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samedi 19 février 2011

Chimie : Pourquoi tant de détestation ?

L’Actualité chimique a eu le courage, dans plusieurs de ses numéros, de s’interroger sur la place, la renommée et l’attractivité de la chimie. L’histoire des sciences, qu’on ne cultive pas suffisamment en France, peut suggérer quelques réponses. Je vous propose pour cela de partir d’Alexandrie, vers le premier siècle avant Jésus-Christ, ou bien avant encore, de Sumer, vers 1200 av. Jesus-Christ ; puis de revenir au XIXème siècle, avec la théorie positiviste de la science.

Et si c’était le progrès qu’on reproche à la chimie ?

A Alexandrie, vers 100ap. J.C. vivait Marie La Prophétesse. Tous les chimistes devraient la connaître puisqu’on lui doit le plus humble de tous les instruments, qui porte encore son nom, le bain Marie ; et aussi d’autres instruments plus élaborés, tels que le tribikos et le kerotakis, qui permettaient de sublimer des minéraux, de les purifier, ou encore de préparer des alliages, oxydes ou sulfures métalliques. Marie étudia systématiquement et décrivit l’action des vapeurs de soufres de mercure et d’arsenic sur différents métaux. Elle savait préparer des sulfures métalliques, puis les réduire, obtenant ainsi des métaux plus purs – le sulfure mixte de plomb et de cuivre a été longtemps appelé poudre de Marie. Enfin, spécialité fort appréciée, elle a décrit des traitements qui renforcent l’éclat des pierres précieuses.
C’est dans les textes de Marie qu’on trouve la première formulation, très claire, de ce qui deviendra le dogme central de l’alchimie, mais rappelons tout d’abord que, chimiste ou alchimiste, Marie apparaît à travers ses textes comme une véritable scientifique. La théorie est confrontée à des expériences, décrites avec précision,  l’exposé est exotérique et non ésotérique. Il n’y a pas un vocabulaire spécial et complexe, volontairement trompeur, destinés à de seuls initiés ; mais bel et bien des textes et des expériences que chacun, ou au moins, tout homme ou toute femme de l’art, devrait pouvoir comprendre et reproduire.
Quel était, très simplement,  ce dogme central de l’alchimie ? Il existe, pour les minerais et les métaux,une échelle de perfection qui va des minerais des métaux les plus communs vers les métaux eux-mêmes et ensuite vers l’argent et l’or, l’or qui est l’essence du métal, le métal porté à sa perfection. Dans la nature, les minéraux et métaux évoluent lentement vers les formes les plus nobles ; l’art de l’alchimiste consiste à accélérer cette évolution naturelle par des procédés artificiels. Il est ainsi capable de transmuter les éléments pour les amener à une perfection plus grande, donc déjà d’extraire les métaux purs de leurs minerais puis, à la fin ultime du processus, de les transformer en or.
Nous voyons bien que cette doctrine est porteuse d’une idée extrêmement importante. L’alchimie - la future chimie-, est la seule science qui se soit d’emblée définie comme une science de la transformation. Les mathématiques et l’astronomie, premières apparues, étaient des sciences d’interprétation, voire de contemplation. Cette idée qu’il existe une évolution du corrompu vers le plus pur et le plus noble, ou si l’on préfère, que l’âge d’or n’est pas derrière nous, mais devant nous, et que l’homme, par la technique et la science, peut  accélérer l’évolution vers cet âge d’or, c’est tout simplement l’idée de progrès telle qu’elle triomphera en Occident.
Il est donc peut-être vain d’énumérer les bienfaits de la chimie, les médicaments, la métallurgie, la pétrochimie, les polymères, la compréhension et la maîtrise de la biologie. Lorsqu’ils ciblent la chimie, les adversaires du progrès ne se trompent pas : c’est à la science qui a donné l’idée même de progrès qu’ils s’en prennent.

Une science féminine, impure ?

Il existe à l’alchimie une origine légendaire, les louches manipulations des prêtres égyptiens multipliant leur richesse par la fabrication de faux or. A la chimie, il existe une origine certaine, plus ancienne. Les premiers textes de chimie dont nous disposons sont inscrits sur des tablettes d’argiles en caractères cunéiformes et datent de 1200 av. JC. Ce sont des recettes pour la fabrication de cosmétiques et ils sont l’œuvre d’une femme, Tappouti, qui dirigeait la fabrique de parfum du palais de Babylone et pratiquait déjà des techniques d’extraction, d’entraînement par la vapeur et de distillation. Dès son origine, la chimie fut une science assez largement féminine. Que l’on compare avec les mathématiques ou la physique, dont, dès l’époque classique athénienne, les femmes sont exclues comme elles le sont de la philosophie ! Cette histoire n’avait pourtant rien d’écrit a priori, car enfin il semble que les femmes étaient acceptées à égalité avec les hommes dans les communautés pythagoricienne où est née, avec la mathématisation du monde, la physique telle que nous la connaissons ( le « Tout est nombre » des Pythagoriciens annonçant « La nature est écrite en langage géométrique »de Galilée). Mais l’extraordinaire misogynie du grand siècle athénien (-450, -350) nous a appris avec Aristote que le cerveau plus petit des femmes les rendait moins aptes aux spéculations mathématiques et physiques et avec Hippocrate que leurs humeurs étaient guère compatible avec la science (d’où Kant encore, plus de deux mille ans après «« les femmes n’apprendront jamais la géométrie », science trop sèche pour leur caractère humide). Ajoutons à cela le caractère véritablement quasi-religieux de la physique, bien pointé par Margaret Wertheim (Pythagoras Trouser’s,Norton, 1997).  Pour Kepler « la géométrie est éternelle comme l’esprit de Dieu, est Dieu lui-même », Newton basait sa conception absolue de l’espace et du temps sur l’existence de Dieu, Einstein combattait la mécanique quantique en affirmant que « Dieu ne joue pas aux dés », le physicien Lederman défend les crédits de sa discipline en affirmant partir à la recherche de la « particule de Dieu » (le boson de Higgs) et George Smoot voit « le visage de Dieu » dans le rayonnement de fonds cosmique. Bref, sans toujours en avoir trop conscience, la physique, explique Margaret Wertheim a un fort contenu clérical, le physicien se voulant  le déchiffreur d’un projet divin, d’où le baroque règlement des premières académies de physique comme les Lincei, imposant la chasteté à  leurs membres. La chimie n’a eu ni ces prétentions, ni ces bizarreries ; mais, dès l’origine, science largement féminisée, science féminine, science de l’artifice, trompeuse, du maquillage de la réalité et de l’amélioration de la nature …elle ne pouvait que mériter la suspicion en laquelle elle est tenue.

Une science inférieure ?

Une explication assez largement répandue sur le discrédit de la chimie remonte au positivisme d’Auguste Comte, qui en aurait fait une science inférieure aux mathématiques et la physique. Rétablissons d’ailleurs tout de suite une légende : Comte ne s’est jamais opposé à la théorie atomique de la matière « parce qu’on ne peut pas voir les atomes ». Bien trop bon connaisseur et philosophe des sciences pour cela , il combattait au contraire l’empirisme (« radicalement impossible à notre espèce ») et soutenait la nécessité de doctrines provisoires, éventuellement destinées à être réfutées. Cette légende provient de Marcelin Berthelot, positiviste et opposé aux théories atomiques ; mais d’autres chimistes, également attirés par le positivisme, tel Würst, étaient eux atomistes. Après avoir défini la science comme connaissance positive (réelle, certaine, précise – « de précision compatible avec les phénomènes », relative –ne s’occupant que des relations entre les phénomènes, et non des causes initiales ou finales-, organisatrice), Comte propose en effet une échelle encyclopédique des sciences (mathématiques, physique, chimie, biologie, sociologie- remarquons l’absence de la psychologie, l’homme n’est compréhensible et sujet de science qu’en sociétés !). Mais il ne s’agît nullement d’une échelle de valeur ! Il s’agît d’abord d’une échelle historique qui indique que les sciences sont successivement entrées dans l’ère positive dans l’ordre de l’échelle encyclopédique. C’est aussi une échelle pédagogique : un spécialiste d’un échelon donné doit connaître les grandes méthodes et les grands résultats des sciences placées avant. Ainsi un bon chimiste doit connaître les mathématiques et la physique, un bon biologiste les mathématiques, la physique et la chimie, et un bon sociologue toutes les sciences (ce qui entre parenthèse les protègerait de mystifications du style Sokal, publiant dans une des principales revues de sociologie un article proposant les principes de la  mécanique quantique comme base d’une nouvelle sociologie). En effet, cette conception de l’échelle de Comte a fortement imprégné l’organisation de notre enseignement, mais il faut tout de suite préciser que Comte est anti-réductionniste, qu’il indique bien que chaque science de l’échelle est irréductible à la précédente et introduit un degré de complexité supplémentaire – avis aux sociobiologistes ! Quant au statut des mathématiques, il reconnaît que les mathématiques sont certainement le berceau des sciences, mais « qu’un berceau ne saurait être un trône » ; et par ailleurs, il invite à se méfier de l’abus des mathématiques et de la fausse précision qu’elles semblent apporter lorsqu’elles sont mal employées (La philosophe Juliette Grange s’est amusée à recenser les qualificatifs que Comte applique aux prétentions abusives des mathématiques : vain, scolastique, absurde, officiel, puéril, vicieux, vulgaire, dégradant, aveugle, c’est une usurpation, un ergotage, une  anarchie…). En ce qui concerne la chimie, ce qui ressort le plus clairement de l’échelle positiviste, c’est qu’elle est une science centrale, relativement complexe, qui fait la jonction entre les sciences des objets inanimés et les sciences du vivant.

