Un mea culpa anglais,
et nous, et nous, et BHL ?
Ce devait être une victoire écrasante pour Theresa May, qui voulait
profiter de l’état d’inquiétude lié au Brexit pour renforcer sa majorité; or, depuis
quelques jours, les sondages, dont certes il faut se méfier en Angleterre
encore plus qu’ailleurs annoncent une remontée en flèche des travaillistes,
pourtant emmenés par le contesté (par l’establishment travailliste) Jeremy
Corbyn. Unes des raisons : l’attentat de Manchester a mis encore plus en
évidence l’immense erreur qu’a été l’intervention britannique et française en
Lybie. Le terroriste était en effet tiraillé entre Manchester et la Lybie, où
son père l’avait enrôlé à seize ans dans son combat islamiste anti-Kadhafi. De
fait, une partie des Libyens de Manchester
a joué un rôle non négligeable dans la guerre civile de 2011 en Libye. A
cette époque, les autorités (conservateurs) britanniques ont facilité l’envoi
en Libye d’islamistes de Manchester, comme le père du terroriste, estimant qu’ils
constituaient une alternative plus crédible à Kadhafi que les laïcs ! (dixit
Le Monde, 30 mai 2017). Brillante
idée, politique géniale dont on voit aujourd’hui les résultats
Il faut dire qu’en Angleterre, contrairement à la France, la politique
libyenne avait été déjà étrillée, en 2016, par un rapport parlementaire fustigeant
une intervention militaire britannique en Libye «fondée sur des postulats
erronés» et mal préparée. «Nous avons été entraîné par l'enthousiasme
français», explique un parlementaire. La politique britannique en Libye avant
et depuis l'intervention de mars 2011 a été basée sur « des suppositions
erronées et une compréhension incomplète du pays et de la situation.» Selon le
rapport, les Britanniques et les Français « ont été aveugles quant à la
part non négligeable des islamistes dans la rébellion, et n'ont pas su prévoir
que ceux-ci en tireraient profit ». Les parlementaires décrivent le « bilan
désastreux d'une intervention, destinée à changer un régime sans prévoir de
solution de rechange, qui a abouti à la transformation de la Libye en
«failed-state» («État défaillant»). «Le résultat est un effondrement politique
et économique, une guerre civile et tribale, une crise humanitaire et
migratoire, une violation généralisée des droits de l'homme, la dispersion des
armes de Kadhafi dans toute la région et l'apparition de l'État islamique en
Libye», écrivent sans fard les parlementaires dans leur résumé.
En plus, le rapport
affirme :« d'après les indices que nous avons rassemblés, la menace envers
les civils de Benghazi a été largement exagérée» !
Une faute, un crime, une imbécillité, une politique à
changer – Corbyn a raison !
Rappelons que 15
septembre 2011, le président de la République français Nicolas Sarkozy et le
premier ministre britannique David Cameron, suivis comme leurs ombres par le
philosophe Bernard Henri Levy débarquaient à Benghazi acclamés par une foule en
liesse. Les Anglais, en bons démocrates parlementaires ont tenu à faire leur
mea culpa. Et nous ? Entendra-t-on encore BHL donner des leçons de
géostratégie ? Un petit regret ? Bon, enfin, avec Macron, on devrait
être débarrassé du brillant philosophe et de son influence élyséenne.
C’est vraiment un pur
scandale et un gâchis innommable. Car enfin, pour la première fois, il y avait
un accord du Conseil Général de Sécurité,
Russes et Chinois compris, pour une opération limitée à Bengazi afin de
protéger les populations contre un assaut imminent et imposer une médiation à
Kadhafi. Français et Anglais se sont délibérément parjurés et ont poursuivi la
guerre pour provoquer militairement la chute de Kadhafi. Avec le résultat que l’on
sait ! Et bien pire ; du coup, Russes et Chinois se sont bien promis
qu’on ne les y reprendrait pas, et se sont opposés à toute intervention en
Syrie. Bravo ! Le merdier libyen est aussi responsable du merdier syrien
et de ses millions de morts. Dans l’histoire, cette intervention en Libye apparaîtra
comme une faute et un crime, et une imbécillité pire que l’expédition de Suez.
Autre fait oublié,
pour lesquels certains devraient peut-être rendre des comptes : la mort d’un
agent secret français, Pierre Marziali, assassiné le 12
mai 2011 à Benghazi. Ayant compris à juste titre que les rebelles soutenus par
Bernard Henri Lévy et Nicolas Sarkozy se composaient de bataillons de
djihadistes purs et durs, Marziali voulut prévenir Claude Guéant et, surtout,
Nicolas Sarkozy, l’ami du Qatar, l’émirat qui soutenait alors financièrement et
militairement les rebelles libyens. Alain Juillet, ancien directeur du
Renseignement de la DGSE interrogé par les auteurs de « Mort pour la Françafrique », livre de loin le scénario le plus
crédible. Extrait : «La katiba du 17 Février a revendiqué la mort de Marziali,
or elle était soutenue par les Qataris. Qu’une personne malintentionnée ait
fait passer le message aux gars de la katiba ou aux Qataris qu’un Français
était chez eux et les espionnait, ça, c’est possible ! Dulas et Marziali
avaient rédigé une note pour mettre en garde contre les islamistes. Moins d’un
mois plus tard, Marziali est tué. Je suis trop vieux dans ce métier pour croire
aux coïncidences. Si quelqu’un a voulu faire le malin en lâchant le nom de
Marziali aux islamistes, c’est déjà très grave. Mais si cette fuite a été
organisée, que l’info a été transmise en toute conscience à la katiba ou à ses
protecteurs qataris, là, c’est encore plus grave : ce serait de la trahison.» A tout le moins, Marziali a pris des risques
insensés pour savoir qui étaitent vraiment les anti-Kadhafi et le faire
savoir aux autorités françaises, et il a
perdu la vie pour rien. Mais en France, pas de mea culpa !
Pourtant,
nos brillants politiques n’ont pas compris quelques vérités simples, par
exemple qu’une dictature laïque vaut mieux qu’une dictature religieuse, et bien
mieux qu’un effondrement complet. Que les interventions militaires au
Moyen-Orient ont été désastreuses. Qu’il est assez stupide de s’étonner et de s’indigner
parce que plus nous bombardons les musulmans arabes, plus nous détruisons leurs
sociétés, plus ils commettent d’attentats chez nous.(après, dans des cas où une
intervention protège un pays et ses autorités légitimes de l’effondrement face
à une agression islamiste, comme au Mali, c’est évidemment un devoir de la
mener). C’est ce que Jeremy Corbyn explique, et il se présente en homme de paix
conséquent, et ceci explique une partie de sa remontée.
Et
en France ? à part Michel Onfray, pas grand monde. Puisque renouvellement
de la classe politique il y a, il serait bon qu’il y ait aussi renouvellement
des idées. Et qu’un rôle plus important soit confié à ceux qui se sont opposés
aux guerres d’Irak et à l’intervention
en Libye au détriment de ceux qui les ont soutenues.