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vendredi 18 juillet 2014

Human Brain, tempête sous un crâne


Big science ne signifie pas automatiquement bons projets

Début 213, l’Union Européenne a annoncé le lancement du Human Brain Project, un projet sur dix ans, de 21.2 milliards d’euros impliquant 120 laboratoires européens. Le but est de parvenir à modéliser le fonctionnement d’un cerveau entier de souris en 2020 (71 millions de neurones), et un cerveau humain (86 milliards) en 2024, en prenant en compte toutes les échelles de fonctionnement, du gêne à la cognition.

L’argument de départ était médical : disposer d’un modèle de cerveau permettant de faire des expériences virtuelles, manipuler à loisir certains paramètres pour observer les réactions, notamment l’apparition de maladies mentales, dont on espère ensuite mieux comprendre les causes et pouvoir en proposer de nombreux traitements. Le coordinateur principal du projet Henry Markram, de l’Ecole Polytechnique de Lausanne, affirme « que c’est parce qu’on ne comprend pas le fonctionnement du cerveau qu’il faut le modéliser ». Il espère élaborer des neurones virtuels (« des puces neuromorphiques ») qui reproduiraient les règles de fonctionnement des neurones réels, par exemple, le fait qu’un gêne donné est exprimé dans une conditions particulières, qu’un type de neurones n’est activable que dans certaines conditions etc.

La Commission Européenne voulait son grand projet scientifique à l’américaine, pourquoi pas ? Seulement, Caramba, c’est encore raté ! (tiens au fait, que devient de programme Iter sur la fusion nucléaire, lui aussi géré par l’Union ?) Dans une pétition, plus de deux cent soixante scientifiques ( et parmi eux,nombre de leaders reconnus des neurosciences en Allemagne, en Suisse, au Royaume Uni, en France) alertent la Commission Européenne sur un risque d’échec majeur, qui représenterait un gaspillage énorme au vu des sommes en jeu.

Deux reproches principaux  me semblent émerger. L’un est que l’approche du bas vers le haut, du neurone vers les fonctions mentales a été exclusivement privilégiée ; ainsi, des domaines tels que la psychologie et plus généralement les neurosciences cognitive telles qu’étudiées par les équipes de Stanislas Dehaene, (Collège de France, CEA, Inserm) ont été écartées alors qu’elles étaient présentes dans le projet initial – en gros, la démarche consiste à partir des processus mentaux et à utiliser les techniques les plus avancées d’imagerie pour les comprendre – on peut ainsi mettre en évidence des circuits neuronaux, chez l’homme et certains animaux, codant la notion de nombre. Par ailleurs, il existe un doute sérieux sur la possibilité même d’expliquer utilement le fonctionnement du cerveau par une démarche aussi réductionniste que celle privilégiée par Human Brain. Enfin, il existe aussi un petit mais fondamental problème épistémologique souligné par exemple par Yves Frégnac (CNRS) : si le modèle devient aussi complexe que la réalité, il ne nous apprend plus rien. Le Prix Nobel Torsten Wiesel, spécialiste de la neurologie de la vision, et membre du Comité consultatif externe de Human Brain a   sans doute vendu la mèche : dès le début, Human Brain a été bien davantage conçu comme un programme d’intelligence artificielle que comme un programme de biologie et de médecine !

Il y a peu de doute que Human Brain nous apprendra à concevoir des robots aux capacités inouïes, mais beaucoup sur ce qu’il apportera en biologie et en médecine. Dans ces conditions, il y a un peu tromperie sur la marchandise !

Alzheimer : une certaine indécence

Pendant que les chercheurs se déchirent autour de Human Brain, de ses programmes et de ses milliards, qu’on parle d’une ambiance délétère et paranoïaque, on apprend que la totalité des essais cliniques concernant la maladie d’Alzheimer ont échoués. Ce n’est pas faute de chercher ou de vouloir, mais les firmes pharmaceutiques se désengagent de cette aire de recherche, pourtant prometteuse en termes de profits. C’est que nous n’avons rien sur les causes réelles de la maladie, sur son déclenchement, aucune piste valable à suivre, aucun modèle animal satisfaisant, aucun gène, aucune cible thérapeutique. Même les approches que l’on pouvait penser les plus pertinentes, telles les inhibiteurs de BACE, enzyme impliqué dans la formation des plaques amyloïdes, n’ont mené à rien. Nous n’avons simplement aucune des connaissances fondamentales qui nous permettraient d’avancer !

