Marjolaine Meynier
Millefert, (LREM), rapporteur de la Commission d’enquête parlementaire sur les
énergies renouvelables et la transition énergétique présidée par le député
Julien Aubert (2019):
« Quand on a 80
% des gens qui vous disent que le développement des ENR électriques en France
soutient la décarbonation et finalement la transition écologique en France, je
pense que ce n’est pas bon non plus parce que le jour où les gens vont vraiment
comprendre que cette transition énergétique ne sert pas la transition
écologique vous aurez une réaction de rejet de ces politiques en disant vous
nous avez menti en fait. »
Commission
Aubert : Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Marc Jancovici,
ingénieur, consultant en énergie. Du grand Janco, commenté ainsi par M.
Aubert : « Vous êtes le premier à décrire de manière aussi claire et
catégorique l’inanité de la stratégie aujourd’hui poursuivie. Extraits (bon, en fait,
presque tout, difficile
de couper Janco !)
Energies pilotables
et intermittentes (dites aussi fatales !). Il n’ y a pas remplacement,
mais superposition !
« Cet effet
résulte aussi du fait qu’on ne demande pas aux producteurs de rendre leurs
kilowattheures pilotables. On leur propose de fournir du kilowattheure quand le
vent souffle, alors qu’on demande aux centrales classiques de fournir du
kilowattheure quand on a besoin d’allumer la lumière. Jusqu’à présent, le
réseau s’est développé avec des sources pilotables : le train de 8 heures part
à 8 heures et pas quand il y a du vent ; la commission se réunit à 16 h 15 et
pas quand il y a du vent ; vos enfants font leurs devoirs en hiver quand ils
ont leurs devoirs à faire, et pas quand il y a du vent ; votre réfrigérateur
fonctionne pleinement au mois d’août, et pas quand il y a du vent ; vous
faites votre lessive le week-end et pas quand il y a du vent. C’est ainsi qu’a
été conçu le système électrique. Un peu d’effacement est possible, mais pas
tant que cela et une partie résulte du déclenchement de groupes électrogènes
par des industriels.
Si vous voulez
remplacer une source pilotable par de l’éolien ou du solaire en conservant la
même organisation du système, sans mettre plus de coût à la charge des
consommateurs d’électricité ou de ceux qui font fonctionner le réseau,
c’est-à-dire, sans demander au consommateur d’investir dans des batteries et au
réseau d’investir dans des moyens de stockage, vous devez, soit demander aux
fournisseurs d’électricité non pilotable de prendre en charge des moyens de
stockage pour rendre l’électricité de nouveau pilotable, mais dans ces
conditions, il est évident qu’on ne peut
produire à 60 euros le mégawattheure mais trois à six fois plus cher, soit vous gardez vos
capacités pilotages en back-up, exactement comme cela s’est produit en
Allemagne. Mon pari, c’est que si on développe l’éolien et le solaire en
France, on ne baissera pas significativement la puissance nucléaire ;
on baissera le facteur de charge mais pas la puissance installée. Il convient
de comparer le coût complet de l’éolien et du solaire au coût du combustible
évité dans le moyen pilotable dont vous ne vous servez pas quand il y a du vent
ou du soleil.
En résumé, vous
gardez le moyen pilotable dont vous avez besoin pour que le train de 8 heures
parte à 8 heures le jour où il n’y a ni vent ni soleil et vous ne vous en
servez pas quand il y en a. Vous économisez ainsi la part variable de
production. Dans une centrale à gaz, celle-ci représente 60 % du coût du
kilowattheure, et il faut acheter le gaz entre 40 et 60 euros. Dans une
centrale à charbon, c’est beaucoup plus bas et, dans une centrale nucléaire, le
montant du combustible économisé est d’environ un euro le mégawattheure, soit à
peu près rien. Les arrêts de tranche ne modifient pas la programmation. Vous
enfournez un peu moins d’uranium au début mais l’effet est minime. Si vous
arrêtez les centrales nucléaires quand il y a du vent et du soleil, pour que le
vent et le soleil deviennent compétitifs en France, leur coût de production
doit être inférieur à quelques euros le mégawattheure. Là où il n’y a que du
gaz, c’est à 50 euros, là où il y a du charbon, à 20 euros ; là où il y a du
nucléaire ou des barrages, c’est à « zéro plus », c’est-à-dire jamais.
