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vendredi 14 novembre 2014

Politique du médicament : bon anniversaire au CEPS !


C’était beaucoup plus mal avant !
Peu de gens connaissent le CEPS, et pourtant il joue un rôle essentiel dans notre système de santé. Le CEPS, c’est le Comité Economique des Produits de Santé, et c’est lui qui a la responsabilité de fixer le prix des médicaments, des dispositifs médicaux et de toutes les prestations prises en charge par l’assurance maladie obligatoire. Le CESP existe depuis vingt ans, et à l’occasion de son rapport annuel, propose un bilan de son action.
Qu’existait-il avant le CEPS ? Eh  bien, c’était tout simplement la préhistoire, et un état qu’aujourd’hui même le tiers monde ne nous envierait pas ! Les prix étaient fixés par une Direction dépendant du Ministère de la Santé, et le ministre de la Santé, ou des affaires sociales, dépendait, lui, de ses électeurs. Par transitivité, le prix du médicament dépendait de l’électeur du  ministre, et souvent, de la construction d’une usine dans la bonne circonscription. Au gré des changements ministériels et des différentes interventions, on a ainsi vu des projets d’implantation d’usine faire le tour de France, de la Normandie à la Loire-Atlantique, aux Vosges pour arriver en Corrèze. Pour faire bonne mesure, on frappait par surprise les firmes pharmaceutiques d’une « contribution exceptionnelle » arbitraire, lorsque les comptes de la Sécu dérivaient un peu trop.
Vingt ans seulement ! Le CEPS est né de la révolte d’un certain nombre d’acteurs du système de santé et de hauts fonctionnaires pour sortir d’un système injuste, arbitraire, inefficace, qui conduisait la Sécu à la ruine et l’industrie pharmaceutique à sa disparition – parmi lesquels son premier directeur, Jean Marmot, issu de la Cour des Comptes. Le rapport lui rend un hommage mérité en ces termes : « Jean Marmot, premier président du CEPS, à l’époque Comité économique du médicament, a jeté les bases de son fonctionnement institutionnel et de la relation conventionnelle avec l’industrie pharmaceutique. Ce dispositif original, qui porte incontestablement sa marque est d’abord né de la conviction que les méthodes de tarification des médicaments précédemment pratiquées faisaient courir des risques importants, en termes de sécurité juridique et politique. Il fallait une évolution radicale, et le Comité en a été l’instrument : il est devenu une instance de concertation interinstitutionnelle, où l’on décide réellement des prix des produits de santé, sur la base d’un pouvoir réglementaire autonome…loin de considérer le Comité comme une simple « machine à tarifer » et procurer des économies pour l’assurance maladie, Jean Marmot avait d’emblée pressenti qu’il pouvait, grâce à la politique conventionnelle, être considéré comme un vecteur d’une régulation plus large du secteur des produits de santé ». Jean Marmot est également l’auteur d’un rapport important sur la politique du médicament.

