles et matières premières, nos sociétés  ne peuvent plus gaspiller  comme par le passé. Leur survie passe par un développement extraordinaire des procédés de recyclage. La valorisation de matières premières rares ou à forte valeur passe par le développement de procédés chimiques spécifiques. En particulier, il faut développer rapidement des procédés de séparation et purification des métaux rares et des ressources stratégiques.
La chimie pour l’énergie : la chimie est indispensable dans la résolution de la question énergétique. En particulier, il n’y aura pas de solaire et  il n’y aura pas de véhicules électriques sans le développement de nouveaux matériaux pour le stockage de l’énergie intermittente (batteries notamment) ou pour son transport (matériaux à faible résistance) L’invention de nouveaux matériaux plus performant pour capter l’énergie solaire est indispensable au développement du photovoltaïque ;
Surtout la chimie doit se préparer à remplacer le pétrole par une ressource durable. La chimie du végétal va connaître un développement extraordinaire et nécessiter un effort de recherche considérable. En effet, pour sécuriser l’accès aux matières premières et en particulier au carbone, l’utilisation de matières premières renouvelables, issues de la biomasse, terrestre ou marine (algues) est indispensable. Il faudra notamment promouvoir l’utilisation de matières premières renouvelables et soutenir les collaborations entre les agro-industriels et les chimistes ; développer des filières et des installation industrielles nouvelles (« bioraffineries ») ; développer une forte synergie entre les sciences de la vie et la chimie notamment pour développer les  biotechnologies, inventer de nouveaux  procédés de catalyse chimique.
Chimie, santé, alimentation : la chimie restera essentielle dans l’invention de nouveaux médicaments, dans leur vectorisation, dans leur production, dans l’invention de nouveaux engrais, pesticides, insecticides plus efficaces et dépourvus d’effets secondaires. Elle devra continuer à mieux connaître, évaluer, prévoir la toxicité pour l’homme et l’environnement de ses produits, le processus commencé avec la démarche Reach doit être poursuivi. Il faudra favoriser l’émergence de plate-formes de compétences, incluant les compétences toxicologiques et éco-toxicologiques,
 La chimie devra continuer à inventer de nouveaux matériaux – parmi lesquels les nanomatériaux auront des applications étonnantes dans tous les domaines.

l’année internationale de la chimie a été une occasion manquée

L’année internationale de la chimie aurait été une excellente occasion de faire connaître l’importance, l’intérêt et les défis de la chimie comme science et comme industrie. Les sociétés savantes ont organisé quelques expositions ( dont une au palais de la Découverte, mais rien à La Cité des Sciences) et colloques, une firme chimique (BASF ) a mené une campagne dans les journaux et la télévision fort bien faite, illustrant l’ensemble des utilisations de la chimie…c’est ainsi que la chimie allemande est grande, dommage que la chimie française, pourtant importante, n’en ait pas fait autant. Le gouvernement français, les ministres de la recherche, de l’industrie, de l’enseignement ont été quasiment muets et inactifs ; c’est ainsi que la chimie française reste plus faible qu’elle ne pourrait l’être. En France, l’année internationale de la chimie a été une occasion manquée.
Pourtant, il y a beaucoup à faire pour améliorer la compréhension et la perception de la chimie par le public français. La chimie est le parent pauvre de l’enseignement scientifique, moins considérée que les mathématiques, la physique et les sciences naturelles. Historiquement, cela n’a pas été toujours le cas, notamment  au début du XIXème siécle, lorsque la France dominait la chimie mondiale.
La question de l’enseignement est cruciale. La place de la chimie dans l’enseignement doit être renforcée, les programmes doivent être modifiés de façon à mieux mettre en évidence ses grands résultats, toutes ses applications et implications ; les manuels revus. Il faut sans doute se reposer la question de professeurs de chimie spécialisés, plutôt qu’un professeur de physique traitant la chimie quand il lui reste du temps.
La chimie souffre d’être une science transversale, son unité doit être mieux comprise. Partout, des professeurs passionnés inventent des travaux pratiques ludiques et formateurs, l’année internationale de la chimie aurait pu être une occasion de les faire connaître et de les répandre dans l’enseignement. La chimie souffre d’être une industrie intermédiaire, l’année internationale de la chimie aurait été une excellente occasion de mettre l’étude internationale de l’industrie chimique au programme du bac de géographie. La place de la chimie organique et structurale dans les sciences du vivant, de la chimie analytique dans l’art, dans la médecine légale, l’histoire de la chimie sont autant d’angles d’attaques multidisciplinaires qui pourraient et devraient être développés dans la cadre de travaux personnels d’élèves. L’enseignement pourrait se fixer comme objectif que chaque élève ait eu à traiter un  projet impliquant la chimie au cours de sa scolarité.
De son côté, l’industrie chimique française doit renforcer ses liens avec l’Université et la Recherche. L’industrie chimique française, contrairement à l’Allemagne, l’Angleterre, les USA emploie encore trop peu de cadres formés à la recherche par un doctorat, et, d’autre part, les docteurs en chimie ont les plus grandes difficultés d’insertion : c’est un gâchis. Il faut aussi ouvrir les sites industriels sur l’extérieur, développer avec les riverains des rapports fondés sur la connaissance réciproque et la confiance. La région Rhône-Alpes semble particulièrement dynamique, avec une ouverture sur l’éducation et notamment des visites des centres de recherche, d’ingénierie, de production qui  sont appréciées (cf Gérard Guilpain, Actualités chimiques, sept 2011)