Quand la presse
répète que le coût de l’éolien est inférieur au coût du nouveau nucléaire, elle
compare des choux et des carottes, c’est-à-dire une source pilotable et une
source non pilotable. L’électricité étant un électron en
mouvement, elle ne se stocke pas en tant que telle, sauf dans les
supraconducteurs. Il faut la transformer pour la « stocker ». Il faut la
transformer en eau remontée en altitude, dans des barrages réversibles, ou en
composés chimiques, dans les batteries. Dans un réseau, la production et la
consommation s’équilibrent à tout instant et la fréquence est stable. Des modes
de production non pilotables ne peuvent être comparés qu’avec des combustibles
économisés tout en ayant gardé des moyens pilotables. On ne peut donc
considérer que la part variable économisée. C’est la raison pour
laquelle, quand on ajoute au système à coûts fixes qu’est le nucléaire, que
l’on devra garder, un autre système à coûts fixes comme l’éolien ou le solaire,
la facture globale augmente à mesure de la quantité d’éolien et de solaire
ajoutée dans le système, car il n’y a pas substitution mais
superposition. »
M. le président
Julien Aubert. Donc, quand on parle de complémentarité…M. Jean-Marc Jancovici.
Ce n’est pas une complémentarité mais une superposition. J’y reviendrai.
Il n’ y a pas de
foisonnement en Europe. Le vent souffle pour tout le monde en même temps, et le
soleil brille pour tout le monde en même temps
« Le graphique
suivant montre la production éolienne heure par heure et les exportations
allemandes heure par heure. Plus la production éolienne est élevée et plus les
exportations horaires sont élevées. Autrement dit, quand le vent souffle,
l’Allemagne exporte de manière fatale. Or je montrerai ensuite qu’il n’y a pas
de foisonnement au sens où on l’entend habituellement. Quand il y a une
dépression en Europe, il y a du vent chez tout le monde et quand il y a un
anticyclone, il n’y a de vent chez personne.
On le voit sur le
graphique suivant montrant, heure par heure, le facteur de charge du parc
éolien allemand, c’est-à-dire la puissance réelle par rapport à la puissance
installée, et, pour la même heure, le facteur de charge du parc éolien
français. On constate que lorsqu’il y a peu de vent en Allemagne, lorsque la
puissance réelle représente une faible fraction de la puissance installée, il
n’y a pas non plus beaucoup de vent en France. Je doute qu’on
puisse compter sur le vent des voisins quand on n’en a pas chez nous. Que ceux
qui disent que c’est possible misent leur propre argent sur ce pari !
Figure 1 Comment on fait avec l'intermittence de l'éolien ? Et
il est où, et il est où le foisonnement ?
Mme Marjolaine Meynier-Millefert,
rapporteure. Il devrait y avoir deux couleurs de points, une pour l’Allemagne
et une pour la France. Je comprends mal le graphique. M. Jean-Marc Jancovici.
Il y a 8 760 heures dans l’année. Chaque point représente une heure. J’ai
considéré la puissance réelle du parc français en pourcentage de la puissance
installée et au même moment, la puissance réelle du parc allemand en pourcentage
de la puissance installée. S’il existait un effet « quand il n’y a pas de vent
chez nous, il y en a chez les voisins », les deux seraient à peu près
équilibrés. Ce serait un vrai foisonnement. Il y aurait toujours du vent
quelque part, pas au même endroit, et l’espace entre les deux serait
entièrement occupé. On pourrait alors bâtir les interconnexions qui conviennent
et l’ensemble du parc franco-allemand serait garanti. Mais le graphique montre
qu’au moment où il n’y a pas de vent chez les uns, il n’y a pas de vent non
plus chez les autres.
M. le président Julien Aubert. Je
me ferai l’avocat du diable. Vous le faites uniquement pour la France et
l’Allemagne ? M. Jean-Marc Jancovici. Je l’ai fait aussi pour la France et
l’Espagne, pour l’Espagne et l’Allemagne. M. le président Julien Aubert.
