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lundi 22 septembre 2014

Les plaies de la recherche – ce que veulent les chercheurs


En 2012 ont eu lieu des Assises nationales de l’Enseignement et de la Recherche, heureuse initiative pour recueillir l’avis des chercheurs sur l’état actuel de la recherche, les problèmes qu’ils rencontrent et les solutions qu’ils proposent. Le bilan de l’action des précédents gouvernements était assez sévère, mais, me semble-t-il juste : « Conçues sans concertation et conduites  dans l’urgence, les politiques menées ont fait courir des risques majeurs aux établissements et ont accentué dangereusement les déséquilibres territoriaux. Dans le même temps, il n’a pas été répondu aux questions fondamentales que sont la place et l’organisation de la recherche, la réussite des étudiants, la reconnaissance du doctorat, la condition des chercheurs et des enseignants-chercheurs et le rôle des territoires.

L’autonomie des Universités a été proclamée haut et fort, mais, dans les faits, certaines ont été mises sous tutelle. De nouvelles agences et alliances censées garantir de meilleurs équilibres entre les Universités et les organismes nationaux ont de fait souvent compliqué, alourdi et opacifié le système de l’enseignement supérieur et de la recherche,  ainsi que sa gouvernance. Enfin les procédures de gestion de la recherche ont été inutilement complexifiées, sans se traduire par davantage d’efficacité scientifique ou d’équité territoriale. »

Parmi les propositions avancées par les chercheurs :

Encourager les mobilités entre les différents statuts de chercheur, d’enseignant chercheur, ou d’employé d’autres secteurs du monde socio--économique.

Il faut noter la louable volonté des participants aux Assisses de ne plus accepter que l’on joue l’Université contre les Instituts de Recherche, et la Recherche publique contre la Recherche Privée. Ainsi, le CNRS se trouve qualifié d’ « organisme de recherche pluridisciplinaire d’exception ». Le CEA « occupe un rôle majeur sur l’ensemble des sujets liés aux énergies » et  « possède une culture de la recherche technologique et une culture de l’innovation au plus haut niveau mondial » ; sont aussi cités l’Institut Pasteur, l’Institut Curie, les sciences et les technologies du numérique avec l’INRIA, l’agriculture et l’alimentation avec l’INRA et aussi le CIRAD, l’environnement et l’agriculture avec l’IRSTEA, l’aéronautique et le spatial avec l’ONERA et le CNES, les sciences de la terre avec le BRGM, la mer et son exploitation avec l’IFREMER, le génie urbain, les transports, les infrastructures avec l’IFSTTAR. La recherche industrielle aussi est mentionnée favorablement : « Certains laboratoires sont au top niveau de la recherche, citons ceux de Thales, EADS ou Safran, Alcatel, EDF, Schneider, PSA ou Renault, Michelin, Valeo, Saint-Gobain, Sanofi, L’Oréal, Air Liquide, Total. Il faut ajouter à cela les milliers de jeunes pousses innovantes, de petites et moyennes entreprises innovantes, dans l’industrie pharmaceutique encore ». Du coup, les chercheurs du public approuvent le Crédit d’impôt Recherche : « Il faut observer que si le pourcentage des dépenses intérieures pour la recherche et le développement (DIRD), par rapport au PIB, est bien inférieur au fameux objectif dit de Lisbonne (de 3%), cela est dû en premier lieu à la part de la dépense privée qui est insuffisante. La dépense privée pour la recherche et le développement en France est donc faible. Réduire le Crédit Impôt Recherche n’est donc sans doute pas une direction à prendre, en revanche il faut s’assurer de son efficacité à remplir les objectifs affichés ». Et ils voient très positivement les occasions de collaboration avec le privé : « Rien n’est plus bénéfique pour renforcer la coopération entre les entreprises et les laboratoires académiques que d’encourager des échanges de chercheurs ou les mobilités entre les deux mondes, pour des périodes de temps adaptées au projet. La réunion de ces deux intelligences, celle de la recherche académique et celle de la recherche orientée, est très fructueuse. En particulier, pour un laboratoire académique, comprendre l’intelligence industrielle, la posture et la tournure d’esprit de l’innovation, le souci de la brevetabilité ou du marché est absolument stimulant et enrichissant pour toutes les recherches quelles qu’elles soient. L’encouragement de ces mobilités est d’abord un travail de simplification des tracasseries administratives ou de nettoyage des handicaps de carrières consécutifs à ces mobilités ».


