La prochaine épidémie
commence...
Jour 1 :
Une future mère de 35 ans, en Espagne, se rend chez son médecin, se plaignant de douleurs à l'estomac,
vomissements, diarrhée, fièvre et frissons. Une infection intestinale est diagnostiquée,
un antibiotique- une fluoroquinolone- prescrite, et la malade est renvoyée chez
elle.
Jour 2 :
En France, un jeune garçon de deux ans est hospitalisé avec une diarrhée sévère,
vomissements, déshydratation et une forte fièvre. Un autre antibiotique – une céphalosporine-
lui est administré.
Jour 4 :
Les analyses effectuées sur le jeune garçon mettent en évidence une infection à
Salmonelle, une bactérie commune dans les aliments ; sauf que cette
souche-là est hautement résistante aux principaux antibiotiques habituellement
utilisés, dont les céphalosporines ou les fluoroquinolones.
Le jeune
garçon meurt de déshydratation et d’infection généralisée. La patiente zéro, la
jeune femme espagnole, perd son bébé et meurt ensuite d’infection généralisée.
Jour 5 :
Dans toute l’Europe du Sud, on compte déjà 325 morts, la plupart, des enfants,
des personnes âgées et des personnes vulnérables, immunodéprimées. Des milliers
de personnes se pressent dans les services d’urgence, avec des symptômes
similaires à ceux des premiers patients. Des cas commencent à être rapportés
dans tous les pays européens : 15 en Belgique, 27 en Allemagne.
Jour 6 :
1730 morts et 220.000 cas d’infection
sont rapportés dans toute l’Europe. Les USA, Le Mexique, le Canada, la Chine
interdisent toute importation de nourriture en provenance d’Europe et
interdisent l’accès de leur territoire aux citoyens européens. Une crise économique
majeure s’annonce.
L’Institut
Pasteur et ses correspondants européens identifient la source de l’infection
chez un important producteur de lait français. Ils confirment que cette souche
nouvelle provoque des infections sévères, et, de plus, est résistante à tous
les antibiotiques connus. La Food and Drug Administration est contactée, ainsi
que des laboratoires de Chine et Singapour. Les médecins ne peuvent que traiter les
symptômes, soulager les douleurs et les fièvres.
Jour 7 :
le nombre de morts continue à s’accroître, des cas sporadiques apparaissent en
Amérique, en Asie, en Afrique.
Ce scénario
n’est pas crédible ? Il est pourtant adapté mot à mot d’un texte de la
Food and Drug Administration, lui-même inspiré d’un fait réel En 1985, du lait
contaminé avec Salmonella typhimurium, a infecté 200. 000 personnes dans les
Etats du Sud-Ouest américain. La seule différence, c’est que dans le cas réel,
les souches n’étaient résistantes qu’à certains antibiotiques.
L’ennemi est là !
Mais aujourd’hui,
des souches résistantes à tous les antibiotiques existent réellement. Elles se
développent, sont présentes partout. L’autorité européenne de sécurité des
aliments (EFSA) et le centre européen de prévention des maladies (ECDC)
alertent dans un rapport conjoint sur la persistance de la résistance aux
antimicrobiens dans les bactéries zoonotiques chez l’homme, l’animal et les
aliments. Les Salmonella et Campylobacter, à l’origine des infections d’origine
alimentaire les plus fréquentes, présentent une forte résistance aux antimicrobiens
courants. Le phénomène de résistance est également observé, à un moindre degré,
pour les antimicrobiens dits critiques : la ciprofloxacine et le cefotaxime
pour la salmonellose, et la ciprofloxacine et l’érythromycine pour la
capylobactériose.
Dans le
détail, chez les humains, une résistance
clinique des isolats de Salmonella aux antimicrobiens courants est fréquemment
détectée en Europe : près de la moitié des isolats se sont révélés
résistants à au moins un antimicrobien ; 28,9 % d’entre eux sont
multirésistants.
En revanche,
la co-résistance de Salmonella aux antimicrobiens d’importance critique est
faible (0,2 % dans 12 États membres).
Le constat est plus grave pour les
isolats de Campylobacter issus de cas humains : une résistance clinique aux antimicrobiens courants
mais aussi critiques a été détectée : 47,7 % d’isolats se sont révélés
résistants à la ciprofloxacine, avec des tendances à la hausse dans plusieurs
pays.
Chez les
animaux, une résistance microbiologique de Salmonella aux antimicrobiens
courants a été fréquemment détectée en particulier chez les poulets de chair,
les porcs et les dindes. Une résistance à la ciprofloxacine a aussi fréquemment
été observée chez les poulets et les dindes, mais non une corésistance à la
ciprofloxacine et au céfotaxime.
Et nous n’avons
aucun antibiotique pour traiter les plus résistantes de ces souches ;
parce que les gouvernements et les firmes pharmaceutiques ont délaissé depuis
des années la recherche contre les antibiotiques ; parce qu’investir des
milliards pour un médicament qui, s’il est efficace, sera utilisé pendant une
semaine, qui, s’il est actif sur des souches résistantes, ne sera distribué qu’à
l’hôpital, pour éviter la dissémination de nouvelles résistances n’est pas
rentable.
Nous n’avons
pas d’antibiotiques, parce que nous n’avons pas de politique du médicament ;
parce qu’en France, la priorité est de taxer le médicament, c’est beaucoup plus
facile que de s’attaquer aux vrais gaspillages
en matière de santé ; parce qu’en Europe, il n’y a rien.
Pendant ce
temps, les USA et la Chine, qui ont bien compris le problème, investissent,
avec une implication massive de crédits publics dans la recherche de nouveaux antibiotiques.
Alors, pour
la prochaine épidémie, faute de recherche, faute d’investissement, il faudra
soit mourir, soit payer très cher les médicaments qui n’auront pas été inventés
en Europe.