Toujours en bilatéral ? Pourquoi ne pas le faire sur une dizaine de pays en
même temps ? M. Jean-Marc Jancovici. Je l’ai fait aussi. Je n’ai pas apporté la
courbe, je pourrai vous l’envoyer. Cela donne le même résultat. La production de
l’ensemble des éoliennes européennes peut descendre à moins de 5 % de la
puissance installée en Europe…
Un autre graphique concerne la
France et l’Espagne, la France et le Royaume-Uni, et les régimes les plus
décorrélés en Europe, ceux de l’Espagne et de l’Allemagne. En outre, pour
profiter pleinement du foisonnement en Europe, il faudrait tirer quelques
gigawatts de lignes d’interconnexion entre l’Espagne et la Finlande. Je
rappelle que depuis
que la France s’est engagée dans la neutralité, nous avons quarante ou
cinquante ans, disent les textes officiels, pour réduire à zéro les gaz à effet
de serre. En s’y prenant bien, c’est le temps qu’il faut pour construire 10 %
des capacités d’interconnexion nécessaires et 10 % des éoliennes nécessaires
pour approcher de la consommation électrique actuelle avec juste ce genre de
moyen.
Je conclurai par une petite règle
de trois pour donner un ordre de grandeur des différences d’investissement
entre un système 100 % nucléaire et un système 100 % éolien. D’aucuns me font
remarquer qu’en France, les barrages concourent à la flexibilité, ce qui est
vrai, mais on sait aussi, avec le nucléaire, faire du suivi de charge. On sait réduire la
puissance d’un réacteur de 80 % en trente minutes. Ce n’est pas vrai
dans toutes les centrales dans le monde, mais le nucléaire français sait faire
de la variation de charge au même rythme qu’une centrale à gaz.
M. le président Julien Aubert.
Cela ne dégrade pas sa rentabilité ?M. Jean-Marc Jancovici. Cela dégrade un peu
sa rentabilité, parce que le facteur de charge moyen diminue.
M. le président Julien Aubert.
Cela a-t-il un effet sur la vétusté du matériel ? M. Jean-Marc Jancovici. Cela
accélère aussi un peu la vétusté du matériel et oblige à remplacer des éléments
un peu plus souvent. Il n’empêche que,
s’agissant d’une énergie pilotable, le nucléaire, même un peu plus cher à cause
du suivi de charge, reste moins cher que l’éolien et le solaire, pour lesquels
il faut prévoir du stockage.
Le coût caché du stockage. Le
nucléaire est une solution du pauvre !
Le stockage fait perdre 30 %
à 40 % de ce qui a été stocké. Il faut faire transiter l’électricité dans le
réseau de l’éolienne à la station de pompage, avec une perte de 5 %, puis
pomper l’eau de bas en haut, au prix d’une perte de 20 % à 25 %, puis
la turbiner dans l’autre sens, au prix d’une perte de 10 %, avant de la
transporter dans l’autre sens dans le réseau. Par rapport à une centrale
pilotable, si vous avez besoin de stocker l’électricité, vous perdez 30 à
40 % au passage, ce qui signifie qu’il faut surdimensionner le parc de 30
à 40 % pour la partie à stocker. Il faut ajouter les éoliennes qui ne
servent qu’à produire l’électricité qui est perdue pendant le stockage.
Vous devez aussi construire les stations
de pompage. Pour construire ses barrages réversibles, il faut négocier avec la
Suisse pour pomper l’eau du lac Léman et avec les riverains pour noyer des
vallées. Quand on voit ce qu’a donné le projet de barrage de Sivens ! Et
je n’ai même pas mis le coût des compagnies de CRS.
En revanche, la puissance
installée en éolien est moins coûteuse : 1 000 à
1 500 euros le kilowatt installé, alors que le nucléaire, trop cher
aujourd’hui, coûte 6 000 euros, mais deux séries optimisées coûteront
3 000 euros. Le facteur de gain est de 2 à 4 en faveur de l’éolien.
