Miracle
thérapeutique, cauchemar financier ?
Le Sofosbuvir
des laboratoires Gilead arrive en France (et en Europe), et il s’agit d’un
progrès thérapeutique majeur dont se réjouit notamment le site VIH.org. Le Sofosbuvir est un nouvel
antiviral, dont les premières études ont montré qu’il était particulièrement
bien toléré et particulièrement efficace pour le traitement de l’hépatite C. Les résultats semblent impressionnants, par
exemple ceux publiés le 16 janvier dans le New
England Journal of Medecine par Sulkowski MS. et al., avec une association
Daclatasvir + Sofosbuvir, chez les patients infectés par le VHC de génotype 1
en échec d'inhibiteur de protéase de première génération, aux stades de fibrose
Fo-F2. Le Sofosbuvir permet de se passer d’interféron, pas toujours efficace,
ni bien toléré ; lors de son autorisation temporaire d’utilisation en France
(précédent l‘autorisation de mise sur le marché), son indication a été étendue
aux patients en état de fibrose avancée, cirrhose, liste d’attente de
greffe du foie et post-greffe, sans alternative thérapeutique ; si les
résultats sont conformes aux prévisions, c’est une sorte de miracle
thérapeutique.
Miracle thérapeutique dont tout
le monde devrait se réjouir, mais qui provoque en fait un cauchemar financier.
C’est que le coût de traitement selon les prix accordés par les principaux pays,
et par l‘Europe devrait être entre 55 000 et 65 000 euros (56000 euros en France, 666 euros le
comprimé). En France, la prévalence de l’hépatite
C est estimée à 0,84 %, soit 370 000 porteurs d'anticorps du VHC dont environ
les deux tiers sont malades et seulement la moitié (57,4 %) connaît son statut –
trop souvent encore, l’hépatite C est diagnostiquée trop tardivement, à des
stades déjà avancés. La tentation va être forte de la part d’un gouvernement à
la recherche d’économies dans la santé qui touchent toujours principalement le domaine du médicament (c’est moins périlleux électoralement que les
professions de santé) de limiter l’accès au Sofosbuvir, et un gigantesque
bras de fer s’annonce avec Gilead, accompagné
de fortes précipitations de coups fourrés, manipulations et opérations de communication
sophistiquées.
A court terme, la demande de
certaines association que le médicament soit remboursé à son coût de production
( le Sofosbuvir est une petite molécule et non un anticorps) est évidemment inacceptable ;
car, contrairement aux interférons, ce n’est pas la production qui coûte cher,
mais les efforts de recherche accomplis depuis des années par Gilead dans le
domaine des rétroviraux ; alors la situation est simple : ou le prix
des médicaments permet de rentabiliser ces efforts de recherche, ou les progrès
thérapeutiques s’arrêteront. Le PDG de Sanofi, Chris Viehbacher affirme déjà qu’un
euro investi en recherche lui en rapporte 0.8 (mais il est vrai que la
manière dont il dirige une recherche à laquelle il ne croit guère semble loin d’être
la plus efficace). A moyen terme, la situation devrait évoluer favorablement,
parce qu’il est possible (obligatoire !) de négocier des accords prix volume
(plus le Sofosbuvir sera prescrit, plus son prix diminuera) ; d’autres,
part, des concurrents devraient bientôt apparaître. Dans les cas les plus
graves, le coût du traitement est moindre
que celui des alternatives actuelles (interféron), et il semble éradiquer
complètement le virus ; si la prescription à des stades moins avancés est
justifiée (et il semble que cela soit le cas), le prix devra diminuer en
fonction du nombre de prescription.
Reste qu’on
peut aussi se demander pourquoi la France et l’Europe sont incapables de faire
naitre des nouveaux Gilead, et pourquoi nous en sommes réduits à l’alternative
de payer très cher des médicaments
inventés ailleurs ou à nous en passer
Miracles
thérapeutiques ou recherche et stratégie efficaces !
Le Sofosbuvir miracle ? ;
oui, mais de ces miracles qui n’arrivent qu’aux entreprises et aux chercheurs les
ayant très activement et intelligemment recherchés. Gilead a été fondé en 1987
par Michael Riordan, un médecin de 29 ans doublement diplômé de John Hopkins School
of Medecine et de Harvard Business School, avec une mise départ de 2 millions d’euros
de Menlo Venture (pour la petite histoire, Warren Buffet déclina l’offre qui
lui était faite de participer, eh oui, l’oracle se trompe parfois). Gilead se
donna pour vocation d’inventer de nouveaux antiviraux et certainement le fait
que Michael Riordan avait été frappé par le virus de la dengue lors d’une
mission humanitaire, et que DuBose Montgomery, le PDG de Menlo Venture avait
été lui-même victime d’une grave infection virale n’est pas étranger à leur
motivation.