lundi 21 novembre 2011

La fin des laboratoires Fournier

La fin des laboratoires Fournier

Le géant pharmaceutique américain Abbott a annoncé jeudi son désengagement de toutes les activités des Laboratoires Fournier. Suite à cette annonce, ce sont 300 salariés qui vont perdre leur poste ;

La recherche des laboratoires Fournier, autrefois fleuron de l’industrie pharmaceutique française, va disparaître.  Fournier, groupe familial, notamment été l’inventeur du Lipanthyl ( fénofibrate), l’un des médicaments contre le cholestérol le plus prescrit au monde, et qui représente plus d’un milliard de dollar de chiffre d’affaire. Les Laboratoires Fournier ont aussi inventé et développé les produits  Urgo
Fournier, fondé en 1880, vendu à Solvay en 2005 par l’un des derniers héritiers de la famille fondatrice suit avec un retard d’un an le sort de Solvay racheté et détruit par Abbott en 2010.
Est-il besoin de dire qu’ Abbot, avec un chiffre d’affaire supérieur à 35 milliards de dollars et un bénéfice estimé à 3.7 milliards, n’est nullement dans la nécessité d’arrêter la recherche de Fournier ?
Pourtant Abbot va fermer le centre de recherches de Dijon, où travaillent actuellement plus de  trois cent personnes. Ce sont des emplois hautement qualifiés qui vont disparaître, et c’est une tragédie pour la région et les personnes touchées. Une société formée par trois cadres de Fournier, Inventiva, tentera de sauver une centaine d’emplois en recherche, avec un financement (et probablement, compte-tenu des expériences antérieures, une durée de vie) garantie sur  trois ans.
Là comme pour UPSA racheté par BMS, Lafont par Cephalon, Jouveinal par Pfizer, Novexel par  Astra Zeneca, des prédateurs américains rachètent les pépites d’une recherche fructueuse menée en France et ferment les centres de recherche français.
La recherche pharmaceutique française  et l’industrie pharmaceutique française sont en train de disparaître, avec une conséquence prévisible : les médicaments de demain seront inventés ailleurs, et il faudra les payer très cher ou y renoncer.
Il est temps de mettre fin à ce véritable pillage de la recherche thérapeutique française ; ce n'est pas en renonçant à agir, en se réfugiant derrière les faux principes d'un libéralisme que nous sommes  les seuls à pratiquer naïvement qu'on favorisera le redressement industriel de la France . Temps aussi de mener une véritable politique du médicament dont le rapport Marmot avait jeté les bases.

mercredi 2 novembre 2011

Recherche et politique énergétique

Recherche et politique énergétique

Energie : droit dans le mur !

Le conseil mondial de l’énergie a estimé que, pour une population estimée à 10 milliards d'habitants en 2050, la demande mondiale d'énergie primaire passerait de 9,2 milliards de tep en 1990 à un niveau compris entre 11,4 et 15,4 milliards de tep en 2020 puis à un niveau compris entre 14,2 milliards de tep et 24,8 milliards de tep en 2050. En tout état de cause,la consommation mondiale d'énergie s'accroîtra de 49% d'ici 2035 par rapport à 2007. Les principaux besoins en énergie seront exprimés par la Chine et l'Inde : leur part dans la consommation d’énergie était de 20% en 2007, elle atteindra 33% en 2035. En revanche, la part des Etats-Unis baissera de 21% à 16% durant cette même période.
La part du combustible fossile est actuellement de 85%, elle devrait baisser à 75%.
Pour donner une idée des défis à résoudre, si la Chine et l'Inde devaient rejoindre du jour au lendemain le niveau sud-coréen en matière d'équipement automobile, ces deux pays auraient des besoins en pétrole représentant l'équivalent de deux fois ce que consomme aujourd'hui... l'ensemble du monde !
Or, dans son rapport 2010 l'Agence Internationale de l'Énergie considère que nous avons déjà dépassé le pic pétrolier : « La production de pétrole brut se stabilise plus ou moins autour de 68-69 Mb/j (millions de barils par jour) à l'horizon 2020, mais ne retrouve jamais le niveau record de 70 Mb/j qu'elle a atteint en 2006 »
Nous allons donc droit et rapidement vers une pénurie pétrolière ; l’augmentation de la consommation de gaz, la ré exploitation du charbon permettront d’y suppléer transitoirement, à un coût écologique important – du point de vue écologique, l’arrêt du nucléaire en Allemagne et sa substitution en grande partie par du charbon est une très mauvaise nouvelle pour le changement climatique.
Le Conseil mondial de l'Énergie a lancé dans un style très ONUesque et politiquement correct ce qui doit être considéré comme un vrai cri d’alerte : « Le vrai défi est de communiquer la réalité selon laquelle le passage à d'autres sources d'approvisionnement prendra de nombreuses décennies et que, dans ces conditions, il faut commencer dès aujourd'hui la concrétisation de cette nécessité et engager les actions appropriées »
Un certain « Il y a qua » écologique nous emmène au pays des bisounours énergétique plein de forêts d’éoliennes, de champs de biodiesel et de cellules solaires ; curieux pays tout de même : sous un climat favorable, une maison au toit entièrement couvert de cellules photovoltaïques peut être autonome, mais pour un supermarché, il faudrait un champ photovoltaïque d’environ dix fois la taille de son toit, et de 1000 fois la taille du toit pour un gratte-ciel ! Pour satisfaire la consommation des USA en carburants, il faudrait cultiver en biocarburants plus du double des terres actuellement cultivées… (cf. notamment les articles et livres de Vaclav Smil).
Pour autant, les techniques permettant une meilleure exploitation de l’énergie solaire, et aussi et surtout de son stockage, et de nouveaux biocarburants constitueront un apport important dans un futur mix énergétique… mais il faudra encore beaucoup de temps et d’effort pour remplacer une énergie aussi concentrée et facile d’utilisation que le gaz et le pétrole ; les difficultés seront considérables.