Il n’empêche que si vous faites
la somme des facteurs multiplicatifs et diviseurs de part et d’autre, dans le
meilleur des cas, un système éolien plus le stockage demandent cinq fois plus
d’investissement qu’un système nucléaire, et dans le pire des cas, trente fois
plus d’investissements. Là où la
reconstruction à neuf du système nucléaire français, même avec un nucléaire
cher, coûte 250 milliards d’euros, dans le meilleur des cas, un système
éolien plus stockage en coûte 1 500 milliards d’euros, et dans le
pire des cas, 10 000 milliards d’euros. Je ne suis pas sûr qu’on ait
cet argent.
M. Vincent Thiébaut. Pourquoi ne parlez-vous
que de l’éolien ?
M. Jean-Marc
Jancovici. En appliquant la même règle de trois avec le solaire, j’aboutis à un
résultat encore un peu plus défavorable, avec un facteur multiplicatif de 10 à
40.
Cela signifie que, contrairement
à une idée répandue, dans l’électricité, le nucléaire est une solution du
pauvre et pas une solution du riche. On accrédite l’idée que le
nucléaire est une solution du riche parce qu’on ne fait que comparer des choux
et des carottes, c’est-à-dire une électricité pilotable et une électricité non
pilotable. Mais si on met sur un pied d’égalité les services rendus, on
comprend que l’éolien et le solaire requièrent considérablement plus
d’investissements pour la même quantité d’électricité produite que le
nucléaire. Est-ce qu’on a tout cet argent ?
Développer en France les énergies
renouvelables électriques ne présente pas le moindre intérêt sur aucun plan
Comme les lois de Kirchhoff de
conservation de l’énergie s’appliquent pareillement en France, je suis prêt à
parier que si en France, on développe l’éolien et le solaire, on ne supprimera
pas les capacités nucléaires, on s’en servira moins. Ce faisant, on
cumulera d’un seul coup tous les inconvénients, puisqu’on dépensera de l’argent
dans des énergies renouvelables sans effet sur les émissions de gaz à effet de
serre du pays. On augmentera les importations, car en passant d’un
mégawattheure nucléaire à un mégawattheure solaire ou éolien, on passe d’un à
vingt ou trente euros d’importation par mégawattheure, ce qui crée de
l’emploi dans la filière mais en détruit globalement, et on augmentera le
risque nucléaire, puisqu’on devra garder un parc qui gagnera moins d’argent si
le prix du mégawattheure reste le même, puisqu’on s’en servira moins. Comme le système
nucléaire est à coût fixe, en gardant un système à coût fixe auquel on donne
moins d’argent, la probabilité que les risques soient mieux gérés n’est pas
très élevée.
Par conséquent, à mon sens,
développer en France les énergies renouvelables électriques ne présente pas le
moindre intérêt sur aucun plan. Les seules bonnes
énergies renouvelables dont on doit s’occuper en France, ce sont les énergies
renouvelables chaleur. Les énergies renouvelables électriques n’ont strictement
aucun intérêt, sauf pour les antinucléaires. C’est la raison historique
pour laquelle on s’y est attaqué. Au moment du Grenelle Environnement, Nicolas
Sarkozy ayant dit qu’on ne toucherait pas au nucléaire, les antinucléaires
ont menacé de revenir par la fenêtre, on a accepté de parler tout de même
d’énergies renouvelables. On a ainsi décidé de développer l’éolien et le
solaire, c’est-à-dire les énergies concurrentes du nucléaire, auxquelles on a
consacré des milliards d’euros. À l’époque, cette structuration n’a pas été
décidée pour une raison d’ordre climatique mais sous l’influence des
antinucléaires.
M. le président
Julien Aubert. L’investissement de 300 milliards d’euros mentionné dans le
graphique représente-t-il le coût du parc ? M. Jean-Marc
Jancovici. Non, le coût historique est de 120 milliards d’euros. J’ai
indiqué le coût de reconstruction à neuf. J’ai voulu comparer des éléments
comparables. J’ai regardé ce que les Allemands avaient investi depuis le début
des années 2000 et j’ai considéré que si nous avions dû réaliser le parc
nucléaire depuis le début des années 2000, comme on a rajouté des règles de
sûreté dans tous les sens, cela nous coûterait plutôt 250 milliards
d’euros.
M. le président
Julien Aubert. J’avais vu le chiffre de 75 milliards d’euros publié par la Cour des
comptes.
