Un
rapport intéressant, utile, révélateur
Le CCNE (Comité
Consultatif National d’Ethique) a
récemment rendu et publié en ligne son rapport sur la fin de vie. Ce rapport
est consultable librement, riche en informations, en interrogations et en
débats, et, à ce titre, il est un élément bien utile pour le débat et les
propositions de lois en cours. Il
reflète semble-t-il fidèlement
les opinions divergentes qui se sont exprimées au sein du Conseil. Reste que ce qui se passe au sein du Conseil
semble en décalage important avec ce qui se passe dans la société, et que cela
pose problème. Et d’autant plus que le législateur semble vouloir davantage écouter
un Comité d’Ethique où pèsent les voix de représentant des religions théocratiques
que celles des citoyens d’une société laïque.
Le rapport se base sur
les travaux de la Commission Sicard (Penser solidairement la fin de vie, 2012),
issu déjà de nombreuses auditions, de débats publics dans
neuf villes et de missions en
Belgique, aux Pays-Bas, en Suisse et dans l’Etat d’Oregon aux Etats-Unis. A
cela, le CCNE a ajouté une conférence de citoyens, qui s’est déroulée durant
quatre week-ends à l’automne 2013, et a impliqué un dialogue des citoyens avec
une vingtaine d’intervenants de tous horizons et de nombreux débats en région.
Il y a eu accord général sur
« le scandale que constitue, depuis 15 ans, le
non accès aux droits reconnus par la loi, la situation d’abandon d’une immense
majorité des personnes en fin de vie, et la fin de vie insupportable d’une très
grande majorité de nos concitoyens ». Et pour que, au moins, la loi Léonetti soit appliquée, le CCNE a
appelé à une action vigoureuse pour
« faire connaître et appliquer les dispositions légales actuelles
garantissant les droits des personnes en fin de vie, ( notamment la rédaction
de directives anticipées), d’accéder à des soins palliatifs, à un véritable
accompagnement humain et à un soulagement de la douleur et de la
souffrance » et également à « mettre en place un accompagnement au
domicile, qui corresponde à la demande de l’immense majorité de nos concitoyens ».
Directives anticipées, sédation finale
Mais déjà en
ce qui concerne l’application de la Loi Léonetti, le CCNE se fait l’écho de
débats et de positions en retrait avec les souhaits des associations de
patients. C’est le cas pour les directives anticipées : doivent-elles rester
un souhait du patient, ce qui est le cas actuel ou devenir contraignantes comme
le souhaitent la plupart des associations de patients ? Ou encore en ce
qui concerne la sédation finale. Le CCNE pose la question : « La
sédation profonde, en phase terminale, jusqu’au décès doit-elle accompagner la
personne, en soulageant sa douleur et sa souffrance, mais sans accélérer la
venue de la mort ? Ou peut-elle accélérer intentionnellement la venue de la
mort, à la demande de la personne ? », se fait loyalement l’écho de la position de la
Commission de réflexion sur la fin de vie en France : « la décision
d’un geste létal dans les phases ultimes de l’accompagnement en fin de vie peut
correspondre, aux yeux de la commission, aux circonstances réelles d’une
sédation profonde telle qu’elle est inscrite dans la loi Léonetti » ;
mais il tend à conclure en
sens inverse : « le seul fait de devoir irréversiblement, et sans
espoir d’amélioration, dépendre d’une assistance nutritionnelle pour vivre, ne
caractérise pas à soi seul – soulignons, à soi seul – un maintien artificiel de
la vie et une obstination déraisonnable. » Ou encore « il existe
une différence essentielle entre, d’une part, administrer un produit létal à
une personne qui ne va pas mourir à court-terme si cette administration n’est
pas faite, et, d’autre part, permettre d’accélérer la survenue de la mort en
arrêtant, à la demande de la personne, les traitements qu’elle juge
déraisonnables ». Traduisons : laisser un patient mourir de
faim ou de soif pendant une longue agonie est aux yeux du CCNE, ou du moins de
certains de ses membres, une pratique
civilisée et éthique.
Suicide assisté et Euthanasie : un combat à
continuer
Le fossé est plus important encore en ce qui le suicide assisté et l’ euthanasie.
L’opinion majoritaire du CCNE et clairement affichée : ni dépénalisation,
ni a fortiori légalisation, même si le rapport mentionne loyalement des opinions
minoritaires en faveur de l’une ou l’autre de ces pratiques. La majorité du
CCNE considère qu’il existe une différence radicale entre suicide assisté et euthanasie,
ce qui n’est pas l’avis des Conférences de citoyens puisque dans les
deux cas, il s’agit, de la part de la personne malade, d’une demande
d’assistance dans le but de mettre un terme à son existence. Certains membres
du CCNE semblent en faveur de dépénaliser le suicide assisté, mais pas l’euthanasie.
Le rapport rappelle que les situations internationales sont assez variées :
la Belgique a légalisé l’euthanasie, la
Suisse, et les Etats de l’Oregon, de Washington, du Montana et du Vermont aux
Etats-Unis, ont dépénalisé ou autorisé l’assistance au suicide, mais continuent
d’ interdire l’euthanasie ; les Pays-Bas et le Luxembourg ont dépénalisé
(sous conditions) les deux pratiques.
