C’était
beaucoup plus mal avant !
Peu de gens connaissent
le CEPS, et pourtant il joue un rôle essentiel dans notre système de santé. Le
CEPS, c’est le Comité Economique des Produits de Santé, et c’est lui qui a la
responsabilité de fixer le prix des médicaments, des dispositifs médicaux et de
toutes les prestations prises en charge par l’assurance maladie obligatoire. Le
CESP existe depuis vingt ans, et à l’occasion de son rapport annuel, propose un
bilan de son action.
Qu’existait-il avant le CEPS ?
Eh bien, c’était tout simplement la préhistoire,
et un état qu’aujourd’hui même le tiers monde ne nous envierait pas ! Les
prix étaient fixés par une Direction dépendant du Ministère de la Santé, et le
ministre de la Santé, ou des affaires sociales, dépendait, lui, de ses
électeurs. Par transitivité, le prix du médicament dépendait de l’électeur
du ministre, et souvent, de la
construction d’une usine dans la bonne circonscription. Au gré des changements
ministériels et des différentes interventions, on a ainsi vu des projets d’implantation
d’usine faire le tour de France, de la Normandie à la Loire-Atlantique, aux
Vosges pour arriver en Corrèze. Pour faire bonne mesure, on frappait par
surprise les firmes pharmaceutiques d’une « contribution exceptionnelle »
arbitraire, lorsque les comptes de la Sécu dérivaient un peu trop.
Vingt ans seulement !
Le CEPS est né de la révolte d’un certain nombre d’acteurs du système de santé
et de hauts fonctionnaires pour sortir d’un système injuste, arbitraire,
inefficace, qui conduisait la Sécu à la ruine et l’industrie pharmaceutique à
sa disparition – parmi lesquels son premier directeur, Jean Marmot, issu de la
Cour des Comptes. Le rapport lui rend un hommage mérité en ces termes : « Jean
Marmot, premier président du CEPS, à l’époque Comité économique du médicament,
a jeté les bases de son fonctionnement institutionnel et de la relation
conventionnelle avec l’industrie pharmaceutique. Ce dispositif original, qui
porte incontestablement sa marque est d’abord né de la conviction que les
méthodes de tarification des médicaments précédemment pratiquées faisaient
courir des risques importants, en termes de sécurité juridique et politique. Il
fallait une évolution radicale, et le Comité en a été l’instrument : il est
devenu une instance de concertation interinstitutionnelle, où l’on décide
réellement des prix des produits de santé, sur la base d’un pouvoir
réglementaire autonome…loin de considérer le Comité comme une simple « machine
à tarifer » et procurer des économies pour l’assurance maladie, Jean Marmot
avait d’emblée pressenti qu’il pouvait, grâce à la politique conventionnelle,
être considéré comme un vecteur d’une régulation plus large du secteur des
produits de santé ». Jean Marmot est également l’auteur d’un rapport important
sur la politique du médicament.
Le
fonctionnement du CEPS
Comment le CEPS définit-il son rôle ? « Lieu
d’échange et de découverte entre administrations et entreprises, le Comité a
permis de prendre et tenir des engagements réciproques durables. Du côté
de l’Etat, il s’agissait, et il s’agit encore de donner aux entreprises un
interlocuteur unique, disposant de la capacité de décider, décidant de manière
suffisamment prévisible – c'est-à-dire s’appuyant sur une doctrine et des
critères clairs, la stabilité du Comité, de son fonctionnement et des règles
qu’il applique est certainement un élément constitutif important- sans être
évidemment le seul - d’un environnement administratif favorable aux industries
de santé en France et répondant à l’évolution des besoins des patients mais
également des établissements de santé. »
Concrètement, le CEPS conclut avec l’industrie
pharmaceutique des accords par produits, souvent du type prix-volume, mais
aussi sur le respect des posologies de l’AMM (autorisation de mise sur le marché)
ou le coût de traitement journalier moyen. Dans un accord prix volume, le prix
est fixé en fonction du nombre de patients attendus; si le nombre de
prescriptions est supérieur, le prix est revu à la baisse. Les engagements de
type prix/volume représentent 75% des remises dues, soit 546M€ pour 2013. Elle
sont concentrées sur un petit nombre de médicaments, fortement innovants et de
firmes : Novartis avec le Lucentis
(dégénerescence maculaire) et le Glivec (leucémie) ; Abbvie avec Humira (polyarthrite
rhumatoïde) ; Pfizer (Ambrel, polyarthrite rhumatoïde) ; Astra Zeneca
( symbicort, asthme), BMS (Avastin, cancer, Yervoy, mélanome). Ces remises
reflètent la difficulté à prévoir le succès et le juste prix d’un médicament très
innovant (ASMR amélioration du service
médical rendu- supérieure à III) et la nécessité d’ajuster en fonction des
résultats cliniques.