M. Jean-Marc
Jancovici. J’ai vu d’autres chiffres autour de 120 milliards d’euros, mais
100 milliards d’euros, c’est l’ordre de grandeur, et ce ne sont pas les
1 500 à 10 000 dont j’ai parlé tout à l’heure.
Le coût historique du parc
nucléaire français est de 100 milliards d’euros et j’estime le coût de
reconstruction à neuf avec les normes d’aujourd’hui, le coût de l’EPR
aujourd’hui, même bien fait en série, entre 200 et 300 milliards d’euros.
Ce graphique porte sur l’exemple
espagnol. En même temps que les Espagnols construisaient, depuis 1990,
25 gigawattheures d’éolien, ils ont construit 25 gigawattheures de
centrales à gaz. Comme ils ne pouvaient pas compter sur l’éolien comme
puissance pilotable, ils ont construit dans le même temps l’éolien et le
back-up pilotable. Ils auraient construit
à la place 25 gigawattheures de nucléaire, ils auraient sans doute
aujourd’hui moins d’éolien mais aussi moins d’émissions de CO2 et
moins d’importations de gaz.
L’analyse de la situation de
l’Allemagne et de l’Espagne me conduisent à conclure clairement qu’augmenter
les énergies non pilotables dans un réseau électrique ne permet pas de baisser
significativement la capacité pilotable.
En résumé, les énergies
renouvelables qui sont, à mon sens, vraiment pertinentes sont la pompe à
chaleur et, de manière raisonnée, la biomasse, plus, dans les bâtiments, le
solaire thermique, c’est-à-dire les ouvertures au sud, les vérandas.
M. le président
Julien Aubert. Pas l’hydrogène ?
M. Jean-Marc
Jancovici. L’hydrogène n’est pas une énergie primaire. On n’en trouve pas dans la
nature, c’est un vecteur comme l’électricité. L’hydrogène n’est qu’un moyen de
conversion et de stockage d’une autre énergie. Nous savons en faire de grandes
quantités parce qu’il en existe deux grandes utilisations industrielles, dont la
désulfuration des carburants. Dans toutes les raffineries des pays occidentaux,
il y a des unités de production d’hydrogène mises en place par Air liquide ou
par ses concurrents. Mais c’est de la production d’hydrogène fossile. C’est de
l’hydrogène qu’on va chercher dans du méthane, c’est-à-dire dans du gaz
naturel. La formule chimique du méthane est CH4, soit un atome de carbone et
quatre atomes d’hydrogène. On joue au Lego à l’envers pour récupérer, d’un
côté, le carbone sous forme oxydée de CO2 qui part dans
l’atmosphère, et, de l’autre côté, de l’hydrogène. On le fait par chauffage
réalisé avec une autre partie du gaz naturel. Cela émet plein de CO2.
La deuxième source de production d’hydrogène importante dans les pays
occidentaux est la chimie de l’ammoniaque. On prend de l’hydrogène, on
l’associe avec l’azote de l’air pour faire de l’ammoniaque, à la base de la
chimie des engrais.
On sait très bien faire de
l’hydrogène en grande quantité avec du gaz mais au prix de l’envoi de beaucoup
de CO2. Si on veut se servir de l’hydrogène comme vecteur, il
faudrait le faire avec des énergies sans carbone, c’est-à-dire essentiellement
des énergies électriques. Pour être intéressant, l’hydrogène doit être plus
intéressant que la chaîne électricité. Au début de l’histoire de l’hydrogène,
il y a l’électricité. Certains disent qu’en installant plein d’éoliennes, on
pourra électrolyser de l’eau quand il y aura du vent, ce qui produira de
l’hydrogène qu’on transportera et utilisera. C’est physiquement possible mais cela reste beaucoup
moins intéressant que des centrales nucléaires pilotables. Dès lors, on n’a
besoin ni des éoliennes ni de faire de l’hydrogène pour stocker l’énergie dont
on n’a pas besoin quand il y a du vent.
Stockage : pas de solution
en vue- l’inanité de la stratégie aujourd’hui poursuivie
M. le président
Julien Aubert Toute votre argumentation sur l’opposition entre pilotable et non
pilotable repose sur l’absence de stockage.