Le nucléaire ou la guerre

Il existe un consensus large chez les énergéticiens pour penser que dans le siècle qui vient, la solution sera un basculement important vers l’électricité, et vers la seule production d’électricité compatible avec les exigences de la vie moderne et de l’industrie, le nucléaire ; et aussi avec le développement et la justice : en 2011, un milliard et demi d’humains n’ont pas accès à l’électricité, cela ne peut pas durer et la seule solution possible – mais pas exclusive - ,à l’échelle du siècle, est le développement du nucléaire. Le nucléaire fournit 14 % de l’électricité mondiale ; en 2050, ce sera plus de 24%. L’Agence internationale de l’énergie prévoit donc une augmentation importante du nucléaire. Tout cela amène le Prix Nobel de la paix 2005, M. El Baradei, à considérer qu’ « on ne peut se passer du nucléaire » (Le Monde, 29 sept 2011). En 2011, soixante-cinq réacteurs nucléaires sont en construction dans quinze pays ; la Chine, l’Inde, la Russie (qui a lancé une initiative internationale sur le nucléaire du futur), le Brésil, l’Afrique du Sud…augmenteront significativement leur production nucléaire. La Corée du Sud, dont la situation énergétique est assez comparable à celle de la France, en est déjà à 38% d’électricité nucléaire, avec 19 réacteurs. Et lorsque sous la pression d’émotions publiques, des pays déclarent vouloir sortir du nucléaire…ils le font très lentement. Ainsi, la Suède avait programmé sa sortie du nucléaire en 1980 ; elle avait alors douze réacteurs nucléaires ; trente ans plus tard, elle en a encore onze…
En ce qui concerne la France, le rapport 2010 de l’Agence internationale de l’énergie lui décerne plutôt un satisfecit. Il indique que la France est le deuxième consommateur d’électricité en Europe, pour une part de production nucléaire de 80 %, ce qui constitue une particularité de notre pays. Il rappelle par ailleurs que la France importe la totalité de ses besoins en pétrole, gaz et charbon. La France est aussi le deuxième pays européen pour la production d’énergies renouvelables. Il souligne également la réussite de notre politique de diversification de nos sources d’approvisionnement qui contribue à notre sécurité énergétique. Il précise enfin que les émissions de CO2 de la France sont parmi les plus basses des pays de l’AIE. Car, en effet, dans le siècle qui vient, le nucléaire est la seule source d’énergie à permettre une réduction conséquente des gaz à effets de serre et donc la lutte contre le réchauffement climatique.
Toujours en ce qui concerne l’énergie nucléaire française et les orientations politiques récentes, il faut noter un avertissement important du Commissariat Général du Plan : « Ceci pourrait conduire, si l'on n'y prend pas garde, à la disparition de pans entiers des industries électronucléaires occidentales au profit de leurs concurrentes asiatiques. Il serait dangereux, tant sur le plan de la sécurité des approvisionnements énergétiques que sur celui de la stabilité économique et sur celui de la protection de l'environnement, de ne pas maintenir un ensemble industriel cohérent dans ce domaine »
Ce développement prévisible du nucléaire a des conséquences immédiates importantes ; il implique de revenir sur la politique de libéralisation de l’énergie qui conduit immanquablement à sacrifier la sécurité à la rentabilité ; il nécessite des régulateurs forts, et est incompatible avec une production entièrement confiée à des opérateurs privés et même avec une externalisation importante de certaines tâches impliquant la sécurité ; il nécessite un effort continu d’augmentation de la sécurité, l’introduction de nouvelles technologies, et éventuellement la fermeture de centrales obsolètes qui ne pourraient être améliorées. M. El Baradei insiste aussi sur la nécessité d’un débat transparent, de l’indépendance d’un régulateur, d’audits internationaux obligatoires effectués par un corps d’inspecteurs formés et dans un cadre de normes internationales.

