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mardi 21 mai 2013

Cours en anglais à l’Université-Loi Fioraso

Le projet de loi Fioraso prévoyant  de nouvelles exceptions à la loi Toubon de 1994, et élargissant la possibilité donnée aux universités françaises d'assurer des enseignements dans une langue étrangère, en anglais notamment, a provoqué des réactions pour le moins surprenantes,et, à vrai dire, assez atterrantes
L'Académie française a dénoncé « les dangers d'une mesure qui favorise la marginalisation de notre langue ». Claude Hagège (Collège de France), qui se spécialise depuis quelques années dans des  réactions agressives et plutôt stupides sur le sujet, a  annoncé « partir  en guerre contre un projet suicidaire ».
« Querelle déconcertante et réaction d'un autre siècle », ont répliqué les Prix Nobel Françoise Barré-Sinoussi et Serge Haroche.  Pour Cédric Villani, médaille Fields, ou pour le président du CNRS, Alain Fuchs, « les voix qui s'élèvent au nom de la défense de la langue française paraissent totalement décalées par rapport à la réalité universitaire contemporaine et gravement contre-productives pour ce qui concerne les intérêts de la France et de la francophonie ».
Ils ont évidemment raison. A quel point de rupture entre humanités et sciences est-on parvenu pour en arriver à de telles stupidités ? Peut-on rêver qu’une Académie Française fossilisée accueille en son sein quelques  scientifiques ? - quelques-uns tout de même savent écrire, et même en Français.

Pour les étrangers et pour les Français

Le but revendiqué de Mme Fioraso est de convaincre davantage d'étudiants étrangers de poursuivre études ou recherches en France et, au passage, d'apprendre et de pratiquer notre langue. La réaction de M Amishari qui affirme que de toute façon, les étudiants asiatiques préfèreront partir dans des pays anglophones est assez méprisante : oui, il existe en France d’excellentes formations, d’excellentes équipes de recherche en mathématiques, physique quantique, virologie et beaucoup d’autres…qui pourraient attirer davantage d’excellents étudiants étrangers si des enseignements  étaient donnés en anglais. Bien évidemment, il faudrait en revanche renforcer l’encadrement de ces étudiants et assurer leur intégration en leur apprenant le français. Les établissements de classes préparatoires comme Louis-Le-Grand le font très bien. Alors, oui, ces étudiants pourraient renforcer la position internationale de la France et in fine la francophonie.
Mais la mesure proposée par Mme Fioraso est encore plus utile aux étudiants français.  Quiconque entend un chercheur français présenter ses travaux à un congrès international et le compare à un allemand, un hollandais, un suédois, quiconque constate les difficultés des jeunes cadres, ingénieurs, techniciens français à s’imposer dans les firmes et organisations internationales en raison de leurs lacunes linguistiques mesure le scandale qu’est l’enseignement des langues en France et ce qu’il nous coûte. Un étudiant, un chercheur, un cadre, un technicien  doit pouvoir, avec une fluidité parfaite, s’exprimer dans l’anglais- ou plus exactement le « globish » - de son domaine.

Pouvoir tout dire dans sa propre langue

La réaction de Michel Serres affirmant qu’ « un pays qui ne peut pas tout dire dans  sa propre langue est un pays colonisé », venant de quelqu’un qui connaît bien l’activité scientifique est plus intéressante, mais, me semble-t-il, rhétorique. C’est d’ailleurs encore plus important qu’il ne le dit. Si l’on renonçait à exprimer les produits, techniques, concepts nouveaux en français, allemand, espagnol, russe chinois,  ce serait effectivement inquiétant pour les Français, les Russes, les Allemands, les Espagnols, les Chinois, ce serait aussi une perte pour l’humanité, car chaque langue a ses champs sémantiques particuliers invitant à des rapprochements, des connexions, des idées originales.
Mais ce n’est vraiment pas ce dont il s’agit. Et c’est plutôt l’inverse qui se produit et qui nous menace : c’est quand un pays est faible dans un domaine scientifique et que sa communauté scientifique est isolée, que les mots pour dire les choses disparaissent et que la colonisation menace.
Donc, oui, il faut aussi faire l’effort de systématiquement traduire la science nouvelle en Français
Mais tout ce qui renforce l’internationalisation de la science, de la recherche, des Grandes Ecoles, des Universités françaises est bon pour la France, bon pour la francophonie. C’est le cas du projet Fioraso

lundi 13 mai 2013

Terres rares _ l’hégémonie chinoise ?

