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mardi 18 décembre 2012

Les Pôles de compétitivité jouent-ils bien leur rôle ?


Les Pôles de compétitivité jouent-ils bien leur rôle ?


Une réflexion territoriale

Les Pôles de compétitivité ont été créés en 2005, à partir d’une réflexion sur l’innovation et l’aménagement du territoire initiée sous l’égide de la Caisse des Dépôts. Elle est née de la constatation de l’efficacité des clusters (Californie, Nord de l’Italie…) regroupant sur une base géographique des industries et centres de recherche actifs dans un même domaine industriel, à la fois éventuellement concurrents et partenaires, et du manque en France de grosses PME innovantes et exportatrices, ancrées dans les Régions. La structure en clusters permet de s’unir pour capitaliser les expériences, le savoir-faire, de s’associer pour répondre à des défis ou à des appels d’offre complexes, de stimuler l’innovation.
Pour faire simple, prenons une multinationale A possédant dans une région française un centre de recherche et de production A1, et un autre centre A2 en Asie, et une PME possédant dans la même région un centre B, travaillant dans le même domaine. Du point de vue des sociétés, A1 et A2 sont concurrent de B ; du point de vue du territoire, A1 et B sont partenaires naturels, et concurrents de A2.
L’idée des pôles de compétitivité est donc basée sur une logique territoriale. Elle vise à :
- accroître l’innovation par la mise en réseau, le développement de synergies et de collaborations entre entreprises, instituts de recherche et organismes de formation sur des territoires donnés, soutenir le maintien et le développement d’activités innovantes, créatrices
d’emplois et de valeur ajoutée sur les territoires concernés ;
- améliorer l’attractivité de ces territoires et, plus globalement, la compétitivité industrielle française
71 pôles de compétitivité ont été créés (par exemple Cap digital (numérique) et Medicen (médical) en Île de France, Aerospace Valley et  Canceropole à Toulouse, Minalogic (microélectronique) à Grenoble…) Un  rapport d’évaluation de ces pôles a été remis au gouvernement en novembre 2012, aux ministères les plus impliqués : redressement industriel (Arnaud Montebourg), PME, innovation, économie numérique (Fleur Pellerin) (rapport Technopolis)
L’évaluation globale est plutôt positive, néanmoins les auteurs signalent, (parfois préconisent) des évolutions inquiétantes pouvant conduire à manquer le but poursuivi en raison principalement  d’un saupoudrage inefficace- spécialité française-, et d’un manque de focalisation sur le but principal, le développement régional basé sur des clusters d’entreprises innovantes.

Fonctionnement des Pôles de compétitivité

Le budget moyen des pôles s’élève à 1,09 M€ en 2011. La part d’autofinancement, constituée des seules cotisations et prestations, est de 28%.  5,7 Mrds d’euros ont été investis dans les projets de R&D labellisés par les pôles de compétitivité en 4 ans ce qui correspond à 4,5% des dépenses nationales de R&D sur la période.
En moyenne, l’équipe d’animation d’un pôle comporte 11 personnes, 8 ayant un statut de salarié.      
Les deux tiers des entreprises déclarent avoir créé des emplois et 84% déclarent en avoir maintenu du fait de leur adhésion aux pôles. Un tiers des entreprises adhérentes déclare que leur adhésion leur a permis d’augmenter leur chiffre d’affaires et d’améliorer leur capacité à exporter. Plus de la moitié des entreprises adhérentes déclarent avoir augmenté leurs investissements et leurs effectifs de R&D ; près de 60% des entreprises adhérentes déclarent avoir mis en place de nouveaux partenariats. 93 start-ups sont issues directement des pôles de compétitivité. Autre point positif : l’implication des PME qui représentent plus de la moitié des adhérents.