Il existe aussi une régulation financière
collective liée au respect global par l’industrie pharmaceutique de l’objectif
de croissance des ventes des médicaments remboursables. Elle comporte une part assise
sur le chiffre d’affaires total de l’entreprise (10% du dépassement au-delà
d’un seuil prévu dans la convention) et des remises quantitatives fonction de
la place de l’entreprise dans les segments de marché par pathologie. Le Chiffre
2013 de consommation de médicament est de 24,7 milliards d’euros, et il est en baisse depuis deux ans (il n’
y a plus de remises pour clauses collectives).
Les
pratiques du CEPS
Le CEPS revendique « une doctrine et
des critères clairs, et offrant certaines garanties de visibilité sur un voire
deux exercices annuels ». Voyons quelques exemples de la doctrine du CEPS :
Fixation
du prix des médicaments innovants : depuis très longtemps, il était en
effet tacitement admis, dans la plupart des pays, qu’un médicament apportant un
progrès notable pouvait prétendre à un avantage de prix par rapport au
médicament de comparaison, comme le code de la Sécurité sociale l’autorise en
France. Dans certaines classes, en particulier les anticancéreux, dans
lesquelles les innovations se sont succédées à un rythme assez soutenu, ce
mécanisme a pu aboutir à des prix correspondant à des coûts de traitement
considérables : jusqu’à environ 50 000 € par an et par patient pour certains
produits. Le comité considère qu’à ces niveaux de prix l’accès au marché français
constitue un avantage suffisant pour les innovateurs.
Pour
les médicaments d’ASMR IV (forte amélioration du service médical rendu), la
discussion du prix tient compte des caractéristiques de la population traitée.
Par exemple, lorsque le médicament a la même population cible que son
comparateur, le comité estime volontiers qu’un bénéfice suffisant de
l'innovation pour l'entreprise consistera dans l'accroissement de ses parts de
marché, sans qu'il y ait lieu d'y ajouter un avantage de prix. Il peut en aller
différemment lorsque l'ASMR résulte d'un avantage spécifique pour une
population plus restreinte.
Fixation
du prix des génériques : la décote des génériques par rapport au prix
du princeps, a été portée en 2012 de 55% à 60% pour les brevets échus à compter
de janvier 2012. Lorsque du fait de la faible taille du marché concerné, du
coût de production du générique ou du faible niveau de prix du princeps lié à
son ancienneté, la mise sur le marché d’un générique ne peut se faire avec une
décote de 60% par rapport au prix fabricant HT du princeps, le comité peut
accepter d’appliquer une moindre décote.