Ce bref voyage historique permet, je crois, de mettre en évidence un certain nombre de notions étroitement associées à la chimie, un champ sémantique et idéologique. Science du progrès par excellence, science féminine, impure, artificieuse, science centrale : les ennemis de la science et du progrès ne se trompent pas lorsqu’ils ciblent en priorité la chimie, et l’on ne peut défendre la science et le progrès sans défendre la chimie. Quant aux chimistes, qu’ils continuent donc à travailler, en faisant savoir davantage et sans complexes ce qu’ils ont fait, ce qu’ils font, ce qui les passionne, et ce qu’ils pensent bientôt apporter.

Pour l’élitisme républicain et l’égalité, défendre les concours !

Pour l’élitisme républicain et l’égalité, défendre les concours !

Le système des concours et grandes écoles a subi ces derniers mois de violentes attaques de la part de la droite sarkozyste, qui ont culminé avec la démagogie la plus basse lors de l’émission Face aux Français  ( 24 janvier 2010) et les propos d’un peu digne Président de la République moquant les « bêtes à concours » comme il s’était moqué de l’étude de la Princesse de Clèves.
Nous savions déjà dans quel mépris le Président tenait le travail et la réussite scolaire- il suffit de voir comment il se vante de son peu glorieux parcours scolaire et de celui de ses enfants, qui ne les empêche pas de prétendre aux plus hautes –ou aux plus rémunératrices fonctions. On a bien compris qu’il privilégie la réussite par la connivence à la réussite par le mérite, la cooptation des riches à la méritocratie, la promotion des copains à celle d’une élite républicaine. C’est une grande première, et très certainement une rupture.  Jamais on a méprisé, à la tête de l’Etat, l’enseignement, les enseignants et les élèves ; et la culture et les chercheurs aussi. Jamais nous n’avions eu en France un président qui méprise l’intelligence ; n’en doutons pas, elle se vengera, elle se venge déjà…
Les orchestres embauchent les premiers prix de conservatoire, on envoie aux jeux olympiques ceux qui se sont distingué dans de multiples compétitions (traduire concours). Mais pour ce qui est vraiment  important, pour les postes de pouvoir dans les secteurs public et privés, nul besoin de concours d’où pourraient sortir, sait-on jamais, des bêtes à concours issues d’on ne sait où ; seule la cooptation parmi les amis ou les parents assure la nécessaire fidélité et conformité aux intérêts des puissants.
Le concours, s’il n’est pas parfait, a toujours été identifié comme l’instrument privilégié de la promotion des talents contre les privilèges de la naissance. Ce fut l’une des grandes conquêtes de la Révolution Française, confortée par Napoléon avec l’instauration des premières grandes écoles et ce mot d’ordre : “Je veux que le fils d’un cultivateur puisse se dire : je serai un jour cardinal, Maréchal de l’Empire ou ministre”, puis étendue par les différentes républiques jusqu’à nos jours. Les Grandes Ecoles et leurs concours sont les héritiers de cette histoire et c’est cela que Sarkozy veut jeter à bas.
Prenons l’exemple de l’ENA, et donc d’élèves qui, lorsqu’on parle de pouvoir, savent de quoi il s’agit. La première attaque de l’administration sarkozyste contre les concours, passée à peu près inaperçue, a consisté en la suppression du concours de sortie de l’ENA. Et bien évidemment, ce sont les élèves d’origine les plus modestes de cette école qui ont protesté. Ils ont fait valoir que le concours leur permettait, s’ils étaient bien classés, de prétendre aux affectations et aux corps de l’Etat les plus prestigieux, alors que le système proposé pour le remplacer, la cooptation par les administrations, de logique très sarkozienne, privilégiera à leur détriment ceux qui ont les bonnes relations.
La proportion de boursiers parmi les élèves des Grandes Ecoles est en moyenne de 20% ; elle est la même que dans l’Université au stade maîtrise, à laquelle il faut la comparer. Veut-on pousser plus loin la comparaison ? Pour certains masters, Dauphine va instaurer des droits d’inscription de 4000 euros par an ; Sciences Po Paris, dont le directeur Richard Descoings mène avec une démagogie sarkocompatible consommée le combat contre les concours des Grandes Ecoles fait payer certains masters jusqu’à 12500 euros. Les Grandes Ecoles scientifiques, elles, sont généralement gratuites, voire rétribuent leurs élèves (ENS, Polytechnique)…
 Les Grandes Ecoles ne sont donc pas plus discriminantes socialement que les Universités. Peut-on se contenter de cela ? Non, car dans un passé encore récent, elles l’étaient moins – le pourcentage d’élèves d’origine populaire était plus proche de 30% dans les années 50.
Mais cela ne passe sûrement pas par la suppression ou le contournement des concours.  La cause principale de cette  régression, c’est l’abandon par l’Ecole Publique d’exigences qui permettaient aux bons élèves, quelle que soit leur origine sociale, l’acquisition d’un savoir solide. C’est donc cela qu’il faut rétablir, et permettre à tout élève doué et travailleur, dans tout collège et tout lycée, à la ville, à la campagne et en banlieue, d’acquérir les bases qui lui permettront de préparer utilement ces concours. C’est une politique juste et ambitieuse, et le contraire que celle que l’équipe Sarkozy met actuellement en place, politique de restriction d’enseignement comme il existe une politique de restriction des soins.

Ajoutons que ce Président et cette majorité sont passés maître dans une technique écoeurante, malhonnête et dangereuse, celle qui consiste à opposer les uns aux autres. On fait ainsi passer l’abandon de l’histoire en terminale scientifique en affirmant vouloir réévaluer les filières littéraires, on démantèle le CNRS en prétendant agir pour la recherche universitaire, on veut supprimer la filière des grandes écoles en opposant les « bêtes à concours » aux autres élèves.

Encore partout en France, des enseignants s’efforcent de développer au mieux les savoirs et capacités de leurs élèves, des élèves travaillent dur, parce qu’ils aiment apprendre,  et parce qu’ils savent que la culture, les savoirs, la capacité de travail et l’amour du travail bien fait seront leurs meilleurs atouts dans la vie. Il ne faut pas laisser ce Président et cette majorité les désespérer. Il est donc plus que temps que l’opposition, en liaison avec les enseignants, les parents d’élèves et les étudiants réfléchisse à une nouvelle ambition pour l’enseignement et la recherche, si méprisées par l’actuel président.



Histoire, terminales scientifiques et identité nationale

Histoire, terminales scientifiques  et identité nationale

Un débat chasse l’autre, c’est la méthode Sarkozy. Alors, avant que passe, avec l’approbation de certaines associations de parents d’élèves, une réforme tendant à priver près de la moitié des élèves de la filière générale d’un enseignement d’histoire en terminale, tentons un dernier baroud. L’historien des sciences que je suis ne peut évidemment se résigner à cet appauvrissement de notre enseignement : Veut-on que les scientifiques dont nous avons tant besoin soient ces spécialistes idiots que dénonçait déjà Comte[1] ?