A l’échelle du siècle, l’absence de choix est donc claire : ou le nucléaire, ou la guerre pour le contrôle de ressources fossiles en raréfaction


Flamanville…mais pas n’importe comment

La poursuite du programme nucléaire est indispensable, elle implique le développement des EPR et donc la nécessité de poursuivre Flamanville…mais pas n’importe comment. Il est normal que la construction d’un prototype s’avère plus compliquée que prévue, mais là, les bornes ont été dépassées : quatre ans de retard, doublement du budget - à six milliards d’euros. L’autorité de sûreté nucléaire a pointé la responsabilité de l’exploitant, pour des problèmes de construction classiques sans grand lien avec le nucléaire : « multiples écarts dans le bétonnage ou le ferraillage…, manque de rigueur de l’exploitant sur les activités de construction…dans la surveillance des prestataires, des lacunes en matière d’organisation ». En fait, on peut se demander si la direction d’EDF n’a pas saboté le programme EPR, M. Proglio favorisant contre Areva (et Anne Lauvergeon) des centrales nucléaires moins élaborées. Fukushima ayant donné entièrement raison à l’ex directrice d’Areva, il faudra en tirer les conséquences pour la direction d’EDF – le remplacement de M. Proglio par Mme Lauvergeon apparaitrait assez logique…
Ajourons que le combustible nucléaire n’est pas infini, et que le programme nucléaire implique aussi la recherche de solution de type surgénérateurs, capables de produire du combustible nucléaire. Le Japon poursuit cette voie sur le site de Monju et prévoyait encore récemment une mise en service en 2013.

La seule énergie durable : le solaire

Reste pour l’humanité future la seule solution durable : le solaire, basé sur cette réalité physique simple : l’énergie fournie par le rayonnement solaire représente plusieurs fois toute demande mondiale concevable.
Reste aussi que le développement inéluctable, nécessaire, souhaitable du solaire se heurte encore à d’importantes barrières technologiques et même fondamentales, notamment une récupération efficace et un stockage de l’énergie permettant son utilisation continue et à la demande.
Le solaire au sens large comprend la conversion directe de l’énergie solaire en électricité (photovoltaïque), ou la conversion photobiologique (biomasse…) ou photochimique ou encore le photothermique (centrales solaires)
- le Photothermique : le photothermique va du chauffe eau solaire individuel – mais qui ne donne pas d’eau chaude quand il fait froid…) à des centrales solaires impressionnantes concentrant la chaleur solaire à l’aide de miroir sur des fluides caloporteurs. Une des plus récentes Nevada solar one, en Californie, mise en service en 2009 produira à terme 64 MWT (contre 1000-1500 MWtt pour un réacteur nucléaire. La Californie et l’Espagne sont particulièrement en pointe dans cette industrie qui exige des conditions climatiques favorables et ne peut rester qu’une source d’appoint. Reste aussi le problème du stockage de l’énergie, qui ne permet au mieux que de couvrir des alternances jour-nuit. Le photothermique tend à être supplanté par le photovoltaïque.
- le Photovoltaïque, aujourd’hui considéré comme la voix royale pour le solaire. Les cellules photovoltaïques (convertissant la lumière en électricité) les moins chères et les plus pratiques, au silicium amorphe n’ont un rendement d’environ 7%, les cellules au silicium cristallin environ 16 %. Il faut aussi mentionner que, pour compenser son coût énergétique de fabrication, une cellule photoélectrique doit fonctionner pendant trois ans. Le développement du solaire implique une augmentation du rendement des cellules photoélectriques –au-delà de 25%- et une baisse du coût de fabrication. La recherche en ce domaine est très active et de nombreuses solutions sont envisagées, entre autre : amélioration des cellules en silicium amorphe, autres métaux (CGIS –cuivre, gallium indium, sélénium), matériaux organiques association de concentration de lumière et de cellules, captation des rayonnements infra-rouge), cellules à jonction…
En France le CEA est très actif en ce domaine, mais aussi d’autres structures l’IRDEP par exemple, associant EDF, CNRS et écoles de chimie. Elles doivent être encouragées à s’associer très tôt avec des industriels afin d’éviter le développement parasitaire de recherches appliquées non applicables, tout en explorant diverses voies en s’assurant le plus tôt possible de leur faisabilité industrielle. L’obtention industrielle de cellules adaptées à une production solaire intensive nécessite encore des innovations importantes, mais le défi technologique paraît raisonnable : des cellules très performantes existent déjà et sont employées dans l’industrie spatiale, à un coût pour l’instant encore prohibitif. Des progrès incessants sont en cours qui devraient aboutir à des solutions satisfaisantes dans dix ou vingt ans.

