Sécurité
du développement de la filière Hydrogène Rapport n° 014277-01 (IGED ;
Inspection Generale de l’environnement et du développement durable)
Auteurs : Emmanuel
Clause – CGE,Bernard Larrouturou – IGEDD,Michel Rostagnat – IGEDD,Isabelle
Wallard – CGE
Plus
de questions que de réponses
Si l’on peut penser que les questions liées à la
sécurité Hydrogène sont bien maı̂trisées par les grands industriels rompus
à la culture du risque et attentifs à assurer la sécurité de leurs
processus de production, le développement des usages dans le secteur de la
mobilité, et potentiellement dans d’autres secteurs, fait intervenir un grand
nombre de nouveaux acteurs, ce qui soulève de nouvelles questions en matière
de sécurité et nécessite de nouvelles approches en matière de gestion des
risques et de réglementation.
Pour la mobilité, les projets foisonnent mais l’écart
reste grand entre les rêves et les réalisations. Annoncée par le gouvernement
le 8 septembre 2020, la stratégie nationale de développement de
l’hydrogène décarboné prévoit 7 Md€ de soutien public d'ici à 2030 (dont 4 Md€ pour
compenser les coûts de l’hydrogène bas carbone) pour assurer la souveraineté
technologique française et déployer
une capacité de 6,5 GW d’électrolyse d’ici à 2030 sur
le territoire national. Les usages de
cet hydrogène décarboné concernent l’industrie et la mobilité lourde. En
revanche, le recours à l’hydrogène pour la mobilité légère et l’équilibre
du système électrique n’est pas envisagé à court terme et les questions
de transport et de stockage ne sont pas évoquées ; de plus, la stratégie nationale ne prévoit pas
d’importation d’hydrogène, conformément au principe de souveraineté
énergétique fixé dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) approuvée
en avril 2020. La priorité de la stratégie nationale porte donc sur le
développement en France de la production par électrolyse.
La mission recommande aussi que l’ensemble des leviers
mis en place par l’Etat pour soutenir le développement de la filière soient mobilisés afin
d’accroı̂tre la sécurité. Elle préconise d’inclure dans les appels à projets un volet sur la sécurité et de
demander aux porteurs des projets aidés sur crédits publics un retour d’expérience en la matière ;
d’approfondir les analyses des accidents et incidents liés à l’hydrogène, et d’améliorer leur partage au sein de
la profession ; de veiller à maintenir au meilleurniveau l’expertise publique sur la sécurité Hydrogène
Un peu
de prospectives-Ordres de grandeurs
Pour
la France le scénario « Hydrogène+ » de RTE (Réseau de transport d’électricité),
dans lequel les usages de l’hydrogène se développeraient massivement au
détriment des autres sources d’énergies
décarbonées,
prévoit à l’horizon 2050 une
consommation de 130 TWh/an d’hydrogène produit en France par électrolyse ;
soit, compte tenu du rendement de l’électrolyse, un appel de l’ordre de 200 TWh/an
d’électricité, à comparer à la consommation d’électricité actuelle, soit
439 TWh/an en 2018.
Un
tel scénario implique donc une progression très importante de la production
nationale d’électricité,notamment
renouvelable.
Ces chiffres sont si importants qu’on ne peut pas faire
l’hypothèse d’un hydrogène produit en Europe à bas coût uniquement à
partir de l’électricité renouvelable excédentaire. Notamment,
certains acteurs voyaient jusqu’à
récemment le vecteur énergétique hydrogène comme un moyen peu coûteux de stocker des « surplus d’énergie
électrique », ce qui permettrait d’augmenter la flexibilité du système énergétique national. Cette
perspective apparaı̂t aujourd’hui comme très hypothétique : il est très peu probable qu’elle se concrétise avant
la décennie 2040.
Dans ce contexte, pour atteindre les objectifs
stratégiques affichés, on ne peut que souhaiter que les Etats européens, et
la France en particulier, accélèrent le développement de capacités de
production d’électricité bas-carbone, c’est-à-dire renouvelable et
nucléaire. Il s’agit clairement d’un autre déterminant clé pour l’avenir de la filière Hydrogène.
Production d’hydrogène :
des projets industriels très dépendants du financement public
Dans
le cadre du plan de relance, l’Etat français a lancé un appel à manifestations
d’intérêt (AMI) traité à titre dérogatoire dans le cadre des aides d’Etat
susceptibles d’être attribuées à des projets importants d’intérêt
européen commun (Piiec), en lien avec la Direction générale de la
concurrence de la Commission européenne.