Histoire et identité nationale

 Commençons par cette remarque d’un connaisseur : «Un peuple qui n’enseigne pas son histoire est un peuple qui perd son identité » François Mitterrand, 1982. Le débat sur l’identité nationale est l’occasion de relire le texte de Renan de 1882, Qu’est-ce qu’une nation ? Pour Renan déjà, la nation se construit contre le communautarisme : « Prenez une ville comme Salonique ou Smyrne, vous y trouverez cinq ou six communautés dont chacune a ses souvenirs et qui n’ont entre elles presque rien en commun. Or l’essence d’une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun, et aussi que tous aient oubliés bien des choses. Aucun citoyen français ne sait s’il est burgonde, alain, taïfal, wisigot ». La nation est construite par l’histoire : « La nation moderne est donc un résultat historique amené par une série de faits convergeant dans le même sens… » . Et la nation vit par l’histoire et par la volonté de continuer l’histoire : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel... L’une  est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs, l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis… Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore »
En France donc, l’identité nationale s’enracine dans la culture historique comme le note Antoine Prost dans son ouvrage remarquable Douze leçons sur l’histoire. Les républicains ont compté sur l’histoire pour développer le patriotisme et l’adhésion aux institutions- c’était tout le projet magnifique de Lavisse. Ce fait - l’importance de l’histoire -n’est peut-être pas aussi universel que le pensait Renan -il semble par exemple que l’Angleterre se pense, se représente à elle-même davantage par l’économie politique. Mais en France, l’importance de l’histoire est indiscutable ; c’est sans doute le seul pays où l’enseignement de l’histoire est au sens littéral, une affaire d’Etat, qui peut être évoquée en Conseil des Ministres… et provoquer de véritables passions.
Il faut donc sans doute que nos gouvernants actuels connaissent bien mal leur pays ou qu’ils s’en sentent bien détachés pour avoir pensé que la suppression des cours d’histoires dans les terminales scientifiques, principalement pour des raisons d’économie maquillées en volonté de renforcer les filières littéraires, passerait sans provoquer de réactions.

L’Histoire contre les manipulations de la mémoire

 Il faut aussi bien méconnaître l’histoire pour confondre histoire et mémoire et mettre celle-ci au service de médiocres manipulations politiques, comme le fait l’actuel Président qui voudrait bien nous plonger dans une dictature quasi-orwellienne de l’émotion. Dans un texte célèbre, Pierre Nora a bien démontré l’opposition profonde entre mémoire et histoire : « La mémoire installe le souvenir dans le sacré, l’histoire, parce qu’opération intellectuelle et laïcisante, appelle analyse et discours critique…La mémoire sourd d’un groupe qu’elle soude…il y a autant de mémoire que de groupes, elle est par nature multiple et démultipliée. L’histoire, au contraire, appartient à tous et à personne ce qui lui donne vocation à l’universel »  (Les Lieux de Mémoire). Lucien Febvre est même allé plus loin, retrouvant la fameuse nécessité d’oublier dont parlait Renan : « Un instinct nous dit qu’oublier est une nécessité pour les groupes, pour les sociétés qui veulent vivre. L’histoire répond à ce besoin Elle est un moyen d’organiser le passé pour l’empêcher de trop peser sur les épaules des hommes » (Vers une autre histoire). A trop et mal manipuler les devoirs de mémoire, on renforcera les communautarismes au  détriment de la nation. Au contraire, l’histoire doit permettre de préparer l’avenir. « On fait valoir sans cesse le devoir de mémoire, mais rappeler un événement, ne sert à rien, même pas à éviter qu’il ne se reproduise, si on ne l’explique pas.
Il vaut mieux que l’humanité se conduise en fonction de raisons que de sentiments » note Antoine Prost. (Douze leçons sur l’histoire)
Il y a vraiment une méchante ironie à lancer un débat sur l’identité nationale et à supprimer en même temps l’histoire en terminale pour les séries scientifiques, en cette année de terminale qui doit clore le socle commun de l’enseignement et permettre une réflexion plus approfondie sur le mode moderne grâce au savoir historique – que l’on pense au superbe programme exposé, rêvé par Braudel dans sa Grammaire des civilisations.
 On a parfois reproché aux socialistes de vouloir par idéologie détruire les formations élitistes.  Ils n’ont rien fait de tel, et les plus courageux ou les plus lucides ont défendu l’élitisme républicain. Il est paradoxal de voir aujourd’hui la droite, du moins celle qui est au pouvoir, s’acharner à dévaloriser la section  S, ce qui, évidemment, ne fera aucun bien à la section L, qu’on n’aide d’ailleurs pas en raillant l’étude de la Princesse de Clèves. Faut-il chercher ici d’autres raisons que le faible intérêt porté à l’enseignement dans la famille présidentielle ? Qu’en pensent des électeurs de droite plus traditionnels ?

            Il faut donc se battre, au nom de l’identité nationale, de l’intégration, mais surtout au nom de l’intelligence et même de l’efficacité économique pour que l’enseignement continue à former des têtes bien faites et harmonieusement remplies ; donc pour l’enseignement de l’histoire en terminale scientifique et son rétablissement dans l’enseignement technique. Et aussi pour un enseignement scientifique dans les classes littéraires, un enseignement qui permette d’acquérir une bonne connaissance des principes, méthodes et résultats fondamentaux des sciences et qui pourrait être basé sur l’histoire des sciences et des techniques.



[1] “Si l’on a souvent déploré, dans l’ordre matériel, l’ouvrier exclusivement occupé, durant sa vie entière, à la fabrication de manches de couteaux ou de têtes d’épingles, la saine philosophie n’en doit pas moins regretter l’emploi exclusif et continu d’un cerveau humain à la résolution de quelques équations ou au classement de quelques insectes. L’effet moral est fort analogue, c’est toujours de tendre essentiellement à inspirer une désastreuse indifférence pour le cours général des affaires humaines, pourvu qu’il y ait sans cesse des équations à résoudre et des épingles à fabriquer”.

Education : la transmission du savoir au centre du système

Education : la transmission du savoir au centre du système


La France a besoin de scientifiques

Tout d’abord une pétition, initiée par les derniers médaille Fields et prix Nobel, signée par les présidents de onze sociétés savantes, et, à ce jour, plusieurs milliers d’internautes, dont une brochette impressionnante de scientifiques de haut niveau : La France a besoin de scientifiques (http://algorythmes.blogspot.com/2010/11/petition-la-france-besoin-de.html). Elle dénonce sur un ton d’une virulence peu habituelle dans ces milieux la baisse du nombre de cours scientifiques dans les sections scientifiques : moins de la moitié des horaires en première S sont maintenant consacrés aux sciences. La réforme Chatel ne fait que prolonger un lent déclin : depuis vingt ans, les enseignements scientifiques ont décru de 20%.
Alors que la Chine et l’Inde rattrapent à grandes enjambées l’Occident et l’Amérique, investissent dans la recherche le développement, forment plus de scientifiques que tous les autres pays réunis, alors que nous nous trouvons devant d’immenses défis énergétiques, de santé, de vieillissement, de développement durable, cela, comme le répètent plusieurs fois ces scientifiques, ce n’est pas raisonnable !
Certes, comme l’on relevé certains, ils auraient pu se réveiller un peu plus tôt, ils auraient dû aussi dénoncer l’abandon de l’histoire en terminale S (veut-on former des scientifiques ignares ?-ce n’est pas ainsi qu’on revalorise les sections littéraires, à supposer que cela soit nécessaire), et aussi la diminution des horaires de littérature en terminale littéraire, et l’abandon des mathématiques (ce n’est toujours pas ainsi qu’on revalorise les filières littéraires).

Défendre les disciplines

S’il a été possible  à un gouvernement de maltraiter ainsi un système scolaire qu’il n’aime guère (l’apprentissage, c’est bien mieux, les entreprises, elles, savent former les jeunes qu’il leur faut), c’est qu’un slogan généreux a été cyniquement détourné : il faut placer l’élève au centre du système. Alors les savoirs peuvent bien être négligés, l’élève n’en n’a pas forcément besoin, et la société aussi, on peut bien  se passer de la Princesse de Clèves ou de telle équation mathématique…
Il est temps de réaffirmer que la mission de l’école, c’est la transmission d’un savoir, d’une culture et de méthodes ; C’est par passion pour cette mission que la quasi-totalité des enseignants ont choisi leur métier- et sûrement pas pour le salaire !  Rien n’a été plus démoralisant pour les enseignants que l’impression parfois justifiée que les pouvoirs publics ne considéraient pas cette transmission du savoir comme le plus important
Il est temps aussi de cesser d’alimenter de faux débats, temps de cesser d’opposer défense des disciplines scolaires et pédagogie ; oui bien sûr, l’enseignant qui transmet son savoir doit se placer au niveau de compréhension de l’élève et utiliser toute méthode susceptible de favoriser cette transmission, oui bien sûr, pour l’apprentissage de la lecture comme pour le reste, effort et plaisir ne s’opposent pas mais se complètent, ainsi que l’acquisition progressive d’éléments de plus en plus complexes et la compréhension globale.

