PIEBÎEM a insisté à plusieurs reprises sur l’inutilité, voire la nuisibilité climatique du développement de l’éolien en mer en raison de la nécessité d’un back-up fossile, en général gazier, pour compenser l’intermittence et la variabilité de cette source d’électricité. Nous souhaitons développer ce point qui est passé sous silence, voire contesté par les partisans de l’éolien. La conclusion, basée sur des exemples étrangers et l’analyse de la situation française : plus nous développons d’éolien, plus nous aurons besoin de centrales à gaz pour assurer la sécurité d’alimentation que nous mettrons en péril. Le développement massif de l’éolien n’est pas bon pour le climat, il est l’assurance…que nous ne pourrons jamais nous passer de gaz, et de gaz dit naturel, le biogaz étant limité par les ressources agricoles et la compétition avec les ressources alimentaires.
1.
L’avertissement de Jean-Marc Jancovici
« En 2009, j’étais présent à la COP 15 à Copenhague.
Le dimanche, il n’y avait pas de réunion de négociations, j’en ai profité pour
assister par curiosité à un colloque organisé par les gaziers… Tous les
dirigeants défilaient à la tribune pour dire l’éolien c’est génial…parce qu’il
y a besoin de gaz pour compenser son intermittence » (Le Monde sans fin).
Dans les estimations d’ordre de grandeur, Jancovici
parlait d’un GW de back-up gazier pour un GW d’éolien installé. Si nous
reconnaissons que cette estimation est quelque peu approximative, on peut
toutefois pour un ordre de grandeur, se baser sur les facteurs de charges. Si
l’on prend un facteur de charge de 40% éolien à compléter par du gaz, le taux
d’émission de CO2 est d’environ 300g CO2/KWh donc bien
davantage que le mix électrique français (le nucléaire étant à 5 CO2/KWh
environ).
1.
L’actualité gazolienne - les exemples étrangers,
Royaume-Uni et Allemagne
Pour mieux comprendre ce qui nous attend, les exemples
étrangers qui nous ont précédé dans le développement important de l’éolien en
général et de l’éolien en mer en particulier sont riches d’information.
2. a - Royaume-Uni,
mars 2023 : Le Royaume-Uni annonce la construction de nouvelles centrales à gaz
Le gouvernement de Rishi Sunak a annoncé en mars 2023
vouloir construire de nouvelles centrales à gaz pour s'assurer de ne pas
manquer d'électricité à l'avenir. Londres s'engage « à
soutenir la construction de nouvelles centrales électriques à gaz afin de
maintenir une source d'énergie sûre et fiable pour les jours où les conditions
météorologiques ne permettent pas d'alimenter » les éoliennes ou
les centrales solaires, fait valoir le gouvernement dans un communiqué. Le
gouvernement ne doit pas jouer avec la sécurité énergétique a fait valoir le
premier ministre ! [1]
2. b - Allemagne,
mars 2023 : la Cour des Comptes
Allemandes inquiète pour la sécurité d’alimentation et demande davantage de
centrales à gaz
Si un exemple étranger s’avère particulièrement
instructif sur la voix à ne pas suivre, celle de l’investissement massif dans
les ENR, c’est bien celui de l’Allemagne.
En 2023, l’Allemagne a émis 360g de CO2 par kWh produit, la France 32g
soit 11 fois moins (pour une moyenne de l’Union européenne à 260g environ).
Et pourtant, l’Allemagne, après avoir investi plus de 1000 milliards d’euros,
dispose fin 2023 d’une capacité totale d’ENRi 3,6 fois plus grande que la
France….
La Cour fédérale des comptes Allemande dans son
rapport de mars 2024[2] sur la transition énergétique
rappelle cette vérité physique banale selon laquelle « l’approvisionnement
en énergies renouvelables variables nécessite un effort particulier, car,
contrairement aux centrales conventionnelles, elles sont soumises à des
variations journalières et saisonnières ainsi qu’aux conditions
météorologiques. Elles ne fournissent pas de puissance garantie
(photovoltaïque) ou seulement dans une faible mesure (éolien) »
Par ailleurs, elle s’inquiète sur le fait que les
dix centrales électriques au gaz prévues ne suffiront pas à garantir la
sécurité d’approvisionnement. La Cour des Comptes se montre aussi
extrêmement sévère envers le régulateur (l’équivalent de RTE). Elle estime
que :
« Les
hypothèses utilisées pour évaluer la sécurité d’approvisionnement sont
irréalistes car le régulateur se base sur un « best case » improbable. Les
auditeurs reprochent au Ministère Fédéral de l’Économie et au régulateur
(l’Agence Fédérale des Réseaux) de faire preuve d’une irresponsabilité sans
précédent…le ministère accepterait que les risques pour la sécurité
d’approvisionnement ne soient pas détectés à temps ».
