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samedi 12 avril 2014

Médicaments et progrès thérapeutique_ le Sofosbuvir


Miracle thérapeutique, cauchemar financier ?

Le Sofosbuvir des laboratoires Gilead arrive en France (et en Europe), et il s’agit d’un progrès thérapeutique majeur dont se réjouit notamment le site  VIH.org. Le Sofosbuvir est un nouvel antiviral, dont les premières études ont montré qu’il était particulièrement bien toléré et particulièrement efficace pour le traitement de l’hépatite C.  Les résultats semblent impressionnants, par exemple ceux publiés le 16 janvier dans le New England Journal of Medecine par Sulkowski MS. et al., avec une association Daclatasvir + Sofosbuvir, chez les patients infectés par le VHC de génotype 1 en échec d'inhibiteur de protéase de première génération, aux stades de fibrose Fo-F2. Le Sofosbuvir permet de se passer d’interféron, pas toujours efficace, ni bien toléré ; lors de son autorisation temporaire d’utilisation en France (précédent l‘autorisation de mise sur le marché), son indication a été étendue aux patients en état de  fibrose avancée, cirrhose, liste d’attente de greffe du foie et post-greffe, sans alternative thérapeutique ; si les résultats sont conformes aux prévisions, c’est une sorte de miracle thérapeutique.

Miracle thérapeutique dont tout le monde devrait se réjouir, mais qui provoque en fait un cauchemar financier. C’est que le coût de traitement selon les prix accordés par les principaux pays, et par l‘Europe devrait être entre  55 000 et 65 000 euros (56000 euros en France, 666 euros le comprimé).  En France, la prévalence de l’hépatite C est estimée à 0,84 %, soit 370 000 porteurs d'anticorps du VHC dont environ les deux tiers sont malades et seulement la moitié (57,4 %) connaît son statut – trop souvent encore, l’hépatite C est diagnostiquée trop tardivement, à des stades déjà avancés. La tentation va être forte de la part d’un gouvernement à la recherche d’économies dans la santé qui touchent toujours  principalement le domaine du médicament  (c’est moins périlleux électoralement que les professions de santé) de limiter l’accès au Sofosbuvir, et un gigantesque bras de fer  s’annonce avec Gilead, accompagné de fortes précipitations de coups fourrés, manipulations et opérations de communication sophistiquées.

A court terme, la demande de certaines association que le médicament soit remboursé à son coût de production ( le Sofosbuvir est une petite molécule et non un anticorps) est évidemment inacceptable ; car, contrairement aux interférons, ce n’est pas la production qui coûte cher, mais les efforts de recherche accomplis depuis des années par Gilead dans le domaine des rétroviraux ; alors la situation est simple : ou le prix des médicaments permet de rentabiliser ces efforts de recherche, ou les progrès thérapeutiques s’arrêteront. Le PDG de Sanofi, Chris Viehbacher affirme déjà qu’un euro investi en recherche lui en rapporte 0.8  (mais il est vrai que la manière dont il dirige une recherche à laquelle il ne croit guère semble loin d’être la plus efficace). A moyen terme, la situation devrait évoluer favorablement, parce qu’il est possible (obligatoire !) de négocier des accords prix volume (plus le Sofosbuvir sera prescrit, plus son prix diminuera) ; d’autres, part, des concurrents devraient bientôt apparaître. Dans les cas les plus graves,  le coût du traitement est moindre que celui des alternatives actuelles (interféron), et il semble éradiquer complètement le virus ; si la prescription à des stades moins avancés est justifiée (et il semble que cela soit le cas), le prix devra diminuer en fonction du nombre de prescription.

Reste qu’on peut aussi se demander pourquoi la France et l’Europe sont incapables de faire naitre des nouveaux Gilead, et pourquoi nous en sommes réduits à l’alternative de  payer très cher des médicaments inventés ailleurs ou à nous en passer

Miracles thérapeutiques ou recherche et stratégie efficaces !

Le Sofosbuvir miracle ? ; oui, mais de ces miracles qui n’arrivent qu’aux entreprises et aux chercheurs les ayant très activement et intelligemment recherchés. Gilead a été fondé en 1987 par Michael Riordan, un médecin de 29 ans doublement diplômé de John Hopkins School of Medecine et de Harvard Business School, avec une mise départ de 2 millions d’euros de Menlo Venture (pour la petite histoire, Warren Buffet déclina l’offre qui lui était faite de participer, eh oui, l’oracle se trompe parfois). Gilead se donna pour vocation d’inventer de nouveaux antiviraux et certainement le fait que Michael Riordan avait été frappé par le virus de la dengue lors d’une mission humanitaire, et que DuBose Montgomery, le PDG de Menlo Venture avait été lui-même victime d’une grave infection virale n’est pas étranger à leur motivation.