Valoriser la culture

Dans un langage qu’on peut ne pas aimer, celui de Jacques Attali,  « Il existe des milliers d’études sur la capital culturel et son impact sur la croissance économique. Toutes vont dans le même sens… L’élévation du niveau culturel d’une population a un impact direct sur son produit intérieur brut. Cette corrélation est permanente et totale » (Le Monde, 10 novembre 2010)
Il semble que nos gouvernants actuels s’acharnent à dévaloriser cette mission de transmission de savoir et de culture. C’est sans doute la première fois que s’étale  à la tête de l’Etat un tel mépris pour l’école et la méritocratie, que ce soit à travers les parcours personnel et familiaux du chef de l’Etat, des déclarations sur l’utilité de la culture ( la fameuse Princesse de Clèves), les propos méprisants envers les chercheurs etc…

Tenir bon sur l’exigence et l’égalité

Dans la même interview du Monde (10 novembre 2010), Jacques Attali tient un propos que je trouve scandaleux : « On ne devrait pas offrir la même chose à Neuilly et en Seine Saint-Denis».
Eh  bien si, on doit bien avoir pour ambition légitime et républicaine d’enseigner les mêmes disciplines à Neuilly et en Seine Saint-Denis, et avec le même degré d’exigence. C’est une justice sociale élémentaire, c’est une exigence vitale pour la société et la nation. Il faut en particulier donner aux  meilleurs élèves des zones les plus défavorisés – et celles-ci couvrent aussi bien certains quartiers de banlieue que certaines campagnes isolées -   la possibilité d’atteindre accomplissement et excellence, dans quelque discipline que ce soit, classique ou technique.
Si cette ambition de résultat doit être la même sur tous, les moyens, eux, doivent être adaptés

Concentrer les efforts sur le primaire

S’il y a un consensus de tous ceux qui s’intéresse à l’éducation, il a été bien résumé par Luc Ferry : quasiment tout se joue dans les premières classes de l’école primaire et ce sont en très grande majorité ceux qui ont eu des difficultés à l’apprentissage des bases de la lecture ou du calcul qui se retrouvent ensuite en perdition et créent des problèmes insolubles. C’est là que pratiquement tout se joue. Les problèmes du collège ne pourront être résolus si celui-ci ne l’est pas (et l’idée de Copé de remettre un examen d’entrée en sixième ne change rien si l’Ecole Primaire ne donne pas à tous une bonne maîtrise des éléments du langage, de l’écriture, de la lecture et du calcul-elle est même démagogique et écoeurante lorsqu’on voit la diminution de la formation des enseignants et des moyens de l’éducation pratiqués par ce gouvernement)
Des réformes simples le permettraient : dédoublement des classes de CP, améliorer la formation des enseignants, adapter le rythme d’acquisition à chaque enfant par des passages plus souples aux cycles suivants,  adapter aussi les méthodes à chaque enfant et en changer en cas de difficultés.
Cet engagement fort dans le Primaire doit devenir une priorité absolue ; et qu’on laisse donc  fonctionner ce qui pour l’instant ne fonctionne pas si mal, notamment les lycées de la voie générale et même la plupart des voies techniques, les classes Prépas, les Grandes Ecoles…

Préparer le Primaire- le rôle de la maternelle

 L’expérience prouve le rôle important de la maternelle dans la préparation au primaire : nombre d’aptitudes indispensables à la lecture et à l’écriture y sont développées, c’est le plus souvent à la maternelle encore que l’envie de lecture  apparaît. L’importance du système des maternelles est un atout historique pour la France que le gouvernement tente stupidement de remettre en cause. La scolarisation entre deux et trois ans doit être encouragé, et l’on doit veiller en particulier à ce que les populations défavorisées y ait accès. La scolarisation en maternelle des populations immigrées doit être éventuellement rendue obligatoire dans le cadre d’une politique volontariste d’intégration

Prendre en compte les différences culturelles ; l’importance du périscolaire

Il s’agissait là d’un sujet  quasiment tabou, jusqu’à la parution du livre salutaire de Lagrange, Le déni des cultures. Un système de pensée politiquement correct proscrivait l’évocation de ce problème  aujourd’hui  fortement lié à l’immigration noire ou maghrébine. Les enseignants voyaient bien que les difficultés se cumulaient dans ces populations, et que ce n’est pas tout à fait la même chose d’enseigner dans des zones à forte densité immigrée, ou encore que les enfants asiatiques ne posaient généralement pas les mêmes problèmes ; mais il leur était interdit de la dire, voire même de le penser ; le problème étant interdit d’exister, il devenait quelque peu difficile de le résoudre.
 Il n’y avait pourtant là rien de bien nouveau. Au cours du siècle précédent, il apparaissait évident que l’investissement scolaire, l’investissement dans les valeurs de l’école n’était pas tout à fait le même dans toutes les régions de France, et il en reste encore quelques traces lorsqu’on compare les résultats au baccalauréat en Bretagne ou en  Alsace à ceux d’autre régions ; ce problème a pour l’essentiel était réglé.
L’importance de l’immigration, en particulier noire et maghrébine et sa concentration en certains endroits a évidemment posé un problème d’une autre ampleur.  Ce problème sera aussi résolu- et les résultats scolaires, presque miraculeux dans les conditions de déni existantes, d’une partie importantes des  jeunes filles maghrébines et maintenant d’une partie de plus en plus importante des garçons permettent d’être optimistes.
On a laissé aux seuls enseignants le soin de résoudre seuls  les problèmes culturels liés à l’immigration, et c’était évidemment impossible. Une partie importante de la solution consiste en un encadrement renforcé du temps périscolaire (approfondissement du cours, activités culturelles, sportives, artistiques), en particulier dans les petites classes, encadrement périscolaire qui devra être assuré par des enseignants volontaires, mais aussi d’autres intervenants: ce ne doit pas être une école bis.
Mentionnons que ce déni de l’importance du défi culturel lié à l’immigration a conduit à des propositions absurdes d’imitation des systèmes scolaires danois, finlandais, suédois etc, systèmes qui ne fonctionnent qu’en raison de l’homogénéité culturelle de ces pays. Lorsque nous seront parvenu à résoudre ce défi, et cela suppose d’abord de ne pas le nier,  notre société en sera plus riche et plus solide
.

Le scandale Novexel et l’innovation en France.

Le scandale Novexel et l’innovation en France.

Novexel est (était) l’exemple de la biotech ( entreprise de biotechnologie)française qui réussit. Aventis avait laissé sur l’ancien site de Romainville de Roussel-Uclaf, une « spin-off » consacrée à la recherche dans le domaine des antibiotiques, domaine dont il désirait se désengager. Pour une fois, cela s’était fait correctement : Novexel avait été créé avec un portefeuille de projets crédibles assez avancés et d’autres plus novateurs, et des moyens adaptés.
Novexel a parfaitement réussi à la fois à mener à terme, donc à un médicament, les projets avancés, et à avancer ses propres projets de recherches. Trop bien réussi : la multinationale Astra-Zeneca rachète la société, pour le plus grand profit des investisseurs, et pour le malheur des chercheurs et des équipes qui ont permis ce succès et qui sont tous licenciés. (Ceci dans la plus grande indifférence de Claude Bartolone, pourtant partie prenante du parc d’activité Biocitech, dont Novexel était l’un des fleurons).
Autrement dit, dans la politique d’innovation française , ou bien les « jeunes pousses » échouent, et les chercheurs en paient le prix, ou bien elles réussissent, et les chercheurs … paient le même prix. Cela ne se passe pas ainsi dans les autres pays européens. Faut-il s’étonner que la France acquière ainsi un retard considérable dans la recherche scientifique et l’innovation ?
Deux ouvrages récents et intéressant mettent en évidence le retard de la France en matière de recherche et d’innovation et ses conséquences, le déclin industriel français : Etats généraux de l’industrie, 2010, Jean-françois Dehecq, (Ladocumentationfrancaise.fr) ; Pas d’avenir sans industrie Jean-Louis Levet, Economica 2010).

