Marées vertes : solutions connues, qu’attend-t-on ?
Les algues vertes, une catastrophe écologique et sanitaire
Les vacances arrivent, et, comme maintenant chaque année, en Bretagne , les vacanciers risquent de trouver certaines plages – de plus en plus- autrefois paradisiaques submergées par une marée nauséabonde d’algues vertes (Ulva armoricana, Ulva rotundata…). Ce phénomène, disent ceux qui l’ont longtemps contesté, était autrefois naturel et très limité, mais il a pris, depuis les années 1980, une ampleur catastrophique. Un rapport officiel de l’Ifremer de juin 2003, rédigé par le chercheur Alain Menesguen, prend ainsi pour exemple la baie de Guissény (Finistère-nord) : en 1952 et 1961, le site était vierge de toute prolifération, les premières atteintes sont visibles en 1978, une très forte marée verte recouvre complètement le site en 1980, et depuis cette situation se reproduit quasiment chaque année. Autre donnée révélatrice : l'augmentation des dépenses engagées par les communes pour le nettoyage des plages, qui passe pour l'ensemble de la Bretagne de 0.3 M .F en 1978 à 3 M .F dans les années 90. Parallèlement, le nombre des communes littorales devant mettre en place la collecte estivale des algues échouées a augmenté de 50% durant la période 1983-1991.
Le problème n’est pas qu’économique et touristique, il est aussi sanitaire. Les dangers représentés par les émanations de gaz toxiques (H2S surtout) provoquées par la décomposition des algues sont maintenant avérés. L’opinion a été frappée par la mort d’un cheval, le 28 juillet 2009, à Saint-Michel-en-Grève ; ce qui est moins connu, c’est que son cavalier, qui a tenté de l'aider, a perdu connaissance et n'a été sauvé qu'in-extremis par des voisins témoins de la scène, ceci alors que le Premier Ministre effectuait un déplacement médiatisé dans les environ. Avant cet événement dramatique, nombre de chiens avaient été retrouvés mort sur des plages polluées, sans que personne ne fasse le lien. Deux morts, celle d’un joggeur, et celle d’un camionneur mort subitement en 2009 après avoir déchargé des algues vertes sont suspectées d’avoir été causées par les algues vertes. Les personnels chargés du ramassage doivent se protéger contre ces émanations toxiques et nauséabondes.
De plus, la pollution par les algues vertes crée un milieu favorable à la prolifération de bactéries pathogènes pour l’homme, notamment les bactéries fécales, et les marées vertes entraîneront des interdictions de baignade et de culture ou de ramassage des coquillages dans les zones touchées.
Coupable connu : les nitrates
Depuis longtemps l’Ifremer a identifié le coupable, les nitrates. Les ulves sont particulièrement sensibles aux nitrates, et c’est la concentration en nitrate qui est le facteur limitant de leur croissance. Le phénomène de marée verte est très lié à la concentration en nitrate des eaux fluviales environnantes, et d'autant plus intense que la pluviométrie printanière est forte et entraîne un lessivage important des terres agricoles. L’origine de ces nitrates, ce sont des pratiques agricoles néfastes (excès d’engrais) et la pollution par le lisier. Dès 2003, le rapport de l’Ifremer concluait : « La compréhension du phénomène est donc actuellement largement suffisante pour aboutir à des recommandations très concrètes et précises sur les actions de reconquête de la qualité de l’eau à mener : encore faut-il que les pouvoirs publics prennent réellement les moyens de faire respecter les normes permettant une utilisation respectueuse de l’environnement et aient enfin la volonté de faire passer l’intérêt général avant celui d’un groupe professionnel particulier.
La pollution par les nitrates des eaux fluviales et nappes phréatiques bretonnes a d’ailleurs d’autres conséquences aussi néfastes que les marées vertes. La concentration naturelle de nitrates dans les eaux bretonnes est de 3 mg/l, nous en sommes en moyenne à dix fois plus (30mg/l)…et ce n’est qu’une moyenne !
Or la concentration maximale admissible de nitrate dans l’eau potable est fixée à 50 mg/l, et ce taux est largement dépassé en de nombreux endroits. La France a déjà été condamnée par deux fois par la Cour de justice Européenne pour la non application des règles européennes en matière de lutte contre la pollution de l’eau par les nitrates, notamment en Bretagne : en 2007, avec à la clé une amende de plus de 28 millions d’euros et une astreinte de près de 118 000 euros par jour, puis en 2008.
Des mesures raisonnables, mais rien n’est fait !
Cette situation est d’autant plus absurde que les nitrates lessivés sont en excès et ne sont donc pas utiles comme engrais. Les directives européennes nitrate sont donc assez raisonnables : équilibre de la fertilisation, périodes d’interdiction d’épandage des fertilisants azotés, limitation des apports d’effluents d’élevage, restrictions d’épandage à proximité des eaux de surface, sur sol en forte pente etc., stockage adapté des effluents d’élevage.
Or, rien n’est fait et le 7 juillet, en visite à Crozon, Nicolas Sarkozy, interrogé sur le problème des marées vertes, dénonçait les « intégristes de l’écologie » et annonçait qu’il refusait de « désigner des coupables, de montrer du doigt les agriculteurs ». Et M. Sarkozy propose de continuer à lutter contre les marées vertes par …le ramassage des algues et la méthanisation du lisier
Dans un article du Monde du 15 juillet 2011, Alain Menesguen, chercheur à l’Ifremer et rédacteur du rapport de 2003 lui répond vertement. Chaque année, c’est l’équivalent d’un Amoco Cadiz de nitrates qui est déversé par l’agriculture sur les cotes bretonnes. Le ramassage des algues s’amplifie d’années en années, à grand coût pour les communes littorales, et ne supprime pas la pollution des eaux ; la méthanisation, comme son nom l’indique, ne supprime aucun élément azoté. Il n’y pas dans ce programme l’ombre d’une solution, Sarkozy se moque du monde, et le littoral breton est sacrifié à un certain lobby agricole, qui est loin de représenter tous les agriculteurs. La France peut se préparer à d’autres condamnations européennes.
La directive nitrate doit donc être mise en application, et sans délais. Pour Alain Menesguen, il faudrait revenir à environ 10mg/l de nitrates ; c’est un effort important, mais pas hors de portée, pour un effet qui ne sera pas immédiat, mais peut être assez rapide