En quelques années, Gilead a lancé l’Ambisome (anti-parasitaire , produit naturel découvert par le Squibb Institute), le Tenofovir (Viread,  dérivé nucléotidique anti-HIV, inhibiteur de la reverse transcriptase), inventé par Gilead et présent dans de nombreuses combinaisons parmi les plus utilisées (Truvada, Atripla) ; l’antibiotique Cayston, inventé par Gilead, le premier approuvé pour le traitement des infections opportunistes de la mucoviscidose ; l’emptricitabine, autre dérivé nucléotidique anti-HIV, acquis par Gilead de Research Triangle pour être utilisé en combinaison avec Viread ; le Flolan, un dérivé antithrombotique des prostaglandines synthètisé par John Vane ;  Hepcera, autre dérivé nucléotidique anti-viral inventé par une université  tchéque, qui échoua en tant que traitement anti-Sida, mais fut repris et développé par Gilead contre l’Hépatite B ; le Volibris (Ambrisentan, antagoniste de l’endotheline), premier traitement contre l’hypertension pulmonaire, avec un statut de drogue orpheline), en collaboration avec GSK ; Lexican ( un dérivé de l’adénosine développé avec Astellas pour les examens cardiaques) ; le Macugen (Pegatabnib), protéine synthétique dérivée du VEGF, utilisé contre la dégénérescence maculaire due à l’âge, acquis via la société Nextar, qui a aussi eu un statut de médicament orphelin ; le Ranolazine, un anticalcique contre l’angine de poitrine, acquis via CV therapeutics ; le célèbre Tamiflu, autre dérivé nucléotidique, inventé par Gilead, antiviral contre la grippe A et B et premier de la classe des inhibiteurs de neuramidinase.

Mais comment font-ils ?

Impressionnante, admirable réussite donc qui a mis à la disposition de millions de patients des médicaments essentiels et innovants. Mais comment ont-ils fait ? Gilead  et Michael Riordan ont commencé par se tromper (Riordan pensait développer comme anti-viraux des séquences de l’ADN  (ADN antisens), issus des laboratoires universitaires où il s’était formé ; ce fut un échec, mais  du coup Gilead acquit une bonne connaissance de la chimie et de la pharmacologie des dérivés des nucléotides – des molécules synthétiques plus simples, qui lui vaudront ses premiers succès. Riordan avait une vraie vision, dès le départ, révélé dans la lettre qu’il écrivit à Warren Buffet après son refus de participer à l’aventure Gilead :

« Nous développons une vaste et nouvelle génération de produits thérapeutiques pour traiter plusieurs maladies mortelles. Il s'agit d'un événement majeur en médecine. Et cela coûte beaucoup d’argent. Par conséquent, les finances, tout comme la recherche, la production et le développement clinique, constituent un ingrédient essentiel dans la construction de notre société. Comme membre du Conseil ou investisseur nous aidant dans l'élaboration de notre stratégie de financement, vous apporteriez quelque chose de spécial à une entreprise spéciale. »

Gilead a donc beaucoup dépensé et  s’est parfois trompé, et la liste de ses échecs est au moins aussi longue que celle de ses succès, mais a réussi à inventer de nouveaux médicaments essentiels ; son bilan est impressionnant et sa réussite éclatante, dans un contexte où les firmes pharmaceutiques, même bien établies  sont loin d’avoir fait aussi bien. Riordan a su s’entourer de scientifiques expérimentés (les prix Nobel Harold Varmus et Jack Szostak, Peter Dervan, Doug Melton, Harold Weintraub) et d’administrateurs efficaces et aux précieuses relations gouvernementales (dont Donald Rumsfeld, avant qu’il ne soit ministre de la Défense) ; il a aussi bénéficié d’une aide confortable de l’Etat américain pour le développement du Tamiflu  (un milliard) contre la grippe aviaire ; mais surtout Gilead a surtout très bien articuler recherche interne et opportunités d’acquisition, et pris des risques pour innover.

Une des premières molécules candidates identifiées par Gilead venait d’une Université tchèque – pourquoi aucune firme européenne ne l’a développé ? Et pourquoi sommes-nous incapables de créer des Gilead en France et en Europe ? Ou pourquoi considérons nous qu’il est bon que les Français achètent des voitures et qu’on est prêt même à accorder des subventions, alors qu’on considère comme mauvais qu’ils se soignent et que l’Etat cherche à diminuer les dépenses de médicaments et ne cesse de s’en prendre aux firmes pharmaceutiques ?

Reste simplement ceci : ou nous aurons, en France et en Europe, une politique du médicament favorisant la recherche et l’innovation thérapeutique, ou bien il faudra payer très cher les nouveaux médicaments à des firmes étrangères… ou s’en passer
 
 

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