Un singulier article
C’est sur un
ton très désabusé que John J. Baldwin résume sa carrière dans la recherche
pharmaceutique (Annual Reports in Medicinal Chemistry, Vol49). Chimiste
thérapeutique de formation, il a travaillé trente ans pour les laboratoires
Merck et est à l’origine de la découverte de plusieurs médicaments majeurs,
notamment deux inhibiteurs d’anhydrase carbonique pour le traitement du
glaucome (Trusopt et Cosopt), un antithrombotique (Aggrastat), un des
premiers anti-viraux cintre le Sida (Indinavir,
inhibiteur de protéase). Ayant dû quitter Merck, il a ensuite lancé une
Biotech, Pharmacopeia, qui fut parmi les premières à exploiter les possibilités
offertes par les nouvelles techniques de screening à haut débit, puis il fut
impliqué dans le développement de la firme chinoise de recherche sous contrat Wu-xi.
J’ai reproduit ici le constat qu’il dresse, au ton tout à fait inhabituel dans
un article d’hommage d’une revue scientifique.
En bref – les
firmes pharmaceutiques abandonnent progressivement ce qui constituait leur cœur
de métier, la recherche pharmaceutique, devenue de plus en plus coûteuse et
risquée - Comme la découverte de nouveaux médicaments est la principale source
de valeur, elles ne sauveront pas en devenant des vendeurs de médicaments
génériques considérés comme des commodités , et il n’y aura pas de miracle des
pays émergents – l’externalisation de la recherche, avec des schémas de
partages de risque/profit entre biotech et Big Pharma( où les biotech prennent
les risques et les Big Pharma les profits…) ne permettra pas de remédier au
ralentissement de la découverte de npuveaux médicaments – Cette externalisation
a aussi permis le développement de concurrents asiatiques dans la recherche
elle-même, et l’affaiblissement des pays occidentaux.- Ces évolutions ont eu un impact clairement négatif pour tous
ceux qui travaillent dans la recherche thérapeutique, et pour tous ceux qui
souhaiteraient entrer dans cette carrière.
Pour le dire autrement et peut-être plus
crûment que M. Baldwin, je n’oserais aujourd’hui conseiller à personne d’entrer
dans la recherche pharmaceutique.
La disparition d’un modèle ; échec des mégafusions
En 1993,
Merck a commencé à se préparer au XXIème siècle et à la chute massive de
brevets dans le domaine public qui s'annonçait. Le plus facile consistait à réduire
le personnel au moyen d'un régime incitatif de retraite. Ces réductions imposaient des décisions difficiles non
seulement pour la gestion, mais aussi pour les personnes concernées. Cette
politique de Merck, mais aussi de bien
d’autres sociétés, a marqué la disparition de l'engagement continu d'un chercheur
par une seule entreprise et la fin de la conviction que l'engagement réciproque
de la société serait également honoré. Une nouvelle ère dans la relation
entreprise/salarié avait commencé. Cette nouvelle réalité est devenu encore
plus évidente au cours de la dernière décennie, et elle doit être prise en
compte par les professionnels et les étudiants lorsqu’ils font le choix d’une
carrière.
Je me suis
ajusté à cet apparent changement évolutif en décidant non seulement de choisir l'offre
de départ de Merck, mais de lancer une nouvelle entreprise, Pharmacopeia…
Revenant sur
les débuts de l'ère de la biotechnologie, il est clair que créer une entreprise
en ce secteur continue d'être un exercice à haut risque. Que l'entreprise soit
grande ou petite, il faut encore des années et plus de 1 milliard de dollars
pour découvrir et développer une entité chimique nouvelle (NCE). Cela oblige la
firme de biotechnologie à être constamment dans une recherche constante de
financement et à imaginer constamment des stratégies de sortie viable. Ces
dernières années n'ont pas été des plus faciles, surtout pour les grandes
compagnies pharmaceutiques, qui ont dû faire face à un ralentissement du rythme
des découvertes, à des produits majeurs tombant dans le domaine public et
génériqués, à des coûts plus élevés de R&D et de plus longs délais
d'approbation. Pour lutter contre ce phénomène, une gamme de nouvelles
stratégies de survie a été élaborée et adoptée, principalement une série de
méga-fusions avec comme conséquences des coupes claires en matière d’emplois
dans la recherche. La découverte de nouvelles entités chimiques ( nouveaux
médicaments) étant le facteur principal de création de valeur, il était peu
probable que les stratégies de méga-fusion augmenteraient la valeur de
l'industrie pharmaceutique. De faits, des fusions comme Merck/Schering-Plough,
Pfizer / Wyeth, Bayer/Schering et Sanofi/Aventis, au mieux, ont seulement
résulté en une stabilisation à court terme. L'histoire nous enseigne que ces fusions n'augmentent pas la
productivité et la création de valeur. Les licenciements massifs ont
stimulé une tendance à la sous-traitance qui s’est accéléré au cours des dix
dernières années. Les licenciements liés aux fusions/acquisitions ont atteint
130.000 personnes entre 2005 et 2008, et maintenant plus de 300.000 au total
dans le secteur de la recherche ; peu d'entreprises ont été épargné :
Merck, Pfizer, Novartis, Abbott, Astra Zeneca, Teva, Sanofi,Johnson &
Johnson, Eisai, Bayer… Des alliances entre grandes compagnies pharmaceutiques
se sont développées, ainsi qu’entre firmes et centres universitaires, dans
l’idée de partager les coûts et les risques. Il y a eu une externalisation de
la recherche pharmaceutique ; des firmes comme Wuxi, qui ont été parmi les
premières à se positionner sur le marché en expansion de la sous-traitance de
la recherche, ont connu une expansion fulgurante- Wu-Xi comte aujourd(hui 6000
chercheurs et a été introduit en 2000 à la Bourse de New-York.