Dans ce cadre, 15 projets ont été présentés à la
Commission en 2021 au titre de la pré-notification :Le projet Masshylia vise
à approvisionner en partie la raffinerie TotalEnergies de la Mède,l es
projets d’Air Liquide en Normandie et à Dunkerque, le projet Hynovi de Vicat
et Hynamics, à Montalieu-Vercieu (38), vise à capturer et utiliser le dioxyde
de carbone issu des cimenteries pour le transformer en méthanol
On peut
trouver logique la production au plus près d’installations de production d’électricité
éolienne ou photovoltaı̈que dispersées, mais on peut aussi s’interroger sur l’intérêt
d’investir dans des électrolyseurs connectés à des sources d’énergie
intermittentes isolées et qui ne bénéficieront pas d’effets
d’échelle. Tout en favorisant la constitution de grosses entités
d’électrolyse, la mise en oeuvre de
la stratégie française inclut un volet de soutien à des petites
installations, ce qui permet de produire de
l’hydrogène à proximité d’usages locaux, notamment dans le domaine de la
mobilité, ou bien là où le réseau est fragile comme en Guyane.
En réalité, la production devra
être faite au plus proche des utilisations industrielles, ce qui a abouti à la définition de 7 grands
bassins hydrogène
Utilisation de l’hydrogène
pour le stockage d’énergie : Dans les futurs réseaux
électriques, l’hydrogène est envisageable pour stocker de l’énergie produite
à partir de sources
d’énergie intermittentes (éolien, solaire). Ce type de solution est envisagé pour améliorer l’approvisionnement en
électricité de zones non interconnectées. Ce rôle de «
l’hydrogènevecteur énergétique » pourrait aussi permettre de transporter de
l’énergie sur de longues distances,
par exemple entre les éoliennes en mer éloignées des côtes et le
continent. ( ??)
Une
barge expérimentale pour la production d’hydrogène au pied d’éoliennes en
mer est en cours de test au large de Saint-Nazaire . Un des objectifs à terme
de ce projet, porté par l’entreprise Lhyfe, est de pallier la difficulté
d’acheminement de l’électricité depuis des éoliennes en haute mer : l’alternative
serait de transformer l’électricité en hydrogène sur la plateforme offshore
et de transporter l’hydrogène par canalisation vers le continent. A terme, il s’agira d’arbitrer entre le
coût de la connexion électrique et la perte de rendement liée à la
production d’hydrogène. Pour l’instant, il s’agit d’expérimenter la
technologie d’électrolyseur dans les conditions des éoliennes en mer.
Mobilité : utilisation
réduite à quelques secteurs
Les
gestionnaires sont tous, à ce jour, dans une démarche d’expérimentation, et
ils sont conscients que les bus à hydrogène ne présentent pas encore toutes
les garanties de fiabilité. RATP considère que l’hydrogène a vocation
à occuper deux segments spécifiques : les bus articulés de 18 m (ce qui
représente aujourd’hui 400 bus sur les 4 000 de son parc francilien), que les
batteries électriques ne savent pas alimenter une journée entière sans
recharge, et les minibus de long parcours en grande banlieue. La RATP
estime que, en 2030, les bus à hydrogène représenteront quelques % de sa
flotte de bus, qui sera essentiellement constituée à cet horizon de bus
biocarburants ou batterie.
Il faut toutefois garder à l’esprit que
l’équilibre économique de ces solutions de mobilité n’est aujourd’hui assuré
que par un apport substantiel de crédits publics.
Le déploiement des stations de
distribution : au dernier trimestre 2022, une cinquantaine de stations
sont en service en France 46 . Une part substantielle de ces stations distribuent de l’hydrogène
produit sur place – par électrolyse – et les autres sont alimentées par des bouteilles transportées
par camion. L’hydrogène est stocké en station en phase gazeus , à des pressions pouvant aller jusqu’à
500 bars voire 1000 bars pour pouvoir
alimenter les réservoirs à 350 ou 700 bars placés dans les
véhicules. La quasi-totalité des stations stockent une quantité d’hydrogène inférieure à 1 t.En fait la pression dans le
réservoir du véhicule et dans le tuyau de remplissage varie au cours du remplissage.
De plus, l’hydrogène est refroidi à -40 °C pour éviter d’atteindre des
températures trop élevées en fin de remplissage.