Alors, je trouve un peu indécent ces déchirements autour de Human brain de ses milliards, et, une fois de plus, inadéquat et inacceptable le mode de fonctionnement de l’Union Européenne En bon positiviste, je me permettrais de rappeler que la science est au service de l’Humanité et non l’inverse. Nous savons bien l’importance de la recherche de la recherche fondamentale, que l’on n’invente pas la lampe à incandescence en perfectionnant la bougie, ou comme le rappelait souvent Auguste Comte, que les marins doivent leur sécurité à des spéculations mathématiques désintéressées développées il y a plusieurs millénaires. D’ accord ! Mais je sais aussi que cela marche en sens inverse, et que la thermodynamique est née du désir et du besoin de comprendre, d’améliorer et de renforcer la sécurité de la machine à vapeur.

Il est inconcevable qu’un programme comme Human Brain ait pu être lancé sans des débats transparents et publics, et non d’obscurs conciliabules en petits comités. Il est inconcevable qu’il ait pu être lancé sans que scientifiques et décideurs, une fois d’accord ou d’accord sur leurs désaccords, soient venus devant l’opinion publique en expliquer les enjeux, les méthodes, les résultats attendus.

Pouvez-vous m’expliquer en quoi Human Brain aidera à résoudre le défi que nous pose la maladie d’Alzheimer ? Sinon, Messieurs, revoyez votre copie, ou appelez votre programme Robot Brain, ce sera plus franc.
 

lundi 14 juillet 2014

Les sept plaies de la recherche scientifique


C’est le titre d’un article du Monde –supplément Science du 2 juillet 2014, rédigé  par Yehezkel Ben-Ari, neurobiologiste et grand prix de l’Inserm 2012. Résumé et commentaire des sept plaies


Mode court-terme : M. Ben-Ari dénonce la mode des big projets, du « big is beautiful »,  comme le Human Brain Project « dont rien ne permet d’étayer les promesses » ; et, « en l’absence de chercheurs parmi les décideurs politiques, l’action de la pléthore d’énarques, d’HEC et d’avocats souhaitant rentabiliser la recherche » qui pissent au court terme. ( C’est « poussent » bien entendu, mais la faute de frappe était trop belle !)

Commentaire : oui, bien sûr. Souvent cité par Edouard Brézin, cette phrase : ce n’est pas en perfectionnant la bougie que l’on invente la lampe à incandescence. Mais les grands projets sont importants pour fixer des caps, mobiliser des énergies, établir des collaborations transdisciplinaires, expliquer au public – qui nous finance-  les buts et les enjeux des recherches. Le tout est de pas trop prendre ses désirs pour des promesses. Le déchiffrage du génome humain a été un immense projet et succès – il fallait le faire, et les connaissances qu’il permet sont cruciales pour les progrès en médecine des années à venir ; pour le Human Brain Project, cela a plutôt l’air de tourner à la pétaudière…mais c’est un programme européen !

Planification et recherche sur projet : « nous sommes financés sur projet et passons donc l’essentiel de notre temps  à écrire des programmes. La réflexion est devenue un luxe interdit. Du coup, notre temps de recherche est plus restreint que celui de nos collègues anglo-saxons

Commentaire : encore plus oui, bien sûr. En 2012, des Assises de la recherche fort intéressantes ont aussi dénoncé cette situation et formulé 120 propositions : « La situation serait sans doute tenable si l'ANR constituait un guichet unique pour les appels à projet, mais c'est loin d'être le cas. Tous les « ex » créés dans le sillage du grand emprunt (Initiatives d'Excellence, Laboratoires d'Excellence, Equipements d'Excellence...) sont autant de micro-agences de financement, sans parler de l'argent apporté - au compte-gouttes - par les collectivités locales, la Commission européenne, etc »

Administrativite chronique : « avoir un financement, c’est dur, mais le gérer, c’est une tâche herculéenne. Une commande passe par une vingtaine de mains avant d’être honorée »