A noter
-         de 1999 à 2009, les exportations françaises dans la zone euro ont chuté de 16.8 à 13.2%
-         Entre 1995 et 2007 la part de production de haute technologie n’a cessé d’augmenter en Allemagne ( elle est de 12%) et l’export a crû de 2.4 %
-         L’industrie manufacturière française représente 16% de la valeur ajoutée contre environ 25% en Allemagne
-         Le coût du travail n’est pas en cause : il est de 24.9 dollars en France, de 34.1 dollars en Allemagne, 27.1 dollars au Royaume-Uni, et il est encore plus élevé au Danemark, Suède, Luxembourg
-         Ce qui est en cause est simple : la France se caractérise par un faible investissement dans la recherche et l’innovation (1.9% du PIB) contre 2.4 % en Allemagne !! Et ce ne sont pas des aventures comme celles de Novexel qui amélioreront les choses.
-         Une autre cause : depuis le début des années 90, l’Unon européenne a décidé que la concurrence primerait sur toutes les autres politiques, contrairement à ce qui se passe aux USA, au japon et en Chine
-         Quelques pistes proposées par les auteurs :
Réhabiliter l’état développeur, les commandes publiques et les aides aux PME
                  Baisse de l’impôt sur les sociétés pour les bénéfices réinvestis
                  Conditionner les aides aux entreprises
                  Améliorer la transparence des circuits de sous-traitance
            Prendre conscience de l’impact sur l’emploi du tout délocalisable et que la délocalisation de la production finit par entraîner celle de la recherche
Il y a donc beaucoup à faire, et de manière urgente, en matière de recherche et d’innovation…cela devrait devenir une sujet central pour les prochaines élections


Europe de la recherche et de l’innovation : tout jeter, tout rebâtir ?

Europe de la recherche et de l’innovation : tout jeter, tout rebâtir ?

Trois faits, un lien

En mai 2010, des inspecteurs financiers de la Commission Européenne ont mis en cause le CNRS  pour des recherches financées par le 6ème PCRD (Programme cadre de recherche et de développement, 2002-2006). En conséquence,  Bruxelles  a réclamé à la France une somme de l'ordre de 70 millions d'euros au titre d'erreurs systématiques imputées à 886 projets sur la base de l'examen de dix-huit d'entre eux. Ce ne sont pas mes résultats qui ont été mis en cause, le CNRS ayant même accompli davantage que ce qui lui avait été demandé. Non, ce qui a valu ces 70 millions de francs d’amende, c’est le fait que les chercheurs n’aient pas correctement et bureaucratiquement rapporté  le temps de travail  affecté à chaque projet –je crains que la mesure précise du temps de cerveau de chercheur disponible et efficace ne présente quelques difficultés méthodologiques d’importance. Il semble que le gouvernement français, qui semble-t-il n’aime pas beaucoup le CNRS n’ait pas protesté et se soit acquitté de l’amende.
En septembre 2010, la revue La Recherche publie un article fort documenté sur le programme ITER (construction d’un prototype de réacteur à  fusion nucléaire). Le budget estimé de ce projet, piloté par l’Union Européenne, qui en est le partenaire majoritaire avec 45% des parts (le reste comprenant notamment les USA, la Russie, la Chine, le Japon…) est passé de 6 milliards d’euros estimé en 2006 à 16 milliards en 2010, et ceci avant même que la première pierre ne soit posée. C’est une dérive inouïe, ahurissante ! (pour mémoire, le surcoût du grand collisionneur de hadrons (LHC), au CERN, n’a été finalement que de 22% pour un budget initial de 1.6 millliards…mais là ce n’était pas géré par l’Union Européenne). Les réponses de Bruxelles aux questions du journaliste de La Recherche sont proprement ahurissantes.  Les responsables européens de l’organisation ITER commencent par mettre en cause l’augmentation du coût du béton et de l’acier, avant de se rétracter, puis de parler du dispositif anti-sismique, puis finissant par avouer qu’ils ne contrôlent rien… pas même le coût de leur propre organisation, qui augmente aussi dans des proportions himalayennes. Il faudrait d’ailleurs vraiment se pencher sur la pertinence du programme ITER et probablement décréter d’urgence un moratoire. Les deux Prix Nobel français récemment disparus, Pierre-Gilles De Gennes et Georges Charpak ne croyaient pas à sa faisabilité et pensaient qu’il valait mieux relancer les recherches sur la surrégénération en partant des acquis du programme Superphénix. Les chercheurs n’ont tout simplement aucune idée sur la façon d’obtenir un matériau résistant à 100 millions de degrés (!), pourtant indispensable au projet. Ceux qui comparent le projet à la mise au point de la bombe atomique ou à l’exploration lunaire trompent ou se trompent : lorsque ces projets ont été lancés, il n’y avait aucune barrière technologique importante non résolue. En tout état de cause, les instances européennes font preuve d’une incapacité évidente à gérer ce projet et d’un dilettantisme monstrueux, voire d’un cynisme scandaleux : alors qu’ITER en dérive pompera l’essentiel du budget européen de recherche, la commission affirme « prélèvement ou pas, le budget de la recherche continuera d’augmenter chaque année » !
En septembre 2010, le gouvernement français a annoncé la reprise d’Alcan EP par un fond d’investissement américain Apollo avec l’aide du Fonds Stratégique d’Investissement (FSI) qui prend 10% du capital. Cette participation est censée garantir le maintien en France des centres de décisions, de recherche et développement, des  12 sites existant et de 5000 salariés. Qu’est-ce qu’Alcan EP ? Ce qui reste de l’ancien Péchiney, après reprise par Alcan, puis par Rio Tinto. Péchiney, fondée en 1855, géant français de l’aluminium et fleuron technologique représentait en 2002 2.6 milliards d’euros de chiffre d’affaire et comptait 8000 salariés. En 2000, Péchiney, en position de force, devait fusionner avec Alcan et Algroup pour former un champion international estimé à 22 milliards de dollars. Cette fusion a été refusée par la Commission Européenne au nom de la protection de la libre concurrence, ce qui a entraîné la disparition du groupe fançais.  L’intervention du FSI, cher à Nicolas Sarkozy, permet aujourd’hui de sauver et de récupérer en France une partie des activités et du savoir-faire de l’ancien Péchiney ; c’est appréciable, mais cela ne peut guère passer pour de la politique industrielle :tout juste un bricolage d’urgence. Que de temps et  d’occasions perdues à jamais, de savoir accumulé au cours du temps et gaspillé à jamais à cause du dogmatisme, de la bêtise de la Commission européenne. Un véritable sabotage !

Qu’ont de commun ces trois faits ? Ils montrent à quel point l’Europe de la Recherche n’est pas positive, pas même nulle, mais négative. Elle n’a pas favorisé l’emploi scientifique, mais la prolifération d’une bureaucratie parasitaire et l’explosion d’officines publiques ou privées, parfois à la limite du trafic d’influence, destinées à guider start-up, PME et universitaires dans un maquis impénétrable de subventions et un univers absurde. Elle s’avère absolument incapable de gérer des projets d’importance - heureusement que le Cern et l’Agence Spatiale ne l’ont pas attendue. Imposant d’improbables et fantaisistes collaborations basées sur l’idée que tous les pays européens doivent faire la même chose, elle va au rebours de la stratégie d’innovation reconnue comme la plus efficace, la construction de pôles de compétitivité s’appuyant sur des savoir-faire et des points forts locaux. Surtout, au nom de la sacro-sainte concurrence, l’Europe provoque systématiquement l’échec de toute tentative sérieuse de politique industrielle et d’innovation ; elle a ainsi notamment entraîné  l’échec de l’Agence pour l’Innovation Industrielle, issue du rapport Beffa, favorisant collaboration entre grandes entreprises et start-up autour de programmes stratégiques d’innovation centrés sur des ruptures technologiques par des contrôles trop longs et trop tâtillons, ainsi que par la limitation des financement, retombant ainsi dans le défaut auquel l’agence devait remédier : le saupoudrage.