En quelques années, Gilead a
lancé l’Ambisome (anti-parasitaire , produit naturel découvert par le Squibb
Institute), le Tenofovir (Viread, dérivé
nucléotidique anti-HIV, inhibiteur de la reverse transcriptase), inventé par
Gilead et présent dans de nombreuses combinaisons parmi les plus utilisées (Truvada,
Atripla) ; l’antibiotique Cayston, inventé par Gilead, le premier approuvé
pour le traitement des infections opportunistes de la mucoviscidose ; l’emptricitabine,
autre dérivé nucléotidique anti-HIV, acquis par Gilead de Research Triangle
pour être utilisé en combinaison avec Viread ; le Flolan, un dérivé antithrombotique
des prostaglandines synthètisé par John Vane ; Hepcera, autre dérivé nucléotidique anti-viral
inventé par une université tchéque, qui
échoua en tant que traitement anti-Sida, mais fut repris et développé par
Gilead contre l’Hépatite B ; le Volibris (Ambrisentan, antagoniste de l’endotheline),
premier traitement contre l’hypertension pulmonaire, avec un statut de drogue
orpheline), en collaboration avec GSK ; Lexican ( un dérivé de l’adénosine
développé avec Astellas pour les examens cardiaques) ; le Macugen
(Pegatabnib), protéine synthétique dérivée du VEGF, utilisé contre la dégénérescence
maculaire due à l’âge, acquis via la société Nextar, qui a aussi eu un statut
de médicament orphelin ; le Ranolazine, un anticalcique contre l’angine de
poitrine, acquis via CV therapeutics ; le célèbre Tamiflu, autre dérivé
nucléotidique, inventé par Gilead, antiviral contre la grippe A et B et premier
de la classe des inhibiteurs de neuramidinase.
Mais
comment font-ils ?
Impressionnante, admirable
réussite donc qui a mis à la disposition de millions de patients des
médicaments essentiels et innovants. Mais comment ont-ils fait ? Gilead et Michael Riordan ont commencé par se tromper
(Riordan pensait développer comme anti-viraux des séquences de l’ADN (ADN antisens), issus des laboratoires
universitaires où il s’était formé ; ce fut un échec, mais du coup Gilead acquit une bonne connaissance
de la chimie et de la pharmacologie des dérivés des nucléotides – des molécules
synthétiques plus simples, qui lui vaudront ses premiers succès. Riordan avait
une vraie vision, dès le départ, révélé dans la lettre qu’il écrivit à Warren
Buffet après son refus de participer à l’aventure Gilead :
« Nous développons une vaste
et nouvelle génération de produits thérapeutiques pour traiter plusieurs
maladies mortelles. Il s'agit d'un événement majeur en médecine. Et cela coûte
beaucoup d’argent. Par conséquent, les finances, tout comme la recherche, la
production et le développement clinique, constituent un ingrédient essentiel
dans la construction de notre société. Comme membre du Conseil ou investisseur nous
aidant dans l'élaboration de notre stratégie de financement, vous apporteriez
quelque chose de spécial à une entreprise spéciale. »
Gilead a donc beaucoup dépensé et
s’est parfois trompé, et la liste de ses
échecs est au moins aussi longue que celle de ses succès, mais a réussi à
inventer de nouveaux médicaments essentiels ; son bilan est impressionnant
et sa réussite éclatante, dans un contexte où les firmes pharmaceutiques, même
bien établies sont loin d’avoir fait
aussi bien. Riordan a su s’entourer de scientifiques expérimentés (les prix
Nobel Harold Varmus et Jack Szostak, Peter Dervan, Doug Melton, Harold
Weintraub) et d’administrateurs efficaces et aux précieuses relations gouvernementales
(dont Donald Rumsfeld, avant qu’il ne soit ministre de la Défense) ; il a
aussi bénéficié d’une aide confortable de l’Etat américain pour le
développement du Tamiflu (un milliard)
contre la grippe aviaire ; mais surtout Gilead a surtout très bien
articuler recherche interne et opportunités d’acquisition, et pris des risques pour
innover.
Une des premières molécules
candidates identifiées par Gilead venait d’une Université tchèque – pourquoi aucune
firme européenne ne l’a développé ? Et pourquoi sommes-nous incapables de
créer des Gilead en France et en Europe ? Ou pourquoi considérons nous qu’il
est bon que les Français achètent des voitures et qu’on est prêt même à
accorder des subventions, alors qu’on considère comme mauvais qu’ils se soignent
et que l’Etat cherche à diminuer les dépenses de médicaments et ne cesse de s’en
prendre aux firmes pharmaceutiques ?
Reste
simplement ceci : ou nous aurons, en France et en Europe, une politique du
médicament favorisant la recherche et l’innovation thérapeutique, ou bien il
faudra payer très cher les nouveaux médicaments à des firmes étrangères… ou s’en
passer
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