En terminant
cette description de la dynamique du déploiement des stations à hydrogène,
la mission tient à
rappeler que l’équilibre économique de ces activités est aujourd’hui assuré
par un apport de crédits publics, et que la rentabilité à terme reste encore incertaine
Conclusion sur la mobilité
En
conclusion des sections 3.1 et 3.2, la mission souhaite insister sur le fait
que, dans le domaine de la mobilité
terrestre, l’hydrogène n’a pas vocation à occuper l’ensemble des créneaux,
mais seulement quelques-uns.
C’est vrai des transports publics urbains où il semble pertinent pour une partie relativement ciblée du transport par bus, et
cela semble vrai aussi pour les taxis dans certaines grandes métropoles.
L’hydrogène peut aussi être pertinent pour certains segments du transport
interurbain par autocars. Il peut l’être aussi pour des engins utilisés sur
des sites industriels ou logistiques, lorsqu’ils sont employés de façon
intensive et que la brièveté du temps de recharge est un paramètre crucial.
En la matière, on en est encore au stade des
expérimentations, même si certaines sont plus avancées que d’autres. Ces zones de pertinence de
l’hydrogène ne peuvent pas encore être complètement cernées
de façon définitive, d’autant plus que les expérimentations et les projets en
cours devront à un moment « réussir le test de leur rentabilité
économique », qui n’est pas acquise aujourd’hui.
Des
perspectives à clarifier pour le transport maritime et pour les ports ;
plus de questions que de réponses
L’alimentation
par batterie électrique est exclue dans le cas des navires transocéaniques, compte
tenu du volume, du poids et du coût des batteries nécessaires à la tenue en
mer pendant plusieurs jours. L’hydrogène pourrait se positionner sur ce
marché ( ??). Toutefois, c’est plutôt dans l’assistance portuaire et
dans les court- et moyen-courriers (le ferry notamment) qu’il pourrait dans un
premier temps trouver sa place (probablement sous la forme liquide à -253 °C)
– en concurrence avec d’autres énergies possibles. Dans tous les cas, ces
perspectives sont de moyen ou de long terme et il reste de nombreux obstacles à franchir
Plus généralement, il n’existe pas aujourd’hui de
consensus international sur le choix d’un combustible neutre en carbone pour le
transport maritime : les candidats sont nombreux et beaucoup utilisent
l’hydrogène ou ses dérivés (hydrogène, méthanol, ammoniac, GNL avec CCS,
e-carburants, biocarburants, …). La priorité actuelle consiste
donc à favoriser l’expérimentation d’un certain nombre de ces technologies et
d’en tirer le maximum d’enseignements
Face à ces perspectives encore imprécises, les
ports maritimes français s’interrogent, et ils manquent encore d’une vision
réaliste des besoins. Il est vrai que le bouquet énergétique susceptible
d’être demandé par la clientèle est large, comme l’a décrit un récent
rapport du CGEDD et du CGE
Un premier pas significatif pourrait être celui
de l’alimentation à quai des navires par barge, prévue à Rouen à l’horizon
202563. Autre exemple de réflexion en cours : le port
de Bordeaux réfléchit aussi à la façon de mobiliser les quelques 3 000 t/an
d’hydrogène fatal produites par un industriel local.
Schématiquement, on peut résumer les questions
auxquelles les ports maritimes français font face de la façon suivante :
· Pour décarboner les navires, aussi bien au cours
de leur séjour au port que durant leur navigation, quelles énergies les ports
devront-ils fournir à quai dans le futur : de l’électricité, de
l’hydrogène, d’autres sources d’énergie (biogaz, e-fuels, ammoniac,
méthanol, etc.) ?
· Quelles seront dans dix ou vingt ans les
principales sources d’énergie apportées dans les ports français par voie
maritime (hydrogène, ammoniac, LOHC, autres sources décarbonées…) et quelles
capacités de transformation, de stockage et de transport devront être
prévues en proximité ?
· Quelles évolutions les ports devront-ils mettre
en oeuvre dans leurs relations et leurs interactions avec leur environnement
industriel – sachant que les
environnements industriels des ports seront particulièrement impactés par le
développement de l’hydrogène et qu’ils incluront une très grande part des
capacités françaises de production d’hydrogène décarboné
L’entreprise HdF Energy porte le projet Elementa
de barge Hydrogène à Rouen, qui consiste à alimenter en électricité*ou éventuellement en hydrogène les navires à
quai ; l'intérêt de la barge est qu'elle peut se déplacer facilement d’unnavire à l’autre, ce qui évite au port de
coûteux investissements en infrastructures. HdF Energy se positionne aussi sur
un projet conjoint avec Fincantieri de conversion des navires à l’hydrogène,
projet qui sollicite un soutien public au titre des projets Piiec.