Le fonctionnement du CEPS
Comment le CEPS définit-il son rôle ? « Lieu d’échange et de découverte entre administrations et entreprises, le Comité a permis de prendre et tenir des engagements réciproques durables. Du côté de l’Etat, il s’agissait, et il s’agit encore de donner aux entreprises un interlocuteur unique, disposant de la capacité de décider, décidant de manière suffisamment prévisible – c'est-à-dire s’appuyant sur une doctrine et des critères clairs, la stabilité du Comité, de son fonctionnement et des règles qu’il applique est certainement un élément constitutif important- sans être évidemment le seul - d’un environnement administratif favorable aux industries de santé en France et répondant à l’évolution des besoins des patients mais également des établissements de santé. »
Concrètement, le CEPS conclut avec l’industrie pharmaceutique des accords par produits, souvent du type prix-volume, mais aussi sur le respect des posologies de l’AMM (autorisation de mise sur le marché) ou le coût de traitement journalier moyen. Dans un accord prix volume, le prix est fixé en fonction du nombre de patients attendus; si le nombre de prescriptions est supérieur, le prix est revu à la baisse. Les engagements de type prix/volume représentent 75% des remises dues, soit 546M€ pour 2013. Elle sont concentrées sur un petit nombre de médicaments, fortement innovants et de firmes  :  Novartis avec le Lucentis (dégénerescence maculaire) et le Glivec (leucémie) ; Abbvie avec Humira (polyarthrite rhumatoïde) ; Pfizer (Ambrel, polyarthrite rhumatoïde) ; Astra Zeneca ( symbicort, asthme), BMS (Avastin, cancer, Yervoy, mélanome). Ces remises reflètent la difficulté à prévoir le succès et le juste prix d’un médicament très innovant (ASMR  amélioration du service médical rendu- supérieure à III) et la nécessité d’ajuster en fonction des résultats cliniques.
Il existe aussi une régulation financière collective liée au respect global par l’industrie pharmaceutique de l’objectif de croissance des ventes des médicaments remboursables. Elle comporte une part assise sur le chiffre d’affaires total de l’entreprise (10% du dépassement au-delà d’un seuil prévu dans la convention) et des remises quantitatives fonction de la place de l’entreprise dans les segments de marché par pathologie. Le Chiffre 2013 de consommation de médicament est de 24,7 milliards d’euros, et il est en baisse depuis deux ans (il n’ y a plus de remises pour clauses collectives).
Les pratiques du CEPS
Le CEPS revendique « une doctrine et des critères clairs, et offrant certaines garanties de visibilité sur un voire deux exercices annuels ». Voyons quelques exemples de la doctrine du CEPS :
Fixation du prix des médicaments innovants : depuis très longtemps, il était en effet tacitement admis, dans la plupart des pays, qu’un médicament apportant un progrès notable pouvait prétendre à un avantage de prix par rapport au médicament de comparaison, comme le code de la Sécurité sociale l’autorise en France. Dans certaines classes, en particulier les anticancéreux, dans lesquelles les innovations se sont succédées à un rythme assez soutenu, ce mécanisme a pu aboutir à des prix correspondant à des coûts de traitement considérables : jusqu’à environ 50 000 € par an et par patient pour certains produits. Le comité considère qu’à ces niveaux de prix l’accès au marché français constitue un avantage suffisant pour les innovateurs.
Pour les médicaments d’ASMR IV (forte amélioration du service médical rendu), la discussion du prix tient compte des caractéristiques de la population traitée. Par exemple, lorsque le médicament a la même population cible que son comparateur, le comité estime volontiers qu’un bénéfice suffisant de l'innovation pour l'entreprise consistera dans l'accroissement de ses parts de marché, sans qu'il y ait lieu d'y ajouter un avantage de prix. Il peut en aller différemment lorsque l'ASMR résulte d'un avantage spécifique pour une population plus restreinte.
Fixation du prix des génériques : la décote des génériques par rapport au prix du princeps, a été portée en 2012 de 55% à 60% pour les brevets échus à compter de janvier 2012. Lorsque du fait de la faible taille du marché concerné, du coût de production du générique ou du faible niveau de prix du princeps lié à son ancienneté, la mise sur le marché d’un générique ne peut se faire avec une décote de 60% par rapport au prix fabricant HT du princeps, le comité peut accepter d’appliquer une moindre décote.
Dans les classes pharmaco-thérapeutiques homogènes disposant d’une substitution générique importante, le coût de traitement des génériques d’un côté et celui des princeps de l’autre, est aligné vers les prix les plus bas. Le prix princept baisse donc lors de ‘introduction d’un générique
