Génomique : progrès immenses avec conséquences
Il y un mystère Ameisen ;
comment arrive-t-il à mener de front autant d’activités, de ses fonctions au
Comité National Consultatif d’Ethique à ses chroniques toujours intéressantes
de France Inter ? Mais là, il va sans doute falloir qu’il consacre une
bonne partie de son temps et de son intelligence aux problèmes éthiques car les
défis, possibilités ou problèmes potentiels liés aux progrès de la biologie
moléculaire se multiplient. Avec cette
donnée simple , à transmettre aux économistes qui pensent que la
productivité stagne et que c’est la principale origine de nos problèmes économiques :
entre 2003 et 2013, le temps et le coût de la lecture du génome humain a été divisé par deux millions !
Tout d’abord, le dépistage
génétique. Cette année, en février, la FDA a autorisé le premier test de
dépistage génétique en vente libre : il permet la détection du syndrome de
Bloom, une maladie héréditaire rare qui entraine un retard de croissance et un risque
élevé de cancer. Simultanément, la même FDA a interdit à la société 23and me, liée à Google, de commercialiser
des prédictions sur la prédispositions à des maladies ou à la réaction à certains
médicaments. 23 and me propose un
génotypage en libre accès : une goutte de salive, 99 dollars, et vous avez
votre genotype. Pour enfaire quoi ? Comme 23andme s’est vu interdire (probablement provisoirement) le coté
dispositif médical, il ne vous communiquera que des données sur votre origine
ethnique, la présence possible de parents éloignés dans certaines régions du
globe, les migrations etc…23 and me a déjà intéressé plus de 900.000 clients.
Le droit de savoir
Comme d’habitude, le Comité
National Consultatif d’Ethique français semble avoir sur ces sujets une
attitude assez rétrograde et mandarinale. En témoigne l’interview d’un de ses
membres dans Le Monde du 6 mai 2015.
Le Pr Gaudry justifie la décision d’arrêter l’activité de diagnostic de 23andme. D’ abord, crime des crimes,
23andme fait du commerce ; elle
vend ses données génétiques à des sociétés, par exemple pour favoriser la
recherche contre la maladie de Parkinson. L’anonymat est respecté, aucun client
ne souffre d’aucun dommage et la recherche bénéficie de données qu’elle ne
pourrait se procurer autrement ;
mais c’est apparemment un grave problème. Autre argument : les tests
vendent des prédictions sans certitudes, et, «en médecine, les messages
probabilistes sont difficiles à comprendre ». Difficiles à comprendre pour
les patients, ou difficiles à expliquer pour les médecins ? Pourquoi
décider à la place des patients ? « Que faire s’il n’existe aucun
traitement satisfaisant » ? Ou, plus délicat encore, lorsqu’il existe
une possibilité, c’est un « dilemme préventif » qui se pose. Ainsi, « toutes
les porteuses du gêne BCRA1 ou A2 doivent-elles se faire enlever les deux
seins, les deux ovaires, et les trompes de Falloppe ? ». ( on estime
que le gène BCRA1 entraine un riques de 60% de développer un cancer du sein
avant 60 ans). Le Pr Gaudry modère heureusement : « la lecture des tests
doit rester intelligente, modulée et respectueuse ». En effet, mais
pourquoi interdire aux patients d’y avoir recours ? Sans aller aux
extrémités chirurgicales, une femme pourrait, en toute liberté et information, choisir
ou pas par exemple de suivre un traitement hormonal de substitution contre la
ménopause.
Le Pr Gaudry conclut que le
risque serait de « remettre en cause le droit des patients à ne pas savoir » ?
En attendant, le savoir rend plus libre, et c’est le droit des patients à
savoir qui est dénié. Il faut dire que bien sûr, la communauté médicale n’est
pas unanime, et même assez divisée. Ainsi, Jean-Louis Mandel, professeur de
génétique au Collège de France, s’inquiète de l’absence en France de débat sur
le sujet et « ne comprend pas la violente opposition de la plupart de ses
collègues » aux services proposés par 23andme.