Le transport
interrégional et intra-européen et le stockage d’hydrogène un saut technologique,
de qq km à plusieurs centaines voire milliers dont la faisabilité reste à
confirmer
Le transport d’hydrogène en France : il existe déjà en France,
depuis quelques décennies, du transport d’hydrogène par canalisation,
principalement sur le « réseau privé » appartenant à Air Liquide.
L’hydrogène (gris) est transporté à l’état gazeux sur quelques
kilomètres ou quelques dizaines de kilomètres, depuis un site de production
vers des sites industriels.
Il
est difficile d’imaginer une perspective de développement de l’hydrogène
décarboné dans laquelle l’adéquation entre les localisations respectives de
la production et de la consommation serait suffisamment bonne pour permettre de
ne pas avoir besoin de transporter l’hydrogène. Le transport interrégional
permettra aussi de mettre en réseau les bassins d’utilisation de l’hydrogène
avec les principaux sites de stockage
GRTgaz
porte avec des partenaires allemands deux projets expérimentaux de conversion
de canalisations existantes pour le transport d’hydrogène : le projet MosaHYc
(Moselle Sarre hydrogenconversion) et
le projet RHYn (Rhine hydrogen network) sur deux réseaux
transfrontaliers de 70 et de 100
km respectivement . Sur la base de ces expériences les acteurs du transport du
gaz (en France et en Europe) considèrent qu’ils seront en mesure d’entamer dans
un petit nombre d’années le déploiement du transport d’hydrogène par
canalisation. Ce déploiement se ferait principalement par conversion de
canalisations existantes utilisées aujourd’hui pour le transport du gaz
naturel. Les travaux de R&D et les
projets d’expérimentation en cours devraient permettre de clarifier avant
2024-2025 les incertitudes qui restent au plan technique et de confirmer la
faisabilité de conversion à l’hydrogène d’une grande partie des
canalisations existantes utilisées aujourd’hui pour le gaz naturel.
Même
si elle reste à confirmer, cette conviction de la faisabilité technique et
économique du transport d’hydrogène
par canalisation a permis aux acteurs de la filière de préciser la
perspective concernant ce
qu’ils estiment être nécessaire en matière de déploiement d’infrastructures
de transport dans les prochaines
années. Ainsi, une forme de consensus émerge depuis peu au sein de la
filière sur le besoin de
commencer à disposer, d’ici à la fin de la décennie 2020, d’une capacité de
transport interrégional par
canalisation pour relier entre eux les « bassins Hydrogène » (et les sites de stockage
géologique.
Le document « Trajectoire pour une grande ambition
Hydrogène » de France Hydrogène donne une estimation de 700 km de
canalisations d’hydrogène en France en 2030.
L’idée d’utiliser un mélange de gaz naturel et
d’hydrogène n’est pas une piste d’avenir. Cependant,
GRDF note que ses homologues dans d’autres pays n’ont pas totalement renoncé
à cette piste, et reste en veille sur le sujet
Le transport d’hydrogène
intra-européen : ’Allemagne et les Pays-Bas envisagent d’importer massivement de l’hydrogène
vert, qui pourrait :
-soit
provenir d’autres pays européens et être transporté par canalisation ; on
pense notamment à de l’hydrogène
qui serait produit au sud de l’Europe
(par exemple en Andalousie) en utilisant de l’électricité d’originesolaire ;
-ou au nord
de l’Europe en utilisant de l’électricité d’origine éolienne (par exemple,
dans les eaux danoises
ou norvégiennes) ;
-soit
provenir d’autres régions du monde ; on pense notamment ici à de l’hydrogène
vert qui serait produit en Afrique du
nord en utilisant de l’électricité d’origine solaire, puis serait transporté
vers l’Allemagne ou le Benelux par canalisation à travers la France ou
l’Italie, ou dans des régions plus lointaines et transporté vers l’Europe par
voie maritime.