Commentaire : ça n’a cessé d’empirer. Pour l’anecdote, je connais un labo Inserm où un fournisseur de pipettes n’étant pas référencé, les chercheurs se livrent à un troc avec le labo CNRS voisin

Evaluationite maladive : « Quand les finances ne sont pas au rendez-vous, on évalue. le chercheur passe sa vie à évaluer ou à être évalué. Lister les sigles des structures d’évaluation dépasse  l’espace dévolu à cette tribune »

Commentaire : toujours selon les assises de la Recherche, « en 2011, l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres) a mobilisé 4.700 experts pour évaluer notamment 855 unités de recherche et 73 établissements »

Multiplication des guichets : « chaque organisme ou fondation veut avoir ses commission, ses sources de financement et la paternité des résultats. De plus chaque organisme a ses propres structures de valorisation »

Commentaire : toujours les Assises de la recherche de 2012 : « Atip, Cifre, CIR, PRES, RTRA, RTRS, SATT, IdEx, LabEx et autres EquipEx... Plus personne - les chercheurs pas plus que les autres - n'est capable de s'y retrouver dans la jungle de sigles et d'acronymes qu'est devenue au fil des ans et des lois le paysage français de la recherche »

Précarité et salaires répulsifs, Horizon bloqué et fuite des cerveaux :

 : « Chercheurs comme techniciens sont fréquemment recrutés pour des CCD de quelques mois. Leur nombre explose : plusieurs dizaines de milliers. Les chercheurs sont des intermittents comme les travailleurs du spectacle, sans en avoir le statut »

Commentaire : le traitement des doctorants, des Phd, des chercheurs est en effet indécent. Enchainer les contrats précaires à la merci de mandarins jusqu’à trente ou trente-cinq ans pour obtenir (ou pas, c’est sans garantie !) un poste permanent à 2,200 euros… Pas de recherches sans chercheurs, et où les trouvera-t-on ? Personne de sensé ne peut recommander à un jeune une orientation vers la recherche publique. L’idée d’une manifestation pour réclamer le statut d’intermittent du spectacle ne me  parait pas mauvaise…

En conclusion, M. Ben-Ari propose que toute demande de financement inférieure à 400.000 euros soit limitée à dix pages. C’est un bon début, et cela évitera l’inflation chronophage et malsaine  des dossiers, et même le recours à des organismes pour rédiger ces dossiers. Mais on peut peut-être faire  mieux. Des assises de la recherche ont eu lieu en 2012, des chercheurs se sont réunis, discuté, émis des propositions (121), l’idée principale étant que le financement sur projet redevienne un plus incitatif, mais pas l’essentiel du financement.

Le Ministère de la recherche n’en a rien fait ; peut-être serait-il temps qu’il fasse un pêu confiance aux chercheurs eux-mêmes ; après tout, ce sont des bacs plus douze, treize, quatorze, quinze…

dimanche 6 juillet 2014

La flibuste juridique américaine


Vive l’euro ?

Espérons qu’une leçon à 6.6 milliards d’euros (8.9 milliards de dollars), pour inacceptable mais inévitable qu’elle soit aura porté - je veux parler de l’amende infligée à BNP pour n’avoir pas respecté un embargo américain sur les transactions financières vis-à-vis de certains pays comme le Souan ( mais pour d’autres banques, Cuba sera aussi en cause). Rappelons tout de même qu’il s’agit d’un embargo purement américain, qu’un embargo est un acte de guerre, qu’il doit être approuvé par l’ONU ; mais peu importe, face à la menace de ne pouvoir exercer d’activités bancaires aux US ou en dollars, il faudra céder, pour cette fois.
 
Mais cette affaire, cette manifestation brutale d’impérialisme américain aura des conséquences, espérons-le positives. Elle plonge dans l’insécurité toutes les transactions financières en dollars ; malgré sa régulation financière assez obscure, le yuan commence à monter significativement dans les échanges internationaux. Et l’euro ? Il y a une véritable chance, une opportunité pour son développement comme monnaie internationale d’échange. Michel Sapin et Wolfgang Schaüble veulent engager un débat entre européens sur l’hégémonie du dollar dans le commerce international et les risques associés. Il serait souhaitable qu’il prenne de l’ampleur et la Banque européenne se voit assigner un objectif plus excitant qu’une lutte contre l’inflation qui ne menace personne : le développement de l’euro comme monnaie internationale  comme instrument de libération vis-à-vis d’un certain impérialisme américain. La Deutsche Bank, qui avait aussi mené quelques transactions litigieuses aux yeux du le gouvernement américain devrait échapper à toute sanction, ces transactions étant effectuées en euros.