Dans les classes pharmaco-thérapeutiques
homogènes disposant d’une substitution générique importante, le coût de
traitement des génériques d’un côté et celui des princeps de l’autre, est
aligné vers les prix les plus bas. Le prix princept baisse donc lors de ‘introduction
d’un générique
Politique
de mee too : Le CEPS, contrairement parfois à la Commission de transparence
(qui évalue le service médical rendu) ne considère pas des molécules différentes comme des mee-too,
mais comme des médicaments différents, même s’ils ont des mécanismes d’action
très voisins. Ils sont le fruit de recherches indépendantes et les risques
courus à cette occasion par les entreprises sont analogues. « Il ne s'agit
donc pas de "me-too" mais de concurrents arrivés sur le marché à des
dates diverses. Le comité considère qu'il n'y aurait que des inconvénients à
limiter a priori le nombre et la diversité de ces concurrents, tant pour des
raisons de coûts (les nouveaux apportent, conformément au code de la sécurité
sociale, une économie dans le coût de traitement) que pour des raisons
médicales (même sans ASMR, une nouvelle molécule peut constituer un meilleur
choix pour une partie des patients). Egalement parce que limiter l'accès au
marché au premier ou au petit nombre de premiers arrivés, si tous les systèmes
de santé en faisaient autant, ferait peser un risque insupportable de tout ou
rien sur la recherche des entreprises. »
Alors, le CEPS a-t-il une doctrine sûre et
fiable ? Il a en fait mieux que
cela, une démarche rationnelle et scientifiquement bien informée, médicale et
économique au service des patients de façon à leur permettre l’accès aux
médicaments au prix le plus juste possible, en tenant le cap entre les
stratégies sophistiquées des entreprises et les pressions du gouvernement pour
faire baisser les dépenses de santé : « Le Comité a assuré et assure
toujours l’accès de tous les malades qui en relèvent, aux produits de santé
nouveaux et innovants. Contrairement à d’autres Etats qui sont conduits à
limiter cet accès, d’une manière souvent opaque, la France peut, de ce point de
vue afficher des résultats remarquables, par exemple dans les domaines de l’oncologie
ou des maladies rares. À ce jour, aucune innovation confirmée ne manque à
l'arsenal thérapeutique des médecins traitants, et le nombre de médicaments
orphelins disponibles y est l'un des plus élevés d'Europe ».
Le
prix des médicaments
Le rapport du CEPS s’est enrichi d’une comparaison
internationale du prix des médicaments, exercice qui n’a rien de facile en
raison de systèmes très dissemblables (pour la méthodologie, cf annexe 8du
rapport). Pour les prix des médicaments brevetés (coût d’un panier
représentatif de médicaments), l’étude la plus complète est canadienne et donne :
Canada 1 (référence), France 0.76, Italie 0.80, Allemagne : 1.11, Suède
0.90, Suisse : 1.01, Royaume-Uni : 0.80, USA : 2.02. La France a
donc les prix le moins chers du panel, ce qui est remarquable comparé par
exemple au Royaume Uni, où un système national de santé (NHS) en pleine déliquescence restreint,
voire interdit, l’accès à certains médicaments innovants d’une façon qui nous
paraitrait insupportable- et que les Britanniques supportent de moins en moins.
Pour les médicaments génériques, l’étude la
plus homogène avec la même méthodologie (panier type) est suisse et donne les
résultats suivants : Suisse 100 (référence), France 81, Autriche 65,
Danemark 38, Allemagne 47, Royaume-Uni 40, Pays-Bas 32. A noter qu’une étude
par unité standard (médicament par médicament, sans tenir compte du volume de
consommation) donne des résultats assez différents, selon lesquels la France est
dans la moyenne basse européenne (enquête Gemme 2010 : France : 0.18,
Port : 0.27, Belg. : 0.27, Allemagne : 0.24, Italie : 0.20,
Royaume-Uni : 0.20, Espagne 0.18, Finlande : 0.18, Pologne :
0.11)
Donc, contrairement peut-être à l’opinion
admise, les médicaments sous brevet sont peu chers en France, les génériques
sont plus chers, mais pas à l’unité, essentiellement en raison de la structure
volume prix : plus de consommation de génériques moins chers au
Royaume-Uni et en Allemagne, par rapport à la France, ou, autrement dit, les
génériques les plus consommés en France sont plus chers. Il y a peut-être là
une piste d’amélioration, il semble qu’une politique généreuse de prix pour
inciter les compagnies à mettre des génériques sur le marché ait été, justement,
un peu trop généreuse, ; ce qui, par parenthèse, peut
aussi décourager l’innovation.
