Santé des agriculteurs et pesticides
Un procès important
Un agriculteur charentais, M. Paul François, a obtenu une condamnation et une indemnisation de Monsanto pour avoir été intoxiqué par un pesticide, le Lasso. En 2004, M . Paul François éprouve un malaise et est pris de vertige en nettoyant une cuve d’insecticide ; il souffre encore aujourd’hui de troubles neurologiques : vertiges, absences, pertes de connaissances. Monsanto a été condamné pour n’avoir pas informé correctement les utilisateurs sur la composition et la toxicité de son pesticide, et sur les précautions d’emploi. La firme a fait appel en considérant que le lien de cause à effet entre l’intoxication par le Lasso et l’état de santé de M. François n’est pas établi, et que M. François était un professionnel averti qui utilisait ce produit depuis longtemps. Ce procès et cette condamnation, même si elle n’est pas définitive, constituent l’aboutissement d’un combat difficile, dans lequel Ségolène Royal s’est particulièrement impliquée et un succès pour les agriculteurs, qui aura des répercutions internationales. Elle ne pourra qu’avoir des conséquences heureuses en terme de santé publique, pour une catégorie professionnelle particulièrement exposée, d’obligation d’information, de sécurité et de responsabilité des firmes agroalimentaires.
La faiblesse de la santé publique en France
Constatons cependant ceci : M. François a été intoxiqué en 2004 ; si M. François avait été Canadien, Belge, ou Anglais, il serait aujourd’hui en bonne santé, car le Lasso a été retiré dans ces pays en 1985,… et, en France en avril 2007. Si l’on doit se poser des questions sur le choix de Monsanto de maintenir ce produit sur le marché, cette affaire est aussi, une fois de plus, une grave mise en cause de la politique de santé publique en France. C’était la responsabilité de l’Etat Français de retirer son agrément à la commercialisation du Lasso, pourquoi ce délai de douze ans ! Il serait étonnant que l’affaire ne connaisse pas aussi des développements judiciaires sur ce plan.
Une étude concernant le milieu agricole, Agrican, a été mise en place par la mutuelle sociale agricole en 2005 (2). Cette étude dite de cohorte concerne environ 180.000 sociétaires de la MSA , actifs ou retraités, exerçant dans douze départements choisis de façon à représenter l’ensemble des activités agricoles françaises, et est prévue pour durer 10 ans…sauf que le financement n’est pas assuré. C’est bien, car nous sommes un pays qui consomme beaucoup de pesticides (80.000 tonnes par an, en léger recul par rapport à la décennie précédente-100 000 tonnes), avec près de 600 composés différents commercialisés dans le monde. Mais d’autres pays ont déjà mené ce type d’études, et les résultats préliminaires de l’étude française semblent confirmer ces résultats déjà connus par des méta-analyses : les agriculteurs sont beaucoup moins frappés par les cancers du poumon (-35%), de l’œsophage (-26%), de la vessie(-20%), des cancers liés aux tabagisme. Ils ont par contre un peu plus frappés par les cancers de la peau (5 à 15%), le mélanome malin (5 à 15%), le cancer des lèvres (100%, mais faible incidence). Ces trois types de cancer sont des conséquences assez typiques d’une exposition aux UV, et ce résultat devrait inciter à une action de prévention spécifique. Il existe également une surexpression des myélomes multiples et des leucémies (environ 10%) qui pourraient être liés aux pesticides. Historiquement, cette expression a été observée de manière beaucoup plus forte lors d’une des premières enquêtes de cohorte effectuée en Suède, et a pu dans ce cas être reliée à la présence de contaminants de type dioxines, ce qui a permis d’améliorer la situation et prouve l’utilité de ce type d’enquête.
Et les maladies neurodégénératives ?
Reste que cette étude Agrican consiste un peu à chercher ses clés là où il y a de la lumière, et non là où on les a perdu. On suit le cancer parce qu’il existe des registres de déclaration des cancers, alors que les études étrangères montrent un effet possible mais faible des pesticides sur les cancers, mais suggèrent un effet beaucoup plus importants sur les maladies neurodégénératives. Une enquête de l’Inserm de 2009 (3) a montré que «les personnes ayant employé des pesticides dans le cadre de leur métier ont plus souvent la maladie de Parkinson que les sujets témoins », confirmant une enquête précédente de 2003, montrant un risque multiplié par 5.6 pour Parkinson et 2.4 pour Alzheimer (1). Certains pesticides semblent plus particulièrement concernés, comme le paraquat, les organochlorés, et un « biopesticide », la roténone (4). Trois tribunaux français différents, dans trois cas différents, ont déjà reconnu comme un Parkinson comme maladie professionnelle causée par les pesticides. Le lien entre maladies neurodégénératives et pesticides semble mieux établi que pour le cancer.
Questions et solutions
Est-il admissible que des produits comme ceux ayant causé l’intoxication de M. aient été retirés du marché français bien après d’autres marchés ? Non évidemment, et ce devrait devenir une règle que lorsqu’un pays retire un produit pour raison médicale, il soit aussi retiré en France, au moins le temps de statuer sur son cas.
Est-il admissible que l’on ne surveille pas mieux les effets de l’environnement et en particulier des pesticides dans le cas des agriculteurs, sur les maladies neurodégénératives alors qu’il existe des mécanismes biochimiques expliquant une neurotoxicité potentielle de certains produits ? Non, évidemment, et la création d’un registre des maladies neurodégénératives similaire au registre national du cancer est indispensable.
Est-il admissible que les exigences pour la mise sur le marché des pesticides ne soient pas renforcées en fonction des découvertes récentes, est-il normal que subsistent autant de produits différents et anciens mal évalués ? Non.
Est-il admissible qu’on ne fasse pas tout le nécessaire pour informer sur des techniques d’agriculture raisonnée qui devraient permettre de diminuer l’utilisation de pesticides, et encourager la formation des agriculteurs ?
Oui ou non, l’utilisation d’OGM ( et lesquels ?) est-elle susceptible d’entraîner une baisse de l’utilisation des pesticides, ou le remplacement de pesticides toxiques par d’autres moins toxiques ? Avis impartial demandé d’urgence, les académies scientifiques sont là pour ça !
Enfin, un des résultats notables de l’enquête en cours Agrican est que les femmes d’agriculteurs se suicident notablement plus (30%) que les femmes de la population générale. C’est un autre problème, mais il mérite aussi d’attirer l’attention.
(1) Baldi, 2003, Neurodegenerative Diseases and Exposure to Pesticides in the Elderly, American Journal of Epidemiology Volume 157, Issue 5Pp. 409-414
(2) Baldi, 2007, Cancers et pesticides, Rev Prat 2007 ; 57 (suppl. 11) : S40-S4
(3) Elbaz A, et al, Exposition aux pesticides et maladie de Parkinson : un lien confirmé chez les agriculteurs français.. Ann Neurol 2009 ; 66 : 494-504
(4) Freya Kamel et al., Rotenone, Paraquat, and Parkinson's Disease, Environ Health Perspect 119:866-872 Environmental Health Perspectives