Scènes de l’impérialisme ordinaire: les deal de justice (extrait de l’article du Monde du 30 oct. 2013 (Marie Charrel),rendant compte du livre deals de justices, le marché américain de l’obéissance mondialisée, PUF, Antoine Garapo,, Pierre Servan-Schreiber) :
 
« Cela commence par un malaise. Celui du secrétaire général d'un grand groupe français, dont l'entreprise s'est vu accuser de corruption à Washington. Il n'existe aucune preuve, aucun fondement, seulement voilà : il ne peut pas courir le risque d'un procès. Parce que, même si les accusations sont fausses, la réputation de son groupe serait inévitablement entâchée. Pire, il pourrait se voir interdire l'accès au marché américain. Pour l'éviter, le secrétaire général a donc conclu un « non prosecution agreement » avec la justice américaine. En d'autres termes : il a signé un gros chèque afin de s'épargner une procédure et de s'acheter la paix. Mais il en garde un goût amer. Avait-il vraiment le choix ? Etait-ce bien raisonnable ?.. Les sept auteurs de cet ouvrage – (magistrats, avocats, spécialistes en droit public et même philosophe -) soulèvent ici le débat. Ils détaillent comment cette étrange pratique, qu'ils surnomment « deal de justice », se généralise depuis quelques années. Plus aucune firme internationale n'y échappe. A la moindre suspicion d'infraction de la part des juges américains, elles n'ont d'autre choix que de se plier aux exigences de ces derniers, par exemple en montant, à leur frais, des procédures de dénonciation interne (le «whistleblowing»). Tout cela pour, in fine, accepter de payer une amende négociée plutôt que de se défendre devant les tribunaux. Technip, Alcatel-Lucent, Total, ING et des dizaines d'autres ont ainsi versé, au total, plus de 7 milliards de dollars (5,1 milliards d'euros) en cinq ans..

La flibusterie américaine juridique américaine nous coûte cher et rapporte beaucoup aux US.  Un autre champ d‘action très profitable pour les pirates de la loi est la propriété intellectuelle, à travers les « patent trolls »

Scènes de l’impérialisme ordinaire: 2- les patent trolls

« Nous sommes fin 2012, dans les bureaux d'une petite société française spécialisée dans la vidéo numérique. Son dirigeant vient de recevoir par la poste une petite bombe : une assignation devant un tribunal du Delaware aux Etats-Unis pour contrefaçon. Le plaignant, une société américaine parfaitement inconnue, lui réclame 1 million de dollars (719 millions d'euros) de dommages et intérêts, plus d'un dixième de son chiffre d'affaires. Sans compter les frais de justice qui grimpent vite jusqu'à 2 ou 3 millions de dollars aux Etats-Unis. Quelques clics sur Google le renseignent sur le profil de son assaillant, une société dont la seule activité consiste à acquérir des brevets pour ensuite traîner devant la justice des sociétés qui, prétendument, les enfreignent. Outre-Atlantique, ces experts du chantage ont un nom : les patents trolls. La high-tech est leur terrain de jeu favori, tant il est difficile de démêler qui a inventé quoi dans l'enchevêtrement de technologies qui constituent une puce, un smartphone ou un nouveau format vidéo. ». Pour tenir tête à ces rois de l'esbroufe, Apple ou Samsung envoient des bataillons d'avocats au front et dépensent chaque année des millions de dollars. Mais, pour des petites sociétés, une telle attaque peut vite signer leur arrêt de mort. Jusque-là, la menace concernait surtout les sociétés américaines mais les patent trolls font de plus en plus d'incursions en Europe, profitant du fait que les start-up situées à Paris, à Londres ou à Berlin commercialisent leurs technologies aux Etats-Unis et sont donc susceptibles d'être assignées là-bas.« Le contentieux autour des brevets progresse très rapidement », témoigne Pauline Debré, responsable de la propriété intellectuelle au cabinet d'avocats Linklaters. Cette avocate s'inquiète aussi de l'arrivée de ce type de procédure devant les tribunaux européens. La création d'ici environ deux ans d'une juridiction unifiée des brevets pour les pays de l'Union pourrait faciliter la tâche des patent trolls. « Jusqu'à présent, ils devaient engager une procédure pays par pays, ce qui était très dissuasif, souligne l'avocate. A l'avenir, il suffira d'assigner devant un seul tribunal ce qui réduit les coûts et augmente le profit potentiel. (Le Monde, 14 mars 2014)

