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jeudi 11 juin 2015

Bioéthique : Noirs nuages ou âge des Lumières ?


Génomique : progrès immenses avec conséquences
Il y un mystère Ameisen ; comment arrive-t-il à mener de front autant d’activités, de ses fonctions au Comité National Consultatif d’Ethique à ses chroniques toujours intéressantes de France Inter ? Mais là, il va sans doute falloir qu’il consacre une bonne partie de son temps et de son intelligence aux problèmes éthiques car les défis, possibilités ou problèmes potentiels liés aux progrès de la biologie moléculaire se multiplient.  Avec cette donnée simple , à transmettre aux économistes qui pensent que la productivité stagne et que c’est la principale origine de nos problèmes économiques : entre 2003 et 2013, le temps et le coût de la lecture du génome humain a été divisé par deux millions !
Tout d’abord, le dépistage génétique. Cette année, en février, la FDA a autorisé le premier test de dépistage génétique en vente libre : il permet la détection du syndrome de Bloom, une maladie héréditaire rare qui entraine un retard de croissance et un risque élevé de cancer. Simultanément, la même FDA a interdit à la société 23and me, liée à Google, de commercialiser des prédictions sur la prédispositions à des maladies ou à la réaction à certains médicaments. 23 and me propose un génotypage en libre accès : une goutte de salive, 99 dollars, et vous avez votre genotype. Pour enfaire quoi ? Comme 23andme s’est vu interdire (probablement provisoirement) le coté dispositif médical, il ne vous communiquera que des données sur votre origine ethnique, la présence possible de parents éloignés dans certaines régions du globe, les migrations etc…23 and me a déjà intéressé plus de 900.000 clients.
Le droit de savoir
Comme d’habitude, le Comité National Consultatif d’Ethique français semble avoir sur ces sujets une attitude assez rétrograde et mandarinale. En témoigne l’interview d’un de ses membres dans Le Monde du 6 mai 2015. Le Pr Gaudry justifie la décision d’arrêter l’activité de diagnostic de 23andme. D’ abord, crime des crimes, 23andme fait du commerce ; elle vend ses données génétiques à des sociétés, par exemple pour favoriser la recherche contre la maladie de Parkinson. L’anonymat est respecté, aucun client ne souffre d’aucun dommage et la recherche bénéficie de données qu’elle ne pourrait se procurer  autrement ; mais c’est apparemment un grave problème. Autre argument : les tests vendent des prédictions sans certitudes, et, «en médecine, les messages probabilistes sont difficiles à comprendre ». Difficiles à comprendre pour les patients, ou difficiles à expliquer pour les médecins ? Pourquoi décider à la place des patients ? « Que faire s’il n’existe aucun traitement satisfaisant » ? Ou, plus délicat encore, lorsqu’il existe une possibilité, c’est un « dilemme préventif » qui se pose. Ainsi, « toutes les porteuses du gêne BCRA1 ou A2 doivent-elles se faire enlever les deux seins, les deux ovaires, et les trompes de Falloppe ? ». ( on estime que le gène BCRA1 entraine un riques de 60% de développer un cancer du sein avant 60 ans). Le Pr Gaudry modère heureusement : « la lecture des tests doit rester intelligente, modulée et respectueuse ». En effet, mais pourquoi interdire aux patients d’y avoir recours ? Sans aller aux extrémités chirurgicales, une femme pourrait, en toute liberté et information, choisir ou pas par exemple de suivre un traitement hormonal de substitution contre la ménopause.
Le Pr Gaudry conclut que le risque serait de « remettre en cause le droit des patients à ne pas savoir » ? En attendant, le savoir rend plus libre, et c’est le droit des patients à savoir qui est dénié. Il faut dire que bien sûr, la communauté médicale n’est pas unanime, et même assez divisée. Ainsi, Jean-Louis Mandel, professeur de génétique au Collège de France, s’inquiète de l’absence en France de débat sur le sujet et « ne comprend pas la violente opposition de la plupart de ses collègues » aux services proposés par 23andme. Il a fait analyser son propre génome par cette société afin de juger de la qualité des tests et des explications fournies, et a été plutôt convaincu. Ainsi, il a découvert qu’ il était porteur sain du gène de la mucoviscidose et a conseillé à sa fille de se faire dépister ainsi que son mari ; s’ils étaient tous deux porteurs du gène, leurs enfant auraient eu 25% de risques d’être atteint de cette maladie grave ;  quelle que soit la décision que l’on prendra ensuite, c’est certainement un type d’information que l’on doit pouvoir connaître si on le souhaite. Il a aussi découvert qu’il possède un gêne de prédisposition à la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) ; le tabac constituant un facteur aggravant pour cette pathologie invalidante (cécité), il pourrait, s’il était fumeur, choisir d’arrêter ou de continuer. Enfin, le Pr  Mendel a appris qu’il avait une sensibilité accrue à la warfarine, un anticoagulant dont le surdosage conduit, et de manière assez fréquente,  à de graves accidents vasculaires ; c’est là une information extrêmement utile et utilisable qui, en cas de traitement doit conduire à une surveillance accrue et à des doses plus faibles.  Même dans le cas de la prédisposition à la maladie d’Alzheimer, pour laquelle il existe un gène (apoE4) qui entraine un risque multiplié par dix pour les porteurs de deux copies, même dans ce cas où il n’y a ni prévention ni traitement connus, le Pr Mandel souligne qu’un patient jeune peut préférer ne rien savoir ; mais qu’un patient âgé peut faire un choix différent afin de préparer sa vie et celle de ses proches en cas de problème. Après avoir hésité, il a choisi de connaître le résultat pour lui-même. Il souligne d’ailleurs que la présentation des résultats par la société23andme est extrêmement bien faite, informant les patients et les incitant à réfléchir avant de prendre connaissance de chaque résultat. C’est d’ailleurs là un des avantages de la formation médicale aux USA, qui comporte une part importante d’apprentissage au dialogue avec les patients ; et c’est ce qui manque en France, et qui changerait peut-être la vision de nombreux médecins français s’il bénéficiaient pendant leurs études d’une formation similaire.
Enfin, le Dr Mandel signale une des nombreuses absurdités de notre système ; pour la mucoviscidose, on juge non éthique d’offrir la possibilité aux parent de tester leur prédisposition ; mais, s’ils ont un enfant atteint, on autorise  (heureusement !)un test pré-natal pour les enfants suivants…
 
