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mardi 27 janvier 2015

Le progrès prouvé par les armes chimiques


La marche vers l’horreur

L’Actualité chimique de décembre 2014 consacre un dossier intéressant aux armes chimiques. La réglementation de l’emploi des armes chimiques a une longue histoire, puisque trace en ait déjà trouvé en 1675 Dans l’accord de Strasbourg entre la Prusse et la France interdisant l’emploi de balles empoisonnées. En 1907, à la conférence internationale de la Paix, à La Haye, 44 pays adoptent des Lois de la Guerre interdisant notamment « de lancer des projectiles et des explosifs du haut de ballons, ayant pour but unique de répandre des gaz asphyxiants ou délétères ».

Dès octobre 14, la guerre prend l’aspect d’une guerre de tranchée, et les gaz paraissent efficaces pour déloger les combattants de positions autrement quasi-inexpugnables. La vérité officielle, établie après la guerre, en 1920, lors d’une conférence dit ceci : «  C’est le 22 avril 1915 qu’au mépris des engagements internationaux de La Haye, les Allemands employèrent pour la première fois, sur une grande échelle, dans la région d’Ypres, les gaz de combat sous forme de nappes » (précisément 150 tonnes de chlore dans 5830 cylindres sur un front de 6 km). Les Allemands pouvaient faire valoir qu’ils n’avaient stricto sensu pas contrevenu au traité de La Haye…). De toute façon,  le fait est que les Français, par exemple, employèrent, dès les premiers jours de combat, des cartouches  et des grenades suffocantes, au bromoacétate d’éthyle ou à la chloroacétone. L’historien Lepick a dénombré 409 attaques massives au gaz en nappes : 301 pour la Grande Bretagne, 51 pour la France, 50 pour l’Allemagne, 6 pour la Russie, 1 pour l’Autriche. Le moins qu’on puisse constater, c’est que l’horreur fut largement partagée. Les produits employés furent le Chlore, puis le Phosgène, plus toxique, inodore et aux effets retardés. Furent ensuite employés par les différents protagonistes des obus chargés de lachrymogène (bromoacétone, bromure de xylyle, cyanure de bromobenzyle, arsines sternutatoires, puis ypérite.

En 1922, la Conférence de Washington  sur les armements maritimes interdit l’utilisation de gaz toxiques. Elle est suivie par la Protocole de Genève de 1925, déposé en France qui prohibe l’utilisation des gaz toxiques, asphyxiants ou similaires ; l’utilisation, mais pas le stockage, ni la riposte en cas de première utilisation par l’adversaire. Les armes chimiques continuent donc à se développer et apparaissent les neurotoxiques comme le tabun le sarin ou le zyklon B. Elles ne seront cependant pas utilisées pendant la Seconde Guerre mondiale, sauf pendant la guerre sino-japonaises, mais on sait l’usage qu’en feront les criminels nazis. Après la guerre, lors de la guerre froide, les deux principales puissances continuent à concevoir des armes chimiques encore plus puissantes (agents VX, VR, autres toxines. L’idée s’impose progressivement qu’elle ne seront pas utilisées et qu’il vaudrait meiux les détruire

La longue marche vers l’interdiction et le Prix Nobel

En 1968-1971, dix-huit Etats constituent un Comité sur le désarmement et se proposent d’interdire les armes biologiques et chimiques. C’est en 1983 l’utilisation d’armes chimiques par l’Irak (lors de la guerre Irant Irak, puis contre les Kurdes), qui incite en 1984 l’URSS et les USA  à conclure un accord bilatéral qui sera ensuite étendu à d’autres nations. En 1992 est finalement proposé la CIAC, (Convention sur l’interdiction des armes chimiques) qui interdit la mise au point de nouveaux composés, et met en œuvre le contrôle du stockage, la destruction des stocks et des installations de fabrications, l’assistance à la destruction et la protection des Etats signataires. Les Etats parties se déclarent « résolus, dans l’intérêt de l’humanité tout entière, à exclure complètement la possibilité de l’emploi des armes chimiques ». La CIAC entre en vigueur fin 1996 avec la signature par 87 Etats ; en 2013, c’est 190 Etats sur 186 qui ont signé et ratifié la CIAC ( manquent encore l’Angola, l’Egypte, la Corée du Nord et la Somalie, 2% de la population mondiale).

Apparait alors l’OIAC, l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques, chargé de la mise en œuvre de la Convention, qui comprend 500 fonctionnaires dont 200 inspecteurs. Sont surveillés les armes chimiques elles-mêmes, les précurseurs utilisés en faible tonnage, (tableau2), les précurseurs utilisés en fort tonnage, avec pour difficulté qu’un produit comme le dichlorure de soufre est utilisé par tonnes pour fabriquer des lubrifiants ou vulcaniser le caoutchouc. Environ 3400 composés chimiques sont ainsi surveillés à l’échelle internationale.

Un rôle particulier de l’OIAC consiste à enquêter sur les allégations d’emploi d’armes chimiques, sur le terrain. Ce fut notamment le cas en Syrie en 2013, où les armes chimiques ont été employées sans doute pour la dernière fois dans un conflit , et ont fait un peu plus d’un millier de morts. L’indignation générale, l’accord imposé par les US et la Russie sur la destruction du stock syrien permit à l’OIAC de démontrer son efficacité et son savoir-faire.

Cette action fut récompensée par un Prix Nobel de la Paix en 2013. C’est une longue, obscure mais efficace  action qui a été ainsi récompensée, et qui est presque terminée. Lors de la cérémonie, le Directeur Général Ahmet Uzumcu, ne lâcha pas le morceau : il fit remarquer que le succès n’était pas encore complet, que la date d’avril 2012 pour la destruction de toutes les armes chimiques déclarées n’avait pas été respectées, qu’il en restait encore 20%, principalement américaines et russes, et que les deux grands pouvoirs, si désireux de voir les autre pays détruire leur stock, se devaient de s’appliquer à eux-mêmes la même hâte : « Please speed up the process ! »)

Quand les armes chimiques déclarées ou non seront réduites, il restera à mettre en place une surveillance efficace de toutes les installations civiles sensibles et des flux de produits pour empêcher des terroristes de fabriquer eux-mêmes des armes chimiques.

Mais le monde s’approche bien près du but de la CIAC et de l’OIAC : la disparition totale des armes chimiques. Un progrès a eu lieu, pour toute l’Humanité

Josette Fournier, Actualité Chimique, décembre 14 ; Jean-Claude Tabet, Actualité chimique, décembre 14

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