Marjolaine Meynier Millefert, (LREM), rapporteur de la Commission d’enquête
parlementaire sur les énergies renouvelables et la transition énergétique
présidée par le député Julien Aubert (2019):
« Quand on a 80 % des gens qui vous disent que le
développement des ENR électriques en France soutient la décarbonation et
finalement la transition écologique en France, je pense que ce n’est pas bon
non plus parce que le jour où les gens vont vraiment comprendre que cette
transition énergétique ne sert pas la transition écologique vous aurez une
réaction de rejet de ces politiques en disant vous nous avez menti en
fait. »
Commission Aubert : Audition, ouverte à la presse,
de MM. Olivier Becquet, Julien Trehorel et Sylvain Gallais, artisans pêcheurs,
de M. Philippe Gendreau, entrepreneur en conserverie, et de Maître Morvan Le
Berre, avocat
Saint Brieuc : des dizaines d’année d’une gestion
modèle de la pêche fichus en l’air, la pêche sacrifiée !
« M. Olivier Becquet, artisan pêcheur. Je suis gérant de la
coopérative des pêcheurs du Tréport. Ce parc éolien a été mis en place en plein
milieu de la baie de Saint-Brieuc où 290
bateaux travaillent. Cela représente 236 licences de coquilles
Saint-Jacques. La baie de Saint-Brieuc est la plus grande baie de France où se
reproduisent naturellement les coquilles Saint-Jacques. Nous avons également
énormément d’activités autour du bulot, des araignées et du homard.
Lorsque ce parc a été installé à cet endroit-là, ils
n’ont pas pensé aux conflits d’usage. C’est de l’éolien posé. Aujourd’hui, on
n’a pas de place. On ne peut pas aller ailleurs car la baie
de Saint-Brieuc est entièrement exploitée, que ce soit au filet, au chalut ou
au casier. Si demain ce parc éolien devait se faire en baie de Saint-Brieuc, où
vais-je aller avec mon matériel ? Soit nous allons gêner nos collègues de pêche
et on va assister à un appauvrissement rapide des ressources, soit nous allons
remettre en question la préservation de notre ressource mise en place depuis
1960 en réévaluant les tailles de capture. Nous savons pertinemment que lors de
la phase de travaux tous ces efforts vont disparaître en raison de la mortalité
des juvéniles.
On se dit que tout ce travail que nous faisons depuis des
années, tout ce chiffre d’affaires qu’on remet à l’eau pour pouvoir mieux
l’exploiter l’année suivante va nous être enlevé comme cela, d’un claquement de
doigts. On aura l’interdiction de travailler dans la zone du parc éolien – la
pêche est interdite dans tous les parcs dans le monde – et la courantologie ne
nous permettrait pas d’y naviguer. De plus, les crustacés fuiront la zone, avec
le forage les coquillages mourront et le juvénile met plusieurs années à se
mettre en place. On voit notre gestion « partir en fumée ». On voit une
entreprise s’installer et nous dire : « allez, poussez-vous de là, c’est à mon
tour ». Or, nous sommes là depuis bien longtemps et personne, hormis un marin,
ne connaît aussi bien les fonds marins que nous.
Aujourd’hui, les études d’impact qui sont faites dans la baie de
Saint-Brieuc sont complètement à côté de la plaque. Par exemple, les filets à
araignées sont immergés sur une longueur de 1,5 kilomètre pendant environ trois
semaines avant d’être relevés. Ces études d’impacts prennent en considération
des bouts de filets de 500 mètres relevés tous les trois jours. Donc comment
pouvons-nous vraiment faire un état des stocks sur les fonds marins ? C’est
impossible. On retrouve des études erronées également pour les bulots. Nous ne pourrons donc pas obtenir de
compensations car les études sont basées « sur du vent » et sur quelque chose
qui a été mal fait.
Nous vous demandons de nous entendre et de prendre en
considération notre connaissance du milieu marin, afin que nous puissions
pérenniser notre métier. Un emploi en mer, ce sont quatre emplois à terre.
Économiquement, pour notre petite ville, ce projet va nous coûter très cher,
aussi bien dans la restauration que dans la pêche. »
Noirmoutier : la pêche doit laisser la place à
l’industrie éolienne ; 80% d’opposants, projet accepté !