Comme stratégie
de croissance, les Big Pharma se sont tournées vers les marchée émergents.
Toutrefois, ces marchés se sont montrés résistants à l’introduction de
médicaments brevetés, et ont préféré faire reposer l’amélioration de la santé
sur la disponibilités de médicaments génériques à faibles coûts. Même en se
développant leurs propres génériques, les Big Pharma se heurtent à des
équivalents locaux moins chers, à des politiques rigoureuses de contrôle des
prix et de licences forcées. Même en tenant compte de la croissance rapide de
leurs économies, ces marchés émergents ne peuvent constituer la réponse aux
problèmes des firmes pharmaceutiques d’aujourd’hui.
Un
impact clairement négatif pour tous ceux qui travaillent dans la recherche
thérapeutique
Avec la
légère augmentation ces deux dernières années (2011-2012) du nombre de nouveaux
médicaments acceptés par la FDA, il a été suggéré que le pire, en ce qui
concerne la baisse de productivité de la recherche industrielle pharmaceutique,
était derrière nous. Si l’on considère cependant que les médicaments
aujourd’hui mis sur le marché ont été découvertes dans les années 1990 à 2000,
il est raisonnable de penser que que la baisse de productivité de la recherche
pharmaceutique continuera à se faire sentir pendant au moins toute le prochaine
décennie, et au-delà.
Il est
fortement improbable que les institutions gouvernementales, comme le National Institute of Health et le National Cancer Institute
puisse se substituer à l’efficace machine de la recherche pharmaceutique
industrielle qui a apporté, dans le passé, tant de nouveaux médicaments. La
santé dans nos sociétés dépendra de plus en plus de médicaments génériques, les
nouveaux médicaments représentant un pourcentage de moins en moins important
des ventes totales. Sous pression des gouvernements, les génériques deviendront
des biens de commodité, générant de faibles profits. Nous verrons alors se
développer les pénuries dues à des conditions de production dégradées, des
contrôles de qualité insuffisant, qui entraineront la fermeture d’usines et des
rappels par les agences de santé – comme nous avons déjà pu le constater
récemment.
Les firmes pharmaceutiques vont de plus en plus se
demander si cela vaut la peine de continuer la recherche pour des médicaments
qui ne seraient vendus que pour de faibles volumes et des prix élevés. Nos
sociétés elles-mêmes devront décider si elles acceptent de payer un prix élevé
pour des médicaments qui prolongent la vie d’une personne atteinte d’une
maladie grave pour une courte période de temps ; elle devront faire face à
des questions éthiques redoutables.
Les choses ont changé depuis que j’ai foulé pour la
première fois le sol du centre de recherche de Merck. Ces changements, et les stratégies qui en ont
résulté, que je viens de discuter ont eu un impact clairement négatif pour tous
ceux qui travaillent dans la recherche thérapeutique, et pour tous ceux qui
souhaiteraient entrer dans cette carrière.
Le ciel est rouge, mais il est difficile de dire s’il s’agit d’une aube ou d’un
crépuscule. Le futur nous montre une route vers la guérison bien encombrée
d’obstacles.
A Personal
Essay: My Experiences in the Pharmaceutical Industry John J. Baldwin
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