Un grand nombre de cancers dûs au hasard
La prestigieuse revue Science a récemment publié
un article intitulé : Les variations dans le risque de cancer peuvent être
expliqués par la propension des cellules souches à se diviser. Dans le chapeau
de l’article, la revue affirmait : « Ces résultats montrent que
seulement un tiers des variations dans le risque de cancer peuvent être
attribuées à des facteurs environnementaux ou à des prédispositions
héréditaires. La majorité est due à une mauvaise chance (bad luck) c’est-à-dire
à des mutations au hasard de l’ADN durant la réplication de cellules normales,
non-cancéreuses. Ceci est important, non seulement pour la compréhension de la
maladie mais aussi pour déterminer les meilleures stratégies thérapeutiques et
diminuer la mortalité due à cette maladie »
Dans le corps de l’article, les chercheurs,
spécialistes reconnus, rappellent que, par exemple, il existe un facteur 24
entre les risques de cancer des différents tissus de l’appareil digestif (0.5%
pour l’oesophage, 4.82 %pour le gros intestin, 0.2% pour le l’intestin grêle,
0.86% pour l’estomac, et que ces différences ne peuvent être expliquées par des
différences d’exposition à des agents mutagènes. Bien plus, les cancers de
l’intestin grêle sont trois fois moins fréquents que les cancers du cerveau, dont
les cellules sont portant nettement moins exposées à des agents extérieurs.
D’autre part, les prédispositions génétiques n’expliquent que 5 à 10% des
cancers.
Comment expliquer ces variations de risque
cancéreux entre les différents tissus ? Les auteurs montrent qu’il existe
une excellente corrélation entre la vitesse à laquelle se reproduisent les
cellules souches des tissus considérés et le risque de cancer, et cela
constitue un résultat nouveau et vraiment convaincant. Ils en tirent deux
conclusions : la première qu’une partie importante de l’incidence des
cancers est due au hasard dans la réplication de l’ADN, et non à une
prédisposition génétique ou à une exposition à un agent cancérogène ; 2)
que pour ce type de tumeur, la prévention par des vaccins ou en changent de
style de ou de régime n’est pas efficace, et que la prévention secondaire,
c’est-à-dire le dépistage devrait être privilégiée.
La conclusion correcte est donc que pour les
cancers qui ne sont pas évidemment causés par l’exposition au tabac (poumon), à
l’alcool, à la lumière UV, au papilloma virus, à l‘amiante etc, une des causes
principales semble être le simple hasard. Notons qu’il ne s’agit pas là d’une
conclusion fortement originale, puisque c’était l’une des explications
possibles de l’augmentation de l’incidence des cancers avec le
vieillissement. D’autre part, les spécialistes ont depuis noté que les grands
mammifères, les baleines par exemple, bénéficie d’un génome mieux armé que le
nôtre contre les cancers. Néanmoins, cet article a suscité des réflexes
assez inquiétants
Ouverture de la chasse
Dans Le Monde du 07.01.2015 (Non, le cancer n’est pas le fruit du hasard), une sociologue de l’Inserm affirme que « le message selon lequel le cancer serait essentiellement le fruit du hasard constitue une aubaine pour les industriels de l’amiante, de la chimie, des pesticides, du nucléaire, du pétrole et j’en passe… » Après une discussion assez infantile sur la différence entre corrélation et causalité, elle affirme : « le cancer est évitable, à condition d’éradiquer les cancérogènes en milieu de travail, dans l’environnement et la consommation. Pourtant, dans le champ de l’épidémiologie, des chercheurs s’obstinent à produire des modèles statistiques dénués de sens par rapport à la réalité dramatique du cancer (NB quelle compétence a-t-elle pour en juger ?) L’outil mathématique utilisé pour cette production de l’incertitude donne à la démarche l’apparence de la rigueur, de l’objectivité, pour tout dire de la science. Surtout, cela rend quasi impossible l’échange et la discussion entre, d’une part, les travailleurs et citoyens, victimes de cancers associés à l’exposition aux substances toxiques, et, d’autre part, les scientifiques qui jonglent avec les chiffres, abstraits et anonymes, de milliers de cas de cancers ». Puis elle met en cause les liens entre les scientifiques auteurs de l’étude et « un magnat américain du transport maritime qui fut le promoteur des supertankers, mais aussi de la déforestation en Amazonie brésilienne » ???
Qu‘il y ait des cancers dus aux habitudes de vie, à l’exposition aux mutagènes et cancérogènes au travail ou ailleurs, c’est certain, et ils sont bien connus. De là à affirmer qu’à tout cancer, il faut un coupable, de préférence un industriel malfaisant, et que les chercheurs qui s’efforcent de comprendre les causes de cette maladie ( seule une fraction des cancers sont bien compris) sont les complices de ces méchants industriels et insultent les malades, nous sommes là dans une mise en cause inacceptable, et qui a ses conséquences : si la majorité des cancers sont dûs au hasard, la meilleure prévention est en effet le dépistage précoce des tumeurs.
Cette position a été soutenue en partie par
Stéphane Foucart, du Monde, d’habitude mieux inspiré et plus pertinent (Le
Monde, 13/01/2015). Il écrit que « l’étude a été présentée au public comme
une sorte de blanc-seing accordé aux pollueurs de tout poil », et signale
que l‘auteur principal, Bert Vogelstein, dont il reconnait tout de même qu’il
s’agit d’un oncogénéticien renommé (en fait, il n’est rien moins que le
spécialiste le plus cité dans ce domaine) a été, au début de sa carrière,
financé par l’argent du tabac…
Liberté d’exposition, de
discussion, d’appréciation
On peut (on doit certainement) critiquer la
tendance des revues scientifiques aux chapeaux sensationnels- mais sinon la
presse y prêterait-elle attention ? . On peut, on doit certainement
appeler les journalistes scientifiques à s’efforcer de rapporter au mieux
l’actualité scientifique, mais après tout qui s’y intéresserait sans un titre
accrocheur ? Au moins, ceci peut inciter au débat, et dans le corps de
l’article, les journalistes devraient veiller à apporter une vue critique et
équilibrée.
Mais ce climat incessant de suspicion
généralisée, de mise en cause violente lorsqu’un résultat ne semble conforme à
la vue politiquement correcte, commence à ressembler à une chasse aux
sorcières, à un phénomène de meute inadmissible, insupportable, qui atteint la
liberté totale d’exposition, de discussion, d’appréciation nécessaire à
la recherche scientifique. Faudra-t-il en venir à des procès en diffamation ou
pour insulte ?
Et dans le domaine de la santé, cette idée qu’à
tout malheur il faut un coupable est décidément malsaine et bien dangereuse.
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