Faire reconnaître le doctorat dans les grilles de la haute fonction publique, et dans les conventions collectives des branches professionnelles. Prendre en compte le doctorat dans les concours d’accès à la fonction publique et inscrire à terme (10 ans) un quota minimal de docteurs dans les grands corps de l’Etat.
 

« Chez nos cadres dirigeants le taux de docteurs est faible, comme nulle part au monde. C’est regrettable pour nos entreprises et leur culture de la recherche, c’est regrettable pour la formation de nos élites en général… Nous proposons de modifier l’arrêté du 7 août 2006 relatif aux écoles doctorales pour encourager la présence de représentants du monde socio-­‐économique et augmenter la proportion de doctorants dans leurs conseils : le conseil d’école doctorale pourrait comprendre par exemple un tiers de doctorants, un tiers de représentants du monde socio-­‐économique, un tiers de chercheurs ou enseignants chercheurs de l’établissement ou non ».

L’Allemagne nous est souvent présentée comme un modèle (à mitiger peut-être lorsqu’on lit les aventures professionnelles de diplômés français en Allemagne). Or, il y a longtemps qu’en Allemagne, pour toutes les grandes fonctions du privé comme de l’Etat, un doctorat (souvent plus proche du doctorat d’exercice que de la thèse d’Université) est quasiment imposé.


Revaloriser les débuts de carrière des chercheurs, enseignants chercheurs et personnels titulaires d’un doctorat et mieux prendre en compte les années après thèse dans la reconstitution de carrière pour tous les personnels. Résorber la précarité de l’emploi dans l’enseignement supérieur et la recherche. Aller progressivement vers un recrutement plus près de l’obtention du doctorat.


La condition matérielle des jeunes chercheurs est indigne, le manque de poste, les post-docs à répétition avant de trouver un poste, et il ne faut pas s’étonner du manque de candidats,  dans les écoles d’ingénieur en particulier. A force de maltraitance, c’est la qualité de la recherche française qui est en péril

Les Assises, si elles ont rappelé la responsabilité de la montée des contrats ANR précaires, ont justement souligné une responsabilité plus large : « Chacun doit balayer devant sa porte avec honnêteté. A discuter avec les porteurs de projet sur le terrain, nous sommes effarés de constater qu’ils n’ont la plupart du temps aucune connaissance des opportunités d’insertion professionnelle des personnels qu’ils recrutent. Cela pose de façon crue la question de la responsabilité sociale des universités et des organismes de recherche…  Un chercheur qui a accumulé de nombreux contrats à durée déterminée, dans des établissements variables, peut se retrouver dans une situation très délicate sur le marché du travail. La précarité ne concerne pas que l’accumulation des contrats successifs, elle englobe également des pratiques en contradiction avec le droit du travail, telles que les vacations abusives ou l’activité en fin de thèse ou après un contrat, activité « financée » par les allocations de retour à l’emploi ou tout simplement non financée. Pour ce qui concerne la résorption de la précarité immédiate, la seule solution est un plan pluriannuel de recrutement de chercheurs et d’enseignants chercheurs »

Redisons-le : à force de maltraitance des jeunes chercheurs, c’est la qualité de la recherche française qui est en péril. Aller progressivement vers un recrutement plus près de l’obtention du doctorat ? Non, pas progressivement, rapidement !

L’habilitation à diriger des Recherches (HDR) a été aussi discutée, sans parvenir à un accord. Mais le rapport rappelle l’hypocrisie selon laquelle il faudrait un diplôme de plus pour encadrer des chercheurs…alors que le fait d’avoir encadré des recherches est souvent jugé nécessaire pour l’obtenir.