Les problèmes

Un interventionnisme étatique brouillon et pesant : « les pôles disposent d’un nombre élevé d’interlocuteurs représentant l’État…Cette multiplicité d’acteurs nuit à la lisibilité et à l’efficacité du dispositif. » « Le processus de labellisation, d’expertise et de sélection des projets présentés au FUI (Fonds Unique interministériel) est complexe et long ». Ajoutons que le temps des arbitrages interministériels n’est pas celui des start-up et conduit à des échecs.
Une gouvernance insatisfaisante : Même si une très grande majorité d’adhérents sont satisfaits du fonctionnement, les auteurs du rapport notent que « Les PME sont deux fois moins représentées dans les instances de gouvernance que leurs poids dans les adhésions. Les organismes de formation et de recherche sont, eux, inversement surreprésentés par rapport au nombre d’adhésions avec 29% des membres des instances de gouvernance.
S’il est satisfaisant de voir les Universités fortement impliquées, leur rôle dans la gouvernance laisse penser que les pôles de compétitivité sont en partie utilisés pour pallier à un financement insuffisant de la recherche universitaire plutôt qu’au développement de nouveaux produits ou services industriels,  ce qui semble aussi confirmer par les remarques suivantes.
Un développement insuffisant des projets, un manque de résultats industriels : « Les innovations de services, d’organisation et de marketing qui offrent des gisements de croissance importants pour l’ensemble des entreprises » sont insuffisant développés, au profit sans doute d’une recherche plus fondamentale.
« L’action des pôles s’est portée davantage sur l’émergence et la structuration des projets de R&D que sur leur accompagnement et le suivi des résultats et des innovations produites… Les dernières étapes du cycle d’innovation avant la mise sur le marché ne sont pas bien couvertes par les instruments publics de financement et insuffisamment accompagnées par les pôles »
Traduction libre : les projets restent trop encore au stades de projets, les start-up, au stade de start-up, les prototypes au stade de prototypes. Les Pôles n’ont ni la motivation, ni les compétences, ni les moyens d’un développement industriel, même à petite échelle.
Cette interprétation est confortée par deux autres remarques : « Les projets de R&D de taille intermédiaire (généralement entre 250 et 750 k€), en particulier portés par des PME, ont du mal à obtenir des financements publics ».
« Les acteurs de l’écosystème fédérés par les pôles doivent désormais accroître leurs efforts pour obtenir encore davantage de résultats commercialisables, à travers une vision complète du cycle du projet. Pour ce faire, il est nécessaire de mettre en place un instrument d’observation efficace et fiable concernant les « résultats » finaux des projets de R&D des pôles, ainsi que de toutes leurs actions susceptibles de déboucher sur des innovations (quel
que soit leur type) ; d’envisager les mesures à même d’assurer leur commercialisation dans les
meilleures conditions : mobilisation d’instruments d’ingénierie financière au niveau de la démonstration et de la commercialisation. 

Une inégalité territoriale persistante : « Les financements sont concentrés géographiquement. L’Île-de-France bénéficie de 28% des financements au titre des projets de R&D, devant la région Rhône-Alpes (22%). Cinq régions reçoivent 70% des financements »


Pas orientés suffisamment vers l’industrialisation !

L’ensemble de ces remarques pointe à mon avis vers une conclusion qui n’est pas suffisamment soulignée par les rapporteurs, (qui recommandent une classification assez absconse et dangereuse en pôles de compétitivité internationaux et pôles d’innovation régionaux) : les pôles de compétitivité ne sont pas assez fidèles à leur mission première, le développement industriel local par la synergie d’intervenants locaux ( grandes sociétés, PME, organismes de recherche et de formation, mise en valeur de ressources ou produits locaux). Ils ont peut-être trop orienté vers la recherche, pas assez vers l’innovation industrielle.
Les Pôles de compétitivité réussiront et constitueront un atout formidable s’ils se refocalisent sur cette mission
Les Pôles de compétitivité échoueront s’ils dispersent leurs efforts. Ils échoueront  si l’on veut leur faire jouer un rôle de substitution de l’Etat dans le financement de la recherche publique.
Les Pôles de compétitivité échoueront si l’on veut qu’ils remplacent l’AII, l’ex agence pour l’innovation industrielle, dissoute et jamais remplacée dans son rôle d’identification, de soutient et financement d’ « innovations de rupture », un rôle ambitieux et indispensable, mais dont ils n’ont, et de beaucoup, ni les compétences, ni les moyens – même les pôles internationaux prônés par les rapporteurs.
Pour cela, il est indispensable de renforcer le rôle régional dans le pilotage des pôles et de diminuer le rôle national, et d’augmenter la réactivité des décisions. Cela devrait être le cas si le troisième acte de la décentralisation, prévu en 2013 clarifie les rôles et implique davantage les régions dans le pilotage de l’innovation, comme l’affirme une source de Bercy (Le Monde, 27 nov 2012). Mais il est vrai que la même source précise : « Rien n’est encore écrit…). Il va de soi que le rôle des Régions devrait aussi être accru dans la Banque publique d’investissement. Deux combats portés  entre autres élus locaux  par Ségolène Royal, très impliquée dans les politiques régionales d’innovation..
Enfin, les rapporteurs affirment que « la différence entre un bon et un mauvais pôle…dépend beaucoup de la personnalité et de l’expertise des équipes ». Les pôles de compétitivité, pour réussir, nécessiteront un renforcement de leur encadrement, particulièrement en personnes ayant une expérience de recherche et développement industrielle significative.

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