La grande histoire du Musée des Tissus
J’étais à Lyon pour un
congrès et disposais d’une fin d’après-midi libre avant mon retour. Recherchant
sur une base purement de proximité de la gare une visite possible, je choisis
le Musée des Tissus- sans trop savoir à quoi m’attendre Aidé de Google map, je
découvris assez facilement un charmant hôtel particulier, l’Hotel de Villeroy,
construit au début des années 1730 par Claude Bertaud de la Vaure, , et
qui fut durant tout le XVIIIème la résidence des gouverneurs de Lyon. Dans ce
cadre magnifique, se situe l(une des plus vastes et des plus anciennes
collections consacrée aux tissus, magnifiquement exposée. Et j’eus en plus la
chance de bénéficier d’une visite commentée par le Conservateur qui accueillait
ce jour là un groupe d’experts japonais des tissus anciens – ce fut passionnant
et mémorable
Ce n’est qu’en 1950
que le Musée des Tissus s’est installé à l’Hotel de Villeroy- il
résidait auparavant au Palais du Commerce d’où il fut évacué pour en protéger
les collections en 1939. L’idée et la première réalisation datent de la fin de
la révolution et des débuts de l »Empire, où Napoléon et son ministre de
l’Intérieur, le chimiste Chaptal, veulent relever dans tout le pays les
fabriques ruinées par la Révolution et relancer une idustrie française de
prestige. Camille
Pernon lui-même, célèbre marchand-fabricant d’étoffes, fournisseur des cours
d’Europe, du Premier Consul puis de l’Empereur, soutient cette idée au début du
XIXe siècle.
En 1806 et
en 1814, sur l’ordre du ministre de l’Intérieur, le Préfet du Rhône presse la
Chambre de Commerce et d’Industrie de recueillir des échantillons des produits
de l’industrie exécutés dans le département. La Chambre demande par ailleurs,
le 2 juillet 1829, au ministre du Commerce et des Manufactures d’établir à Lyon
une collection d’étoffes de soie, de coton, de laine et de châles provenant des
manufactures étrangères. La Chambre réalise elle-même ce vœu en 1834 et en 1846
en organisant des expositions de soieries étrangères. Celle de 1846 montrait le
matériel exceptionnel collecté en Chine par la première mission commerciale
(1843-1846), et les pièces les plus exceptionnelles furent acquises par la
Chambre.
En août 1848, elle faisait aussi l’achat de dessins et
d’étoffes provenant de l’ancienne maison Dutillieu, conduite à la liquidation,
puis, en 1850, du petit « musée de fabrique » d’Auguste Gautier. Avec
l’exposition Universelle de Londres de 1850 comme déclencheur ( les soyeux lyonnais
comprirent l’intérêt de mieux faire connaitre et mettre en valeur leur
activité), il revint au Second Empire de
parachever l’idée du Premier et de créer en 1856 un Musée d’Art et d’Industrie,
dont l’objet était trop vaste et qui se spécialisera heureusement dans les
tissus en devenant en1891, le musée
historique des Tissus de Lyon.
Une
collection unique en Péril
Au fil des ans et de l’évolution du projet primitif la
collection s’est considérablement agrandie à partir d’un fonds remarquable
constitué par les archives d’anciennes maisons, les chefs-d’œuvre anciens
collectés par les industriels eux-mêmes ou les pièces les plus intéressantes de
la production étrangère. La Chambre de Commerce acquiert en 1862 la totalité de
la collection constituée par le dessinateur de fabrique Jules Reybaud, qui
comprend des centaines de textiles anciens et modernes, des milliers de
documents graphiques européens ou extrême-orientaux et de nombreux dessins de
fabrique. En 1875, elle entre en possession d’une partie de la collection de textiles
médiévaux du chanoine Franz Bock. Les dons des fabricants viennent compléter,
au gré des Expositions universelles, les fonds déjà constitués. En 1889, par
exemple, la soierie lyonnaise a été particulièrement saluée par le jury de
l’Exposition de Paris. Les principales maisons offrent au musée les laizes les
plus remarquables produites à cette occasion. Emile Guimet convainc la Chambre de
financer les fouilles menées par Albert Gayet sur le site mythique d’Antinoé,
en Moyenne Égypte, et dès 1898-1899, la
plus importante collection de textiles de la fin de l’Antiquité, provenant
des nécropoles de cette ville, rejoint le musée. Les acquisitions sont
constantes et intelligentes ; ainsi en 1999, des archives de la maison
Bianchini-Férier, témoignant notamment de la collaboration de la maison avec
l’artiste Raoul Dufy rejoignent le Musée.
Aujourd’hui riche
d’une collection de près de deux millions cinq cent mille œuvres, le fonds du
musée des Tissus est une référence mondiale pour la conservation, l’étude et la
connaissance du textile. Le Musée des tissus retrace 4.500 ans d'histoire du
textile, de la tunique en lin datant de 2.150 avant notre ère aux derniers
tissus composites utilisés dans l'aéronautique, en passant par de multiples
soieries précieuses. Parmi les chefs d’œuvre, cette toile de lin représentant la
déesse Isis et la tenture aux poissons (
Egypte, époque Ptolémaïque), les Plaisirs du roy Henry : médaillon
du Combat de l'ours, commanés
par Diane de Poitiers pour son amant royal, des robes de Cour masculines de la
dynastie Qing…
Mais voilà, si rien n’est fait, ce musée va
disparaître ! Depuis 2014, la CCI, qui en est propriétaire affirme qu’elle
ne peut plus financer son déveoppement. Et depuis 2014, le Musée survit dans un
état précaire, avec la ville de Lyon la Région et l’Etat qui se refilent
indignement la patate chaude et se défilent, promettant un financement si l’autre
en apporte un. La situation a fini par susciter la colère d’un grand lyonnais habituellement
assez flegmatique, Bernard Pivot : « Fermer le Musée des tissus, ce
serait un crime culturel… Lyon est la capitale de la soie. Ça paraît
invraisemblable, absolument dingue, que ce musée, qui fait partie du patrimoine
lyonnais et recèle tant de merveilles, soit fermé. Et fermé par des
Lyonnais"
Er que fait Gérard
Collomb, qui a peu glorieusement laissé se dégrader la situation ? Nos
modernes libéraux ne sont même pas capables de protéger, ni même sans doute d’apprécier
l’activité, le patrimoine industriel, la culture de leurs ancêtres marchands
soyeux lyonnais.