Dans
ce cadre du European hydrogen backbone, ces entreprises ont proposé une
première vision de ce que pourrait être le réseau de transport d’hydrogène
en Europe à l’horizon 2040, avec environ 40
000 km de canalisations (majoritairement converties à partir de canalisations
existantes), dont 4 000 km environ en France. La perspective de 700 km de
canalisations d’hydrogène en France en 2030 présentée dans la section
4.1.1 s’intègre donc dans la vision du European hydrogen backbon
Tout
en exprimant leur conviction sur l’importance de développer les
infrastructures de transport d’hydrogène, en France et en Europe, les
interlocuteurs avec qui la mission s’est entretenue sur ces sujets conviennent que la question du rythme auquel il faudra
développer ce réseau de transport est aujourd’hui entachée de grandes
incertitudes . Plusieurs observateurs notent l’ampleur des incertitudes
sur les projections de la demande et de la production d’hydrogène, et soulignent le risque important de «
coûts échoués » qui pourrait résulter d’un développement surdimensionné
des infrastructures de transport.
La
mission note à ce propos qu’elle
n’a pas connaissance d’études analysant de façon précise comment se
comparent, notamment du point de vue
économique, les différentes options possibles en matière de transport intra-européen : vaut-il mieux transporter l’hydrogène sur de longues distances par
canalisations, ou privilégier son transport par voie maritime lorsqu’il est
possible, ou encore privilégier le transport d’électricité par lignes haute
tension ?
Le stockage d’hydrogène
En
France, l’opérateur majeur du stockage est l’entreprise Storengy, filiale
d’Engie spécialisée dans le stockage souterrain de gaz naturel. Elle dispose
en France de 14 sites de stockage souterrain : neuf en nappes aquifères,
quatre en cavités salines et un en gisement déplété. L’entreprise Teréga
gère aussi 2 sites de stockage souterrain dans le Sud-Ouest. La capacité de
stockage de gaz naturel en France est proche de 130 TWh, ce qui représente environ
30 % de la consommation annuelle.
Storengy et Teréga sont engagées, avec leurs
partenaires, dans plusieurs projets expérimentaux de stockage souterrain
d’hydrogène, tous en cavités salines – plus appropriées au stockage de
l’hydrogène que les aquifères. Trois projets sont portés par Storengy,
un quatrième par Téréga
L’objectif
de Storengy est de stocker 1 TWh d’hydrogène en 2030, et de convertir à
l’hydrogène 100 % de ses cavités salines à l’horizon 2050
Il est estimé que les capacités de stockage en cavités
salines sur le territoire national sont comprises entre 3 et 5 TWh. Dans son
étude sur les futurs énergétiques de la France en 2050, déjà citée, RTE
évalue le besoin de stockage d’hydrogène en France à plusieurs dizaines de
TWh. Au regard de cette estimation – qui reste à préciser en fonction des
scénarios envisagés – les capacités de stockage identifiées sont donc
clairement insuffisantes.
Importer ou non de l’hydrogène :
sous haute pression allemande !
La
stratégie française de septembre 2020 s’inscrivait dans le cadre de la
stratégie européenne de juillet 2020, qui ne fixait pas d’objectif concernant
les importations d’hydrogène. Mais le
plan RePowerEU de mai 2022 fixe désormais des perspectives très différentes,
avec un objectif 2050 d’importer en Europe une quantité d’hydrogène
décarboné aussi élevée que la quantité d’hydrogène décarboné produite
sur le territoire européen. Ce plan impacte clairement les projets des
acteurs, en France et dans les autres pays européens, et il crée
notamment un effet d’accélération des projets de transport d’hydrogène.
Face
à ces nouvelles perspectives, face aux besoins que formuleront les industries
lourdes principalesconsommatrices
d’hydrogène en France, face aussi aux limites des capacités de stockage
souterrain d’hydrogène
sur le territoire national, face enfin
aux questions que soulèvent certains de ces projets de transport (avec
notamment le risque pour la France de devenir un « pays de transit » de
l’hydrogène, qui serait
transporté par canalisation à travers notre pays en provenance de l’Espagne
ou de l’Afrique du nord et à
destination de l’Allemagne et du Benelux – avec toutes les questions que cela
pose du point de vue de la souveraineté et sur les plans économique et
environnemental), la mission estime important
que la France précise, dans ce nouveau contexte européen, sa stratégie sur
la question d’importer ou non de
l’hydrogène et sa vision de l’avenir du transport intra-européen de
l’hydrogène
NB :
cette question pose accessoirement celle d’une forme de néo-colonialisme qui
verrait l’Allemagne importer massivement de l’hydrogène produits dans des pays
africains manquant déjà d’électricité, lesquels en auraient bien besoin pour
assurer leur développement décarbonné.