Enfin, la Cour des Comptes critique le fait que :
« Le ministère
ne tienne pas compte d’autres coûts considérables liés à la transition
énergétique. Il s’agit par exemple des coûts de distribution de l’électricité
(y compris le développement des réseaux et les services système) et la
construction de moyens pilotables supplémentaires. Il en résulte, en dehors
du public spécialisé, une image erronée des coûts réels de la transformation
énergétique. »
Ces critiques, la Cour des Comptes françaises pourra
bientôt les reprendre… à son compte si nous continuons dans la même voix de
promotion des renouvelables (et particulièrement des 45 GW d’éolien en mer).
1.
La France aussi aura besoin de gaz si elle persiste à
développer les ENR
3. a - Le pavé dans la
mare de France Stratégie
France Stratégie dans son rapport de janvier 2021[1] sur la sécurité
d’alimentation à l’horizon 2030 a jeté un beau pavé dans la mare. L’agence
constate que la fermeture programmée en Europe de capacités pilotables doit
être mieux prise en compte pour garantir la sécurité d’approvisionnement avant
2030. Ce seront plus de 110 GW de puissance pilotable qui seront retirés du
réseau européen : 23 GW de nucléaire (13 GW en France, 10 GW en Allemagne), 70
GW de charbon/lignite (40 GW en Allemagne). Allemagne et France représentent
les 2/3 de ces déclassements, le reste Belgique, Italie Espagne...
« Dès
2030 et vraisemblablement à une date plus rapprochée, si les tendances
actuelles se maintiennent, les seuls moyens pilotables ne seront pas en mesure
de satisfaire toutes les demandes de pointe moyennes.
La France,
l’Allemagne et la Belgique présentent les plus forts déficits de puissance
pilotable. Pour l’ensemble des 7 pays européens étudiés, si aucun moyen pilotable autre que ceux
déjà prévus n’est ajouté au réseau pendant cette période et si les objectifs de
développement d’ENR sont respectés, les marges passent de +34 GW en 2020, à +16
GW en 2025 puis deviennent négatives à -7,5 GW en 2030 et -10 GW en 2035...
En France, sous les mêmes conditions, ces marges deviennent négatives à environ
-5 GW et -9 GW. « Notre pays devrait alors compter sur les importations,
sachant qu’au niveau européen les marges sont également négatives, qu’il ne
sera pas toujours possible... de compter sur les importations pour boucler
l’équilibre offre-demande, et, faut-il le rappeler, que tous les pays ne
pourront pas importer en même temps 100 % de leur capacité
d’interconnexion ».
3.b - PNC : la France
aura besoin de gaz pour gérer l’intermittence des ENR
PNC (Patrimoine Nucléaire et Climat) a de son côté alerté
l’opinion publique par une tribune dans la presse[2] et par une étude poussée
des conséquences du développement massif des ENR et de leur intermittence.
Coécrite par Bernard Accoyer, Jean-Pierre Chevènement et
François Goulard, la tribune libre de PNC est particulièrement claire :
« Pour éviter ruine ou black-out, nous allons hélas devoir construire des
centrales à gaz » :
« Pour
avoir délibérément sous-estimé l'évolution de sa consommation et avoir décidé
en dix ans la fermeture de plus de 10 GWe de capacité de production électrique,
la France se trouve aujourd'hui face à un « mur énergétique », selon
l'expression de la ministre en charge de la transition énergétique, qu'il
s'agisse du court, moyen ou long terme. La situation est grave, car nous
manquons de moyens de production pilotables, et les conséquences industrielles,
économiques, sociales et politiques, déjà lourdes, ne peuvent que s'aggraver…
Réseau de
Transport d'Électricité (RTE) en première ligne, mais aussi la Commission de
Régulation de l'Énergie (CRE) comme la Direction Générale de l'Énergie et du
Climat (DGEC) restent obstinément dans le déni face aux besoins en électricité
pilotable, encore plus considérables avec un objectif Net zéro. Feignant
d'ignorer le besoin crucial à court terme de capacités de production
pilotables, les autorités engagent notre pays dans une course effrénée au
développement d'une seule production d'électricité non pilotable, éolienne et
solaire, qui participe peu à l'équilibre et à la stabilité du réseau et qui
a une faible probabilité d'être disponible aux heures de pointe de
consommation….