Sylvain Gallais, artisan pêcheur. « Je suis patron pêcheur au port de
L’Herbaudière sur l’île de Noirmoutier. Dans
la zone où j’exerce mon activité, il est prévu deux projets éoliens plantés de
80 machines pour le projet de Saint-Nazaire et 62 machines pour le projet de
Noirmoutier-Yeu. Chaque éolienne
devrait mesurer la hauteur de la Tour Montparnasse. Je pratique la pêche
artisanale côtière durable : elle se pratique uniquement dans les 20 milles de
la côte avec de petits bateaux. Je
représente les pêcheurs de Noirmoutier-Yeu c’est-à-dire environ 100 bateaux et
200 marins pêcheurs.
Selon la direction interrégionale de la mer (DIRM) Nord
Atlantique Manche Ouest, un emploi en mer génère trois emplois à terre. Menacer la
pêche côtière dans notre région, c’est menacer environ 80 emplois locaux
existants et permanents. La pêche, sur nos îles, c’est un métier qui se
transmet de père en fils depuis des générations. Il n’y a pas une famille de la
région qui n’ait pas de pêcheurs : c’est l’histoire de nos îles, son
patrimoine, notre Notre-Dame à nous. Ce sont les ports de pêche, les petites
maisons de pêcheurs, les produits frais de la pêche consommés sur place qui
font venir les touristes, qui risquent de partir avec nous si ces projets
voient le jour. Aujourd’hui nos zones de
pêche diminuent toujours un peu plus, laissant place à l’industrialisation de
la mer. Nous sommes aussi de plus en plus à partager un même espace de pêche.
Nos zones de pêche se réduisent comme peau de chagrin avec la taille de nos
bateaux et les quotas. Il n’est pas possible de les remplacer par des zones
plus au large ou ailleurs.
Nous avons exprimé notre opposition au projet dans une motion adressée en
janvier 2018 à Nicolas Hulot, au député et sénateur de Vendée ainsi qu’à tous
les élus locaux. 152 travailleurs de la mer l’ont signée dont – à une exception
près – tous les patrons pêcheurs de Noirmoutier. La population nous a suivis
lors de l’enquête publique sur le projet Noirmoutier-Yeu. Elle a recueilli 80 % d’avis défavorables. Pourtant, jusqu’à
maintenant, nous ne sommes pas entendus.
Saint-Gille Croix de Vie : 30% de baisse des
prises ! Nous ne sommes pas entendus !
Philippe Gendreau. « Je suis le dirigeant de
la société Gendreau, qui est un groupe familial. C’est un groupe de 600
salariés. Nous sommes intervenants sur la conserverie Gendreau depuis 1903 à
Saint-Gilles-Croix-de-Vie, en Vendée, à une vingtaine de milles du projet
éolien. Nous avons également deux sites de production à
Saint-Gilles-Croix-de-Vie et un site à Boulogne-sur-Mer repris récemment. Nous
sommes des vieux acteurs de la conserve de poisson, depuis 1903, depuis quatre
générations, et nous employons à la conserverie Gendreau 300 salariés dont 150
travaillent uniquement la sardine. Saint-Gilles-Croix-de-Vie est l’un des tout
premiers ports sardiniers français : 3 000 tonnes sont pêchées par an. C’est
aussi un port sardinier qui a été inscrit en tant que site remarquable du goût
pour la sardine en 1998 et qui est depuis 2018 inscrit au Patrimoine culturel
immatériel de la France. La sardine, est un véritable emblème de la ville de
Saint-Gilles-Croix-de-Vie.
La pêche à la sardine se pratique par des chalutiers pélagiques de
Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Nous sommes
directement impactés par ce projet de centrale éolienne car il intervient au
milieu de la zone de pêche. Ce projet va également entraîner de graves
perturbations au niveau de l’écosystème marin en raison des travaux. Les marins
pêcheurs de Saint-Gilles estiment qu’à peu près 30 % des apports viennent de
cette zone de 100 kilomètres carrés. Pour nous cela représente la menace de
perdre 30 % d’approvisionnement et une baisse de notre activité de
transformation qui impacterait nos 150 salariés qui travaillent directement de
la sardine. C’est un projet mortifère pour la conserverie et pour les pêcheurs
de Saint-Gilles que je représente à double titre : d’une part, en tant que
client et, d’autre part, en tant qu’armateur.
M. le président Julien Aubert. Vos arguments semblent rationnels. Toutefois
les projets se font. Comment l’expliquez-vous ? S’agit-il un problème
d’organisation administrative ? Parlez-vous aux gens qui ne sont pas les
décideurs ? S’agit-il d’une volonté politique transpartisane que vous n’arrivez
pas à l’infléchir ? Est-ce que pour vous il y a un lobby qui serait plus
puissant que le vôtre ? Pensez-vous que certains de vos arguments auraient été
invalidés par la justice ou par l’administration ? Quelle est votre explication
?