Le problème du stockage

Une fois réalisés les progrès indispensables dans la captation de l’énergie solaire, le grand problème sera celui du stockage de l’électricité produite. Le seuil de 20% d’énergies renouvelables en 2020 est intéressant car il rendra vraiment indispensable le stockage des surplus de production.
Or le seul moyen existant actuellement consiste à faire fonctionner des barrages hydroélectriques à l’envers, en pompant l’eau. C’est ainsi que l’énergie verte produite en Allemagne est stockée dans des barrages norvégiens. C’est un peu baroque, pas très efficace et surtout très limité ; le grand défi du photovoltaïque, ce n’est pas tant la production que le stockage, et là les barrières technologiques sont importantes et, à vrai dire, aucune solution n’est clairement identifiée, même si de nombreuses pistes existent.
Le stockage dans des batteries exige le développement de nouveaux matériaux et de nouveaux types de batterie de haute énergie, posant d’importants problèmes de sécurité et de capacité…on ne sait toujours pas pour l’instant produire des batteries donnant à une automobile une autonomie équivalente à celle du pétrole. On ne sait pas non plus conserver de l’énergie dans des batteries pour une longue durée. C’est pourtant un domaine de recherche dynamique, dans lequel de nouvelles technologies apparaissent, tels les batteries à métaux liquides et sels fondus. Le développement de nouvelles batteries constitue un élément important dans le développement de l’énergie photovoltaïque – mais sûrement pas la solution unique

L’économie de l’hydrogène, solution au stockage

La voie la plus prometteuse consisterait à stocker l’énergie solaire sous forme chimique, l’hydrogène constituant le candidat le plus évident : c’est la fameuse « économie de l’hydrogène » qui impliquerait une transformation complète de nos circuits énergétiques, mais qui pour le coup, permettait une souplesse d’utilisation équivalente à celles du gaz et du pétrole et un stockage long – le tout quasiment sans effet de serre. Cette filière hydrogène a été dans le passé peut être trop promue, pour de mauvaises raisons – par exemple en faveur d’un choix « tout-électrique/ tout nucléaire »; mais on prendrait probablement peu de risques à prédire un envol éclatant comme solution très pratique pour le stockage et l’utilisation de l’énergie solaire photovoltaïque. La production d’hydrogène par électrolyse de l’eau à haute température ou par cycle thermochimique (il existe un procédé Westinghouse très simple basé sur le soufre) ne pose pas de problème théorique, ne nécessite aucun progrès fondamental, mais seulement un problème de passage à la production industrielle avec amélioration du rendement et des capacités de recyclage. Reste aussi à mettre en place le stockage de l’hydrogène (de multiples solutions sont envisageables, qu’il faudra évaluer, choisir et développer industriellement : stockage sous pression, liquide - avec ses problèmes de sécurité, sous forme d’hydrures, dans des matériaux spécifiques nanotubes de carbone. A mettre en place aussi les circuits de distribution et d’utilisation de l’hydrogène liquide avec de fortes exigences de sécurité, de normalisation et de réglementations sans lesquelles l’utilisation massive de l’hydrogène ne sera pas acceptable. En Europe, l’Islande, qui est en avance sur la filière hydrogène, a ainsi créé une institution (Icelandic New Energy) dédiée à l’introduction de l’hydrogène dans l’économie ; dans une dizaine de ville, dont Amsterdam et Reykjavik circulent des bus alimentés en hydrogène, même si la propulsion automobile ne sera peut être pas l’essentiel de l’utilisation de l’hydrogène
Dans un domaine plus fondamental, on continue à explorer la production directe d’hydrogène à partir de systèmes biologiques (algues par exemples) ou de système chimiques biomimétiques. L’importance que pourraient prendre ces solutions est imprévisible.
On peut estimer que le développement de solutions technologiques complètes pour le stockage de l’énergie solaire prendra plus de cinquante ans.

Les biocarburants

En ce qui concerne la propulsion automobile ou aéronautique, les biocarburants joueront un rôle important. Les biocarburants actuels ne sont guère satisfaisants : Il faut dépenser 1l de carburant fossile pour produire 1.5 l de bioéthanol ou 2 l d’ester de colza et l’immensité des terres à cultiver pour une utilisation de masse rendrait impossible d’assurer l’alimentation humaine. Des solutions plus attractives (biocarburant de deuxième génération) sont en cours de développement et devraient aboutir à des productions industrielles importantes et économiquement et écologiquement satisfaisantes assez rapidement (10-20 ans) : valorisation de la biomasse totale (notamment résidus des cultures alimentaires, dégradations des pailles et des celluloses - en France un essai à Bures doit démarrer- qui incidemment, repose sur l’adjonction d’hydrogène mais bien d’autres techniques sont envisageables et doivent être étudiés et ). Surtout, et l’on parle parfois de troisième génération, des algues sont capables de produire des substituts du pétrole avec un haut rendement – il s’agira là au fond d’une autre forme d’utilisation de l’énergie solaire. La technologie devra être considérablement améliorée, probablement par l’utilisation des techniques de génie génétique, mais des installations expérimentales existent déjà, notamment au Nouveau Mexique ou dans le désert du Néguev. La société américaine Joule Unlimited prévoit de produire dès 2012 du biocarburant en utilisant une cyanobactérie modifiée.
Le développement prévisible des biocarburants rend assez incertain le futur de la voiture électrique, du moins sous forme massive ; d’autant que des progrès peuvent encore améliorer considérablement le rendement des moteurs thermiques ( La Recherche, août 2021 , p.55)
Ces solutions (deuxième ou troisième génération) ne pourront pas être économiquement rentables tant que les combustibles fossiles n’augmenteront pas significativement ; le développement de ces filières devra donc être soutenu. C’est légitime, car elles permettront à des pays comme la France une réduction de sa facture de dépendance énergétique…et ils sont indispensables à l’avenir.
Cependant, aux prix actuel des combustibles fossiles, il existe probablement un effet d’aubaine fort pour des pays qui continueront à utiliser massivement les combustibles fossiles et profiteront ensuite des recherches menées par d’autres pour les remplacer : un problème intéressant pour les économistes et les adeptes de la régulation internationale…