La relance de
la filière nucléaire, essentielle et réclamée dans le rapport d'Escatha-Billon
d'il y a 5 ans, ne pourra raisonnablement pas répondre à ces besoins avant
2035-2040. D'ici cette échéance, l'exécutif sera contraint de reconstituer des
moyens de production de pointe, pilotables, pour faire face à l'augmentation
continue de la consommation électrique induite par l'électrification des
usages ».
Par ailleurs, PNC explique que cette décision n’est pas
catastrophique parce que ces centrales de pointe, dont le coût d'investissement
est modéré, ne seront appelées qu'en cas de nécessité lors des pointes de
consommation et pour compenser l'indisponibilité de l'éolien et du solaire.
Leurs émissions de gaz à effet de serre seraient donc modestes et largement
compensées par les économies globales d'émissions obtenues grâce à
l'électrification de notre économie et de notre patrimoine industriel.
3. c - L’impossible
défi de l’intermittence : « l’impact quotidien sur le
fonctionnement des capacités pilotables ne sera pas gérable »
PNC dans une étude extrêmement fouillée[1], dénonce la
légèreté de la présentation faite de la gestion de l’intermittence par RTE :
une simple extrapolation à 2035 des productions actuelles aux capacités
indiquées (122 GWe intermittents) montre la difficulté de la tâche, sauf à
modifier très profondément les conditions d’acceptation de ces
productions sur les réseaux (des écrêtements massifs seront
indispensables, ce qui changera la rentabilité de ces sources et les règles
de marché).
Il est aisé, sur la base des données RTE
téléchargeables sur le site Eco2mix, d’extrapoler les productions
intermittentes en 2035. Ainsi :
En conditions hivernales, la fluctuation de puissance sur une journée pourra atteindre une cinquantaine de GWe et on pourra avoir sur des périodes de 2 à 3 semaines des taux de charge extrêmement faibles, oscillant entre 3 et 10 % seulement de la capacité installée. L’importance des déficits de puissance dépasse de loin les projections, optimistes, d’efficacité et de flexibilité de RTE !
-
En conditions estivales, les fluctuations de puissance
des intermittentes varieront de 2 à 57 GWe avec des écarts matin et soir
de 40 à 50 GWe, leur apport étant souvent proche de la puissance
appelée en milieu de journée, mais très faible la nuit (de 2 à 10
GWe malgré 118 GWe installés). L’écart entre la consommation et la production
évoluera chaque nuit entre 35 et 54 GWe.
L’impact quotidien sur le fonctionnement des
capacités pilotables ne sera pas gérable, bien au-delà de ce qu’on
pourra attendre de leur suivi de charge et des flexibilités ou effacements.
Par exemple, en été, l’analyse des variations de puissance horaire des capacités intermittentes montre qu’elles atteindront 10 à 14 GWe en une heure, deux fois par jour à la hausse puis à la baisse, alors que la consommation est faible.
Conclusion
de PNC :
« C’est toute l’organisation de l’accès au marché de l’électricité des moyens intermittents (qui devraient supporter les inconvénients de leur variabilité) et des moyens pilotables (dont l’économie doit être impérativement préservée) qui devra être profondément repensée, et ceci dès les prochaines années. »
3. d - Intermittence
et modulation du nucléaire : le nucléaire ne pourra pas assumer, ce sera
du gaz !
Contrairement à un argument martelé par le lobby ENR, les
ENR et le nucléaire ne font pas la paire, au-delà d'un certain pourcentage
d'ENR, ils sont même tout simplement économiquement et techniquement
incompatibles.
Et ce sera encore bien plus le cas avec 45 GW d'éolien en
mer !
Dans la situation actuelle, les ENR sont inutiles au
système électrique français : elles ne fournissent aucune puissance
garantie pour le passage des pointes électriques et leurs excédents de
production ne peuvent se substituer aux centrales thermiques dont la part dans
la production électrique totale de 7% est techniquement quasi incompressible.
Très flexibles et très réactives, les centrales thermiques servent toute
l’année pour ajuster finement, à tout moment, la production à la consommation
et, pour le reste, à fournir les derniers MWh lors des pointes hivernales. Au
final, l’excès des ENR se substitue largement à la production nucléaire sans
aucun bénéfice climatique ou économique, bien au contraire.