M. Julien Trehorel. Vous venez
d’évoquer tous les problèmes que nous rencontrons au quotidien. Nous ne sommes
pas entendus. Également, les consortiums continuent à imposer leur présence
et achètent la faveur des gens. Les deux
tiers de la population des Côtes-d’Armor sont défavorables à l’enquête
publique.
M. Philippe Gendreau. Les chiffres sont à peu près les mêmes chez nous et
un peu plus fort sur Noirmoutier : 76 %
des avis émis lors de l’enquête publique ont été négatifs et contre le projet.
C’est une question qui ne concerne pas exclusivement les marins pêcheurs et les
filières qui en découlent. Elle concerne tous les habitants et pas seulement
les professionnels.
Depuis le début, il y a une volonté très forte de l’État de combler son
retard sur l’éolien marin. Le lobby de l’éolien pousse aussi très fort et c’est
vrai que les professionnels n’ont pas été écoutés et entendus : 76 % d’avis défavorables émis par la
population lors de l’enquête publique n’ont pas empêché le préfet d’émettre un
avis favorable. Tout est fait pour que les choses se fassent et pour minimiser
les avis contraires. On nous écrit que le poisson va disparaître pendant les
travaux mais qu’il reviendra après. Les avis divergents sont négligés parce
qu’effectivement cela ne va pas dans le sens du vent et on déroule le tapis
parce qu’il y a du retard. Donc on nous dit « taisez-vous les gars, on ne veut
pas vous entendre, il faut y aller ! ». Il y a un déni d’écoute et de
démocratie qui aura des conséquences très négatives.
M. Emmanuel Maquet. Il y a un mois,
nous recevions ici Jean-Louis Bal le président du Syndicat des énergies
renouvelables, qui nous déclarait que le projet du Tréport est l’exemple de ce
qu’il ne faut pas faire. Je crois que c’est bien l’illustration de
l’aberration de ce projet. Je l’ai vécu de l’intérieur puisque j’étais à
l’époque élu local au département et dans ma commune de Mers-les-Bains située
face au parc. Ce projet se situe dans le périmètre du parc naturel marin situé
entre les estuaires de la plaine de Picardie et de la côte d’Opale. Il s’agit d’une zone extrêmement riche en
termes de biodiversité et un plan de gestion ambitieux – auquel Olivier Becquet
a participé – a été mis en place pour la sauvegarder. Puis, on a nous a retiré
le droit de veto pour le confier à l’Agence française pour la biodiversité
(AFB) qui a validé ce parc alors que nous avions émis un avis défavorable.
Cela a généré une crise de gouvernance puisque nous avons tous démissionné du
parc marin à cette occasion-là.
C’est à la fois une zone riche en biodiversité dont
l’État s’est contrefichu et une zone de pêche. Le parc a également un impact
sur l’économie touristique puisque c’est la porte d’entrée de la baie de Somme,
l’une des plus belles baies du monde, labellisée grand site de France. Ce rouleau compresseur de l’État écrase
toutes les labellisations que l’État lui-même avait réussi à mettre en place et
sur lesquelles on s’était mis d’accord.
Les marins pêcheurs du Tréport et de la zone de Dieppe sont extrêmement
responsables et avaient proposé un autre site, la pointe d’Ailly, qui est une
zone où il y a peu de pêche. Les deux
ministres d’État en charge de ces sujets-là n’ont pas voulu nous entendre. Tout
le monde s’accorde pour dire que c’est un mauvais projet, mais on continue.
Ne nous étonnons donc pas d’avoir des citoyens en colère sur nos giratoires
quand on procède de cette façon-là dans la gouvernance publique.
M. Olivier Becquet. Nous nous exprimons pour le collectif des artisans
pêcheurs et non pour le collectif PULSE. On
trouve aberrant que des consortiums se rendent dans les écoles, pour voir les
enfants, sur le temps des cours, pour faire la promotion de l’éolien. Une
élève nous a rapporté que les questions étaient interdites et qu’il s’agissait
d’un monologue.
Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. De quel niveau de classe
s’agissait-il ?