La contradiction entre l’idéologie de la libre concurrence et l’innovation

Il existe d’ailleurs un antagonisme partiel certain, mais peu discuté, dissimulé peut-être car non-libéralement correct, entre libre concurrence et innovation. Une preuve essentielle en est le mécanisme du brevet, indispensable à la recherche et à l’innovation, qui assure bel et bien un monopole à l’inventeur contre la publication de sa découverte. D’ailleurs, il est bien certain que la durée de cette protection devient, en de multiples domaines, au premier plan desquels celui de la santé, insuffisant pour assurer un juste retour sur investissement à des recherches de plus en plus longues et coûteuses. Si l’Europe agissait selon le principe de subsidiarité qui en fonde la légitimité, c’est sans doute le geste le plus utile qu’elle pourrait faire en faveur de la recherche : mettre en place et promouvoir au niveau international une extension de la durée des brevets.
D’autre part, seuls des monopoles ou des oligopoles privés ou publics, ont la possibilité de financer des recherches fondamentales et des innovations de rupture. En démantelant ATT/Bell Telephone au nom de la libre concurrence, le gouvernement américain s’est privé d’une organisation qui a inventé le transistor, la cellule photovoltaïque, le système d'exploitation UNIX et… découvert le rayonnement de fonds cosmographique, le maintenant célèbre « visage de Dieu ». Nous n’étions pas forcé de suivre cette voie-là. Si le monopole c’est l’invention et la recherche fondamentale, il est vrai qu’il n’assure pas toujours le développement des résultats de sa recherche car il n’y a pas suffisamment intérêt. Là apparaît la nécessité de stimuler la concurrence et il est alors relativement de le faire par des lois et des dispositifs appropriés.
Faut-il encore un autre exemple ? L’histoire des sciences nous l’apporte en la personne de Roberval (1602-1675). Professeur de mathématiques au Collège Royal, sa chaire était soumise à renouvellement tous les trois ans. En bonne logique, cet excellent mathématicien ainsi soumis en quelque sorte à la libre concurrence, accumula les découvertes qu’il gardait soigneusement sous le coude…pour se les réserver le jour où un éventuel concurrent se présenterait contre lui. Pendant 41 ans, Roberval donc découvrit beaucoup et publia peu.

Proposition pour rebâtir l’Europe de la connaissance

1) L’objectif du programme de Lisbonne – encourager l’innovation, faire passer les dépenses de recherche et développement à 3% du PIB - doit être réaffirmé et l’échec total de la politique européenne actuelle vis-à-vis de cet objectif doit être constaté. Il faut complètement reconstruire l’Europe de la recherche - et ce n’est pas vrai que pour la recherche. Je conçois que ceux qui l’ont construite avec parfois beaucoup de ténacité et de courage en conçoivent quelque amertume, mais le constat d’échec doit être fait et des conclusions tirées. Sans cela, pas d’avenir européen et toute la construction Européenne ne tardera pas à disparaître dans la misère et la colère des peuples.
2) L’Europe de la recherche doit être reconstruite de la base vers le sommet et non l’inverse
3) L’Europe doit donner une priorité absolue à la recherche et à l’innovation, qui sont les progrès et les emplois de demain par rapport au dogme de la libre concurrence. Elle doit reconnaître que les situations de monopole ou d’oligopole peuvent constituer provisoirement un terrain indispensable à des innovations de rupture, nécessitant des investissements intensifs (par exemple, développement de nouvelles énergies nucléaires ou basées sur l’hydrogène) et ne pas entraver les regroupements et stratégies industrielles nécessaires.
4) Les instances européennes ne doivent pas gérer de programmes de recherche, elles en sont incapables. Les programmes internationaux doivent être gérés par des conseils scientifiques ad hoc, comme c’est le cas pour le CERN.
5) Les instances européennes ne doivent pas directement financer la recherche. Elles représentent un échelon bureaucratique superflu dans un paysage déjà tellement complexe que la recherche de financement devient, devant la recherche proprement dite, la mission principale des directeurs de laboratoires et d’instituts. C’est un énorme gaspillage que de reprendre au niveau européen une politique de saupoudrage de crédits de recherches, déjà inefficace au niveau national.
 6) L’Europe doit cesser d’imposer des collaborations artificielles ; au lieu de viser à ce que tous les pays fassent mal la même chose, elle doit favoriser la constitution de clusters de compétences.
7) L’Europe doit identifier, évaluer et promouvoir les actions reconnues comme positives en faveur de la recherche et de l’innovation effectuées par les états membres- ou non. Ainsi :
8) L’Europe doit encourager la formation de pôles de compétitivité dans les états membres et favoriser la coopération entre ces pôles ;
9) L’Europe doit encourager dans les états membres la formation d’agences de types Agence pour l’Innovation Industrielle, capables de favoriser des innovations de rupture par le regroupement d’entreprises fonctionnant en réseau et des incitations adéquates d’un niveau suffisant (par exemple avances remboursables en cas de succès) lorsque le fonctionnement normal du marché ne le permet pas ( ce qui est assez souvent le cas – quel opérateur privé aurait financé le nucléaire d’hier, financera le nucléaire de demain ou l’énergie de l’hydrogène ?). L’Europe devra favoriser le travail de ces agences (et notamment s‘abstenir de les brider au nom de la politique de concurrence) et leur coopération.
10) L’Europe doit encourager et promouvoir une politique de type crédit impôt recherche, outil essentiel pour encourager le développement et la localisation des activités  de recherche sur les territoires européens, même si celui-ci doit être davantage orienté vers les PME.
11) L’Europe doit encourager dans chaque pays la formation d’un conseil de la politique des sciences et de la technologie se prononçant sur les grandes options stratégiques et regroupant les principaux responsables politiques, comme c’est la cas en Finlande, le seul pays européen à remplir les critères de l’Europe de la connaissance, définis par le traité de Lisbonne.

Evaluation des chercheurs/évaluation de la recherche : halte à la folie !

Evaluation des  chercheurs/évaluation de la recherche : halte à la folie !

L’évaluation automatique, ça ne marche pas !

Merci à Cyril Labbé, enseignant-chercheur à l’Université Joseph Fourier de Grenoble, l’inventeur d’Ike Antkare, le scientifique qui en un temps record, quelques mois, a atteint un h-index (l’index bibliométrique le plus utilisé pour évaluer les chercheurs) de 90, ce qui lui donne(rait) sur la science moderne une influence comparable à celle d’Einstein. Pour cela, il a suffi à Cyril Labbé de faire écrire par un générateur de faux texte une centaine de « publications » se référant les unes aux autres et, non pas de les faire publier, mais de les placer sur le site de son université. Bravo aux scientifiques français et à leur esprit critique capable de dénoncer l’absurdité ?, l’inadéquation ?- pour rester poli- d’une des méthodes utilisées pour « évaluer » les chercheurs.
On ne peut pas dire que les chercheurs ne sont pas évalués. Au CNRS, les chercheurs doivent présenter tous les deux ans un rapport d’activité, et les autres organismes ont des procédures similaires. Cette évaluation utilise des données « prétendument » objectives, telles le h-index, mais en définitive, le jugement par les pairs a le plus souvent le dernier mot. C’est moins le cas au niveau européen, où, avec des jurys qui connaissent mal les chercheurs,  les indices bibliographiques constituent une solution de facilité plus utilisée (cf par exemple Sébastien Balibar, Le Monde, 4 février 2011).
Cette pratique engendre des effets pervers : publications divisées en publications fragmentaires pour en multiplier le nombre, cours à la publication (publish or perish, mais, même si un chercheur doit évidemment publier, pendant qu’il publie, il ne cherche pas…). Plus gravement ; elle favorise le conformisme, elle décourage la véritable innovation, elle entrave la valorisation de la recherche. Si vous êtes précurseur dans un domaine encore mal connu, si vous travaillez dans une petite communauté de chercheurs, si vous ne suivez pas les modes, si vous écrivez un ouvrage fondamental et essentiel apportant un changement théorique important ou faisant le point sur un nouveau domaine plutôt que des publications, si vous vous attachez à valoriser et à transférer à l’industrie vos projets, alors vous avez toutes les chances d’être mal classés dans un système qui s’appuie de façon assez mécanique et aveugle sur les publications.
L’évaluation des chercheurs et de la recherche ne peut se réduire à un ou une série d’indices, aussi sophistiqué soient-ils. Et même la recherche appliquée ; les firmes privées qui ont eu la mauvaise idée d’évaluer leurs chercheurs au nombre de brevets déposés … ont vu leurs budget brevet exploser sans qu’augmente l’efficacité de leur recherche. Il ne suffit qu’un brevet soit déposé, encore faut-il qu’il soit réellement exploitable ; et comme l’a brillamment démontré Cyril Labbé, les chercheurs sont suffisamment inventifs pour détourner n’importe quel système d’évaluation. Ils sont  d’ailleurs essentiellement motivés par l’estime de soi et celle de leurs pairs, et tout de même un peu par leur rémunération, dont le moins qu’on puisse dire est que comparée à celle d’autres secteurs- la finance, par exemple- et ramenée à la durée de leurs études, elle peut engendrer une certaine amertume.