Une position intenable
 
La position française est intenable ; elle est légalement intenable, car  on peut d’ores et déjà prévoir le jour où un couple poursuivra l’Etat pour leur avoir refusé la possibilité d’être averti d’un risque de prédisposition ; ou, plus convaincant encore, la victime d’une embolie sous anticoagulant pour n’avoir pas eu accès à un test peu couteux et disponible qui aurait pu éviter cette tragédie ; elle est éthiquement intenable, car il n’est pas éthique de ne pas donner, lorsque la technique le permet, à ceux qui le souhaitent, le moyen d’éviter des malheurs ou même simplement d’en diminuer le risque par des choix de vie informés et librement consentis.
Oui, le Comité National d’Ethique va avoir beaucoup de travail,  et il serait urgent et bienvenu qu’il fasse un peu moins de place aux considérations religieuses et mandarinales, et qu’il en accorde un peu plus à la volonté d’être davantage maître et possesseur de sa vie, à la liberté et à la responsabilité que donnent le savoir et les évolutions techniques ; bref que, dans le domaine de la bioéthique, on sorte de l’infantilisation pour entrer dans l’âge adulte - c’est en quelque sorte l’âge des Lumières de la biologie. Y-a-til des problèmes ? Oui, et le moindre des problèmes, le moindre des scandales ne serait pas que le droit de savoir pour les patients se transforme en obligation de déclaration à des assurances, par exemple, à l’occasion d’un prêt…  avant que le CCNE n’ait accordé ce droit..
Et ce n’est pas tout…
 

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