Le coup du chalutier chinois

Le  17 septembre  2010, un chalutier chinois était arraisonné par la marine japonaise dans une zone maritime contestée, autour des îles Senkaku, et son capitaine arrêté. La tension monta, en rétorsion les chinois arrêtèrent quatre japonais accusés d’espionnage. Le 24 septembre, les Japonais libéraient le capitaine chinois sans conditions, malgré une opinion publique exaspérée. C’est que, dès l’incident connu, le ministère chinois du commerce avait réuni les entreprises chinoises possédant une licence d’exportation de terres rares vers le Japon, et les avaient discrètement, en toute illégalité selon les règles de l’OMC, sommé d’interrompre leurs livraisons, effectivement suspendues le 21 septembre. Il n’a pas fallu ensuite longtemps pour que les industriels japonais somment leur gouvernement de céder. C’est alors que le monde réalisa que la Chine avait conquis un quasi-monopole (95%) de l’approvisionnement mondial en terres rares.
Ce n’aurait pourtant pas dû être une surprisse, car c’était là le résultat d’une politique de long terme publiquement annoncée en 1992 par Deng Xiaoping : «  Le Moyen Orient a le pétrole, la Chine a les terres rares ». Cette politique patiente a été extraordinairement efficace :un quasi-monopole de l’approvisionnement des industries du monde entier en terres rares. Autre succès :en 1998, 90% de la production des aimants puissants nécessitant des terres rares se faisait aux USA, Europe et Japon, dix ans plus tard, le marché est quasi-entièrement entre les mains des Chinois, soit directement, soit indirectement par des partenariats notamment avec des firmes japonaises.

Pour une politique industrielle des terres rares

Les terres rares (néodyme, lanthane, cérium, praséodyme, scandium, yttrium..) jouent un rôle fondamental dans l’électronique et la chimie comme catalyseurs, aimants, luminophores etc. Historiquement, la France a joué un rôle pionnier dans les techniques d’extraction et de purification des terres rares avec Rhône Poulenc, qui fut un leader mondial (50% du marché), puis Rhodia. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette position n’a pas été vraiment protégée : les réorganisations successives de Rhône Poulenc et de Rhodia, ont entraîné une concentration des efforts et de l’attention sur des stratégies très court-termistes et boursières, cependant que l’Etat français se désintéressait de l’industrie et de toute politique industrielle. Il faut dire que les Etats-Unis, la Corée, le Japon, l’Australie, très dépendant des terres rares, ont été encore davantage pris au dépourvu que la France par la stratégie à long terme de domination de la Chine. Celle-ci a avancé en progressant techniquement et par une politique de bas prix qui a entraîné partout dans le monde la fermeture de mines concurrentes devenues non rentables et par ailleurs souvent en butte aux critiques écologiques.
Jusqu’au coup de tonnerre du chalutier japonais, qui a réveillé tout le monde. Rhodia (Rhodia Rare Earth Systems, appartenant maintenant au groupe franco-belge Solvay- pourquoi a-t-on laissé filer ce fleuron français) ne s’en est pas trop mal sorti grâce à des accords privilégiés de long terme et des joint venture avec des sociétés chinoises. La réduction abrupte des quotas d’exportation chinois de terres rares en 2010  (le coup du chalutier) l’a tout de même contraint a réservé ses livraisons à des clients stratégiques  ( par exemple, l’automobile, dont les pots catalytiques exigent du cérium) et à négliger les autres, mais il a pu en partie adoucir les conséquences du coup de force chinois en augmentant avec ses partenaires chinois la transformation sur place des terres rares en produits intermédiaires non soumis aux quotas – au prix donc de transferts de technologie renforçant à terme l’industrie chinoise.