 Agir contre le racket

Le gouvernement français a résolu de tenter de faire face au problème en créant France Brevets, une filiale de la Caisse des Dépôts dotée d’un fonds de 100 millions d’euros, dont l’objet est de défendre les firmes françaises victimes des patent trolls, et aussi d’aider les firmes françaises victimes du pillage de leurs brevets par des géants américains à défendre leurs droits. Dans le cas cité au début, l’affaire s’est soldé par quelques dizaines de milliers de dollars grâce à l’intervention de France Brevets ; mais c’est tout de même cher payé pour une flibusterie qui n’est rien moins qu’une escroquerie.

La réponse française peut-elle être suffisante ? N’est-il pas temps de passer à une réponse européenne et plus musclée ? Depuis toujours, les USA en matière de normes juridiques et plus spécialement  de propriété industrielle, ont entretenu un flou juridique, une jungle qui profite surtout aux richissimes cabinets d’avocats et à leurs grandes firmes qui peuvent écraser leurs concurrents plus faibles à l’aide de bataillons de juristes. Cette situation, entretient une insécurité qui est globalement défavorable au progrès et à l’innovation, et les firmes américaines les plus innovantes le déplorent  elles-mêmes. Les avocats ont dû céder récemment sur un pilier centenaire du droit des brevets spécifique aux US, l’invention accordée au premier inventeur et non au premier déposant, comme dans tous les autres pays, source infinie de longues procédures juteuses. L’administration américaine semble elle-même décidée à agir contre les » patent trolls » : « il s’agit d’encourager l’innovation, pas les litiges, Penny Pritzker, secrétaire au commerce)

Oui, la lutte contre la  flibuste juridique américaine généralisée doit devenir une priorité ; il faut d’abord mettre en place des instruments de lutte efficaces, refuser plus longtemps de se laisser dépouiller, et imposer ce sujet de manière prioritaire dans toute discussion sur la libéralisation du commerce,  et surtout éviter toute disposition et tot accord qui faciliterait la tâche des « patents trolls » et les rackets des « deal de justice »
 
 

samedi 5 juillet 2014

Méchantes bestioles, pas de médicaments-2 !


L’appel de Cameron

J’ai évoqué dans un billet précédent les dangers que font peser le développement des souches résistantes, le manque de nouveaux antibiotiques, et le scénario réaliste d’épidémie publié par la FDA à partir de salmonelle résistantes apparues dans le lait. Après les avertissements solennels lancés par les ministres de la santé américains et anglais, c’est le Premier ministre anglais David Cameron lui-même qui ont évoqué le retour à une ère  pré-antibiotique. « Ce n'est pas une menace lointaine, mais quelque chose qui se passe en ce moment a déclaré Cameron. Si nous n'agissons pas, nous allons vers une situation presque impensable où les antibiotiques ne fonctionnent plus et nous retournons dans les âges sombres de la médecine, où  infections et blessures vont tuer une fois de plus. Cela ne doit simplement pas arriver et je veux voir une réponse mondiale plus forte et plus cohérente. »

 L’ère pré-antibiotique

 Une ère préantibiotique, nous n’y sommes pas encore, et nous avons du mal à savoir ce que cela signifie. Ce sont  par exemple, les dizaines de millions de morts de l'épidémie de grippe de 1918 -  la majorité des malades ne sont pas morts à cause du virus de la grippe, mais suite à des surinfections bactériennes surtout touchant le poumon. C’est revenir au tant des grands épidémies, au tant des taux de mortalité opératoire ahurissants. C’est  ne plus pouvoir utiliser des traitements immunosuppresseurs, ne plus avoir accès à la chimiothérapie, ne plus des opérations invasives, à cause des infections. C’est risquer la mort pour un furoncle, voir un simple point noir, pour une blessure vénielle dans un jardin…