En ce qui concerne le suicide assisté, le rapport
CCNE présente les solutions retenues en Suisse et aux USA. Après plusieurs vérifications
de la libre volonté du patient. La Suisse permet l’assistance
à la réalisation effective du suicide : la personne fixe la date, et doit s’y
tenir. En effet, l’une des conditions pour obtenir une assistance au suicide
est l’expression d’une volonté ferme et répétée. Si la personne décide de
surseoir, et de repousser la date, le caractère ferme de sa volonté sera remis
en cause.
Aux
USA (Vermont, Oregon, Washington, Montana), les personnes atteintes d’une
maladie évaluée comme incurable peuvent obtenir la prescription par un médecin
d’un produit létal et l’utiliser à leur souhait. Seule la moitié des personnes qui se procurent
le produit l’utilisent effectivement. La loi n’a pas entraîné une explosion de
suicides : ces suicides assistés correspondant à 0.2% des décès.
Sur un
point au moins, le CCNE se montre favorable à une évolution du droit, à propos
de la non –assistance à personne en danger qui punit l’omission de porter
secours à une personne ne péril de peines pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement.
Le CCNE note qu’ « il en
résulte que
la personne qui souhaite se suicider est contrainte à une totale solitude, ce
qui soulève une question au plan de l’éthique et conduit à s’interroger sur la
possibilité que le droit prenne en compte la particularité de cette situation
précise. »
Le CCNE s’affirme
donc majoritairement contre les dépénalisations
et légalisations du suicide assisté et de l’euthanasie, en soulignant « les
risques qui en découlent au regard de l’exigence de solidarité et de fraternité
qui est garante du vivre ensemble. ». Il reprend aussi partiellement les
considérations de la Commission Sicard. Parmi les arguments contre l’euthanasie,
la Commission Sicard mentionnait le risque d’en « arriver à demander l’euthanasie par culpabilité de vivre. Près
de 50 % des personnes malades et personnes âgées craignent d’être un fardeau
pour leur entourage » et « de
mettre la médecine en situation impossible en raison d’une culture médicale très
radicalement opposée à celle-ci ». Elle se multipliait en avertissements
prétendument moraux, « mettant en garde sur l’importance symbolique
du changement de cet interdit car l’euthanasie engage profondément l’idée
qu’une société se fait du rôle et des valeurs de la médecine » et que « tout déplacement d’un interdit crée nécessairement
de nouvelles situations limites, suscitant une demande indéfinie de nouvelles
lois » ; soulignant avec force dans sa conclusion « qu’il serait illusoire de penser que
l’avenir de l’humanité se résume à l’affirmation sans limite d’une liberté
individuelle, en oubliant que la personne humaine ne vit et ne s’invente que
reliée à autrui et dépendante d’autrui » ; critiquant les
partisans de l’euthanasie qui « tiennent
un discours répétitif, fondé sur la revendication de la liberté inaliénable à
exprimer des choix personnels » et risquent « d’être source d’une inflation des droits
libertaires qui risquent de diminuer, voire de nier, les devoirs collectifs de
solidarité ». Pourtant, cette même commission soulignait que « les expériences étrangères, dans leur diversité,
ont suscité une bonne adhésion populaire, n’ont pas conduit à une destruction
du système de santé, à des « hécatombes » de citoyens ou à la réalité de la
pente glissante, au moins visible »
On le voit, nous sommes loin des
demandes des citoyens français qui sont plutôt reflétées par le point de vue de
l’Association pour le droit de mourir
dans la dignité (ADMD) : « Les Français, favorables à plus de 90% à
cette loi de liberté (Ifop pour Pèlerin Magazine), les médecins, favorables à
60% à cette loi de liberté (Ipsos pour le Conseil national de l’Ordre des
médecins), attendent d’avoir enfin le droit, comme l’ont nos amis Néerlandais
depuis 2001, Belges depuis 2002 et Luxembourgeois depuis 2009, en conscience et
librement, de choisir les conditions de leur propre fin de vie. »
C’est bien de cela qu’il s’agit, d’une nouvelle liberté à conquérir, celle
de choisir sa mort, sa façon de mourir. Mon corps m’appartient, ma mort aussi m’appartient.
Le fait que la moitié de ceux qui
peuvent disposer librement d’un produit létal, selon la législation de certains
Etats américains, ne l’utilisant pas n’a pas d’autre signification : ne
pas subir sa fin de vie, être libre d’en décider.
Le fait que les Comités d’Ethique soient systématiquement sur ces sujets
en retrait sur les demandes des citoyens pose problème,, et ceci étant lié,
comme l’a relevé récemment Michel Onfray dans Marianne, pose aussi le problème
de la présence dans ces comités de représentants des autorités religieuses.
En 2014, en France, on trouve encore légitime, éthique, de laisser un
patient mourir de faim ou de soif pendant une longue agonie. Décidément, le
XXIème siècle ne sera pas théocratique, ou restera barbare…
Un débat (combat) important va avoir lieu, pour lequel se mobilise
depuis longtemps l’AMDD (http://www.admd.net)
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