L’évaluation, un processus difficile coûteux et incertain

Donc l’évaluation, et l’évaluation par les pairs. Mais, de toute façon, l’évaluation des chercheurs n’est pas simple ; ceci, pour des raisons qui tiennent à la multiplicité des missions telles que recensées dans un rapport de l’Académie des Sciences (8 juillet 2009, l’évaluation des chercheurs et enseignants chercheurs) : capacité à organiser, coordonner, diriger des recherches (nombre et qualité des thèses dirigées, qualité et devenir des étudiants post-doctoraux, …), rédaction de publications, de livres spécialisés, d’ouvrages de vulgarisation, traduction d’ouvrages scientifiques, direction de programmes internationaux ou présidence d’une union scientifique internationale, cours dans des écoles d’été, invitations en tant que présentateur à des conférences en séances plénières, organisation de symposiums ou de congrès internationaux de haut niveau ou de caractère innovant, participation à des comités ou agences nationales et internationales,  actions auprès du grand public, sans parler de la valorisation de la recherche. Ajoutons à cela que les chercheurs ne travaillent plus isolément dans une tour d’ivoire, mais que la recherche moderne exige la multiplication des collaborations.
 Même bien menées,  les procédures d’évaluation se concentrent généralement sur les deux premiers items et négligent les autres, en particulier la valorisation, pourtant indispensable au maintien de la France comme puissance industrielle.
Quant à la recherche elle-même, elle est évidemment encore plus difficile à évaluer, et ce d’autant plus qu’elle a un caractère fondamental. Ainsi, les retombées d'une découverte peuvent être très lointaines, que ce soit dans le temps ou quant au domaine d'application (voir par exemple l'historique du laser) ;  ou encore les résultats de recherche pris isolément ont souvent un faible impact, mais beaucoup de grandes inventions sont faites en combinant plusieurs découvertes fondamentales de domaines différent. La recherche comporte une part importante d’imprévisible : ainsi que le rappelle souvent Edouard Brezin, ce n’est pas en cherchant à améliorer la bougie que l’on découvre la lampe à incandescence. Par contre, la société, et le politique, qui la représente, ont la possibilité et même le devoir d’indiquer des buts de recherche qui leur semble important, et de mettre en place des mécanismes incitatifs.

Evaluer moins et mieux, gérer les carrières

L’évaluation de la recherche et des chercheurs est difficile, complexe, coûteuse,peu sûre ; elle doit donc être utile et il faut en être économe. Entre évaluation des projets de recherche et des chercheurs, un directeur de laboratoire peut  y passer 85% de son temps (réponse aux appels d’offre et évaluations des projets de l »Agence Nationale de la Recherche,  des pôles de compétitivité, des programmes européens, procédure d’évaluation des organismes de recherche et de l’Université) (Actualité chimique_janvier février 2011-Jean-Claude Bernier). Sans compter qu’il faudra bien un jour évaluer les évaluateurs !

La mode de l’évaluation des chercheurs et de la recherche a atteint un point où elle devient inutile, nocive, voir ridicule; elle devient nuisible par le temps et l’énergie gaspillée, elle reste peu utile, en raison de ses difficultés intrinsèques, et parce que les conséquences en sont rarement tirées. En ce qui concerne les chercheurs, nous n’avons pas besoin de plus d’évaluation, mais d’une véritable gestion des carrières !

En support de ces observations, la Cour des Comptes, dans un rapport remarqué, a  observé que les critères actuels d'évaluation des chercheurs mettent presque exclusivement l'accent sur leurs activités de recherche en tant que telle et l’Académie des Sciences confirme : Il y a paradoxalement plutôt trop d’évaluations que pas assez dans le système français actuel : recrutement, listes de qualification, changements de corps, promotions au cours de la carrière, demandes de financement, etc.. Cette trop grande fréquence fait perdre beaucoup de temps et d’énergie, et nuit à l’impact de l’évaluation elle-même.
« L'évaluation remplit une fonction importante de conseil et d'orientation au travers, notamment, des messages personnalisés que les instances d'évaluation adressent habituellement dans la plupart des établissements aux chercheurs. Les textes prévoient, en effet, que l'appréciation écrite est portée à la connaissance des chercheurs. En revanche l'évaluation n'a que peu d'impact sur le déroulement de la carrière et la rémunération. »
L’évaluation de la recherche et des chercheurs peut être améliorée à la marge, comme le suggère l’Académie, par exemple en adjoignant systématiquement un regard extérieur à la discipline - un physicien dans des commissions de chimie. Elle doit conserver son rôle lors des recrutements, changements de corps, des promotions etc, mais il faut mettre un frein à la mode délirante de l’évaluation, sans quoi les chercheurs passeront la totalité de leur temps à s’évaluer les uns les autres. En dehors de ces cas, une évaluation tous les trois ou quatre ans suffirait- cette durée est plus en adéquation avec le temps d’évolution des projets de recherche ;
En revanche, il faut mettre en place une véritable gestion des carrières des chercheurs, favorisant les passerelles entre les instituts de recherche entre eux, entre la recherche et l’enseignement, , entre la recherche et la vulgarisation au service de la société, entre la recherche et la valorisation - les lois Allègre, permettant des détachements pour des industries ou pour créer une entreprise ont constitué un réel progrès

Le financement de la recherche privée : Crédit impôt recherche, junior entreprise

Le financement de la recherche privée : Crédit impôt recherche/ Junior entreprise

La faiblesse de la recherche privée

En 2000, l’Europe inquiète de sa désindustrialisation et de sa perte de compétitivité, a adopté l’Agenda de Lisbonne : devenir une Europe de la connaissance, investir davantage dans l’innovation, la recherche et le développement, et pour cela, faire passer la dépense intérieure  de recherche et développement (DIRD) à 3% du PIB.
En France, et plus généralement en Europe, nous en encore sommes loin (2%) et il est clair que cet Agenda de Lisbonne ne sera pas rempli et qu’il rejoint la grande cohorte des voeux pieux et incantations européennes. C’est dommage, car il est au plus haut point légitime et indispensable à notre futur.
En France, le pourcentage des dépenses de recherche et de développement dans le PIB est de 2.07% ( 2008)  (et il est plutôt en diminution si l’on juge sur dix ans ; il était de 2.33% en 1997…).
Il est à noter que cette faiblesse de l’investissement en recherche et développement est essentiellement dû  à l’anémie de la recherche privée. La part du public (0.76% du PIB) est dans la moyenne de l’OCDE, celle du privé est plus basse (1.3% contre 1.93 aux USA et 1.77 en Allemagne par exemple).
En résumé, la recherche publique est en ligne avec l’objectif de Lisbonne de 3% du PIB, la recherche dans le privé est  largement en dessous. La France manque en particulier de « jeunes pousses » ayant poussé, de  PME ayant une activité de R et D importante dans des secteurs d’avenir.