L’ére préantibiotique , nous n’ y sommes pas encore mais nous nous en rapprochons. En Angleterre, on estime à 5,000 le nombre de morts annuelles dues aux bactéries résistantes. Aux Etats-Unis, le Center for Disease Control estime que 2 millions de personnes sont infectées chaque année par des bactéries résistantes aux antibiotiques, et que, sur ces 2 millions) 23.000 vont mourir. L’ére préantibiotique, c’est aussi le retour des maladies sexuellement transmissibles non maitrisées  ; selon l’Institut de Veille Sanitaire, en France, 850 cas de syphilis résistantes aux antibiotiques ont été recensés en 2013, contre zéro en 2000. La situation est encore pire pour les gonocoques (blennorragies, chaude-pisse). L’OMS a alerté, « Si on ne cherche pas à mettre en place de nouveaux antimicrobiens,  il n’y aura peut-être plus bientôt de traitements disponibles » ; l’ère pré-antibiotique, c’est l’alimentation et la sexualité qui redeviennent à risques mortels.

 Une recherche difficile et coûteuse

David Cameron, et d’autres encore plus violemment que lui, ont mis en cause l’industrie pharmaceutique qui aurait arrêté toute recherche sur les antibiotiques. C’est partiellement vrai, mais pourquoi ? Les produits naturels produits par les champignons et les bactéries ont été assez systématiquement explorés, ils ont été à l’origine de la plus grande partie des antibiotiques actuels ; on peut imaginer, et il faut certainement le faire, étudier des souches qui ne l’ont pas été, utiliser les immenses progrès en matière d’analyse, de purification et d’élucidation des structures pour rechercher des composés nouveaux – mais encore faudrait-il qu’ils soient supérieurs à ceux que l’on connait. Les laboratoires publics spécialisés dans les substances naturelles n’ont pas obtenu de grands succès en matière d’antibiotiques. Reste aussi, et c’est sans doute plus prometteur, l’application des techniques de manipulations génétiques pour modifier de façon dirigée (ou d’ailleurs aléatoire !) les composés produits par des champignons ou bactérie productrices d’antibiotiques connus ; nous pourrons ainsi probablement obtenir des antibiotiques supérieurs sur certains points aux existants ; mais peut-être pas la révolution thérapeutique attendue.

Une autre piste également permise par les progrès de la biologie moléculaire a été l’identification de cibles thérapeutiques précises chez les bactéries, des protéines, des enzymes essentielles à la vie bactérienne, mais absentes ou complètement différentes chez les mammifères. On ne peut pas dire que les firmes pharmaceutiques ne l’aient pas tenté, et, dans une publication essentielle (drugs for bad bugs), GSK notamment a publié le résultat de dix ans de recherche, d’identification et de préparation de cibles bactériennes,  de mise au point de test et de screening de collections importantes de composés (1 million), sans  aucun résultat. Ce genre d’expérience, reproduites par d’autres pharma, a sévèrement douché l’enthousiasme pour la recherche d’antibiotiques ; au fond, si les firmes pharmaceutiques ont arrêté la recherche d’antibiotiques, c‘est qu’elle n’en trouvaient pas !

 Bref, la recherche de nouveaux antibiotiques sera difficile, coûteuse, pas très prédictible, et  conduira probablement à des substances élaborées coûteuses à produire – au moins au départ. A cela s’ajoute une contrainte économique réelle : les nouveaux antibiotiques seront probablement au début réservés au marché hospitalier, donc avec des volumes faibles. Ce seront donc des médicaments aux prix élevés, or, partout, singulièrement en Europe, et encore plus singulièrement en France, les politiques d’économies de santé visent en premier les médicaments.

Que faire ?

Et c’est pourquoi le modèle actuel selon lequel les Etats laissent une très grande part de la recherche fondamentale en matière de médicaments aux firmes pharmaceutiques quitte à les rémunérer par un marché protégé, règlementé et des prix en fonction des efforts accomplis ne peut sans doute plus suffire, au moins  dans certains axes thérapeutiques. C’est ce qu’ont bien compris les USA qui, via des contrats avec le ministère de la défense, aident massivement et systématiquement les firmes et start-up se lançant dans le domaine des antibiotiques – (ce n’est pas un hasard si Donald Rumsfeld a  longtemps été au conseil d’administration de l’une des biotechs qui ont le mieux réussi, Gilead.)

