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samedi 16 février 2013

Amères pilules_ Pour des Etats Généraux du Médicament


Pilules contraceptives, chiffres, bénéfices et risques


La révélation des dangers vasculaires liés à l’utilisation des pilules contraceptives les plus récentes a entraîné des polémiques et réactions parfois dangereuses et donné l’impression que le système sanitaire français trébuche de scandale en scandale. Cette polémique sur les pilules contraceptives debrait provoquer une réflexion approfondie sur le médicament en général.
En France, 55% des femmes de 15 à 49 ans (71% des moins de 35 ans) utilisent une pilule contraceptive. C’est le moyen le plus efficace de contraception. L’utilisation de la pilule entraîne un risque de trouble thromboembolique (thrombose veineuse, infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral…).
L’estimation de ce risque est actuellement la suivante :  deux cas par an pour dix mille femmes pour les pilules de premières et deuxièmes générations, de  3 ou 4 cas par an pour dix mille femmes  pour les pilules microdosées  de troisième ou quatrième génération. Il est de 0.5 à 1 cas pour dix mille par an pour des femmes non traitées, et de 6 cas pour dix mille en cas de grossesse. Donc, le risque vasculaire des pilules, même de troisième ou quatrième génération est très faible, moindre que celui de la grossesse, je répète, moindre que celui de la grossesse.
En France, depuis 1985, 13 cas de décès  ont été recensés : (1 cas pour la 1ère génération, 6 cas pour la 2ème génération, 4 cas pour la 3ème génération, 2 cas pour la 4ème génération). Sur les 244 accidents thromboemboliques veineux signalés à la pharmacovigilance, on compte 155 guérisons sans séquelles, 26 guérisons avec séquelles, 17 guérisons en cours, 46 sans information. Il existe une sous-déclaration probablement importante à la pharmacovigilance, mais qui ne devrait concerner que des accidents de moindre importance.
Les principaux facteurs de risques sont connus et bien indiqués dans les notices (tabac, obésité, antécédents familiaux thromboemboliques,hypertension artérielle, immobilisation prolongée, âge) de même que les signes précurseurs qui doivent entraîner un arrêt du traitement et une consultation ou un examen : douleur et/ou œdème inhabituel d'une jambe, douleur importante et brutale dans la poitrine, essoufflement soudain, toux de survenue brutale, céphalées inhabituelles, sévères, prolongées,cécité brutale, partielle ou totale… Ceci doit être particulièrement suivi dans la première année de traitement.
L’ensemble des données sur les pilules de troisième et quatrième génération (et leur coût ?) ont conduit les agences du médicament européennes américaines, canadienne, danoises à mener des études approfondies Toutes ont conclu a un rapport bénéfice/risque favorable. Favorable ! (Ce qui rappelle tout de même qu’il existe un risque)
Au risque (faible) de lasser, le risque d’une contraception par la pilule est moindre que celui d’une grossesse, (c’est clair, Even et Debré ?) Alors, derrière la campagne qui s’est déclenchée, comment ne pas entendre les remugles rétrogrades de ceux qui, au fond, n’ont jamais accepté la contraception, des mandarins amers, les Debré-Even, les contempteurs du progrès, et aussi, nouveauté, des avocats qui envient l’opulence de leurs confrères américains spécialisés dans les conflits liés à la santé.
On a même entendu des recommandations pour le moins étrange, comme l’utilisation du stérilet (une forme de contraception punitive, donc acceptable ?) : 3 à 9% d’infections pouvant conduire à une stérilité, choc septiques, perforations, dysménorrhées, hémorragies, pour une efficacité trois fois moindre que la pilule, donc une alternative acceptable en cas de risque avéré avec la pilule,et sûrement pas pour une première contraception)
Aussi ne faut-il pas s’étonner que la première réaction du Président de l’agence du médicament française a été de conseiller aux femmes…de ne pas arrêter leur contraception quelle qu’elle soit. Le déremboursement des pilules de troisième et quatrième génération, malgré (parce que ?) le fait que le remboursement en 2011 ait été obtenu après un combat long et pénible des associations féministes est clairement un geste d’économie, et non une question sanitaire. De même, l’arrêt de Diane 35, traitement contre l’acné, utilisé sans autorisation pour la contraception, dont les risques étaient connus, annoncés et exactement les mêmes que ceux des pilules de dernières générations, relève davantage d’un problème administratif que sanitaire.
Est-ce à dire que tout va bien ? non, car clairement, même faible, le risque de la pilule contraceptive, des médicaments en général, n’a sans doute pas assez rappelé, discuté, évalué avec les patients. Mais ce n’est pas la recherche de boucs émissaires  qui apportera la réponse. Ainsi :

La recherche vaine de boucs émissaires

Le matraquage des experts, compromis par leurs liens avec l’industrie pharmaceutique et forcément partiaux est à la mode : Le Monde (11 janvier 2003) s’y est essayé dans le cas des pilules de dernière génération, en mettant en cause un certain nombre de leader d’opinions – il est probable qu’il sera poursuivi.
Oui mais, ce sont bien les patientes et leurs médecins qui ont plébiscité ces pilules tant elles sont mieux tolérées, avec moins d’effets secondaires (prise de poids, tension mammaire, migraine, nausée). Elles ont apporté beaucoup à un très grand nombre de femmes qui attendaient ces progrès depuis plus de vingt ans, au prix d’un risque accru pour un très faible nombre de femmes (un risque, je répète, moindre que la grossesse)
Et encore, peut-on à la fois vouloir la valorisation de la recherche publique et des experts sans contacts avec les industries ? Dans de nombreux domaine, il ne peut y avoir d’experts compétents sans contact avec l’industrie, et c’est très bien ainsi - préfèrerait-on que celle-ci utilise les conseils de gens incompétents ? Cela n’empêche nullement la possibilité d’expertises honnêtes et de qualité, moyennant quelques conditions : la déclaration complète des travaux, liens industriels et intérêts, la traçabilité (publicité qui a dit quoi ?) des interventions, un débat contradictoire, un panel d’experts suffisamment varié, la participation de parties prenantes. La suspicion démagogique et systématique contre les experts, ça suffit !