M. Jean-Marc
Jancovici. Oui.
M. le président
Julien Aubert. Certaines personnes que nous avons auditionnées nous ont dit que le
stockage arriverait d’ici quelques années.M. Jean-Marc Jancovici. Très
bien !...Puisqu’ils disent que ce sera rentable d’ici quelques années,
proposez-leur de vous revoir d’ici quelques années. Puisque le stockage ne
coûtera rien, vous leur proposerez de le mettre à leur charge.
Dites-leur : « Lorsque l’éolien stocké vaudra 60 euros le
mégawattheure, on vous en achètera. Puisque cela ne coûte rien, vous ne pourrez
qu’être d’accord ». Je ne suis pas complètement sûr qu’ils répondront oui.
M. le président
Julien Aubert. Je vous en laisse la responsabilité ! Nous avons auditionné pas mal
de monde et entendu toutes sortes de scénarios et de positions. Vous êtes le premier
à décrire de manière aussi claire et catégorique l’inanité de la stratégie
aujourd’hui poursuivie. Pourtant, des représentants d’agences de l’État,
dont c’est la spécialité, nous ont plutôt confortés dans l’idée qu’on allait
dans la bonne direction.
M. Jean-Marc
Jancovici. Quelles étaient les personnes en question ?
M. le président
Julien Aubert. Nous avons auditionné M. Carenco, président de la commission de
régulation de l’énergie (CRE) et M. Brottes, président du réseau de
transport de l’électricité (RTE), ainsi que des responsables de la direction
générale de l’énergie et du climat (DGEC). Comme cette dernière est le pilote
de la locomotive des énergies renouvelables, sa position peut se comprendre.
Mais je ne comprends pas pourquoi deux autres organismes comme RTE et la CRE,
qui ont une vision transversale du sujet, n’aboutissent pas au même diagnostic.
RTE dit plutôt : on sait faire, on va pouvoir gérer le foisonnement et
l’intermittence. M. Carenco, le président de la CRE nous a dit :
« On ne fait pas des énergies renouvelables pour l’objectif CO2,
il faut diversifier, je ne crois pas à l’avenir du nucléaire ». Comment
expliquez-vous ce hiatus entre votre réflexion académique et la réflexion
administrative ?
M. Jean-Marc
Jancovici. Je ne souscris pas à l’idée que toute diversification est pertinente. Si
on coupe une de mes jambes pour la remplacer par une jambe de bois, j’ai
diversifié mes appuis mais je ne suis pas sûr que ma situation globale soit
améliorée. On peut très bien diversifier en remplaçant ce qu’on a par moins
bien. C’est exactement ce que je viens de soutenir pendant une heure et demie.
Vous me posez une question
difficile, parce que je n’ai le choix qu’entre ne prendre aucun risque en
disant « joker » et contredire ces éminentes personnes sur la base de
ce que je crois en savoir. Vous n’êtes pas sans savoir quel était le précédent
employeur de M. Brottes.
M. le président
Julien Aubert. À ma connaissance, il était député et il n’avait pas d’employeur.
M. Jean-Marc Jancovici. Il était dans cette
maison. Il était même président de la commission des affaires économiques, en
fonction lors du vote de la loi de transition énergétique. Je comprends ce
qu’il aurait à perdre à expliquer aujourd’hui que l’objectif de l’article 1er de
la loi de transition énergétique n’est plus pertinent. Même s’il le pense, je
ne suis pas sûr qu’il vous le dira.
Dans les documents de RTE comme
dans ceux de l’ADEME, comme dans les contrats d’assurance, il est intéressant
de lire les petites lignes. Vous êtes bien placés pour savoir que les gros
titres de la presse reproduisent les communiqués de presse. Il suffit de bien
rédiger les communiqués de presse pour que la presse dise des choses
sympathiques.
Il faudrait demander à ces
gens-là s’ils parieraient jusqu’au dernier euro de leurs économies que cela
peut marcher. Si on avait un nombre infini de milliards d’euros devant nous, on
pourrait faire un système avec 50 % de nucléaire et beaucoup d’éolien.