Remplacer en deux ans un grand nombre d’entités existantes (labex, RTRA, GIS, equipex, etc.), ayant toutes pour objectif de faire coopérer des équipes de manière transverse aux unités de recherche, par un seul outil cooperatif--type simple, léger et sans personnalité morale, doté d’un conseil scientifique et le cas échéant pédagogique : le Groupement de Coopération Scientifique


Ah ben oui ! Plus personne - les chercheurs pas plus que les autres - n'est capable de s'y retrouver dans la jungle de sigles et d'acronymes qu'est devenue au fil des ans et des lois le paysage français de la recherche… Et, en plus, ça devrait permettre des économies.


Augmenter les soutiens de base des laboratoires. Permettre l’allongement de la durée des projets ANR à 5 ans et augmenter en proportion le volume de financement des projets. Limiter la prolifération des projets. Alléger les procédures de soumission des projets ANR en construisant une procédure en deux temps.

 

« Nous recommandons un rééquilibrage entre les financements de base et les financements sur projets. De très nombreuses contributions aux Assises sont allées dans ce sens. Il faut réévaluer le financement de base simplement pour permettre à chacun de travailler : il est économiquement douteux de rémunérer des chercheurs sans les mettre en situation minimale pour produire. Nous souhaitons aussi que l’ANR évolue, de manière à limiter le taux d’échec dans les appels à projet, taux d’échec devenu tellement important (près de 80%) que les chercheurs passent trop de temps à écrire des projets ou à les évaluer, au détriment du temps consacré à leur recherche. Nous proposons donc d’allonger la durée des contrats, de limiter la prolifération des projets »

Il s’agit là probablement du  problème le plus grave et le plus facile à résoudre de la recherche française, qui n’exige aucun moyen supplémentaire ; simplement un rééquilibrage important de la recherche finalisée vers le financement de base des équipes. Ces dernières années, une part  excessivement importante de la recherche a été basculée en financement finalisé sur des programmes ANR. Les chercheurs ont passé un temps fou et inutile (inutile à plus de 80%) à remplir des documents, vendre des projets à l’ANR, évaluer ceux de leurs collègues. Et pour clore le tout, et comme tout le monde sait ce que ce n’est pas raisonnable… alors on a inventé les programmes blanc ANR, les programmes sans programmes.

Les plus grands chercheurs internationaux, ceux qui ont fait la renommée du CNRS, dans tous les domaines, n’ont cessé d’expliquer que, certes le CNRS payait mal en comparaison de ses homologues étrangers, mais que ce qui le rendait attractif, c’était la liberté qu’il laissait aux chercheurs. Nous avions un avantage compétitif  étranger au système anglo-saxon, il était urgent que nous nous en privions…

Les plus grands scientifiques, en particulier Edouard Brézin, Président de l’Académie des Sciences, n’ont cessé de le répéter : ce n’est pas en perfectionnant la bougie qu’Edison a inventé la lampe à incandescence. La recherche fondamentale, il n’y a que les organismes publics qui puissent la mener, et c’est  leur contribution principale et originale à l’innovation, à  la compétitivité d’un pays et de ses industries. Sans recherche fondamentale, pas de valorisation ; et il vaut mieux que la recherche publique fasse ce qu’elle sait bien faire, et qu’elle est seule à pouvoir faire, plutôt que de s’efforcer de faire de la recherche appliquée, parfois non applicable.

Le rapport se conclut par cet espoir : « les années qui viennent doivent être celles d’une nouvelle hiérarchie des valeurs au sommet de laquelle la science, la recherche, l’intelligence, la volonté d’apprendre et de transmettre seront les vertus les mieux reconnues et les plus respectées ». Les Assises ont eu lieu, mais elles n’ont servi à rien, ignorées, même en leurs préconisations les plus faciles à mettre en œuvre, par une ministre inexistante. Les chercheurs en sont, je crois, bien déçus… en attendant la colère.

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