En Europe, en France rien, ou presque rien, quelques pôles de compétitivité aux moyens sans mesures avec l’ampleur du défi.

 Sur le modèle du GIEC ?

David Cameron a raison de vouloir s’emparer du sujet. Aujourd’hui, et c’est bien ainsi, rien ne pourra se faire sans une mobilisation de l’opinion publique, sans un trialogue entre les experts, l’opinion publique et les décideurs. Le GIEC, pour les phénomènes climatiques, a montré la voie, faisant collaborer dans une organisation internationale des scientifiques qui ont réuni des preuves et sont arrivés à un consensus sur le réchauffement climatique et son origine anthropique, ont saisi l’opinion publique et les décideurs et se prononcent les effets des politique suivies- ou refusées.

Eh bien, il faut sans doute faire la même chose pour les infections bactériennes résistantes : créer un groupe international d’expert qui suivront ces phénomènes, distingueront les vérités des affabulations ou des peurs, feront un rapport annuel sur leur progression. Ce serait, dira-t-on, le rôle de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) ? Je n’en suis pas persuadé. Elle peut bien entendu avoir un rôle important de support, mais il me semble que seules des organisations radicalement indépendantes de tout pouvoir politique ou étatique peuvent être réellement efficaces (cf la séparation radicale des pouvoirs temporels et spirituels chez Comte pour une  gouvernance scientifique  efficace)

D’autres part, il faut que les états européens s’engagent massivement dans le financement de la recherche antibiotique, comme le font déjà les USA. Sans quoi, lors du surgissement très probables de grandes épidémies bactériennes résistantes, il ne nous restera qu’à mourir en masse ou à se procurer, en les payant très chers, des antibiotiques inventés à l’étranger- à condition même de le pouvoir.

Il serait impensable que l’Europe, que la France, pays de Pasteur, soit absente de ce défi-là. Le domaine de la santé et du médicament est tout de même aussi noble et aussi essentiel que l’énergie, le numérique ou la métallurgie, et mériterait de susciter l’intérêt du ministère de redressement productif qui l’a me semble-t-il, assez ignoré.
 


mercredi 2 juillet 2014

La Révolution génétique et la France


Un nouveau code génétique

Une avancée importante, en tous cas un véritable tour de force en biologie synthétique vient d’être réalisé au Scripps Institute (cf La Recherche juillet-Août 14). L’ADN, code génétique universelle fonctionne avec quatre lettres, quatre bases organiques dont la succession code toutes les protéines des organismes vivants. Eh bien, les chercheurs du Scripps (Floyd Romesberg) ont ajouté à cet alphabet deux bases synthétiques, qu’on ne trouve pas dans la nature, et les ont incorporées dans des séquences ADN de plasmides de la bactérie préférée des généticiens, Eschericia Coli. Pour faire bonne mesure, il leur a fallu aussi intégrer dans la bactérie un gène d’algue codant une protéine transmetteur permettant aux deux nouvelles bases de traverser sa paroi. Une fois cela réalisé (15 ans de recherche environ, tout de même), les bactéries répliquent l’ADN modifiè et ses nouvelles bases. C’est la démonstration de la possibilité, de faire produire par les bactéries à terme, non seulement des protéines existantes, mais des protéines complètements nouvelles, avec pourquoi pas, des acides aminés non naturels.

Il y a encore loin de ce premier pas au but affiché, mais la révolution génétique, grâce à la création de nouveaux outils de génétique moléculaire, progresse à pas de géants. Deux sociétés se sont fait récemment remarquer, toutes deux fondées par des scientifiques français. L’un des problèmes principaux des manipulations génétiques, et surtout des thérapies géniques est que l’on sait assez facilement insérer un gêne modifié dans les cellules, mais que l’on ne savait pas jusqu’à présent le faire de manière sélective, ce qui avait malheureusement pour effet fréquent de perturber de manière anarchique les cellules cibles, voire de les rendre cancéreuses ou de les tuer. Ce fut l’une des causes principales des échecs des premières thérapies géniques. Or, c’est ce problème, entre autres, que permet de résoudre les technologies développées par ces deux sociétés.