M. le président
Julien Aubert. Qu’y a-t-il dans les petites lignes de RTE ?
M. Jean-Marc
Jancovici. Je lis dans les petites lignes les conditions limites. Par exemple, il
faut regarder de très près la part des importations. J’ai montré tout à l’heure
que si les pays suivent la même évolution que la nôtre, il n’est pas sûr qu’ils
aient de l’électricité à exporter quand nous en avons besoin. Je ne sais pas si
ce bouclage a été fait ou pas.
Autre exemple, dans le scénario
60 % et 100 % EnR de l’ADEME, une des hypothèses retenues est que
60 % de la consommation du pays est effaçable. Si on vous le demande
gentiment, est-ce que vous ne ferez pas votre lessive, débrancherez votre
frigo, n’emprunterez pas l’ascenseur, ne prendrez pas le train, et si vous êtes
industriel, est-ce que vous arrêterez les machines, sans investissement à la
charge du consommateur ? J’ai quelques doutes. On y trouve donc des
conditions limites qui sont des hypothèses. Mais on peut postuler une hypothèse
totalement invraisemblable. Je peux très bien imaginer ce que je ferais si
j’étais capable de voler. Je peux écrire un livre de deux cents pages sur le
sujet. Mais si je voulais transposer cela dans le monde réel, vous seriez en
droit de challenger l’hypothèse de départ. Il faut réaliser un long et
fastidieux travail de revue des hypothèses ou des conditions limites, ce que la
presse n’a absolument pas le temps de faire. Je n’ai pas lu toute la production
de tous ces gens. J’ai bien regardé le
scénario 100 % EnR de l’ADEME. Il n’a pour moi aucune vraisemblance, il
est tautologique. Il est dit d’entrée : « supposons que les EnR ne
vaillent pas cher, que les coûts de réseaux ne soient pas significatifs, que le
consommateur puisse s’ajuster sans investissement aux fluctuations de la
production ». Il n’est pas très difficile d’écrire ce genre de
propos.
Je ne pense pas que
M. Carenco ait fait de longues études sur la physique de l’électricité. Il
dit ce qu’il sait. Je vous ai parlé de physique, dont découle la partie
économique. Je ne vous ai surtout pas parlé de politique. Je ne vous ai pas
dit : parce qu’on a déclaré qu’on allait le faire, on va le faire. J’ai
montré quelques évolutions historiques, celles de l’Allemagne et de l’Espagne, qui n’accréditent
aucunement les hypothèses considérées comme vraisemblables de certains discours
publics français, notamment celui prétendant qu’on peut réduire la capacité
nucléaire en augmentant les EnR électriques. J’ai trouvé l’argument
inverse en observant l’évolution des pays qui nous entourent. À chaque fois que
je le fais remarquer à des tenants de ce point de vue, ils n’ont aucun
argumentaire construit à opposer, de nature à prouver qu’ils sont plus
intelligents que les autres.
Passer à 50 % de nucléaire
en installant partout des éoliennes et des panneaux solaires ne pose pas de
problème technique, ce qui peut expliquer la réponse de M. Brottes. On
peut conserver les centrales nucléaires dont on se servira moins, ajouter des
éoliennes et des panneaux solaires, faire monter en puissance le réseau pour
compenser l’évolution, mais à la question est de savoir ce que cela
apporterait, ma réponse est : « rien ».
Les ENR électriques : une
gabegie inefficace face à l’urgence climatique
Le président Julien Aubert. Vous avez dit que la
première chose à faire serait de stopper l’éolien offshore, mais vous avez
ajouté que cela ne serait pas fait. Je vois une forme de pessimisme dans vos
propos. Imaginons que cette commission d’enquête puisse avoir un impact et
modifier le cours de l’histoire, quels sont selon vous les risques majeurs qui
pèsent sur l’économie française si nous poursuivons sur cette lancée, si nous
échouons ou si nous ne sommes pas d’accord sur le diagnostic ?
M. Jean-Marc
Jancovici. Je dirai plutôt : « qui pèsent sur la société française »,
car je ne réduis pas la France à son économie. Le risque majeur, c’est de
perdre une course contre la montre. La question du changement climatique et
celle de la déplétion des énergies fossiles sont des courses contre la montre.
