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samedi 1 décembre 2012

Expertise et démocratie _ les règles du débat

La démocratie ne peut plus vivre sans devenir participative, sans instaurer un trialogue continu entre l’opinion publique, les experts et les gouvernants, trialogue qui suppose un débat de qualité. Entre expertise et démocratie, le lien n’est pas simple ; du moins quelques affaires récentes permettent, si l’on en tire les leçons, d’éviter des erreurs dommageables à la démocratie et à la société.

Abeilles ; la faillite de l’évaluation des pesticides

C’est sous ce titre que Le Monde du 10 juillet 2012 publie un article analysant la raison pour laquelle des insecticides comme le Gaucho, le Régent, le Cruiser- les néonicotinoïdes- ont pu être utilisés pendant vingt ans. Pendant vingt ans, les apiculteurs ont vu dépérir massivement leurs ruches, ils ont très vite mis en cause ces insecticides, et pendant vingt ans ils n’ont pu se faire entendre des industriels et des agences publiques.
Il est apparu que les protocoles pour évaluer la toxicité de ces insecticides n’étaient pas pertinents, qu’ils ne prenaient pas en compte l’effet d’exposition prolongées, comme c’est le cas avec les semences enrobées, ou les expositions sublètales ( on peut tuer une abeille en lui faisant perdre le sens de l’orientation sans que cela se manifeste par une toxicité immédiate), ou encore des effets de synergie. Les choses ont commencé à changer lorsque des apiculteurs membres de la Coordination apicole européenne se sont rendu à Bucarest en 2008 à une réunion de la commission internationale chargée de la standardisation des tests d’évaluation. Ils n’ont pas été mal accueilli, mais se sont aperçu que les discussions ne prenaient pas du tout en compte leur problème ; ainsi, un produit pouvait être considéré à bas risque s’il ne tuait que 50% des abeilles ! (« Nous étions dans une ambiance très cordiale, avec des gens très avenants, qui proposaient des choses tout à fait inacceptables »). En dehors même du fait que les experts étaient tous subventionnés par l’industrie phytosanitaire, ils ne se rendaient simplement pas compte de ce qu’ils entérinaient !
D’où une première leçon : l’expertise et le débat ne peuvent se faire entre experts, en  l’absence des parties prenantes.

Le Mediator

Interview intéressante d’Irène Frachon, la cardiologue qui s’est battue avec acharnement  pour faire reconnaître la responsabilité du Mediator dans les valvulopathies apparues chez les patients traités par ce produit. Alors que les attaques contre les experts, notamment de l’ex agence du médicament, se sont multipliées, au point de créer un climat nauséabond et des refus en série de médecins d’assurer des taches d’expertise, Mme Frachon rappelle qu’il est impossible de trouver des experts indépendants et compétents, et que d’ailleurs, ce n’est pas parce qu’un expert a vu son laboratoire financé pour effectuer une étude qu’il sera malhonnête – et il vaut d’ailleurs mieux qu’il ait effectué de nombreuses études pour des partenaires divers.
Aucun débat ne peut s’instaurer avec la suspicion générale à l’encontre des experts. Il n’existe pas d’experts indépendants, mais il peut et doit exister une évaluation indépendante, car totalement transparente. Chaque expert doit faire connaître en totalité ses collaborations et conflits potentiels d’intérêt. Chacune des interventions doit être tracée dans un document synthétique et consultable.

L’affaire Seralini et les «cinquante pour cent de médicaments inutiles » des Pr Debré et Even

Par deux fois, le professeur Seralini a annoncé à grand renfort de publicité des résultats  prétendant prouver la toxicité des OGM, en utilisant des protocoles expérimentaux dont les experts ont unanimement réfuté la validité, d’abord sur des cellules placées en état de stress, puis sur des rats Sprague Dawley pendant deux ans. La dernière étude s’est accompagnée d’une véritable manipulation de l’opinion publique, à grand renfort d’images de tumeurs spectaculaires,  avec embargo sur les résultats pour éviter que des experts puissent être consultés avant publication, et sortie simultanée d’un livre et d’un film. La publication d’un véritable pamphlet anti-médicament par deux professeurs retraités, Debré et Even, qui affirme l’inutilité de 50% des médicaments, et a été dénoncé, chapitre par chapitre, par spécialistes et médecins traitants désespérés de voir des patients tentés d’arrêter leurs traitements est tout aussi inadmissible. Ces attitudes ne sont pas des contributions utiles, bien au contraire, à quelque débat que ce soit. Lorsqu’une vérité scientifique positive peut être énoncée, l’entretien du doute est une stratégie de mauvaise foi qui dissimule bien souvent des intérêts particuliers et doit être dénoncée par les instances compétentes (Académies, société savantes…). Si une bonne science n’est pas forcément éthique, aucune éthique ne peut prétendre reposer sur une mauvaise science.

Le débat sur l’énergie

La France commence en novembre 2012 un débat indispensable sur la politique énergétique. Ce débat devra notamment faire connaître à l’opinion les ordres de grandeurs physiques, qui fixeront ce qui est possible ou pas, préciser les coûts et conséquences des différents scenarios envisagés etc. Deux associations, Greenpeace et les Amis de la Terre ont refusé la présence dans le Comité de Pilotage d’un ancien patron du Commissariat à l’énergie atomique, M. Pascal Colombani, désigné par Mme la Ministre de l’Environnement. Cette récusation d’experts utiles est inacceptable ; on n’attend pas d’un expert qu’il soit neutre entre la vérité et le mensonge, on attend qu’il donne sa vérité, appuyée sur son savoir et son expérience, en toute transparence, et qu’il accepte d’en débattre. De plus, malgré la démission de M. Colombani, ces deux associations continuent à boycotter le débat.
Aucun débat n’est possible avec ceux qui manient ainsi l’exclusive, le soupçon systématique, la disqualification, voire l’insulte et la diffamation de leurs contradicteurs. Ils refusent l’échange et la discussion d’arguments rationnels, préférant l’affirmation de prétendues valeurs. Ils ignorent le débat, la démocratie doit les ignorer ; non pas les réprimer, mais cesser leur donner une parole qu’ils veulent proférer sans la soumettre à la critique.


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