La contre attaque

 Face à une dépendance chinoise menaçant des industries stratégiques, les USA (Molycorp) rachètent des mines américaines et les remets en exploitation et des mines européennes (Sillamae, Estonie) ; le Japon conclut des accords avec des partenaires vietnamiens et indiens pour développer de nouvelles mines et monte une industrie de retraitement qui devrait permettre de récupérer 10% de ses besoins. L’Europe, comme d’habitude, réagit de façon dispersée, et sans souci de protéger ses ressources propres, notamment dans les pays nordiques.  L’Allemagne, très fortement impactée à travers notamment Siemens, grand consommateur de terres rares, a comme d’habitude agi seule et dans le sens de ses seuls intérêts et a  incité ses entreprises à se regrouper en consortium (rien moins que BASF, Bayer, Wacker, BMW, Daimler, Thyssen, Bosh…) pour rechercher et exploiter de nouvelles mines – des accords ont été signés  avec le Kazakhstan et la Mongolie, qui possède d’immenses gisements. Les Pays-Bas, pourtant fortement concernés avec Phillips, semblent ne pas avoir de stratégie.
Rhodia, lui, poursuit sa stratégie d’accord avec la Chine (un Chinois a été nommé à la tête de l’activité terres rares) qui lui a plutôt réussi, mais diversifie aussi ses approvisionnement, en accord avec des groupes australiens, en Australie et en Malaisie) et développe aussi des procédés optimisés permettant une meilleure récupération des terres rares ainsi que des procédés   sur ses sites historiques de La Rochelle et de Saint-Fons, dans l’indifférence du gouvernement français qui semble se désintéresser de ce secteur industriel essentiel.
Un programme européen ERA-MIN, coordonné par le CNRS a été impulsé pour rechercher de nouvelles sources européennes (Suède, Norvège, Groënland) et promouvoir de nouveaux procédés et produits. Il semble fonctionner comme peut fonctionner un programme européen coordonné par le CNRS pour faire de la stratégie industrielle… Si au moins, il permet de financer de la recherche dans un domaine qui a été un peu délaissé et où la France était  un acteur majeur, ce sera pas mal ; mais l’essentiel se déroule en-dehors.

La stratégie chinoise n’est pas l’hégémonie

La bonne nouvelle, c’est la réaction chinoise, qui s’est exprimée publiquement. Finalement, la Chine semble considérer que sa position de quasi-monopole n’était pas si satisfaisante, et elle voit plutôt d’un bon œil une (certaine) concurrence se remettre en place. Elle en attend des progrès significatifs dans le traitement des minerais, l’efficacité des procédés, les problèmes environnementaux, elle recherche aussi des partenaires pour développer davantage de produits plus élaborés.
La Chine ne veut pas l’hégémonie, ne recherche pas le maximum de profit à court-terme, elle veut profiter au mieux de ses ressources naturelles, développer ses technologies, être autonome aussi en produits élaborés. Certains économistes pensent que la Chine en raison de sa population, de sa population éduquée, de ses capitaux  déséquilibrera le monde entier ; ce n’est pas sa volonté, ni sa stratégie, et elle semble agir assez sagement, avec un vrai souci de l’équilibre et de durabilité. Dans ces conditions, la stratégie de Rhodia du partenariat chinois (important, mais non exclusif) peut être la bonne- un hasard, car le gouvernement français, pas plus que les autres, n’a vu venir cette crise et la dépendance patiemment construite et quasi-totale de secteurs importants de l’économie vis-à-vis des minerais de terres rares chinois.
Mais cela signifie aussi que pour travailler avec les Chinois, il faut aussi être capable d’avoir des stratégies à long terme et d’anticiper, bref il faut mener une politique industrielle… qui a été tragiquement absente dans le domaine des terres rares, et dans bien d’autres. C’est aussi un sujet qui devrait intéresser le ministère du redressement productif dans un domaine où la France a été pionnier et leader.
Si le coup du chalutier chinois aura permis de comprendre cela, et d’en tirer les leçons, il n’aura pas été inutile.
Cet article est basé sur un article de l’Actualité Chimique de décembre 2012 (Régis Poisson-AEV-Balard)