L’hydrogène, une molecules dangereuse – remember
Hindenburg
L’hydrogène présente certaines caractéristiques qui induisent des
risques spécifiques en matière de sécurité.
- Sa molécule étant la plus petite de toutes les molécules, l’hydrogène
gazeux est très léger et il a une diffusivité élevée. Ces caractéristiques se traduisent par des risques de fuites lorsque
l’hydrogène gazeux est stocké dans des réservoirs ou circule dans des canalisations.
De plus, l’hydrogène a la propriété de fragiliser certains matériaux
métalliques, comme l’acier, car il peut pénétrer le cristal métallique
et diffuser en son sein.
-L’hydrogène est un gaz inflammable
et explosif. Sa « plage d’inflammabilité » ou « d’explosivité » dans l’air se
situe entre 4 % et 75 % ; elle est beaucoup plus étendue que celle du
méthane et d’autres gaz. De plus, l’énergie minimale d’inflammation de
l’hydrogène est particulièrement faible, inférieure à celle d’une légère
décharge électrostatique, ce qui accroı̂t le risque d’incendie ou d’explosion.
- La température de flamme est d’environ 2 000 °C, plus
élevée que la température de flamme du méthane. La flamme est invisible – sauf
en présence d’impuretés – ce qui crée un risque supplémentaire pour les
interventions de secours, d’autant plus qu’elle rayonne peu
L’ampleur
du risque est fortement réduite à l’extérieur et en milieu ouvert : à l’air
libre, l’hydrogène diffuse
et s’élève très rapidement dans l’atmosphère et, si la combustion se
produit, les risques de détonation
sont très faibles. En revanche, le risque est sensiblement accru en milieu
confiné. Ainsi, le stationnement
des véhicules à hydrogène dans un parking couvert ou fermé, et leur
circulation dans des
tunnels, sont des situations à risques, sur lesquelles malheureusement la
réglementation estaujourd’hui à peu près muette – ce qui est une des
causes de l’attentisme de certains acteurs
Les risques liés au stockage
d’hydrogène
Ayant une molécule très petite, et ayant de plus une
viscosité très faible, l’hydrogène stocké dans des réservoirs à l’état gazeux est particulièrement sujet aux
fuites. Ce risque est fortement accru du fait que, à cause de sa faible
densité énergétique, l’hydrogène gazeux est stocké à très haute pression
: à 350, 700 ou 1 000 bars selon
les configurations. Une très grande
attention doit donc être portée aux matériaux des réservoirs dans lesquels
l’hydrogène est stocké et des canalisations dans lesquelles il circule, ainsi
qu’à tous les organes de raccordement (vannes, joints, etc.), que ce soit dans
les installations industrielles, dans les autres installations fixes telles que
les stations-service à hydrogène, ou à bord des véhicules. Cette attention
porte non seulement sur la conception et la fabrication de ces équipements,
mais aussi sur leur entretien, leur maintenance et leur contrôle.
Les risques liés au transport
par canalisation
Alors que les réservoirs d’hydrogène évoqués
ci-dessus sont réalisés en matériaux composites, une partie des
canalisations utilisées pour le transport ou la distribution du gaz (par
exemple, pour le gaz naturel) sont en acier ou en alliages métalliques. De ce
fait, le transport d’hydrogène dans ces canalisations présente des risques
spécifiques car il a la particularité de dégrader les métaux. La littérature distingue d’une part la
fragilisation par l’hydrogène, qui peut se traduire par un cloquage du métal en surface ou par l’absorption
d’atomes d’hydrogène dans l’acier, provoquant la diminution de sa ductilité
et une augmentation des contraintes mécaniques, voire des fissurations ;
d’autre part l’attaque par
l’hydrogène à haute température, qui conduit à une perte de résistance et
de ductilité du matériau.
Il
faut aussi mentionner ici un risque qui concerne les réservoirs d’hydrogène
liquide à très basse température (-253 °C) : le Bleve (autre acronyme issu de l’anglais : « Boiling
liquid expanding vaporexplosion
»). Ce mot désigne la vaporisation violente à
caractère explosif d’un liquide, consécutive à la rupture brutale du
réservoir qui le contient : le
phénomène peut survenir pour tout liquide cryogénique contenu dans une
enceinte rigide et hermétique lorsqu’un apport thermique lui faitdépasser sa température d’ébullition. Le
gaz libéré se mélange à l’air ; s’il est inflammable, comme l’est l’hydrogène,
il peut former une boule de feu.