Après avoir passé le pic de production dans la mer du Nord, année après année,
elle diminue. Si vous n’êtes pas capable de vous organiser pour vous contenter
de ce qui continue de sortir, vous prenez des claques. De même, le changement
climatique est un processus cumulatif. Année après année, les gaz à effet de
serre s’accumulent dans l’atmosphère. Je rappelle qu’il
faut plus de dix mille ans pour épurer un surplus de CO2 envoyé
dans l’atmosphère ! Dix mille ans de déstabilisation mondiale
irréversible ! À côté de cela, les déchets nucléaires sont peu de chose.
De plus, selon une étude
scientifique récente, en dépassant deux degrés de réchauffement, ce qui est
probable, on déclenche irréversiblement la déstabilisation de la calotte
antarctique de l’ouest. Si on y ajoute le Groenland qui a commencé à fondre, on
est parti pour avoir, à une échelle de temps qu’on pensait être de quelques
siècles et dont on dit aujourd’hui qu’on ne le connaît pas, plus de neuf mètres
de hauteur d’eau dans l’océan mondial ! Bangkok sous l’eau, Shanghai sous
l’eau, Dunkerque sous l’eau, Miami sous l’eau, une partie de New York sous
l’eau.
Mme Marjolaine
Meynier-Millefert, rapporteure. À quelle échéance ?
M. Jean-Marc Jancovici. Quelques siècles,
pensait-on, mais aujourd’hui, on ne sait pas.
M. le président
Julien Aubert. Le mont Ventoux est à 1 900 mètres !
M. Jean-Marc
Jancovici. Dans cette course contre la montre, je considère qu’il faut faire feu de
tout bois. Quand je mets en balance le nucléaire avec les risques du changement
climatique ou de la déstabilisation sociale qui résulterait d’une économie qui
se contracterait trop vite, il n’y a pas photo pour moi. Si j’ai un peu peur
pour mes enfants avec le changement climatique induit par les combustibles
fossiles, je me moque des déchets nucléaires.
Dans cette course contre la
montre que nous sommes en train de perdre, éolien offshore inclus, on avait
consacré 150 milliards d’euros à la fin de 2018, soit les
121 milliards d’euros chiffrés par la Cour des comptes, plus les
25 milliards d’euros de l’offshore.
M. le président
Julien Aubert. Non, car le chiffre de la Cour des comptes prend en compte l’offshore à
40 milliards d’euros. Ce sont donc plutôt 100 milliards d’euros, plus
les 37 milliards d’euros de dépenses prévues dans le cadre de la
programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).
M. Jean-Marc
Jancovici. On est
quand même à 140 milliards d’euros.
M. le président
Julien Aubert. On sera !
M. Jean-Marc
Jancovici. Avec cet argent, j’aurais pu payer une pompe à chaleur.
M. le président
Julien Aubert. À 6 000 euros, vous l’avez déjà dit !
M. Jean-Marc
Jancovici. Non, la totalité de la pompe à 10 à 15 millions de ménages
français. J’aurais sorti la totalité du fioul et les deux tiers du gaz et gagné
une partie de ma course contre la montre. J’aurais évité 15 % des
importations de pétrole, donc, selon les années, de 3 à 6 milliards
d’euros, voire 9 milliards d’euros. J’aurais évité la moitié des importations
de gaz, créées macroéconomiquement de l’emploi et évité du CO2. Les arbitrages en cours
nous privent d’une chance d’y parvenir. Si nous ne le faisons pas, comme le gaz
et le pétrole qui entrent en Europe vont continuer à décliner, nous aurons de
moins en moins d’énergie de chauffage, de toute façon, qui aura été remplacé
par rien, nous aurons de moins en moins de transport, de toute façon, qui aura
été remplacé par rien.
Nous aurons la tentation de
recourir aux énergies fossiles là où il n’y en a pas, pour construire des
dispositifs de production électrique quand on verra que les renouvelables ne
fonctionnent pas. Nous ne sommes pas trop concernés puisque nous importons
tout, mais les Allemands et les Polonais, qui ont beaucoup de charbon, peuvent
très bien ajouter des unités à charbon.