En perspective sur vingt ans, le rapport du
CEPS fait remarquer que le marché
pharmaceutique a radicalement changé de physionomie. « Les
brevets des blockbusters des années 90 sont pour leur grande majorité tombés
dans le domaine public. Copiés, ils ont largement alimenté le développement du
marché des médicaments génériques. L’innovation se concentre sur des domaines
thérapeutiques plus ciblés : les médicaments orphelins, les médicaments de «
niche » en oncologie, les thérapies ciblées constituent les secteurs
d’innovation principaux. Sans être négligées, les grandes pathologies
chroniques ne voient pas poindre d’innovations radicales. Le domaine de la
virologie, après le traitement du SIDA, paraît être, avec les nouveaux
antiviraux indiqués dans l’hépatite C, un secteur d’innovation majeure. »
Quelques questions cependant :
Il ne faut évidemment attendre de critiques fortes du rapport qu’un organisme fait sur lui-même. Encore une fois, le rôle du CEPS dans la santé publique française est de première importance, bien qu’assez ignoré, et un Parlement qui ferait sérieusement son travail l’examinerait et le discuterait de près avant de fixer l’ONDAM (Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie) à pile ou face et de pleurer chaque année sur sa dérive. Il me semble que le CEPS, sur les vingt ans, a plutôt bien fait le job, et qu’hommage doit être rendu à ceux qui l’ont fondé et présidé (Jean Marmot, Jean-François Bénard, Noël Renaudin, Gilles Johanet, Dominique Giorgi…, et à ceux qui y ont plutôt bien travaillé, pris entre l’enclume des industries et le marteau des pouvoirs publics.
La baisse de dépense des
médicaments en 2012 et 2013 traduit-elle l’efficacité de la régulation, ou un
début de renonciation à des soins pour cause de crise ? Le CEPS par
définition ne s’occupe des produits déremboursés, il serait quand même
intéressant d’avoir des études sur l’incidence économique et en matière de soin
des déremboursements.
En lien avec cette question, une
étude d’IMS Health France démontre que 60% des patients ne suivent pas
complètement leurs traitements (87% des asthmatiques, 64% des insuffisants
cardiaques, 63% des diabétiques, 60% des
hypertendus). Ce manque d’observance a des conséquences graves pour les patients
et pour l’économie de la santé : une hypertension mal soignée peut
conduire à un AVC (coût direct 4 milliards d’euros par an), un diabète mal régulé
entraine un recours plus rapide à l’insuline, assez couteux) et un risque accru
de cécité ou d’amputation. Une meilleure observance des traitements conduirait à
une consommation accrue de médicaments, mais à l’évitement de nombre de drames
et finalement à une économie. Le CEPS doit donc intégrer, même si ce n’est pas
sa mission première, la question de l‘observance des traitements. S’agit-il d’un
problème de remboursement, de pédagogie, de médicaments possédant encore trop d’effets
secondaires ?
Comment le CEPS traitera-t-il le
cas, qui risque de se reproduire, du Sofosbuvir, ce médicament miracle contre l’Hépatite
C de Gilead (le coût de traitement d’environ 60.000 euros, le nombre de malades de l’hépatite
C est d’environ 200.000 en France ? (NB : Même à ce coût, il est
nettement moins cher qu’une greffe de
foie pour les plus malades et médicalement , en terme de service médical rendu,
incomparable). Mais pour l’instant, la politique semble être de le réserver aux
plus atteints, alors qu’il est bénéfique pour les patients même à des stades
plus précoces. Nous ne sommes pas loin ici de que le CEPS a jusqu’à présent
évité, la restriction économique des soins et le droit, non pas à la santé, mais
à être soigné pour tous.
Peut-on encore avoir une politique
des prix des médicaments par nation dans l’espace européen ? Le système
français est plus satisfaisant que beaucoup d’autres, comment le préserver ?