L’industrie pharmaceutique, qui fait des profits sur le dos des patients ? Sauf que, dans tous les pays où l’industrie pharmaceutique était nationalisée, le progrès thérapeutique a été inexistant ; sauf que l’on devrait plutôt s’inquiéter du désengagement de l’industrie dans la recherche de nouveaux médicaments, activité jugée maintenant trop risquée et peu rentable.
Et lorsqu’une firme pharmaceutique s’aperçoit qu’un de ses médicaments est utilisé hors de son indication, la première réaction est généralement plutôt « Panique à bord » que « Hurrah » ; Après, évidemment, si tout se passe bien…

L’Agence du Médicament, qui ne fait pas son travail, notamment en matière d’information et de pharmacovigilance (signalement des effets indésirables des médicaments) ? Oui, mais encore faudrait-elle qu’elle sache comment les médicaments sont utilisés (voir ci-après), que les professionnels de santé signalent les problèmes (depuis 2011, il est à nouveau possible aux patients et aux associations de patients de déclarer eux-mêmes les effets indésirables, reste à voir si cela améliorera la pharmacovigilance sans provoquer une embolie du système par afflux d’informations non contrôlées et inexploitables), et que médecins et patients consultent l’information disponible. N.B. : ces dernières années, l’Agence Française, maintenant ANSM-Agence Nationale de Sécurité du Médicament) a fait de réels efforts pour rendre son site internet (ansm.sante.fr) plus clair, plus complet, plus accessible et sa consultation devrait devenir un réflexe pour toutes professions de santé et patients, parents…)

La Caisse Nationale d’Assurance Maladie, qui dispose d’une mine de données touchant à la Santé, dont elle garde jalousement le monopole, et qu’elle n’utilise que pour une régulation économique, et non pour améliorer les pratiques de santé ? Certes, et à ce point que c’est tout de même le Président d’honneur du Comité National d’Ethique, Didier Sicard, qui a cosigné, avec Jean de Kervasdoué, une tribune intitulée « Plus grave que le débat sur la pilule, l’affaires des données de santé publique ». (Le Monde, 15 janvier 2013), s’indignant que ces données ne puissent utilisées pour détecter surprescriptions, sous-prescriptions et prescriptions inadaptées.

Les médecins, qui n’informent pas suffisamment les patients, et qui font des prescriptions hors indication ? Pourquoi pas, mais encore faudrait-il qu’une gestion pathologique du numerus clausus (ou bien encore l’idée qu’en diminuant le nombre de médecins on diminuerait les dépenses de santé) n’ait pas entraîné un manque de médecins, et singulièrement dans des disciplines comme la gynécologie.
Quant aux prescriptions hors indications, rappelons que la prescription d’un antiépileptique, le baclophene, est réclamée par de nombreux alcooliques pour les aider à se débarrasser enfin de leur addiction…

Les urgences ? Pourquoi pas ? Je connais au moins un cas où, face à un AVC chez une jeune personne due à un traitement contraceptif, les urgentistes ont tardé à administrer le traitement adéquat parce qu’ils pensaient impossible la survenue d’un AVC chez une personne aussi jeune, sans facteur de risque.

Pour des Etats Généraux du Médicament

Le système actuel, en matière de médicament, n’est certes pas complètement satisfaisant , mais la quête de boucs émissaires ne mènera nulle part. Un médicament efficace n’est jamais dépourvu de danger. Comment avoir de meilleures expertises, tout le long de la vie du médicament ? Comment communiquer sur son intérêt et sur ses risques ? Comment améliorer la pharmacovigilance ? Comment améliorer la connaissance des médecins et des patients ? Quels rôles et responsabilités pour le pharmacien – c’est lui qui est censé le mieux connaître le médicament? Comment continuer à encourager l’innovation thérapeutique ? Assurer le bon emploi des médicaments ?
Et la question du risque ? Qui doit en décider, le patient, le médecin, l’Etat ? Comment ? Un risque dont la perception est nulle pour ceux qui bénéficient pleinement  des améliorations thérapeutiques, et de cent pour cent pour les victimes. Avec cette difficulté supplémentaire d’une autre asymétrie fondamentale : le risque associé à la mise sur le marché d’un nouveau médicament est beaucoup plus visible que le perte de chance de ceux qui n’ont pu bénéficier d’un traitement qu’on n’ pas voulu prendre le risque d’autoriser…
Les crises réelles ou contestables ne peuvent continuer à se succéder, ni les doutes perdurer. La question du médicament est complexe, elle mérite une réflexion poussée de toutes les parties prenantes – c’est-à-dire l‘ensemble de la société !- qui pourrait avoir lieu sous la forme d’Etats Généraux du Médicament.
Ne faudrait-il pas arriver, comme cela a été cas pour les activités hospitalières, à la reconnaissance d’un risque sans faute, et donc à un système d’assurance et d’indemnisation de l’ aléa médicamenteux, comme on l’ a fait pour l’aléa thérapeutique ?

 

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