Politique de mee too : Le CEPS, contrairement parfois à la Commission de transparence (qui évalue le service médical rendu) ne  considère pas  des molécules différentes comme des mee-too, mais comme des médicaments différents, même s’ils ont des mécanismes d’action très voisins. Ils sont le fruit de recherches indépendantes et les risques courus à cette occasion par les entreprises sont analogues. « Il ne s'agit donc pas de "me-too" mais de concurrents arrivés sur le marché à des dates diverses. Le comité considère qu'il n'y aurait que des inconvénients à limiter a priori le nombre et la diversité de ces concurrents, tant pour des raisons de coûts (les nouveaux apportent, conformément au code de la sécurité sociale, une économie dans le coût de traitement) que pour des raisons médicales (même sans ASMR, une nouvelle molécule peut constituer un meilleur choix pour une partie des patients). Egalement parce que limiter l'accès au marché au premier ou au petit nombre de premiers arrivés, si tous les systèmes de santé en faisaient autant, ferait peser un risque insupportable de tout ou rien sur la recherche des entreprises. »
Alors, le CEPS a-t-il une doctrine sûre et fiable ?  Il a en fait mieux que cela, une démarche rationnelle et scientifiquement bien informée, médicale et économique au service des patients de façon à leur permettre l’accès aux médicaments au prix le plus juste possible, en tenant le cap entre les stratégies sophistiquées des entreprises et les pressions du gouvernement pour faire baisser les dépenses de santé : « Le Comité a assuré et assure toujours l’accès de tous les malades qui en relèvent, aux produits de santé nouveaux et innovants. Contrairement à d’autres Etats qui sont conduits à limiter cet accès, d’une manière souvent opaque, la France peut, de ce point de vue afficher des résultats remarquables, par exemple dans les domaines de l’oncologie ou des maladies rares. À ce jour, aucune innovation confirmée ne manque à l'arsenal thérapeutique des médecins traitants, et le nombre de médicaments orphelins disponibles y est l'un des plus élevés d'Europe ».
Le prix des médicaments
Le rapport du CEPS s’est enrichi d’une comparaison internationale du prix des médicaments, exercice qui n’a rien de facile en raison de systèmes très dissemblables (pour la méthodologie, cf annexe 8du rapport). Pour les prix des médicaments brevetés (coût d’un panier représentatif de médicaments), l’étude la plus complète est canadienne et donne : Canada 1 (référence), France 0.76, Italie 0.80, Allemagne : 1.11, Suède 0.90, Suisse : 1.01, Royaume-Uni : 0.80, USA : 2.02. La France a donc les prix le moins chers du panel, ce qui est remarquable comparé par exemple au Royaume Uni, où un système national  de santé (NHS) en pleine déliquescence restreint, voire interdit, l’accès à certains médicaments innovants d’une façon qui nous paraitrait insupportable- et que les Britanniques supportent de moins en moins.
Pour les médicaments génériques, l’étude la plus homogène avec la même méthodologie (panier type) est suisse et donne les résultats suivants : Suisse 100 (référence), France 81, Autriche 65, Danemark 38, Allemagne 47, Royaume-Uni 40, Pays-Bas 32. A noter qu’une étude par unité standard (médicament par médicament, sans tenir compte du volume de consommation) donne des résultats assez différents, selon lesquels la France est dans la moyenne basse européenne (enquête Gemme 2010 : France : 0.18, Port : 0.27, Belg. : 0.27, Allemagne : 0.24, Italie : 0.20, Royaume-Uni : 0.20, Espagne 0.18, Finlande : 0.18, Pologne : 0.11)
Donc, contrairement peut-être à l’opinion admise, les médicaments sous brevet sont peu chers en France, les génériques sont plus chers, mais pas à l’unité, essentiellement en raison de la structure volume prix : plus de consommation de génériques moins chers au Royaume-Uni et en Allemagne, par rapport à la France, ou, autrement dit, les génériques les plus consommés en France sont plus chers. Il y a peut-être là une piste d’amélioration, il semble qu’une politique généreuse de prix pour inciter les compagnies à mettre des génériques sur le marché ait été, justement,  un peu trop  généreuse, ; ce qui, par parenthèse, peut aussi décourager l’innovation.
En perspective sur vingt ans, le rapport du CEPS fait remarquer que le marché pharmaceutique a radicalement changé de physionomie. « Les brevets des blockbusters des années 90 sont pour leur grande majorité tombés dans le domaine public. Copiés, ils ont largement alimenté le développement du marché des médicaments génériques. L’innovation se concentre sur des domaines thérapeutiques plus ciblés : les médicaments orphelins, les médicaments de « niche » en oncologie, les thérapies ciblées constituent les secteurs d’innovation principaux. Sans être négligées, les grandes pathologies chroniques ne voient pas poindre d’innovations radicales. Le domaine de la virologie, après le traitement du SIDA, paraît être, avec les nouveaux antiviraux indiqués dans l’hépatite C, un secteur d’innovation majeure. »
Quelques questions cependant :

