Houellebecq et Comte
Dans Marianne du16 janvier 2015, Jacques Julliard a consacré un article au dernier livre de
Houellebecq, Figures du collabo, un
article qui m’a semblé 1) l’un des plus pertinents de la vague des critiques ;
2) incomplet, parce qu’il laisse de côté la connaissance qu’a Houellebecq de
l’œuvre de Comte et sa fascination, évidentes d’après le nombre des citations
dans ses précédents ouvrages.
Donc Soumission
serait principalement une charge meurtrière contre les intellectuels à la
française, volontiers compagnons de route des idéologies les plus meurtrières,
cet « homme qui se soumet », « qui a beau invoquer Voltaire et
Zola, mais est prêt à se prostituer devant le pouvoir, dès lors que celui-ci
prend des formes dictatoriales et use systématiquement de la violence et de la
terreur », et vous citez cette incidente négligemment posée :
« tant d’intellectuels au cours du XXème siècle avaient soutenu Staline,
Mao ou Pol Pot, sans que cela leur soit
vraiment reproché ».
D’accord, le désir ou besoin de soumission est
particulièrement perturbant chez les intellectuels, où il semble constituer une
négation de leur fonction même. Mais il frappe toute la société. C’est la
majorité des Français qui élisent Ben Abbès, et c’est toute la société qui s’en
trouve plutôt bien : paix civile rétablie, prospérité retrouvée, et même
bonheur familial, personnel accru; certaines femmes, certains juifs, pas
nécessairement tous, ont à faire quelques sacrifices, rien de mortel, mais
enfin, nulle omelette sans œufs…
Que s’est-il passé ? Aucune société ne peut exister
sans « un sacerdoce quelconque », une « doctrine sociale
commune », sans laquelle il ne reste d’autres expédients, pour maintenir
une harmonie quelconque, que la triste alternative de la force ou de la
corruption » (Auguste Comte). C’est ce qui a conduit les Positivistes à
proposer une religion républicaine, non théologique, sans Dieu, pour
« rallier, relier, régler » : rallier les hommes à la doctrine
sociale commune, les relier entre eux, régler
les rapports sociaux et les comportements.
Quelque chose a mal tourné, comme dirait Houellebecq, il
devait y avoir quelques vices cachés dans la Religion de l’Humanité. L’ordre catholique a été détruit et non remplacé ( « On ne
détruit que ce qu’on remplace » -encore Auguste). Alors, dans ce vide
s’impose la dernière et la seule encore vigoureuse des religions théologiques,
et ceci précisément par la revigoration du lien social ; c’est par là que
triomphe la Fraternité musulmane du
roman, comme les mouvements intégristes musulmans.
Désir et besoin de soumission
Ensuite, le désir ou besoin de soumission est-il toujours
négatif ? Nombreux sont ceux qui se plaignent du manque d’autorité des
enseignants. Enseigner n’exige-t-il pas une certaine soumission ? Que
peut-on apprendre sans se soumettre à certains apprentissages, sans se
soumettre à l’autorité de la connaissance, de la compétence, des anciens, des
grands artistes, écrivains, scientifiques du passé – avant éventuellement de
les contester ? D’ailleurs, dans la France du président Ben Abbès, les
enseignants sont bien mieux considérés et traités.
« La soumission est la base du
perfectionnement » (Auguste, toujours ; missile expédié à son
disciple principal Pierre Laffitte demandant quelques explications- sauf que
Comte ne se soumit guère, bien au contraire, ni aux gouvernements, ni aux
autorités académiques, ni aux convenances sociales, et qu’il en paya le prix
par une marginalisation totale) ; formule donc à prendre avec prudence,
mais non moins vraie.
« La soumission est la base du
perfectionnement », islam égale soumission, l’islam est la base du
perfectionnement ; et si on en faisait un roman ? Un roman , pas
vraiment sur l’islam, pas une fiction politique ( c’est la partie plus faible),
pas un pamphlet réactionnaire, ou machiste, ou raciste. Un roman sur
l’Humanité, comme tous les grands romans.
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