D’ailleurs, « du fait de l’interconnexion des
réseaux européens, les énergies renouvelables produites en France viennent donc
remplacer le plus souvent la production des centrales au charbon situées dans
d’autres pays comme la Pologne ou l’Allemagne ».[1] Les éoliennes et leurs
inconvénients sont en France, les bénéfices, lorsqu’ils existent, sont en
Allemagne, laquelle mène une politique énergétique complètement irresponsable
(arrêt du nucléaire, maintien du charbon, forte augmentation du gaz et des dépendances
associées). Et encore cet “avantage” européen est-il destine à disparaître avec
la poursuite du développement massif de l’éolien offshore en Europe du nord, où
il est plus productif et plus éloigné des côtes.
Dans le futur, le développement massif des ENR, en
particulier l’éolien offshore avec sa variabilité particulièrement importante,
aura pour effet de rendre impossible et extrêmement ruineuse la modulation
nucléaire. Le nucléaire est fait pour fournir une base, pas pour moduler comme
un fou !
RTE, dans un groupe de travail sur les analyses de
sécurité d'approvisionnement-(28 juin 2023) affirmait avec quelque
cynisme : « EDF modulait ses réacteurs pour gérer son carburant, il
modulera pour le suivi de charge des ENR ».
Sauf que les conséquences ne sont pas les mêmes, justes
opposées. EDF modulant sa production nucléaire pour optimiser son carburant
nucléaire, cela lui permettait notamment de mieux programmer les arrêts de
tranche et d’assurer la sécurité d’alimentation en tenant compte aussi des
contraintes et opportunités économiques ; EDF faisant du suivi de charge
des ENR, c’est en fait les ENR qui imposent à EDF des externalités négatives
alors que lesdites ENR ( plus exactement énergies variables intermittentes)
sont incapables d’assurer une production de base relativement pilotable comme
le nucléaire.
Ces aspects de modulation contrainte par les ENR ont été
traitées extensivement par M. Jean-Jacques Nieuviaert, ancien Chef économiste
de Union Française de l'Electricité[2] :
“Le
développement accéléré et simultané des EnR non pilotables et du nucléaire va
forcément entrainer un accroissement de la modulation, et dans certains cas
(été, week-end) cela pourrait même conduire à exiger l’arrêt complet du parc
nucléaire…
Cet
accroissement risque de rendre inatteignable un objectif d’extension de la
durée de vie des réacteurs à 80 ans du fait d’une usure prématurée, et il
comporte donc le risque d’exposer le pays, non plus à un besoin de sobriété,
mais carrément à une pénurie d’électricité…
Une modulation
amplifiée est synonyme de hausse des coûts et de pertes massives de revenus
pour EDF, ce qui est contradictoire avec les efforts attendus du groupe en
termes de développement du nucléaire.”
L’article met aussi en avant une augmentation des
« fortuits » de 25% en moyenne et des dégâts possibles sur la
structure des cœurs (érosion, déséquilibre bore-lithium, fuite), le
vieillissement du circuit primaire, notamment si le standard de deux mouvements
par jour était dépassé...
La conclusion est que l’augmentation massive des ENR,
avec notamment les 45GW d’éolien en mer, nécessitera, pour assurer la sécurité
d’alimentation, un suivi de charge avec de telles variations que seules les
centrales à gaz de dernière génération pourront l’accomplir. Ce back-up gaz
important dégradera considérablement l’intérêt climatique et le bilan carbone
de l’éolien (qui tournera autour de 300g CO2/KWh), dégradera aussi les aspects
économiques et d’indépendance géostratégique du système électrique français.
L’éolien, c’est du gazolien, et développer massivement l’éolien en mer est en
fait l’assurance survie à long terme du gaz, ce pourquoi, comme le remarquait
Jean-Marc Jancovici, il est si populaire chez les industriels du secteur.
De manière générale, ces choix énergétiques qu’il nous
faut faire engageront plusieurs centaines de milliards d’euros (plus d’un
millier de milliards !) et auront
un impact majeur sur notre souveraineté électrique et aussi sur notre pouvoir
d’achat futur et sur la viabilité de notre industrie. Ils nous concernent tous.
Il est capital qu’ils soient faits non par idéologie ou par mimétisme, mais à
l’examen de données factuelles et, en particulier, en tenant compte des
enseignements que peuvent apporter la politique énergétique d’autres pays.
C’est ce que les Français doivent exiger de ces débats- et ce n’est pas
ce qui se passe !
[1]
https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021-na-99-approvisionnement-electricite-janvier.pdf
[1]
https://www.lefigaro.fr/flash-eco/le-royaume-uni-annonce-la-construction-de-nouvelles-centrales-au-gaz-20240312