Big science ne signifie pas
automatiquement bons projets
Début
213, l’Union Européenne a annoncé le lancement du Human Brain Project, un
projet sur dix ans, de 21.2 milliards d’euros impliquant 120 laboratoires européens.
Le but est de parvenir à modéliser le fonctionnement d’un cerveau entier de
souris en 2020 (71 millions de neurones), et un cerveau humain (86 milliards)
en 2024, en prenant en compte toutes les échelles de fonctionnement, du gêne à
la cognition.
L’argument
de départ était médical : disposer d’un modèle de cerveau permettant de faire
des expériences virtuelles, manipuler à loisir certains paramètres pour
observer les réactions, notamment l’apparition de maladies mentales, dont on
espère ensuite mieux comprendre les causes et pouvoir en proposer de nombreux traitements.
Le coordinateur principal du projet Henry Markram, de l’Ecole Polytechnique de
Lausanne, affirme « que c’est parce qu’on ne comprend pas le
fonctionnement du cerveau qu’il faut le modéliser ». Il espère élaborer
des neurones virtuels (« des puces neuromorphiques ») qui reproduiraient
les règles de fonctionnement des neurones réels, par exemple, le fait qu’un
gêne donné est exprimé dans une conditions particulières, qu’un type de
neurones n’est activable que dans certaines conditions etc.
La
Commission Européenne voulait son grand projet scientifique à l’américaine,
pourquoi pas ? Seulement, Caramba, c’est encore raté ! (tiens au
fait, que devient de programme Iter sur la fusion nucléaire, lui aussi géré par
l’Union ?) Dans une pétition, plus de deux cent soixante scientifiques (
et parmi eux,nombre de leaders reconnus des neurosciences en Allemagne, en Suisse,
au Royaume Uni, en France) alertent la Commission Européenne sur un risque d’échec
majeur, qui représenterait un gaspillage énorme au vu des sommes en jeu.
Deux
reproches principaux me semblent émerger.
L’un est que l’approche du bas vers le haut, du neurone vers les fonctions
mentales a été exclusivement privilégiée ; ainsi, des domaines tels que la
psychologie et plus généralement les neurosciences cognitive telles qu’étudiées
par les équipes de Stanislas Dehaene, (Collège de France, CEA, Inserm) ont été écartées
alors qu’elles étaient présentes dans le projet initial – en gros, la démarche
consiste à partir des processus mentaux et à utiliser les techniques les plus
avancées d’imagerie pour les comprendre – on peut ainsi mettre en évidence des
circuits neuronaux, chez l’homme et certains animaux, codant la notion de nombre.
Par ailleurs, il existe un doute sérieux sur la possibilité même d’expliquer
utilement le fonctionnement du cerveau par une démarche aussi réductionniste
que celle privilégiée par Human Brain. Enfin, il existe aussi un petit mais fondamental
problème épistémologique souligné par exemple par Yves Frégnac (CNRS) :
si le modèle devient aussi complexe que la réalité, il ne nous apprend plus
rien. Le Prix Nobel Torsten Wiesel, spécialiste de la neurologie de la vision,
et membre du Comité consultatif externe de Human Brain a sans doute vendu la mèche : dès le
début, Human Brain a été bien davantage conçu comme un programme d’intelligence
artificielle que comme un programme de biologie et de médecine !
Il
y a peu de doute que Human Brain nous apprendra à concevoir des robots aux
capacités inouïes, mais beaucoup sur ce qu’il apportera en biologie et en
médecine. Dans ces conditions, il y a un peu tromperie sur la marchandise !
Alzheimer : une certaine
indécence
Pendant
que les chercheurs se déchirent autour de Human Brain, de ses programmes et de
ses milliards, qu’on parle d’une ambiance délétère et paranoïaque, on apprend
que la totalité des essais cliniques concernant la maladie d’Alzheimer ont
échoués. Ce n’est pas faute de chercher ou de vouloir, mais les firmes
pharmaceutiques se désengagent de cette aire de recherche, pourtant prometteuse
en termes de profits. C’est que nous n’avons rien sur les causes réelles de la
maladie, sur son déclenchement, aucune piste valable à suivre, aucun modèle animal
satisfaisant, aucun gène, aucune cible thérapeutique. Même les approches que l’on
pouvait penser les plus pertinentes, telles les inhibiteurs de BACE, enzyme impliqué
dans la formation des plaques amyloïdes, n’ont mené à rien. Nous n’avons
simplement aucune des connaissances fondamentales qui nous permettraient d’avancer !
Alors,
je trouve un peu indécent ces déchirements autour de Human brain de ses
milliards, et, une fois de plus, inadéquat et inacceptable le mode de
fonctionnement de l’Union Européenne En bon positiviste, je me permettrais de
rappeler que la science est au service de l’Humanité et non l’inverse. Nous
savons bien l’importance de la recherche de la recherche fondamentale, que l’on
n’invente pas la lampe à incandescence en perfectionnant la bougie, ou comme le
rappelait souvent Auguste Comte, que les marins doivent leur sécurité à des spéculations
mathématiques désintéressées développées il y a plusieurs millénaires. D’ accord !
Mais je sais aussi que cela marche en sens inverse, et que la thermodynamique
est née du désir et du besoin de comprendre, d’améliorer et de renforcer la
sécurité de la machine à vapeur.
Il
est inconcevable qu’un programme comme Human Brain ait pu être lancé sans des
débats transparents et publics, et
non d’obscurs conciliabules en petits comités. Il est inconcevable qu’il ait pu
être lancé sans que scientifiques et décideurs, une fois d’accord ou d’accord
sur leurs désaccords, soient venus devant l’opinion publique en expliquer les
enjeux, les méthodes, les résultats attendus.
Pouvez-vous
m’expliquer en quoi Human Brain aidera à résoudre le défi que nous pose la
maladie d’Alzheimer ? Sinon, Messieurs, revoyez votre copie, ou appelez
votre programme Robot Brain, ce sera plus franc.
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