M. Olivier Becquet. C’est une élève de 15 ans, donc au collège. Mais dans
l’Éducation nationale, on ne fait pas de cours sur la pêche. La pêche, c’est
aussi une activité et là, on distribue des petites éoliennes aux enfants.Sur la
façon de procéder des consortiums, on constate que plusieurs milliers d’euros
sont distribués à l’école de voile du Tréport qui dispose d’un stand dédié aux
éoliennes. C’est un peu fort de café ! Ces gens-là ont des moyens colossaux
pour faire leur promotion qu’ils nous font peut-être payer avec la facture de
la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Philippe Gendreau. Le consortium EMYN, qui est actif sur le
projet de Noirmoutier, a financé le Vendée Globe en 2016 pour une somme de 500
000 euros. La force des lobbies nous a conduits à être censurés par le journal
Ouest-France. Avant une manifestation qui avait lieu en 2018 à Noirrmoutier
et qui a réuni 500 personnes, nous avions souhaité faire paraître une annonce
dans ce journal. C’était une lettre ouverte adressée au Président de la
République et aux ministres du Gouvernement. Trois heures avant le bouclage, nous avons été censurés au motif que le
texte de notre annonce était contraire aux intérêts du journal. EMYN-Engie est en effet un annonceur
important pour Ouest-France, qui n’a pas souhaité faire paraître un texte
allant à l’encontre de leurs intérêts.
Nous sommes revenus en pleurant…
Julien Aubert : Êtes-vous allés voir d’autres parcs éoliens en
mer dans d’autres pays et quelles conclusions en avez-vous tirées ?
M. Olivier Becquet. Nous avons organisé un voyage dans un parc éolien en
activité bénéficiant de conditions similaires aux nôtres, avec une
courantologie et des fonds marins comparables. En mars 2017, nous avons ainsi visité le parc de Thannet sur
proposition de l’Institut maritime de prévention (IMP) et nous étions une
dizaine de pêcheurs. Nous sommes revenus
en pleurant : le port de pêche s’est vidé, il n’y a plus que du fileyeur, nous
n’avons vu aucun bateau de pêche en activité. À Thannet, il y a seize
marins pêcheurs qui travaillent sur cinq vedettes. Ces cinq bateaux consomment
deux tonnes de gazole par jour et cela fait marcher leur petite coopérative,
mais il n’y a plus de filière, plus de criée, plus de jeunes qui entrent dans
ce métier. Il ne reste qu’un chalutier qui pêche à la côte des petits naissains
de moules, qui sont revendus pour les bouchots. Les éoliennes qui ont été plantées dans un fond accidenté avec une
granulométrie variée ont créé une dépression sur la zone de Thannet. Avec une
telle turbidité, les espèces ne se reproduisent plus. Les fonds sont devenus
plats….
Quand on installe une éolienne, on ne voit de l’extérieur qu’un mât qui sort
de l’eau. Pour chaque éolienne, c’est quatre forages pour installer des pieux,
c’est 38 tonnes de béton par pieu et ce sont des embranchements pour laisser
passer les câbles électriques qui vont raccorder la centrale à la terre.
L’impact sur l’écosystème est considérable et c’est pourquoi le CNPN a émis un
avis défavorable…La prolifération de ces installations, c’est aussi la
production de béton sur les fonds marins. Il s’agit d’impacts cumulés.
Emmanuel Maquet. Concernant l’impact sur la biodiversité, je vous
conseille de reprendre le rapport qui avait été présenté devant le parc naturel
marin des estuaires de la plaine picarde et la côte d’Opale concernant le
projet du Tréport et qui avait motivé notre vote négatif sur l’acceptabilité.
Nous avions étudié pendant plus d’un an, avec tous les techniciens et les
scientifiques du parc, les conséquences de ce projet. C’est une mine
d’informations qui vous démontrera que le projet n’est pas acceptable.
Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Et malgré tous ces avis
négatifs, le projet est allé à terme ?
M. Emmanuel Maquet. Il y a eu un tour de passe-passe des services de l’État
: il y a une dizaine d’années, on nous a vendu le parc en évoquant le fait que
nous aurions un droit de veto quant aux installations qui figureraient dans le
périmètre du parc et qui seraient incompatibles avec le plan de gestion que
nous avions eu tant de mal à mettre en place. Puis, au moment où l’ordre du
jour appelait à nous prononcer sur le projet du parc des éoliennes en mer, l’Agence
française de la biodiversité a repris le droit de veto. Donc au lieu d’émettre
un avis conforme, nous avons émis un avis simple et l’AFB a émis un avis
conforme favorable au parc. Vous imaginez bien la colère qui s’en est suivie !
Cela a conduit à la démission collective….
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