Pour une politique énergétique : débats et décisions

Le défi énergétique est immense et il va s’imposer à nous rapidement. Très vite, les ressources fossiles (gaz, pétrole mais aussi charbon) ne suffiront plus à la consommation énergétique et devront être réservées à des usages élaborés et recyclables ( synthèse chimique).Dans le siècle qui vient, la solution passe par le développement du nucléaire. Progressivement, le solaire et les biocarburants prendront une place importante ; à terme, la seule énergie durable est le solaire. L’impératif de stockage imposera un bouleversement complet de l’économie de l’énergie, de l’industrie, de nos sociétés, en les orientant probablement vers une économie de l’hydrogène. Ces transformations progressives exigeront probablement près d’un siècle.

Une politique énergétique est donc indispensable. Elle passe d’abord par la mobilisation de la communauté scientifique. L’Académie des Sciences pourrait être chargé d’organiser une vaste consultation sur les solutions techniques possibles, les recherches à mener, la priorité à leur accorder (et notamment la place d’Iter…), les possibilités, délais et conditions d’industrialisation des différentes filières, les effets sur l’économie et la société des choix possibles. Cette consultation devra nourrir le débat public et se confronter notamment aux choix des citoyens ; les scientifiques ne peuvent ignorer leur responsabilité de vulgarisation et d’expertise citoyenne. Elle devra également être régulièrement reprise en fonction des progrès scientifiques et techniques.
En ce qui concerne les décisions politiques proprement dites, le rapport Bataille-Biraux de mars 2009 proposait des pistes qui n’ont pas été suffisamment exploitées :1) la création d’un « Haut commissaire à l’énergie », en mesure d’orienter la recherche en énergie dans la perspective plus générale de la politique de l’énergie donc dépasser le Commissaire à l’énergie atomique » ; 2) la nomination de « coordinateurs » désignés officiellement parmi les partenaires des programmes relevant d’une priorité de recherche. Ils peuvent et doivent décider face à une difficulté tactique survenue au cours de la recherche et ont la responsabilité de rendre compte aux autorités de l’État ; 3) la mise en place d’une « Commission
nationale d’évaluation » en charge de la recherche sur les nouvelles technologies de l’énergie, sur le modèle de celle déjà à l’oeuvre depuis près de deux décennies dans le domaine de la recherche sur les déchets radioactifs.
A l’échelon européen, il serait souhaitable qu’il y ait a minima une évaluation et une coordination des programmes de recherche. Enfin les subventions pour permettre le développement industriel des pays de l’ex-Europe de l’est doivent impérativement porter en priorité sur la transition énergétique, et donc la diminution des ressources non renouvelables et à fort effet de serre ( pétrole, charbon – à titre d’exemple, plus de 90% de l’électricité polonaise vient du charbon) : développer des industries basées sur une structure énergétique pathologique en terme de durabilité ou d’effet de serre serait contreproductif. Ainsi la Pologne doit être soutenue dans son effort d’équipement en centrales nucléaires.