CRISPR therapeutics

La plus récente de ces deux sociétés est CRISPR therapeutics, fondée par Emmanuelle Charpentier. C’est l’aboutissement de vingt-sept ans de recherche fondamentale sur les mécanismes de virulence et de défense des bactéries. Les CRISPR (courtes séquences palindromiques répétées) associés à des enzymes nucléases Cas (capables de couper l’ADN) ont été découvertes chez les bactéries où elles servent à centraliser les infections virales en intégrant une partie du génome viral, puis l’utilisant pour générer des fragments complémentaires de l’ARN viral couplés à une nucléase cas qui dégrade le génome viral. Le couplage  CRIS cas9 avec des ARN guide permet de cibler des sites d’insertion d’ADN précis et cette stratégie a été validée par la démonstration qu’il est possible d’inactiver in vivo chez le singe des gênes d’intérêt thérapeutique. Ces développements doivent beaucoup à la scientifique française Emmanuelle Charpentier… mais qui n’exerce plus en France- elle est actuellement professeur à l’Université de médecine de Hanovre.

Cellectis

L’autre société,  française celle-là- active dans le domaine de l ’ingénierie génétique est Cellectis. Cellectis a été créée en 1999 par des chercheurs de l’Institut Pasteur (notamment André Choulika). Cellectis a acquis une expérience unique en matière de design, de production et d’utilisation des méganucléases. Ces enzymes, dont plusieurs centaines existent dans les bactéries, les levures, les algues  coupent l’ADN de manière très ciblée grâce à des sites de reconnaissances de longue taille (12à 40 bases) d’ADN. Ces sites peuvent être modifiés pour couper une séquence d’ADN bien particulière et Cellectis a développé toute une famille d’outils génétiques TALEN™ particulièrement efficaces. Un premier succès significatif a été enregistré avec la production de méganucléases capables de cliver le gène humain XPC dont la mutation est en cause dans le Xeroderma pigmentosum, une maladie monogénique grave prédisposant aux cancers cutanés et aux brûlures dès lors que la peau est exposée aux rayons UV. Cellectis a signé des accords avec Servier et, cette année surtout avec Pfizer (Pfizer prend 10 % du capital de Cellectis pour former une « alliance stratégique mondiale ». Le but est de développer des thérapies originales du cancer en rendant les cellules cancéreuses sensibles au systyème immunitaire. Pour cela, Cellectis a développé des outils appelés CAR (récepteurs antigéniques chimériques), qui sont des molécules artificielles qui, lorsqu'elles sont présentes à la surface des cellules immunitaires effectrices, permettent à ces dernières de reconnaître une protéine déterminée (antigène) et de déclencher l'élimination des cellules qui portent cet antigène sur leur surface (cellules cibles). Il devient alors possible de modifier des cellules du système immunitaire (généralement des lymphocytes T) de façon à ce qu'elles expriment un CAR capable de reconnaître des protéines présentes à la surface des cellules cancéreuses.

Deux remarques : en 1970, le Prix Nobel et généticien Jacques Monod affirmait : « Non seulement, la génétique moléculaire moderne ne nous propose aucun moyen d’agir sur le patrimoine héréditaire, pour l’enrichir de traits nouveaux, mais elle révèle la vanité d’un tel espoir, l’échelle microscopique du génome interdit à pour l’instant et sans doute à jamais de telles manipulations ». Prédiction aventurée : nous entrons aujourd’hui clairement dans l’ére industrielle de la transformation génétique de l’homme. Pour le meilleur évidemment- et la sagesse humaine évitera le pire

Grâce à la recherche française, la France est présente dans ce domaine ; mais on ne peut que rêver à ce que serait le développement de sociétés comme Cellectis ou CRISPR therapeutics si elles étaient issues de labos américains. Il serait temps que le Ministère du Redressement Productif s’intéresse davantage aux industries d’avenir qu’à celles du passé, et daigne s’intéresser à la thérapeutique, à la biologie et au pharmaceutique au moins autant qu’à l’énergie et aux transports chers aux Ingénieurs des Mines – peut-être suffirait-il d’introduire ces matières dans leur cursus ?