L’aide à la recherche  privée

Pour développer les activités privées de recherche et développement, les différents gouvernement ont mis au point les outils suivants :

- les subventions OSEO, éventuellement remboursables, qui souffrent toujours du même inconvénient dénoncé depuis des années : un saupoudrage peu sélectif et assez inefficace, auquel devait remédier l’Agence pour l’Innovation Industrielle ..avant d’être dissoute dans Oseo
- le statut de la Jeune Entreprise Innovante (2004) - aujourd’hui plus de 2000 JEI Ses principales dispositions sont une exonération totale de charges sociales patronales pour les chercheurs / techniciens / ingénieurs et la réduction de l’Impôt sur les sociétés limitée à 200,000 Euros. Il concerne  les PME indépendantes de moins de 8 ans qui investissent en recherche et développement au moins 15% de leurs dépenses annuelles.
- Le crédit d’impôt recherche. Il consistait à l’origine en un remboursement de 30% de l’augmentation des budgets de recherche et développement  et était axé donc sur les gazelles , les PME en forte croissance… et était fortement insuffisant, puisqu’au moindre problème entraînant une baisse de la recherche, l’aide disparaissait. Depuis 2008, il consiste en un crédit d’impôt de 30% des recherches en recherche et développement jusqu’à 100 millions d’euros, et 5% au-delà de ce montant ( le CIR peut monter à 50% la première année et 40% la seconde année pour favoriser la création d’entreprises). Sont notamment concernés les amortissements des biens affectés à la recherche, les dépenses de personnel, chercheurs et techniciens, la R et D sous-traitée, les frais de dépôts et de maintenance des brevets…Le crédit d’impôt recherche représente environ 4.6 milliards d’euros par an
Cet effort en faveur de la recherche et du développement industriel pour combler le retard français en industries innovantes est indispensable et considérable. Son but est d’augmenter l’emploi scientifique en France et de favoriser la naissances de grosses PME dont, par comparaison notamment avec l’Allemagne, nous manquons. Encore une fois, il est de l’ampleur nécessaire, mais  est-il employé au mieux ?

Quelques critiques et améliorations possibles des Crédits impôts recherche et jeune entreprise innovante.

1) Ces dispositifs fiscaux sont revus annuellement par le Parlement. Ainsi, en 2010, le groupe parlementaire UMP, à la recherche d’économies, a proposé de cesser les exonérations de cotisations sociales pour les Jeunes Entreprises Innovantes au bout de quatre ans au lieu de sept ans. Un grand nombre d’entre elles se seraient ainsi trouvées confrontées à une brusque augmentation de l’ordre de 20% de leur masse salariale, à une période souvent critique de leur existence. C’est ce qu’il ne faut surtout pas faire
Les dispositifs Jeunes Entreprises Innovantes et Crédit d’Impôt Recherche doivent être sécurisés et non pas modifiés substantiellement chaque année, de façon à apporter une visibilité suffisante aux entreprises, surtout les PME. Ils peuvent être améliorés à la marge, en tenant toujours compte des effets des modifications sur des entreprises fragiles

2) En liaison avec cette question il est souvent indiqué que ces dispositifs fiscaux constituent une manne pour des agences spécialisées en optimisation fiscale, qui se rémunère en prenant typiquement 10% des sommes économisées aux entreprises qu’ils conseillent.
Oui, mais retour au premier point ; ce serait plus facile si les dispositions étaient plus simples et ne changeaient pas chaque année. Ceci dit, à côté des financements européens…

3) Au début essentiellement destiné aux PME, le crédit d’impôt recherche bénéficie plus aux grands groupes. Les PME représentent 80% des demandes, mais la part de crédit attribué aux  entreprises de plus de 250 salariés tend vers 80%. Il a été noté que certaines grandes entreprises, pour échapper au seuil de 100 millions d’euros (au-delà duquel le CIR n’est plus de 30% mais de 5%) ventilent leurs dépenses de recherches sur plusieurs filiales
En ce qui concerne cette optimisation fiscale aventureuse de quelques très grandes entreprises, il est évident qu’elle détourne complètement l’esprit du CIR et que celui-ci doit être attribué à l’entreprise holding et non au filiales. C’‘est une règle à préciser et quelques dizaines de dossiers à régler
Pour le reste, c’est plus compliqué :
-Le seuil de 250 salariés n’est pas pertinent. C’est précisément d’entreprises innovantes de 250 , 500,  1000 salariés que nous manquons tragiquement
- Le CIR versé aux grandes entreprises… profite aussi aux PME françaises et européennes. En effet, lorsqu’une grande entreprise décide d’un programme de recherche commun avec une PME, elle peut choisir de l’intégrer dans son assiette CIR. C’est très exactement ce type de fonctionnement en réseau qu’il faut encourager
- Il semble que l’emploi scientifique dans les grandes entreprises ait été moins touché en France qu’ailleurs, et même ait continué à croître pendant la crise 2008-2011 et que le CIR ait contribué à ce résultat
Il semble quand même l’argent du CIR n’est pas employé le plus efficacement possible lorsqu’il sert à subventionner à raison de 5% les dépenses internes de personnels des très grandes entreprises. Une part significative du CIR versé aux grandes entreprises, en particulière dans cette tranche de 5%, devrait être consacrée à financer des dépenses externes de recherche, notamment avec des PME, des start-up, ou des centres de recherche publique.

4) Le député UMP Gilles Carrez s’est indigné de ce que ce sont les « société financières » (banques, assurances disait-il) qui bénéficient du CIR, indignation qu’il s’est empressé de répandre dans les médias pour défendre une diminution du CIR.
Alors là , c’est un peu fort de café, et cela ne fait que mettre en évidence l’ignorance et l’indifférence de l’UMP en ce qui concerne la recherche. Si c’est le cas, c’est parce que les holding des très grandes entreprises figurent dans cette catégorie : on ne peut pas à la fois justement critiquer les grandes entreprises qui ventilent leur dépenses de recherche dans leurs filiales pour « optimiser » leur CIR, et celles qui jouent le jeu en l’intégrant dans leur tête de groupe.

5) LE CIR et l’emploi  scientifique en France

Au début, le CIR, crédit d’impôt accordé par le gouvernement français, était réservé au financement de la Recherche et Développement effectuées sur le territoire français. Un arrêté rendu par la Cour de Justice des Communautés Européennes ( arrêt Fournier, 10 mars 2005) a imposé que le CIR soit applicable à toute recherche financée dans l’Union Européenne (Roumanie, Bulgarie, Hongrie comprises)
Encore une fois, la bureaucratie européenne se comporte de manière idiote, irresponsable, scandaleuse, et le gouvernement Français ne se défend pas suffisamment, comme d’autres savent si bien le faire. S’il est évidemment légitime de développer la Recherche et Développement privée en Europe, il est tout aussi évident que ce n’est pas au seul contribuable français de le faire. Cet arrêt doit être suspendu et rediscuté. Immédiatement !
Le CIR, payé par le contribuable français, ne peut bénéficier qu’à des recherches effectuées sur le sol français, ou dans des pays ayant mis en place des dispositifs analogues permettant une réciprocité totale (défiscalisation de recherches effectuées en France)
Un CIR européen, au moins pour les grandes nations, serait d’ailleurs un excellent dispositif. L’Espagne et le Portugal ont mis en place des dispositifs assez analogues ; en dehors d’Europe, L’Australie, la Nouvelle-Zélande et surtout les USA et la Canada ont aussi ce type de dispositifs, même s’il est plus restreint.

6) le CIR  profite aussi à la recherche publique

En effet, lorsque les dépenses de recherche et de Développement concernent des contrats passés avec des Universités ou des Organismes de Recherche Publics, le CIR  est doublé. Le CIR  constitue donc  un outil privilégié pour la valorisation de la recherche publique

7) Améliorer le statut de la Jeune Entreprise Innovante

 Philippe Pouletty, Président de France-Biotech et à l’origine de la mesure a proposé d’étendre ce statut de huit à quinze ans. Il est en effet indispensable d’agir en ce sens pour atteindre l’objectif de garnir la France en grosses PME. La durée actuelle de 8 ans est clairement insuffisante. Dans la plupart des domaines innovants: biotechnologies, défense, aéronautique, spatial, matériaux, énergies nouvelles, nanotechnologies, semi-conducteurs, les investissements nécessaires sont très importants (souvent des centaines de millions d’Euros par entreprise) et l’entreprise ne devient viable qu’après dix à vingt ans. En biotechnologie par exemple, moins de 200 entreprises dans le monde, sur environ 2500, sont bénéficiaires et ce 12 à 20 ans après leur création.
Pour autant, l’exonération de charges sociales patronales devrait-elle être étendue à quinze ans ? C’est en contradiction avec l’objectif d’équilibre des comptes sociaux. Il faut réfléchir  en tous cas à ce seuil critique et inadapté de huit ans et sans doute envisager une transition plus progressive à un statut normal
Une possibilité est de remplacer les exonérations de charges sociales par un CIR renforcé (par exemple de 50% sur cette période de 15 ans.