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mercredi 28 janvier 2015

Cancer et hasard : un procès en sorcellerie


Un grand nombre de cancers dûs au hasard

La prestigieuse revue Science a récemment publié un article intitulé : Les variations dans le risque de cancer peuvent être expliqués par la propension des cellules souches à se diviser. Dans le chapeau de l’article, la revue affirmait : « Ces résultats montrent que seulement un tiers des variations dans le risque de cancer peuvent être attribuées à des facteurs environnementaux ou à des prédispositions héréditaires. La majorité est due à une mauvaise chance (bad luck) c’est-à-dire à des mutations au hasard de l’ADN durant la réplication de cellules normales, non-cancéreuses. Ceci est important, non seulement pour la compréhension de la maladie mais aussi pour déterminer les meilleures stratégies thérapeutiques et diminuer la mortalité due à cette maladie »

Dans le corps de l’article, les chercheurs, spécialistes reconnus, rappellent que, par exemple, il existe un facteur 24 entre les risques de cancer des différents tissus de l’appareil digestif (0.5% pour l’oesophage, 4.82 %pour le gros intestin, 0.2% pour le l’intestin grêle, 0.86% pour l’estomac, et que ces différences ne peuvent être expliquées par des différences d’exposition à des agents mutagènes. Bien plus, les cancers de l’intestin grêle sont trois fois moins fréquents que les cancers du cerveau, dont les cellules sont portant nettement moins exposées à des agents extérieurs. D’autre part, les prédispositions génétiques n’expliquent que 5 à 10% des cancers.

Comment expliquer ces variations de risque cancéreux entre les différents tissus ? Les auteurs montrent qu’il existe une excellente corrélation entre la vitesse à laquelle se reproduisent les cellules souches des tissus considérés et le risque de cancer, et cela constitue un résultat nouveau et vraiment convaincant. Ils en tirent deux conclusions : la première qu’une partie importante de l’incidence des cancers est due au hasard dans la réplication de l’ADN, et non à une prédisposition génétique ou à une exposition à un agent cancérogène ; 2) que pour ce type de tumeur, la prévention par des vaccins ou en changent de style de ou de régime n’est pas efficace, et que la prévention secondaire, c’est-à-dire le dépistage devrait être privilégiée.

La conclusion correcte est donc que pour les cancers qui ne sont pas évidemment causés par l’exposition au tabac (poumon), à l’alcool, à la lumière UV, au papilloma virus, à l‘amiante etc, une des causes principales semble être le simple hasard. Notons qu’il ne s’agit pas là d’une conclusion fortement originale, puisque c’était l’une des explications possibles de l’augmentation de l’incidence  des cancers avec le vieillissement. D’autre part, les spécialistes ont depuis noté que les grands mammifères, les baleines par exemple, bénéficie d’un génome mieux armé que le nôtre contre les cancers. Néanmoins,  cet article a suscité des réflexes assez inquiétants

 Ouverture de la chasse

Dans Le  Monde du 07.01.2015 (Non, le cancer n’est pas le fruit du hasard), une sociologue de l’Inserm affirme que « le message selon lequel le cancer serait essentiellement le fruit du hasard constitue une aubaine pour les industriels de l’amiante, de la chimie, des pesticides, du nucléaire, du pétrole et j’en passe… » Après une discussion assez infantile sur la différence entre corrélation et causalité, elle affirme : « le cancer est évitable, à condition d’éradiquer les cancérogènes en milieu de travail, dans l’environnement et la consommation. Pourtant, dans le champ de l’épidémiologie, des chercheurs s’obstinent à produire des modèles statistiques dénués de sens par rapport à la réalité dramatique du cancer (NB quelle compétence a-t-elle pour en juger ?) L’outil mathématique utilisé pour cette production de l’incertitude donne à la démarche l’apparence de la rigueur, de l’objectivité, pour tout dire de la science. Surtout, cela rend quasi impossible l’échange et la discussion entre, d’une part, les travailleurs et citoyens, victimes de cancers associés à l’exposition aux substances toxiques, et, d’autre part, les scientifiques qui jonglent avec les chiffres, abstraits et anonymes, de milliers de cas de cancers ». Puis elle met en cause les liens  entre les scientifiques auteurs de l’étude et « un magnat américain du transport maritime qui fut le promoteur des supertankers, mais aussi de la déforestation en Amazonie brésilienne » ???

Qu‘il  y ait des cancers dus aux habitudes de vie, à l’exposition aux mutagènes et cancérogènes au travail ou ailleurs, c’est certain, et ils sont bien connus. De là à affirmer qu’à tout cancer, il faut un coupable, de préférence un industriel malfaisant, et que les chercheurs qui s’efforcent de comprendre les causes de cette maladie ( seule une fraction des cancers sont bien compris) sont les complices de ces méchants  industriels et insultent les malades, nous sommes là dans une mise en cause inacceptable, et qui a ses conséquences : si la majorité des cancers sont dûs au hasard, la meilleure prévention est en effet le dépistage précoce des tumeurs.

Cette position a été soutenue en partie par Stéphane Foucart, du Monde, d’habitude mieux inspiré et plus pertinent (Le Monde, 13/01/2015). Il écrit que « l’étude a été présentée au public comme une sorte de blanc-seing accordé aux pollueurs de tout poil », et signale que l‘auteur principal, Bert Vogelstein, dont il reconnait tout de même qu’il s’agit d’un oncogénéticien renommé (en fait, il n’est rien moins que le spécialiste le plus cité dans ce domaine) a été, au début de sa carrière, financé par l’argent du tabac…

 Liberté d’exposition, de  discussion, d’appréciation

 On peut (on doit certainement) critiquer la tendance des revues scientifiques aux chapeaux sensationnels- mais sinon la presse y prêterait-elle attention ? . On peut, on doit certainement appeler les journalistes scientifiques à s’efforcer de rapporter au mieux l’actualité scientifique, mais après tout qui s’y intéresserait sans un titre accrocheur ? Au moins, ceci peut inciter au débat, et dans le corps de l’article, les journalistes devraient veiller à apporter une vue critique et équilibrée.

Mais ce climat incessant de suspicion généralisée, de mise en cause violente lorsqu’un résultat ne semble conforme à la vue  politiquement correcte, commence à ressembler à une chasse aux sorcières, à un phénomène de meute inadmissible, insupportable, qui atteint la liberté totale d’exposition, de  discussion, d’appréciation nécessaire à la recherche scientifique. Faudra-t-il en venir à des procès en diffamation ou pour insulte ?

Et dans le domaine de la santé, cette idée qu’à tout malheur il faut un coupable est décidément malsaine et bien dangereuse.

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