La marche vers l’horreur
L’Actualité chimique de décembre 2014
consacre un dossier intéressant aux armes chimiques. La réglementation de l’emploi
des armes chimiques a une longue histoire, puisque trace en ait déjà trouvé en
1675 Dans l’accord de Strasbourg entre la Prusse et la France interdisant l’emploi
de balles empoisonnées. En 1907, à la conférence internationale de la Paix, à
La Haye, 44 pays adoptent des Lois de la Guerre interdisant notamment « de
lancer des projectiles et des explosifs du haut de ballons, ayant pour but unique
de répandre des gaz asphyxiants ou délétères ».
Dès
octobre 14, la guerre prend l’aspect d’une guerre de tranchée, et les gaz
paraissent efficaces pour déloger les combattants de positions autrement
quasi-inexpugnables. La vérité officielle, établie après la guerre, en 1920,
lors d’une conférence dit ceci : « C’est le 22 avril 1915 qu’au
mépris des engagements internationaux de La Haye, les Allemands employèrent pour
la première fois, sur une grande échelle, dans la région d’Ypres, les gaz de
combat sous forme de nappes » (précisément 150 tonnes de chlore dans 5830
cylindres sur un front de 6 km). Les Allemands pouvaient faire valoir qu’ils n’avaient
stricto sensu pas contrevenu au traité de La Haye…). De toute façon, le fait est que les Français, par exemple,
employèrent, dès les premiers jours de combat, des cartouches et des grenades suffocantes, au bromoacétate
d’éthyle ou à la chloroacétone. L’historien Lepick a dénombré 409 attaques
massives au gaz en nappes : 301 pour la Grande Bretagne, 51 pour la France,
50 pour l’Allemagne, 6 pour la Russie, 1 pour l’Autriche. Le moins qu’on puisse
constater, c’est que l’horreur fut largement partagée. Les produits employés
furent le Chlore, puis le Phosgène, plus toxique, inodore et aux effets
retardés. Furent ensuite employés par les différents protagonistes des obus chargés
de lachrymogène (bromoacétone, bromure de xylyle, cyanure de bromobenzyle,
arsines sternutatoires, puis ypérite.
En
1922, la Conférence de Washington sur
les armements maritimes interdit l’utilisation de gaz toxiques. Elle est suivie
par la Protocole de Genève de 1925, déposé en France qui prohibe l’utilisation
des gaz toxiques, asphyxiants ou similaires ; l’utilisation, mais pas le
stockage, ni la riposte en cas de première utilisation par l’adversaire. Les
armes chimiques continuent donc à se développer et apparaissent les
neurotoxiques comme le tabun le sarin ou le zyklon B. Elles ne seront cependant
pas utilisées pendant la Seconde Guerre mondiale, sauf pendant la guerre
sino-japonaises, mais on sait l’usage qu’en feront les criminels nazis. Après
la guerre, lors de la guerre froide, les deux principales puissances continuent
à concevoir des armes chimiques encore plus puissantes (agents VX, VR, autres
toxines. L’idée s’impose progressivement qu’elle ne seront pas utilisées et qu’il
vaudrait meiux les détruire
La longue marche
vers l’interdiction et le Prix Nobel
En
1968-1971, dix-huit Etats constituent un Comité sur le désarmement et se proposent
d’interdire les armes biologiques et chimiques. C’est en 1983 l’utilisation d’armes
chimiques par l’Irak (lors de la guerre Irant Irak, puis contre les Kurdes), qui
incite en 1984 l’URSS et les USA à
conclure un accord bilatéral qui sera ensuite étendu à d’autres nations. En 1992
est finalement proposé la CIAC, (Convention sur l’interdiction des armes
chimiques) qui interdit la mise au point de nouveaux composés, et met en œuvre le
contrôle du stockage, la destruction des stocks et des installations de
fabrications, l’assistance à la destruction et la protection des Etats
signataires. Les Etats parties se déclarent « résolus, dans l’intérêt de l’humanité
tout entière, à exclure complètement la possibilité de l’emploi des armes
chimiques ». La CIAC entre en vigueur fin 1996 avec la signature par 87
Etats ; en 2013, c’est 190 Etats sur 186 qui ont signé et ratifié la CIAC
( manquent encore l’Angola, l’Egypte, la Corée du Nord et la Somalie, 2% de la
population mondiale).
Apparait
alors l’OIAC, l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques, chargé de
la mise en œuvre de la Convention, qui comprend 500 fonctionnaires dont 200
inspecteurs. Sont surveillés les armes chimiques elles-mêmes, les précurseurs
utilisés en faible tonnage, (tableau2), les précurseurs utilisés en fort
tonnage, avec pour difficulté qu’un produit comme le dichlorure de soufre est
utilisé par tonnes pour fabriquer des lubrifiants ou vulcaniser le caoutchouc. Environ
3400 composés chimiques sont ainsi surveillés à l’échelle internationale.
Un
rôle particulier de l’OIAC consiste à enquêter sur les allégations d’emploi d’armes
chimiques, sur le terrain. Ce fut notamment le cas en Syrie en 2013, où les
armes chimiques ont été employées sans doute pour la dernière fois dans un conflit , et ont fait
un peu plus d’un millier de morts. L’indignation générale, l’accord
imposé par les US et la Russie sur la destruction du stock syrien permit à l’OIAC
de démontrer son efficacité et son savoir-faire.
Cette
action fut récompensée par un Prix Nobel de la Paix en 2013. C’est une longue,
obscure mais efficace action qui a été
ainsi récompensée, et qui est presque terminée. Lors de la cérémonie, le Directeur
Général Ahmet Uzumcu, ne lâcha pas le morceau : il fit remarquer que le
succès n’était pas encore complet, que la date d’avril 2012 pour la destruction
de toutes les armes chimiques déclarées n’avait pas été respectées, qu’il en
restait encore 20%, principalement américaines et russes, et que les deux
grands pouvoirs, si désireux de voir les autre pays détruire leur stock, se
devaient de s’appliquer à eux-mêmes la même hâte : « Please speed up
the process ! »)
Quand
les armes chimiques déclarées ou non seront réduites, il restera à mettre en
place une surveillance efficace de toutes les installations civiles sensibles
et des flux de produits pour empêcher des terroristes de fabriquer eux-mêmes des
armes chimiques.
Mais
le monde s’approche bien près du but de la CIAC et de l’OIAC : la
disparition totale des armes chimiques. Un progrès a eu lieu, pour toute l’Humanité
Josette Fournier,
Actualité Chimique, décembre 14 ; Jean-Claude Tabet, Actualité chimique,
décembre 14
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