samedi 4 mai 2013

Fécondation in vitro- histoire et questions

Mort de Robert Edwards, pionnier de la fécondation in vitro

La mort récente (10 avril 2013) de Robert Edwards, Prix Nobel de médecine, le « père » médical de Louise Brown, le premier bébé éprouvette, née le 25 juillet 1978 à 11H 47, devrait être l’occasion de revenir sur l’hstoire et l’avenir de la fécondation in vitro. Ce jour-là, le monde est entré dans l’ère de la fécondation humaine in vitro et  nul ne sait où cette aventure mènera l’humanité.
C’est l’aboutissement d’un travail commencé dans les années 50 avec le développement des fécondations in vitro chez l’animal. Refusant tout tabou, Edwards, par ailleurs progressiste et élu local travailliste, décide d’adapter cette technique chez l’homme, afin de soigner certaines stérilités - par exemple, dues aux trompes de Fallope bouchées. Il lui fallut attendre 1969 avant d’obtenir in vitro  les premiers embryons humains, grâce à sa rencontre avec le gynécologue Patrick Steptoe. Il comprit alors que la fécondation in vitro ne pouvait être obtenue qu’à partir d’un ovule suffisamment mûr et apprit à utiliser des hormones pour accélérer le mûrissement des hormones et en augmenter le nombre, à choisir le bon milieu pour la fécondation.
Louise Brown est finalement née au bout de sept ans « d’expérimentation en direct sur l’homme. « Durant cette période, nous avons effectué entre 50 et 60 tentatives », expliquait Robert Edwards en 2007. Ce fut aussi une longue lutte contre le Medical Research Council qui refusa de subventionner les recherches de Edwards et Steptoe – une fondation privée américaine s’y substitua – et aussi contre l’opinion de religieux ( le Vatican les accusa de meurtre sur les embryons non implantés et qualifia la naissance de Louise Brown d’ »évènement qui aura de graves conséquences pour l’humanité en dissociant la sexualité de la procréation » et de scientifiques comme Jim Watson, le découvreur de l’ADN, qui l »accusa de flirter avec l’infanticide ».Un certain nombre de médecins traumatisés par l’affaire de la thalidomide craignaient des handicaps sévères chez les nouveaux-nès, même si les techniques fonctionnaient bien chez l’animal.
La naissance de Louise Brown et la joie des époux Brown qui s’efforçaient d’avoir un enfant depuis quinze ans emporta tout. Une seconde  naissance (Alastair Montgomery) eut lieu, les Brown voulurent aussi une soeur pour Louise (Natalie). Il fallut néanmoins attendre 1980 pour que Edwards et Steptoe puissent fonder la clinique de Bourn Hall (Cambridge), la première clinique dédiée aux fécondations in vitro, le NHS refusant tout financement qui sera finalement assuré par du capital risque. En 2010, année où Edwards reçut le prix Nobel (sans Steptoe, mort en 1988), on estime que plus de quatre millions d’enfants étaient nés par fécondation in vitro. En 2011, Robert Edwards fut annobli.

Polémiques – Vers un Conseil du Futur ?

Soutenu malgré les obstacles, les oppositions, les peurs,  par la demande forte des familles infertiles, récompensé par leur joie et leur soutien sans faille, Rober Edwards mena son projet à bien, mais pourrait-il aujourd’hui travailler aussi librement ? Il se méfiait des réglementations et des lois : « Il ne devrait pas y avoir de limites aux recherches scientifiques rigoureuses et honnêtes sur l’embryon. Il faut ensuite confronter les résultats obtenus au sein de débats avec des éthiciens, des philosophes, des représentants de la société pour prendre des décisions quant à ce qui est, ou non, autorisé. Mais il ne faut pas se fixer de limites à l’avance. De ce point de vue, je ne partage absolument pas la conception française qui entend réfléchir a priori sur ce qui est ou non autorisé. Ce n'est absolument pas constructif »
Les techniques de fécondations in vitro qu’il a mises en place ont eu bien d’autres conséquences que le simple traitement de l’infertilité, notamment l’étude puis l’utilisation thérapeutique éventuelle des cellules souches, le diagnostic préimplantatoire permettant la sélection des embryons, donc des enfants sains dans des familles à risque de maladies héréditaires mais aussi le choix du sexe de l’enfant ou d’autres caractéristiques.
Robert Edwards était favorable à ces évolutions, même les plus contestables. Il se déclara en faveur de recherches sur le clonage humain et combattit la loi anglaise interdisant le choix sexuel des embryons (Human Fertilisation and Embryology Act, 1990) sauf cas médicaux (maladie de Duchenne ne frappant que les garçons, par exemple). Aujourd’hui, plusieurs dizaines de couples anglais vont aux Etats-Unis, où cette pratique est légale, pour choisir le sexe de leurs enfants conçus par fécondation in vitro, par exemple pour des raisons d’ « équilibre familial » (une famille n’ayant que des garçons ou que des filles).
Rappel historique : lorsqu’en France le fondateur du positivisme, Auguste Comte (1798-1857) imagina, sans savoir comment, que dans une société future, la femme pourrait avoir la seule responsabilité de la procréation (« notre perfectionnement consistera à systématiser la procréation humaine en la rendant exclusivement féminine »-Utopie de la Vierge Mère) et s’efforça d’envisager les conséquences sociétales de cette révolution technique (schématiquement, les femmes seraient responsables de la procréation et de l’éducation dans la petite enfance, et les familles se formeraient par adoption par un homme), il fut traité d’insensé, notamment par les positivistes « incomplets » regroupés autour de Littré.
Peut-on rêver que, sans condamnation ou approbation a priori de chaque progrès technique important, une institution, (un conseil du Futur ?) s’efforce simplement d’en envisager l’impact sur la société, trace différents scénarios, sans tabous, avec audace, sans peur du démenti du futur… ou du ridicule? Que cet effort serve ensuite au débat public, un débat mieux informé qui saura éviter une navigation incertaine entre fascination technologique et peur systématique du progrès ?
Application aux OGM ?