samedi 15 octobre 2011

Le prix Nobel de médecine 2011 : un succès pour la recherche française


Le prix Nobel de médecine 2011 : un succès pour la recherche française

La France a eu cette année sa part de la moisson des Prix Nobel, avec le prix Nobel de Médecine et de physiologie décerné à Jules Hoffmann et partagé avec l'Américain Bruce Beutler et le Canadien Ralph Steinman.
Jules Hoffmann, né en 1941 au Luxembourg, a effectué sa thèse à Strasbourg  puis est entré au CNRS en 1964, où il a créé une unité de recherche consacrée à l’étude de la réponse immunitaire chez les insectes. Entre 1994 et 2006, il  a dirigé l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire du CNRS ; il est également Professeur à l’Université de Strasbourg
Jules Hoffmann a été récompensé pour sa découverte des mécanismes de « l’immunité innée ». Ces mécanismes d’immunité, parmi les plus anciens dans l’évolution, et première ligne de défense avant  l’intervention de mécanismes plus spécifiques n’en sont pas moins efficaces. C’est ainsi, explique Hoffmann, que «  les insectes se défendent remarquablement bien contre les infections, notamment par la production de puissants peptides [petites protéines] à large spectre d'activité contre les bactéries et les champignons ». L'immunité innée est une « défense immédiate et générale », qui ne vise pas spécifiquement un germe infectieux  en particulier et ne mémorise pas  son identité.
En étudiant ce mécanisme chez les insectes, le Pr. Jules Hoffmann a découvert en 1996 un récepteur appelé TOLL responsable de l’immunité innée. Suivront ensuite la découverte chez les mammifères, dont l’homme, de récepteurs apparentés (TLR - Toll-Like Receptors - au nombre de 13 actuellement). Ces découvertes peuvent mener à l’invention d’antibiotiques ou d’antifongiques radicalement nouveaux utilisant ces mécanismes d’actions jusqu’ici ignorés – et l’on sait combien l’émergence de nouvelles souches résistantes et l’abandon par les grandes firmes pharmaceutiques de la recherche sur les antibiotiques rend de telles découvertes nécessaires.
Il a fallu plus de quarante ans de recherches sur l’immunité chez les insectes - un sujet qui, au départ, n’intéressait pas grand monde à part Hoffmann -, pour parvenir à une découverte qui peut mener, dans vingt ou trente ans, à de nouveaux médicaments. Cette découverte doit beaucoup au génie et l’obstination de Jules Hoffmann, elle doit aussi beaucoup au système CNRS qui a su miser sur lui dans les années 60, lui a permis de développer librement des recherches fondamentales et l’a soutenu et Jules Hoffmann a d’ailleurs rendu hommage à l’organisme de recherche.
Aviesan (Alliance pour la Vie et la Santé, présidée par André Syrota) a donc eu raison de souligner que « ce nouveau Nobel attribué 3 ans après celui décerné à Françoise Barré Sinoussi et Luc Montagnier démontre s'il le fallait, l'excellence de la recherche académique française dans le domaine des sciences du vivant ».
Très bien, mais une question  : est-on sûr que le CNRS d’aujourd’hui, contraint de naviguer entre la recherche finalisée pilotée par l’ANR et les ego des diverses Universités, soit capable de donner leur chance aux jeunes Hoffmann d’aujourd’hui ?

Un échec pour l’innovation : l’aventure Entomed

Un autre aspect de la carrière de Jules Hoffmann a été davantage passé sous silence : Le Pr Jules Hoffmann est en effet à l’origine de la création de la société Entomed en fin 1998. Après un capital initial de 10 millions d’euros, Entomed a levé 20 millions d'euros début 2001 et compté jusqu’à 14 salariés en 2004 avant de fermer en 2005, faute de pouvoir lever de nouveaux fonds.
Son objectif consistait à développer à partir de substances naturelles produites par les insectes, de nouvelles molécules contre les infections fongiques graves et les infections bactériennes multirésistantes. Entomed s’est heurté à la difficulté de produire chimiquement ses composés – et l’année internationale de la chimie est l’occasion de rappeler que celle-ci a encore des progrès à faire- et n’a eu aucune chance d’explorer les potentialités des récepteurs TOLL de façon plus classique.
Rappelons que la mise au point d’un médicament avant sa mise sur le marché coûte environ un milliard d’euros !
Si le Prix Nobel du Pr Hoffmann est emblématique de la qualité de la recherche française, l’échec d’Entomed n’en n’est pas moins emblématique de l’échec de l’innovation française, qui est surtout un échec du financement de l’innovation. Très clairement, Entomed était sous capitalisée. Le capital risque français est inapte à soutenir de tels projets – d’ailleurs Entomed  a échoué durant la phase d’amorçage, et les expériences étrangères, et, en particulier américaines , ont montré que le capital- risque est souvent inadapté dans cette phase trop risquée. Entomed n’a bénéficié d’aucune aide d’un champion français ou européen. Une politique du type de celle L’Agence pour l’Innovation Industrielle (AII), préconisée par le rapport Beffa aurait pu apporter une solution ;- mais rappelons que cette agence, après une brève existence- a été dissoute pour cause de vindicte sarkozyste et de bureaucratie européenne…
Le prix Nobel permettra-t-il de relance dans de meilleures conditions l’expérience Entomed ? Espérons-le, la découverte de traitement contre les nouvelles bactéries résistantes est une urgence sanitaire mondiale.

samedi 1 octobre 2011

Pour une véritable politique d’innovation, refonder l’Agence pour l’Innovation Industrielle (AII)

Pour une véritable politique d’innovation, refonder l’Agence pour l’Innovation Industrielle (AII)


La banque publique d’investissement ne suffira pas

Si la constitution d’une banque publique d’investissement constitue un instrument indispensable pour que la France redevienne un pays innovant, pour qu’une politique de réindustrialisation soit menée, ce n’est pas suffisant. La recherche, l’innovation, le développement confiés (uniquement)  à des banquiers, ça ne le fait pas !  La banque publique d’investissement ne pourra rien sans une véritable politique industrielle permettant des innovations de rupture via des programmes mobilisateurs d’innovation industrielle.