Il ne faut évidemment attendre de critiques fortes du rapport qu’un organisme fait sur lui-même. Encore une fois, le rôle du CEPS dans la santé publique française est de première importance, bien qu’assez ignoré, et un Parlement qui ferait sérieusement son travail l’examinerait et le discuterait de près avant de fixer l’ONDAM (Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie) à pile ou face et de pleurer chaque année sur sa dérive. Il me semble que le  CEPS, sur les vingt ans, a plutôt bien fait le job, et qu’hommage doit être rendu à ceux qui l’ont fondé et présidé (Jean Marmot, Jean-François Bénard, Noël Renaudin, Gilles Johanet, Dominique Giorgi…, et à ceux qui y ont plutôt bien travaillé, pris entre l’enclume des industries et le marteau des pouvoirs publics.

La baisse de dépense des médicaments en 2012 et 2013 traduit-elle l’efficacité de la régulation, ou un début de renonciation à des soins pour cause de crise ? Le CEPS par définition ne s’occupe des produits déremboursés, il serait quand même intéressant d’avoir des études sur l’incidence économique et en matière de soin des déremboursements.

En lien avec cette question, une étude d’IMS Health France démontre que 60% des patients ne suivent pas complètement leurs traitements (87% des asthmatiques, 64% des insuffisants cardiaques, 63% des diabétiques,  60% des hypertendus). Ce manque d’observance a des conséquences graves pour les patients et pour l’économie de la santé : une hypertension mal soignée peut conduire à un AVC (coût direct 4 milliards d’euros par an), un diabète mal régulé entraine un recours plus rapide à l’insuline, assez couteux) et un risque accru de cécité ou d’amputation. Une meilleure observance des traitements conduirait à une consommation accrue de médicaments, mais à l’évitement de nombre de drames et finalement à une économie. Le CEPS doit donc intégrer, même si ce n’est pas sa mission première, la question de l‘observance des traitements. S’agit-il d’un problème de remboursement, de pédagogie, de médicaments possédant encore trop d’effets secondaires ?

Comment le CEPS traitera-t-il le cas, qui risque de se reproduire, du Sofosbuvir, ce médicament miracle contre l’Hépatite C de Gilead (le coût de traitement d’environ 60.000 euros, le nombre de malades de l’hépatite C est d’environ 200.000 en France ? (NB : Même à ce coût, il est nettement  moins cher qu’une greffe de foie pour les plus malades et médicalement , en terme de service médical rendu, incomparable). Mais pour l’instant, la politique semble être de le réserver aux plus atteints, alors qu’il est bénéfique pour les patients même à des stades plus précoces. Nous ne sommes pas loin ici de que le CEPS a jusqu’à présent évité, la restriction économique des soins et le droit, non pas à la santé, mais à être soigné pour tous.

Peut-on encore avoir une politique des prix des médicaments par nation dans l’espace européen ? Le système français est plus satisfaisant que beaucoup d’autres, comment le préserver ?

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