Il a fait analyser son propre génome par cette société afin de juger de la
qualité des tests et des explications fournies, et a été plutôt convaincu.
Ainsi, il a découvert qu’ il était porteur sain du gène de la mucoviscidose et
a conseillé à sa fille de se faire dépister ainsi que son mari ; s’ils
étaient tous deux porteurs du gène, leurs enfant auraient eu 25% de risques d’être
atteint de cette maladie grave ; quelle
que soit la décision que l’on prendra ensuite, c’est certainement un type d’information
que l’on doit pouvoir connaître si on le souhaite. Il a aussi découvert qu’il
possède un gêne de prédisposition à la dégénérescence maculaire liée à l’âge
(DMLA) ; le tabac constituant un facteur aggravant pour cette pathologie
invalidante (cécité), il pourrait, s’il était fumeur, choisir d’arrêter ou de
continuer. Enfin, le Pr Mendel a appris
qu’il avait une sensibilité accrue à la warfarine, un anticoagulant dont le
surdosage conduit, et de manière assez fréquente, à de graves accidents vasculaires ; c’est
là une information extrêmement utile et utilisable qui, en cas de traitement
doit conduire à une surveillance accrue et à des doses plus faibles. Même dans le cas de la prédisposition à la
maladie d’Alzheimer, pour laquelle il existe un gène (apoE4) qui entraine un
risque multiplié par dix pour les porteurs de deux copies, même dans ce cas où
il n’y a ni prévention ni traitement connus, le Pr Mandel souligne qu’un
patient jeune peut préférer ne rien savoir ; mais qu’un patient âgé peut
faire un choix différent afin de préparer sa vie et celle de ses proches en cas
de problème. Après avoir hésité, il a choisi de connaître le résultat pour
lui-même. Il souligne d’ailleurs que la présentation des résultats par la société23andme est extrêmement bien faite,
informant les patients et les incitant à réfléchir avant de prendre
connaissance de chaque résultat. C’est d’ailleurs là un des avantages de la
formation médicale aux USA, qui comporte une part importante d’apprentissage au
dialogue avec les patients ; et c’est ce qui manque en France, et qui
changerait peut-être la vision de nombreux médecins français s’il bénéficiaient
pendant leurs études d’une formation similaire.
Enfin, le Dr Mandel signale une
des nombreuses absurdités de notre système ; pour la mucoviscidose, on
juge non éthique d’offrir la possibilité aux parent de tester leur
prédisposition ; mais, s’ils ont un enfant atteint, on autorise (heureusement !)un test pré-natal pour
les enfants suivants…
Une position intenable
La position française est
intenable ; elle est légalement intenable, car on peut d’ores et déjà prévoir le jour où un
couple poursuivra l’Etat pour leur avoir refusé la possibilité d’être averti d’un
risque de prédisposition ; ou, plus convaincant encore, la victime d’une
embolie sous anticoagulant pour n’avoir pas eu accès à un test peu couteux et
disponible qui aurait pu éviter cette tragédie ; elle est éthiquement
intenable, car il n’est pas éthique de ne pas donner, lorsque la technique le
permet, à ceux qui le souhaitent, le moyen d’éviter des malheurs ou même simplement
d’en diminuer le risque par des choix de vie informés et librement consentis.
Oui, le Comité National d’Ethique
va avoir beaucoup de travail, et il
serait urgent et bienvenu qu’il fasse un peu moins de place aux considérations
religieuses et mandarinales, et qu’il en accorde un peu plus à la volonté d’être
davantage maître et possesseur de sa vie, à la liberté et à la responsabilité
que donnent le savoir et les évolutions techniques ; bref que, dans le domaine
de la bioéthique, on sorte de l’infantilisation pour entrer dans l’âge adulte -
c’est en quelque sorte l’âge des Lumières de la biologie. Y-a-til des problèmes ?
Oui, et le moindre des problèmes, le moindre des scandales ne serait pas que le
droit de savoir pour les patients se transforme en obligation de déclaration à
des assurances, par exemple, à l’occasion d’un prêt… avant que le CCNE n’ait accordé ce droit..
Et ce n’est pas tout…
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