Avant de décrire les principaux risques liés à l’hydrogène, précisons
que les bases de données d’accidentologie, telles que la base Aria tenue par
le Bureau d'analyse des risques et pollutions industriel (Barpi) de la DGPR, sont relativement pauvres
en ce qui concerne l’hydrogène. Au 1er janvier 2021, Aria recensait 377
accidents impliquant l’hydrogène dans le monde, sur une période de 30 ans, essentiellement
dans l’industrie lourde consommatrice d’hydrogène (chimie, raffinage…), dont
251 en France, lesquels ont conduit au décès de 7 personnes. C’est le signe
qu’en l’état actuel de ses usages, pour l’essentiel dans de grandes
industries, le risque est relativement bien maı̂trisé
A titre d’exemple, on peut évoquer quelques accidents notables liés à
l’hydrogène.
Une
explosion a eu lieu en 2019 dans une station-service délivrant de l’hydrogène
à Kjørbo en Norvège. Cet accident, qui ne fit heureusement aucune victime,
serait dû à un défaut d’étanchéité dans le dispositif de stockage, qui
aurait permis une fuite lente puis soudaine.
D’après
les estimations, c’est entre 1,5 et 3 kg d’hydrogène qui auraient été
impliqués dans l’explosion. L’explosion a été suivie d’un incendie qui s’est
propagé au bâtiment.
En
2004, une explosion causée par une fuite de 13 g d’hydrogène dans un
laboratoire de l’Ifpen
à Solaize (69) a détruit le local sans faire de victime.
Enfin,
il faut signaler l’accident qui a tué deux personnes et blessé six autres
personnes en mai 2019 dans un centre de recherches en énergies nouvelles de la
ville de Gangneung dans la province du Gangwon en Corée du Sud. Selon les
sources, l’origine de l’accident est liée à l’explosion d’un réservoir
d’hydrogène ou à la défaillance d’un électrolyseur.
Autres risques
-Transport par camion : risque d’explosion des bouteilles
-Effet de serre :
Si l’hydrogène n’a en lui-même aucun effet radiatif, et donc aucune contribution
directe à l’effet de serre, des recherches récentes montrent que, de par son
influence sur d’autres gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère (le
méthane, la vapeur d’eau et l’ozone notamment), son « potentiel de
réchauffement global » est élevé
- Feux : Les questions liées aux
conditions d’intervention des pompiers lors des accidents qui les ont mobilisés sont aussi des sujets essentiels.
- Electrolyseurs : la mission
souligne aussi, sur la base de ses échanges avec certains industriels
impliqués dans la fabrication d’électrolyseurs, que les risques liés aux électrolyseurs méritent une attention
particulière, et que la « montée en maturité » de ces technologies demandera
un suivi attentif. Dans ce domaine, les échanges avec les industriels sont
cruciaux
- Risques en milieux
confinés : L’ampleur des risques
est très différente selon que l’on considère des usages de l’hydrogène en
plein air ou dans des milieux confinés. A l’air libre, la légèreté de l’hydrogène
(15 fois plus léger que l’air) le conduit à s’élever rapidement et sa forte
diffusivité contribue aussi à disperser et diluer rapidement l’hydrogène. Une
flamme d’hydrogène peut se produire à l’air libre, mais le risque de déclencher
une détonation est pratiquement nul.
Les conditions sont très différentes en milieu confiné. La simple
présence d’un toit ou d’un auvent couvrant un réservoir ou un véhicule peut contribuer, en cas de fuite, à
créer une zone d’accumulation où la concentration de l’hydrogène peut permettre l’inflammation. Dans
des conditions défavorables en milieu fermé, la possibilité de déclencher une détonation ne peut
être exclue.
La parade la plus efficace contre le risque d’explosion consiste donc à ne
pas installer des équipements et ne pas faire stationner des véhicules sous
toiture, mais au contraire à l’air libre ou dans un espace pourvu d’une
ouverture vers le haut
Conclusion : L’utilisation de l’hydrogène est maîtrisée dans
l’industrie lourde, mais la prise en compte de la sécurité par les nouveaux
acteurs est un défi majeur