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mardi 29 mai 2012

La science et l’économie : la spirale de la décadence

La science et l’économie : la spirale de la décadence

Comment l’économie fait la science

Julie Bouchard, maître de conférences à Paris XIII,  rend compte dans La Recherche de mai 2012 d’un livre de Paula Stephan, How economics shapes science, extrêmement intéressant, bien que quasi-exclusivement centré sur la situation américaine (Julie Bouchard a elle-même publié Comment le retard vient aux Français, chez Septentrion, sur la recherche scientifique en France)
Ce livre à l‘immense mérite de battre en brèche l’idée du chercheur scientifique dans sa tour d’ivoire, à l’écart de la société. L’économie influence la recherche, tout d’abord parce que certaines recherches consomment beaucoup d’argent (les accélérateurs de particules, la conquête spatiale…) et que le financement de ces recherches dépend de l’état économique général de la société et des intuitions ou inclinaisons des investisseurs. L’économie décide aussi de qui fait de la recherche : comment s’étonner du manque d’appétence des jeunes américains pour les études scientifiques lorsqu’un étudiant diplomé d’un MBA gagne rapidement trois fois plus en moyenne- 560.000 dollars _qu’un chercheur au sommet de sa carrière. Et encore, nous sommes loin des rétributions françaises-300.000 dollars pour un universitaire de haut niveau contre un peu plus de 60.000 euros en France.
Aux Etats-Unis, 48 % des étudiants en thèse scientifique viennent de l’étranger (Inde, Chine sont beaucoup représentés), et 60 % des post-doctorants (PhD), sur qui repose l’essentiel des travaux de recherche dans les laboratoires américains. Grâce à cette capacité d’attraction, la recherche américaine se maintient, mais sachant que les postes permanents sont de moins en moins nombreux dans les Universités et organismes de recherche américains, et que chinois, indiens et autres nations asiatiques accueillent à bras ouverts leurs PhD…on parie sur l’avenir ?

La spirale de la décadence

Pour un économiste, la connaissance, et donc la recherche, a les caractéristiques d’un bien public, par exemple le phare : une fois construit, tout le monde peut l’utiliser, et le fait que quelqu’un l’utilise ne nuit pas à un autre utilisateur. Or, pour la plupart des économistes, le marché laissé à lui-même est incapable de produire durablement ce type de biens, et, au contraire, encourage le comportement de « passager clandestin », qui profite des investissements faits par d’autres.
Or, c’est le chemin qu’ont pris les universités américaines, dans lesquelles le « publish or perish » ( publier ou périr) a été remplacé par « funding or famine » ( trouver de l’argent ou mourir de faim). Dans ce nouveau système, les universités sont en fait incitées à refuser tout risque, à pratiquer l’ « aversion au risque ». Les recherches fondamentales, celles qui ne mènent pas à des inventions prévisibles et exploitables, ne sont plus financées - or, ce n’est pas en perfectionnant la bougie que l’on invente la lampe à incandescence. Ce nouveau système ne permet pas le financement des recherches destinées à prouver ou falsifier au sens popperien une théorie, mettant en péril la qualité de la recherche elle-même. Ce nouveau système décourage la coopération entre scientifiques et organismes différents- lorsqu’on se pose la question de la répartition des bénéfices avant même de commence toute recherche. Les universités investissent dans la construction de laboratoires (ça, c’est du solide, du bâtiment), mais ces laboratoires sont vides, parce qu’elles n’investissent pas dans des postes permanents de professeurs ou de chercheurs… ce qui serait tout de même leur vocation principales. Ou plutôt – mais pour combien de temps encore, il les remplissent de travailleurs qualifiés, temporaires et mal payés, dont elles ont financé la formation et qui ne tarderont pas à partir ailleurs ;


Eviter la spirale américaine

Cette route américaine, -et c’est l’objet principal du livre de Paula Stephan-, c’est l’autoroute vers la décadence, la voie la plus sûre pour la perte du leadership scientifique et technologique aux US. Or, c’est cette même politique qui a été menée avec une obstination stupéfiante en France pendant ces dernières années. Avec l’autonomie des Universités, dont les modalités plus que le principe sont en cause, le « funding or famine » est déjà en train de s’imposer. Avec la priorité donnée à la recherche finalisée et son financement par l’ANR, la déqualification et la montée ahurissante de la précarité des jeunes chercheurs sont déjà en place, ainsi que leurs conséquences : les étudiants se détournent en masse des carrières scientifiques. L’affaiblissement et la perte d’autonomie des grands organismes de recherche (CNRS, CEA, Inserm…), ces atouts essentiels, formidables et enviés de la recherche française va dans le même sens.
Lorsqu’on sait ce qu’il ne faut pas faire, et « How economics shapes science » y contribue bien, alors il suffit de ne pas le faire.

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