Le rapport Beffa

 Le rapport Beffa (2004 déjà, que de temps perdu) constatait que la France a connu des succès remarquables, par le biais de grands programmes de recherches et d’innovation directement impulsée par l’Etat ; c’est ainsi que se sont constitués de grands points forts de l’industrie française, tels l’aéronautique, le spatial, le nucléaire civil, les composants électroniques, les transports ferroviaires…
Cette intervention directe de l’Etat fondée sur le triptyque recherche publique/entreprises publiques/commandes publiques n’est plus possible aujourd’hui. Pour y remédier, M. Beffa proposait la création d’une agence  dotée de moyens importants (2 milliards d’euros).  L’AII (Agence pour l’Innovation Industrielle) devait financer et suivre dans la durée des « programmes mobilisateurs pour l’innovation industrielle »,  conduisant à des innovations de rupture préparant les produits, les procédés, les industries de demain.

Les programmes mobilisateurs d’innovation industrielle (PMII)

L’AII a pour but de financer des programmes mobilisateurs d’innovation industrielle caractérisés par
- une rupture technologique qui a toutes chances de modifier les conditions de vie de demain et génératrice d’externalités
 - un risque technologique important, longue durée de développement (cinq-quinze ans)
 - une structure collaborative, comprenant une au plusieurs PME, un grand groupe, des équipes publiques, le porteur de projet étant de préférence une PME. En effet, il est généralement considéré que l’effort principal d’innovation est  maintenant porté par de petites entreprises au sein de clusters, et c’est ce type d’organisation qui manque cruellement en France.
Dans le domaine des l’énergie solaire, de la nanoélectronique, des piles à combustible, des biotechnologies, « il existe un potentiel important d’innovations de grande ampleur, qui ont toutes les chances de modifier les conditions de vie de demain et de créer d’importantes externalités technologiques » constatait le rapport Beffa. Ces perspectives nécessitent des investissements élevés et de longues périodes de développement, elles sont marquées aussi par des paris technologiques présentant un certain risque. Les entreprises soumises à des exigences financières à court-terme, aux fluctuations des taux de change et boursières n’investissent plus à des horizons aussi éloignés : il y a là une véritable défaillance de marché - un critère important pour la Commission de Bruxelles.


Bilan et disparition de l’AII

Entre 2005 et 2007, en  deux ans, l’AII a initié 18 programmes pour 1.5 milliards d’euros d’aide publique complétés par un engagement de deux milliards des partenaires privés. Parmi ces programmes, ADNA (Biomérieux, Généthon, Transgène, 103 ME), pour le développement de la médecine personnalisée ; Biohub (chimie végétale comme substitut à la pétrochimie, piloté par Roquette, 98 ME), Iseult (RMN à très haut champ pour l’imagerie, Guerbet, CEA 54 ME), Nanosmart (SOITEC, développement de nouveaux composants électroniques associant plusieurs métaux, 80 ME), Neoval (Siemens France, transport modulaire automatique sur pneu,62 ME)…
Puis l’AII a été supprimée, pour deux raisons principales ; par vindicte politique, elle n’a pas eu l’heur de plaire au nouveau pouvoir sarkozyste ; et aussi, par des difficultés bureaucratiques créées par une Commission européenne uniquement intéressées par des distorsions de concurrence prétendument engendrés par des investissement aussi important et pas du tout concernée par les problématiques d’innovation et de réindustrialisation.
 L’AII a été dissoute et partiellement intégrée dans OSEO, avec une diminution importante des moyens et des ambitions. Cela correspond à une trahison complète de sa mission première, la culture OSEO/Anvar correspondant à un saupoudrage assez peu efficace de subventions pour des innovations d’ampleur limitée,  ce à quoi l’AII était justement censée remédier. Oseo-Anvar n’a pas su ou pu mener une politique d’innovation d’envergure, ni même poursuivre vraiment les programmes initiés par l’AII. Où en sont-ils, personne ne le sait ; or la politique de l’innovation a avant tout besoin de continuité
Pour comble, il y a deux ans, lors de la nomination de son nouveau président, l’Etat, dans la foulée du grand emprunt, demandait à OSEO de « s’occuper de projets plus risqués avec davantage de ruptures technologiques que ceux actuellement soutenus par OSEO » et de redresser le faible taux de participations des PME aux grands programmes d’innovation, notamment ceux financés par des subventions européennes. Autrement dit, après avoir supprimé l’Agence pour l’Innovation Industrielle, le gouvernement avouait qu’OSEO n’avait pas pris le relais, et lui demandait de faire ce que la banque OSEO n’a jamais su ou pu faire, et qui n’est d’ailleurs pas le rôle d’une banque : financer des innovations de rupture.

La banque publique d’investissement ne fera pas mieux. Il faut recréer une Agence pour l’Innovation Industrielle, fonctionnant selon les principes et le mode indiqués par le rapport Beffa : détecter, promouvoir, organiser des programmes mobilisateurs d’innovation industrielle (PMII)